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  • Algérie. La France va-t-elle renégocier l’accord de 1968?

    Algérie. La France va-t-elle renégocier l’accord de 1968?

    Algérie. La France va-t-elle renégocier l’accord de 1968? – Xavier Driancourt, mémoire, Emmanuel Macron, colonisation,

    L’ancien ambassadeur de France en Algérie, Xavier Driancourt, est revenu sur le détail dans une précédente déclaration qui a suscité une grande polémique dans les milieux politiques et médiatiques lorsqu’il a déclaré que l’Algérie est vue dans les rouages ​​de la prise de décision à Paris comme une affaire intérieure française.

    Après avoir passé en revue sa précédente déclaration, l’ancien diplomate français a déclaré : « L’ambassadeur de France en Algérie traite généralement du passé. Il y a la question de la mémoire, mais il prépare sans doute l’avenir… Quant à notre diplomatie, l’Algérie fait l’objet de notre politique étrangère, au même titre que l’Ukraine ou la Chine. Mais c’est aussi un sujet de politique intérieure, étant donné que 10 % de la population française a un lien avec l’Algérie.

    Driancourt, qui a servi en Algérie en tant qu’ambassadeur à deux reprises, la première entre 2008 et 2012, et la seconde entre 2017 et 2020, a évoqué certains des antécédents qui étaient à l’origine du raisonnement abusif de l’année dernière du président français Emmanuel Marcon lorsqu’il a remis en question l’existence d’une nation algérienne avant l’occupation française en 1830.

    « J’imagine qu’Emmanuel Macron avait un objectif, qui est de réactiver le projet de « traité d’amitié » entre les deux pays, ou du moins de saisir l’opportunité de normaliser les relations avec l’Algérie. Il s’est appuyé sur le rapport de Benjamin Stora. Il a commencé par sa déclaration en 2017, dans laquelle il qualifiait les pratiques coloniales de « crimes contre l’humanité » que la France aurait commis en février 2017, alors qu’il était encore candidat à l’Elysée, mais s’est rendu compte plus tard qu’il n’a reçu aucun « retour » de ses interlocuteurs algériens », a expliqué Driancourt dans une interview au Figaro Vox publiée sur son site d’information.

    « Après la publication du rapport Stora en janvier 2021, le conseiller algérien (à la présidence de la République) en charge des archives et de la mémoire, Abdelmadjid Chikhi, par exemple, a déclaré que (le rapport) est un « problème franco-français » , sans autre commentaire. L’absence de réponse de la partie algérienne a laissé le président (Macron) déçu concernant l’Algérie, d’où les récentes déclarations d’Emmanuel Macron (en octobre 2021) sur le « commerce du dossier de la mémoire » de l’Algérie, a-t-il ajouté.

    Concernant l’opinion des Algériens sur son pays, l’ancien ambassadeur a déclaré : « Pour les Algériens, la France est l’ancien colonisateur que nous critiquons, mais c’est aussi le cousin voisin du pays, où chacun a un frère, une grand-mère, un… C’est aussi un visa, une chaire au lycée français d’Alger ou de la Sorbonne… », mais il a ignoré de dire que beaucoup des problèmes dont souffre l’Algérie aujourd’hui sont hérités de la période sombre de l’occupation française, qui a fait que l’Algérie a reculer à des années-lumière, du fait du vol de ses richesses, de l’appauvrissement et de l’ignorance de ses enfants et de leur exil au bout du monde.

    En revanche, le diplomate français a admis que la politique de son pays envers l’Algérie ces dernières années lui avait fait perdre nombre des privilèges dont il avait bénéficié : « ..en 2008, les entreprises françaises fournissaient 16 % des besoins du marché algérien. , et aujourd’hui le pourcentage est tombé à 10 %. Les décideurs algériens se sont largement tournés vers l’Italie, l’Espagne, l’Allemagne et bien sûr la Turquie et la Chine… ».

    A propos de l’accord de 1968 sur la circulation et le séjour des personnes signé entre l’Algérie et Paris, Driancourt a déclaré : « La circulation et l’installation des Algériens en France ont été négociées à une époque où l’on s’efforçait d’amener de la main-d’œuvre étrangère en France. Il a été renégocié trois fois, mais ses principes de base et ses exceptions au droit commun restent les mêmes. A chaque fois qu’on a voulu changer de fond, on a échoué, et aujourd’hui il va falloir mettre tout l’appareil en discussion, mais on a tendance à ranger des dossiers liés à l’Algérie, et ce point devrait être discuté avec d’autres, pour avoir une vraie vue d’ensemble de notre relation ».

    Echouroukonline, 03/05/2022

    #Algérie #France #Accord_1968 #Macron #Mémoire #Colonisation

  • La nausée

    La nausée – Algérie, France, colonisation, crimes coloniaux, mémoire, massacres, génocide,

    Par Mohamed Koursi

    25avril 1945, le Duce est fusillé et pendu par les pieds au carrefour du Piazzale Loreto, à Milan. Hitler se suicide à Berlin six jours plus tard, et Little Boy et Fat Man mettent fin à la Seconde Guerre mondiale.

    8 mai 1945, après cinq ans et huit mois du plus meurtrier des conflits qu’aient connus l’humanité, les carillons retentissent. L’Europe danse sur toutes les places publiques. À Bełżec, Sobibór, Treblinka, Auschwitz–Birkenau… le monde découvre l’horreur et se promet que plus jamais «une guerre de civilisation» au nom d’une race ne soit menée. Les Alliés promettent d’éliminer l’odeur de la Seconde Guerre mondiale, au moment où Sartre devient une star parisienne. L’existentialisme dont il se revendique rassure quelque part les Français qui veulent oublier Vichy. Il apporte la caution de celui qui n’a pas été collaborationniste sans être résistant. Avec Simone de Beauvoir, il fonde «Les Temps modernes» et se dirige mentalement vers une rupture avec les socialistes et les communistes qui venaient d’applaudir à la sanguinaire pacification dans l’Est algérien et qui voteront, une dizaine d’années plus tard, les pouvoirs spéciaux pour Massu.

    Oui, quittons le continent européen. 8 mai 1945, les cloches des églises sonnent également dans les colonies. En Algérie, 150.000 indigènes ont pris les armes aux côtés des Alliés. La joie, la liesse, l’amour… Dans un discours radiodiffusé, De Gaulle pouvait affirmer, ce 8 mai : «Tandis que les rayons de la Gloire font une fois de plus resplendir nos drapeaux, la patrie porte sa pensée et son amour, d’abord, vers ceux qui sont morts pour elle, ensuite vers ceux qui ont, pour son service, tant combattu et tant souffert ! … Dans la joie et la fierté nationale, le peuple français adresse son fraternel salut à ses vaillants alliés… ». Le temps est-il venu pour des appels pacifiques à la liberté ? À Setif, Guelma, Kherrata et d’autres hameaux, la France, qui avait applaudi son général pour son sens de l’expression sur l’outrage fait à «Paris brisé, martyrisé, mais libéré», va, hélas, assassiner, exécuter, bombarder, brûler et faire disparaître des milliers de corps dans des fosses communes, pour faire taire cet appel.

    Armée, police, milices, coupables d’assassinats de masse, enfants, femmes, personnes âgées désarmées abattues à bout portant. Dans les villages et les villes, les forces coloniales ont regroupé des Algériens, transportés dans des camions et jetés dans des ravins, alors que d’autres sont emmenés en dehors des villes pour être exécutés. Leurs corps brûlés sont ensuite ensevelis dans des fosses communes. Des fours à chaux ont été utilisés par l’armée française pour se débarrasser des cadavres. «Du soir au matin, on empilait dans le four à chaux (le «four crématoire des minoteries Lavie», à Héliopolis, près de Guelma) les corps des fusillés… Pendant dix jours, on brûla sans discontinuer. L’odeur à la ronde était insupportable. Il suffit d’interroger les habitants de l’endroit…». Il fallait faire disparaître les preuves. «Avec la venue de l’été, la chaleur monte… et l’odeur de la mort. Vers Guelma, faute de les avoir tous enterrés assez profond ou brûlés, trop de cadavres ont été jetés dans un fossé, à peine recouverts d’une pelletée de terre.

    Les débris humains sont transportés par camion. Le transport est effectué avec l’aide de la gendarmerie de Guelma pendant la nuit. C’est ainsi que les restes des 500 musulmans ont été amenés au lieu-dit «fontaine chaude» et brûlés dans un four à chaux avec des branches d’oliviers.»

    Il ne s’agit pas d’une folie meurtrière localisée dans une région, mais d’un programme d’extermination validé au plus haut sommet de l’État. La France humiliée, disloquée en trois semaines par la Wehrmacht, marquée du sceau de l’infamie par Vichy, pensait laver son affront en Algérie sur des «indigènes» désarmés, femmes et enfants qui défilèrent en brandissant, croyaient-il légitimement, le drapeau algérien. Après tout, on fêtait la Libération, et nous, Algériens, avons participé à cette victoire. De Gaulle, dès le 10 mai, envoie un télégramme au gouverneur de l’Algérie : «…Veuillez affirmer publiquement la volonté de la France victorieuse de ne laisser porter aucune atteinte à la souveraineté française sur l’Algérie. Veuillez prendre toutes les mesures nécessaires pour réprimer tout agissement anti-français d’une minorité d’agitateurs… ». La commission Tubert (du nom du général qui l’a présidée), chargée d’enquêter sur ces massacres, reçut l’ordre de rentrer sur Alger. Son rapport jamais terminé est resté frappé du sceau de secret-défense des décennies. Peut-être qu’à Paris, on n’aimait pas l’odeur de la campagne algérienne… Dix ans plus tard, cette même France va gazer des Algériens. Ce même De Gaulle va donner le feu vert par la création de «sections spéciales» qui vont opérer dans le plus grand secret (même les autres corps d’armées ne sont pas au courant), pour «nettoyer» les grottes. Armés de gaz, masqués, habillés de combinaisons, ils vont traquer, pourchasser, bloquer dans des grottes, les combattants de l’ALN, mais aussi des femmes, des enfants et personnes âgées qui ont cru échapper aux zones interdites, aux centres de regroupements et au napalm.

    ET L’ODEUR?

    «Elle était âcre. Comme certains produits qu’on emploie pour nettoyer, exactement la même odeur [… ]. On appelait ça les “chandelles à gaz”, qui équivalaient à des centaines de grenades. Celui gazé par ça, s’il restait un quart d’heure, il était mort, asphyxié. Ça attaquait les poumons.» un siècle auparavant, En 1845, dans des grottes du massif du Dahra, à Nekmaria (Mostaganem), le lieutenant-colonel Aimable Pélissier piégea les Ouleds riahs, y entassa des fagots de bois, alluma le feu et les enfuma, devenant ainsi, avec presque un siècle d’avance, l’un des pères des chambres à gaz. «Pendant des heures, on entend, venant des grottes, des hurlements de bêtes et d’êtres humains mêlés aux craquements sourds de la roche qui éclate par endroits sous l’effet de la chaleur. Deux jours plus tard, quand les premiers soldats s’avancent en reconnaissance, il règne sur les lieux un silence de sépulcre. Le sol est jonché de plusieurs centaines de cadavres de moutons, d’ânes, de bœufs, de femmes, de vieillards, d’hommes et d’enfants.»

    Politis, mai 2022

    #Algérie #France #Crimes_coloniaux #mémoire

  • Les Algériens se détournent de la langue française

    Les Algériens se détournent de la langue française

    Les Algériens se détournent de la langue française – Héritage colonial, mémoire, crimes coloniaux, Guerre d’Algérie,

    L’héritage colonial de la France
    Les Algériens se détournent du français
    Un nombre croissant de ministères du gouvernement algérien annoncent qu’ils abandonneront le français à l’avenir. Ils réagissent peut-être à l’humeur de la population, mais cette décision est également délibérée.

    La ministre algérienne de la culture, Wafaa Chaalal, est à la télévision, à la recherche de mots. La conversation est en arabe – et ce n’est un secret pour personne que les Algériens passent souvent au français, ou du moins intègrent tellement de vocabulaire français qu’il chevauche rapidement l’arabe. La présentatrice égyptienne interroge la ministre sur la forte influence du français dans son pays d’origine. Avec un sourire amical, elle poursuit qu’elle connaît beaucoup d’Algériens qui parlent plus le français que l’arabe.

    Le ministre attribue cela à la forte influence française dans l’éducation. Puis elle ajoute : « On pense en français et on parle arabe. C’est pour ça que certains mots ne nous viennent pas si vite. » La présentatrice ne comprend pas très bien, et tente de la corriger : « Tu penses en arabe et tu parles en français. » Non, l’inverse, répond le ministre de la culture. La présentatrice semble avoir du mal à la croire. Sa question suivante, sur la différence entre la pensée française et la pensée arabe, doit être abandonnée. La question est trop sensible pour Chalaal.

    L’interview a déclenché un flot de commentaires sur les réseaux sociaux. De nombreux Algériens ont déclaré que Chaalal ne parlait qu’au nom de l’élite francophone, qui se répartit les postes gouvernementaux de prune entre eux, plutôt qu’au nom du peuple algérien, qui parle arabe. Un commentaire affirmait que « quand ils veulent tuer l’identité d’un peuple, ils tuent d’abord la langue » ; un autre a écrit que « leurs paroles sont vraies, tous les fonctionnaires sont francisés; mais nous n’acceptons pas la vérité, nous vivons comme des autruches qui s’enfouissent la tête dans le sable ».

    De plus en plus, l’état d’esprit qui prévaut au sein de la population est reconnu par les politiciens : ces derniers mois, plusieurs ministères ont banni le français – la langue de l’ancienne puissance coloniale – de la correspondance officielle. En octobre dernier, le ministère de la jeunesse et des sports, le ministère de la formation professionnelle et le ministère du travail, de l’emploi et de la sécurité sociale ont rendu l’arabe obligatoire à la place. Début avril, le ministère de la culture, désormais dirigé par Soraya Mouloudji, a emboîté le pas. De tels développements doivent également être considérés dans le contexte de la querelle diplomatique entre Alger et Paris l’automne dernier. Du moins, officiellement.

    Emmanuel Macron a demandé si l’Algérie avait déjà été une nation avant l’époque coloniale
    À l’époque, les déclarations du président français Emmanuel Macron dans Le Monde ont provoqué une crise diplomatique entre les deux États. Macron a accusé le « système politico-militaire » algérien de toujours utiliser le colonialisme pour excuser ses propres échecs. « Depuis 1962, la nation algérienne se nourrit d’une mémoire qui dit que la France est le problème », a déclaré Macron dans le journal français. De plus – et cela provoqua un tollé à Alger – il se demanda si l’Algérie avait jamais été une nation avant l’ère coloniale.

    Les troupes françaises ont occupé l’Algérie dès 1830 et ont déclaré le pays d’Afrique du Nord une province française. Un massacre de dizaines de milliers d’Algériens à Sétif commis par les troupes coloniales françaises en mai 1945 a conduit au renforcement du mouvement indépendantiste algérien. En 1954, sous la direction du FLN (Front de Libération Nationale), la soi-disant guerre d’Algérie contre la puissance coloniale française a commencé, qui a abouti à l’indépendance du pays en 1962. La lutte pour la libération a été brutalement réprimée par les troupes françaises et des centaines de milliers d’Algériens ont été tués.

    En conséquence, le gouvernement d’Alger a rappelé son ambassadeur à l’automne dernier et a suspendu les droits de survol des avions militaires français au-dessus du Sahel. Macron a fait savoir peu après – par l’intermédiaire d’un conseiller – qu’il regrettait la « polémique » et les « malentendus ». Début décembre dernier, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, s’est rendu en Algérie. Au bout de trois mois, la crise diplomatique était terminée. Mais pas un seul représentant officiel du gouvernement algérien n’a pris part à la commémoration du 60e anniversaire du cessez-le-feu dans la guerre d’Algérie qui s’est tenue fin mars. Macron a appelé à une nouvelle réconciliation entre la France et l’ancienne colonie française.

    Mais les déclarations controversées de Macron à Alger ne sont pas oubliées, estime le politologue algérien Zine Labidine Ghebouli. Le jeune homme de 26 ans étudie les relations euro-méditerranéennes à l’Université de Glasgow. « Les propos de Macron ont alimenté une ancienne rivalité linguistique et socioculturelle et conduit à un scepticisme post-colonial accru », dit-il. Mais il décrit la décision de la nouvelle ministre de la Culture principalement comme une « bataille traditionnelle de son camp conservateur contre l’élite culturelle francophone » et une « stratégie de relations publiques pour capitaliser sur les propos de Macron pour gagner en popularité ». L’Algérie connaît une profonde mutation sociale, après laquelle, estime Labidine, les Français ne bénéficieront plus des mêmes privilèges et du même statut d’élite.

    Les jeunes se détournent de la langue française

    Le sentiment anti-français a augmenté dans le pays au cours des trois dernières années, dit Labidine. Elle est également liée, dit-il, au mouvement de protestation Hirak, qui appelle à une réorganisation complète du système politique qui existe en Algérie depuis l’indépendance. Au cours des trois dernières années, le mouvement a su mobiliser des centaines de milliers de manifestants – pour d’abord renverser le président de longue date Abdelaziz Bouteflika, puis pour lutter contre le réseau politique des militaires, des services secrets et des magnats de l’industrie encore au pouvoir aujourd’hui.

    Le président Abdelmadjid Tebboune, élu fin 2019, est perçu par de nombreux Algériens comme un partisan de l’ancien système. Des slogans et des pancartes anti-français ont pu être entendus et vus à plusieurs reprises lors des manifestations – des slogans tels que « Partout où il y a la France, la destruction vient » ou « Macron, va, tu n’es pas le bienvenu au pays des martyrs ».

    Lors des manifestations, les manifestants ont à plusieurs reprises établi des parallèles entre leurs revendications et la lutte anticoloniale, raconte Andrew Farrand. L’auteur de « Le rêve algérien : la jeunesse et la quête de la dignité », paru en 2021, ajoute que la jeune génération, notamment, s’éloigne de plus en plus de la langue française. Près des deux tiers de la population algérienne ont moins de 35 ans. Farrand a vécu en Algérie de 2013 à 2020 pour voir ce qui fait vibrer « la prochaine génération du géant endormi de l’Afrique du Nord », comme il l’écrit dans son livre. L’Algérie est le plus grand pays d’Afrique par sa superficie. Bien qu’il existe des différences significatives selon la région et la classe, dit Farrand, de nombreux jeunes Algériens se sentent aujourd’hui moins à l’aise d’utiliser le français que leurs parents ou grands-parents.

    Les entrepreneurs algériens se plaignent souvent de ne pas trouver de jeunes employés capables d’écrire ou de parler correctement le français, nous dit Farrand. De plus, « Les jeunes grandissent dans un monde en ligne. L’anglais a pris un nouveau sens et le français ressent vraiment la chaleur pour la première fois. » Cette tendance est également évidente dans d’autres domaines. Lorsque le principal journal francophone Liberté a cessé de paraître la semaine dernière après trente ans, seule une petite minorité francophone a pleuré sa perte.

    Les seuls jeunes Algériens exemptés de cette évolution sont ceux qui flirtent avec l’idée d’émigrer en France. Malgré le fait qu’ils sont de plus en plus nombreux à être conscients que la vie peut être difficile pour les migrants algériens en France. Surtout avec la montée de l’extrême droite. Bien que Marine Le Pen ait une fois de plus échoué aux urnes, elle a recueilli plus de soutien populaire que jamais.

    Dunja Ramadhan

    © Suddeutsche Zeitung

    Qantara.de, 25/04/ 2022

    #Algérie #France #Mémoire #Colonisation #Guerredalgérie #Langue_française

  • Macron a une opportunité historique de régler des dossiers sensibles avec l’Algérie

    Macron a une opportunité historique de régler des dossiers sensibles avec l’Algérie

    Macron a une opportunité historique de régler des dossiers sensibles avec l’Algérie – Mémoire, essais nucléaires, Guerre d’Algérie

    Mohamed Meslem

    Le président français Emmanuel Macron a remporté le second tour des élections présidentielles françaises, en battant sa rivale d’extrême droite, Marine Le Pen, par une marge confortable, réalisant un deuxième mandat, en tant que deuxième président à réaliser cet exploit depuis l’ancien président Jacques Chirac en 2002.
    Macron a remporté une nette victoire sur son adversaire d’extrême droite avec 58 % du total des suffrages exprimés, pour la deuxième fois consécutive, contre environ 42 % pour son rival, le candidat du « Parti républicain », sachant que les deux candidats s’étaient déjà affrontés il y a cinq ans, et Le Pen a perdu la course.
    Le second mandat est le dernier pour Macron à l’Elysée, selon les exigences de la loi électorale française, ce qui signifie que l’ancien cadre de la « Banque Rothschild » s’est davantage affranchi des contraintes des comptes pour préserver son avenir politique, qui en 2027 deviendra son successeur.

    Depuis que le détenu de l’Elysée a annoncé sa candidature à un second mandat, aucune déclaration n’a été publiée par la partie algérienne exprimant son intention de soutenir l’un des candidats. L’Algérie s’est plutôt distanciée de se présenter aux élections avant le premier tour, et cela s’est manifesté par ses réserves à recevoir le Premier ministre français, Jean Castex, pour ne compter sur aucun des candidats à l’Elysée, mais sur les résultats des première étape de la course a décidé, bien qu’implicitement, la position algérienne, en faisant obstacle au candidat d’extrême droite, dans l’intérêt de Macron.

    Cette position a été démontrée par l’appel du doyen de la mosquée de Paris, Shams El-Din Hafeez, à ne pas rester neutre et à voter en faveur de Macron, un appel qui n’est pas sorti de nulle part puisqu’il a été annoncé deux jours seulement après la visite du ministre français de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, en Algérie, ainsi qu’un autre indice, qui est que la Mosquée de Paris est affiliée à l’Algérie dans le financement et dans la nomination de son doyen, ce qui responsabilise ses positions d’une manière ou d’une autre à l’Etat algérien.

    Après que Macron a remporté le second mandat, la question sur les lèvres de beaucoup en Algérie est devenue : le président réélu osera-t-il prendre des mesures audacieuses et ouvrir des dossiers sensibles qu’il n’a pas pu ouvrir lors du premier mandat, concernant des questions qui concernent l’Algérie ? ? Ou va-t-il continuer son slogan pour les cinq prochaines années ?
    L’ancien diplomate, Mustapha Zaghlache, estime que la continuité sera le mot d’ordre du président réélu dans son second mandat : ​​« Macron est connu pour avoir été soutenu par certains milieux financiers lors des élections de 2017 comme lors des dernières élections. Je pense qu’il a une marge de manœuvre régie par les lignes tracées par ces cercles pour lui.

    Quant aux relations algéro-françaises, Zaghlache a déclaré, dans une déclaration à Echorouk, que les relations bilatérales sont régies par la continuité en vertu des liens historiques, sociaux, économiques et commerciaux. L’Algérie ne peut pas abandonner ces relations, ni Paris ne peut ignorer ces liens.
    S’agissant de la question de la mémoire, ajoute l’oratrice, il est possible de revenir sur le rapport préparé par l’historien Benjamin Stora, à la demande de la présidence française, alors qu’il parle de résoudre progressivement les arcanes de cet épineux dossier.

    Zaghlache dit : « Je pense que la partie algérienne est consciente de la sensibilité du dossier de la mémoire ramifiée à d’autres dossiers, à savoir les archives, les restes des martyrs et les répercussions des explosions nucléaires… Cependant, la réélection de Macron contribuer à avancer sur cette voie, ce qui est dans l’intérêt de la stabilité des relations bilatérales qui étaient fortement tendues.

    Malgré cela, l’ancien diplomate ne voit pas beaucoup d’avancées dans le domaine de la mémoire, car les positions françaises sur ce dossier ne peuvent franchir certaines lignes, quel que soit le parcours du nouveau président, qu’il soit de gauche, de droite ou d’une autre sensibilité politique.

    Macron, dit Zaghlache, est condamné à travailler pour son parti « La France en avant » pour obtenir une nouvelle victoire aux élections législatives de juin prochain, afin qu’il puisse travailler avec un grand confort loin des pressions de l’extrême droite, et cela nécessite de prendre des positions. qui préservent ses intérêts politiques.

    Une autre question qui reste sujette à anticipation dans la position française est la question sahraouie, et ici l’ancien diplomate s’attend à ce que la continuité prévale, mais l’Algérie insiste pour que la position française soit favorable à la légitimité internationale représentée dans l’autodétermination du peuple sahraoui, dans la réunions du Conseil de sécurité de l’ONU, et contribuer à la décolonisation du territoire pour ne pas perdre la face avec un pays de la taille de l’Algérie.

    Echourouk Online, 26/04/2022

    #Algérie #France #Mémoire #Guerredalgérie #Essais_nucléaires



  • Comment développer la coopération entre l’Algérie et la France de Macron ?

    Comment développer la coopération entre l’Algérie et la France de Macron ? Mémoire, colonisation, Maroc, Tunisie, Moyen-Orient,

    Abderrahmane MEBTOUL
    Professeur des universités, expert international, docteur d’Etat en sciences économiques -1974- membre de plusieurs organisations internationales

    Monsieur Emmanuel Macron vient d’être élu président de la république française lors du scrutin du 24 avril 2022 mais le déterminant sera les élections législatives devant avoir une majorité pour appliquer effectivement son programme, dans la mesure où le premier ministre futur sera issu de la majorité parlementaire J’espère que les relations algéro- françaises trouveront une nouvelle dynamique par la reconnaissance, du devoir de mémoire et du fait colonial, afin d’entretenir une relation apaisée , le renforcement de la coopération économique sur la base d’un partenariat gagnant /gagnant , et sur le plan politique et sécuritaire garantir ensemble la stabilité de la région méditerranéenne et africaine.

    1.-Nos deux pays doivent avoir une vision commune de leur devenir, et ce afin de contribuer ensemble à la stabilité régionale, conditionnée par un véritable co-développement. S’il ne s’agit nullement d’occulter la mémoire, indispensable pour consolider des relations durables entre l’Algérie et la France, il s’agit bien, en ce monde impitoyable où toute nation qui n’avance pas recule, de préparer l’avenir, ensemble et dans le respect mutuel. Pour ma part, au cours de différentes rencontres avec d’importantes personnalités politiques et économiques, j’ai souligné que l’Algérie entend ne pas être considérée comme un simple marché. Et c’est dans ce cadre que doit se déployer un co-partenariat entre l’Algérie et la France, loin de tout préjugé et esprit de domination. C’est dans le contexte de la quatrième révolution économique mondiale que doit être appréhendée une approche réaliste du co-partenariat entre l’Algérie et la France. Au niveau mondial, nous assistons à l’évolution d’une vision purement matérielle, caractérisée par des organisations hiérarchiques rigides, à un nouveau mode d’accumulation fondé sur la maîtrise des connaissances, des nouvelles technologiques et des organisations souples en réseaux comme une toile d’araignée à travers le monde, avec des chaînes mondiales segmentées de production où l’investissement, en avantages comparatifs, se réalise au sein de sous-segments de ces chaînes.

    2.- Comme le note justement mon ami Jean-Louis Guigou, président de l’Ipemed (Institut de prospective économique du monde méditerranéen, à Paris), il faut faire comprendre que, dans l’intérêt tant des Français que des Algériens – et plus globalement des Maghrébins et des Européens ainsi que de toutes les populations sud-méditerranéennes -, les frontières du marché commun de demain, les frontières de Schengen de demain, les frontières de la protection sociale de demain, les frontières des exigences environnementales de demain… doivent être au sud du Maroc, au sud de la Tunisie et de l’Algérie, et à l’est du Liban, de la Syrie, de la Jordanie et de la Turquie, passant par une paix durable au Moyen-Orient, les populations juives et arabes ayant une histoire millénaire de cohabitation pacifique. Plus précisément, l’Algérie et la France présentent l’une et l’autre des atouts et des potentialités pour la promotion d’activités diverses et cette expérience peut être un exemple de ce partenariat global devenant l’axe privilégié du rééquilibrage du sud de l’Europe, par l’amplification et le resserrement des liens et des échanges sous différentes formes.

    3.-Les échanges entre l’Algérie et la France bien qu’en baisse peuvent être intensifiés dans tous les domaines : agriculture, industrie, services, tourisme et éducation, sans oublier la coopération dans le domaine militaire, où l’Algérie peut être un acteur actif, comme le montrent les efforts d e l’ANP et des différentes forces de sécurité en vue de la stabilisation de la région. Par ailleurs, n’oublions pas le nombre de résidents d’origine algérienne en France, qui dépasseraient les 4 millions, dont 2 millions de binationaux. Quel que soit son nombre exact, la diaspora représente un élément essentiel du rapprochement entre l’Algérie et la France, car elle recèle d’importantes potentialités intellectuelles, économiques et financières.

    La promotion des relations entre l’Algérie et sa communauté émigrée doit mobiliser à divers stades d’intervention l’initiative de l’ensemble des parties concernées, à savoir le gouvernement, les missions diplomatiques, les universités, les entrepreneurs et la société civile. En ce moment de tensions géostratégiques avec les tensions en Ukraine qui entrainera une nouvelle reconfiguration mondiale , des tensions au niveau de la région méditerranéenne et africaine , avec notamment le terrorisme, le rapprochement entre de nos deux pays est nécessaire pour une intensification de la coopération entre la France et l’Algérie via l’Europe, à la mesure du poids de l’histoire qui nous lie. Mais les étrangers ne feront pas les réformes à notre place : l’Algérie sera ce que les Algériennes et les Algériens voudront qu’elle soit, en supposant que les réformes structurelles indispensables se fassent, si elle veut éviter sa marginalisation, personne pouvant faire les réformes à notre place.

    4.-L’Algérie peut donc surmonter les difficultés actuelles et être un acteur actif au sein de la région méditerranéenne et africaine. Il faut éviter toute sinistrose dans la vision de l’Algérie, car la situation est différente de celle de 1986 : outre une jeunesse dynamique, la dette extérieure, inférieure à 4 milliards de dollars, et des réserves de change de 44 milliards de dollars au 31/12/2021 offrent un répit.. Pourtant, la réussite du partenariat industriel, national et international, n’est pas réalisable sans une gouvernance centrale et locale rénovée, une vision cohérente se fondant sur des réformes structurelles tant politiques, sociales, économiques – dont le marché financier, le foncier, le marché du travail et surtout la réforme du système socio-éducatif, pilier de tout processus de développement, étant à l’aube de la quatrième révolution technologique. Les tactiques doivent s’insérer au sein de l’objectif stratégique de maximiser le bien-être social de tous les Algériens.

    Face aux nombreux nouveaux défis qui attendent notre pays afin de le hisser au rang de pays émergents, à moyen et long terme, l’Algérie acteur reconnu par la communauté internationale comme facteur de stabilité de la région, se doit d’engager des réformes structurelles supposant un large front social interne de mobilisation, tolérant les différentes sensibilités. Pour cela, la domination de la démarche bureaucratique devra faire place à la démarche opérationnelle économique, qui aura des impacts positifs à terme.

    En résumé ,tout pays défend ses intérêts propres n ‘existant pas de sentiments dans les relations internationales.. Avec l’élection de monsieur Emmanuel Macron, Président de la République française;; espérons que ce quinquennat permette le renforcement de la coopération entre les deux pays. L’intensification de la coopération ne sera possible , tout en n’oubliant pas le devoir de mémoire, que si l’Algérie et la France ont une approche réaliste du co-partenariat et une vision commune de leur devenir.

    L’Algérie et la France sont des acteurs incontournables pour la stabilité de la région, et toute déstabilisation de l’Algérie aurait des répercussions géostratégiques négatives sur l’ensemble de la région méditerranéenne et africaine, comme je l’ai souligné avec force dans plusieurs interviews à la télévision France 24, à Africapresse Paris et à l’American Herald Tribune, USA. Les tensions actuelles entre l’Algérie et la France peuvent être surmontées Il s’agit d’entreprendre ensemble dans le cadre du respect mutuel. C’est dans ce cadre que doit rentrer un partenariat gagnant-gagnant entre l’Algérie et la France, loin de tout préjugé et esprit de domination.

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  • France: L’anti-impérialisme de Sartre est encore trop radical

    France: L’anti-impérialisme de Sartre est encore trop radical

    France: L’anti-impérialisme de Sartre est encore trop radical – crimes de l’empire, Frantz Fanon, colonialisme, Algérie, Vietnam,

    UNE ENTREVUE AVEC OLIVIER GLOAG

    L’opposition sans concession de Jean-Paul Sartre aux crimes de l’empire en fait une figure taboue de la culture française. Le courant politique français est toujours dans le déni de l’histoire sanglante du colonialisme.

    Le philosophe français Jean-Paul Sartre était l’un des penseurs les plus influents du siècle dernier. Sa mort, en 1980, a laissé de nombreuses personnes en France et dans le monde entier se sentir privées de direction politique.

    L’une des principales questions éthiques et politiques qu’il a abordées dans son travail était la relation coloniale entre les pays occidentaux et les pays du Sud. De la guerre brutale de son propre pays en Algérie à l’invasion américaine du Vietnam, Sartre s’est prononcé avec acharnement contre les crimes de l’empire.

    Oliver Gloag enseigne le français et les études francophones à l’Université de Caroline du Nord et est l’auteur d’ Albert Camus : une très courte introduction . Ceci est une transcription éditée du podcast Long Reads de Jacobin . Vous pouvez écouter l’épisode ici .

    DF- Quand Sartre a-t-il commencé à s’intéresser à la question des colonies françaises et quelles ont été ses premières interventions publiques à ce sujet ?

    OG- La première réaction publique à la guerre coloniale de la France en Indochine est survenue en décembre 1946, après le début de la guerre. C’était un éditorial du Temps modernes . Sartre était le directeur de cette publication, mais l’éditorial n’était pas signé. Il a fait une comparaison entre le rôle de l’armée française en Indochine et le rôle de l’armée allemande en France. C’était une condamnation absolue de l’intervention de la France et une attaque contre son hypocrisie.

    Même si Sartre n’a pas écrit l’éditorial, il a été pointé du doigt par François Mauriac, une figure très importante de la littérature et des milieux intellectuels français, qui était une sorte d’auteur anticolonialiste de droite. Mauriac est extrêmement choqué par la comparaison entre la France et l’armée d’occupation allemande.

    Sartre a répondu avec Maurice Merleau-Ponty dans un autre éditorial, intitulé « SOS Indochine ». Ils prennent position, anticipant l’argument qu’Aimé Césaire fera plus tard dans son Discours sur le colonialisme en refusant de hiérarchiser les massacres et les occupations. Ils ont insisté sur le fait qu’il était légitime de comparer ce que les puissances coloniales ont fait aux peuples et aux pays colonisés avec ce que l’Allemagne a fait en Europe, lorsqu’elle a de facto colonisé la France.

    La première intervention publique en son nom propre intervient au début des années 1950, avec l’affaire Henri Martin. Martin était un marin de la marine française qui avait cru aux affirmations du gouvernement selon lesquelles la guerre en Indochine était une guerre contre l’impérialisme japonais, puis avait découvert que ce n’était pas le cas. À son retour en France, il devient un militant anti-guerre et est arrêté et emprisonné pendant cinq ans.

    Sartre a signé une pétition contre l’emprisonnement d’Henri Martin avec des intellectuels et des membres du Parti communiste français. Finalement, Martin a été libéré sous la pression populaire, en 1953. Il y avait un livre publié cette année-là avec un résumé de Sartre, où il a attaqué l’entreprise coloniale et le système judiciaire français. Je dirais que c’était son premier engagement public à l’égard de l’anticolonialisme

    DF – Quel rapport Sartre a-t-il eu avec le mouvement de la négritude et des personnalités comme Aimé Césaire et le Sénégalais Léopold Senghor ?

    OG- Cela a commencé en 1947, avec une publication intitulée African Presence , qui est devenue la voix principale de la négritude . Dans sa présentation, Sartre a pris à partie l’hypocrisie des Français métropolitains qui se considéraient comme tolérants et compréhensifs parce qu’ils socialisaient avec des hommes noirs dans la métropole. Mais qu’en est-il de ceux des colonies ? Sartre a demandé rhétoriquement. Qu’en est-il de l’exploitation et de la misère là-bas ?

    Il s’est concentré sur l’oppression concrète. Il a parlé des salaires, du prix du boeuf, de la richesse que ces colonies généraient pour la métropole. Il était attentif aux conditions de vie.

    Sartre a déclaré qu’il ne suffirait pas d’accepter simplement quelques Noirs en France métropolitaine dans le cadre d’une tentative de réprimer ou de nier l’oppression et l’exploitation économiques en cours des hommes et des femmes africains dans les colonies. Il a également souligné le fait que le racisme n’était pas le seul aspect du colonialisme : il y avait aussi la classe. C’est devenu un problème théorique important pour Sartre : lequel est venu en premier ?

    Sartre a souligné que les auteurs comme lui ne devraient pas être condescendants en regardant cette poésie naissante. Il ne s’agissait pas d’être à la hauteur de la culture française mais plutôt de tourner la langue française dans des directions différentes, d’injecter du sang révolutionnaire et politique dans cette langue et de lui donner un nouveau sens. Dans African Presence , le romancier Richard Wright était également en tête de mât, il faisait donc le lien entre les Afro-Américains et les auteurs africains francophones. Sartre a contribué au lancement de ce projet et lui a prêté son prestige.

    L’autre grande intervention fut sa préface à l’anthologie de la poésie noire et malgache de Léopold Senghor. Ce fut un grand moment pour Sartre. A l’époque, les guerres de libération nationale n’avaient pas encore pris l’importance qu’elles auraient plus tard. Sartre était un nouveau venu en politique, écrivant dans un paysage où l’indépendance des colonies en Afrique était encore un espoir et pas encore une lutte armée en cours.

    Il a commencé l’essai en défiant l’attente condescendante d’exotisme du lecteur blanc lorsqu’il a ouvert le livre. Il a appelé de manière préventive leur surprise face aux poèmes et leur inconfort à la réalisation que le regard des Blancs était subverti. Ils étaient maintenant l’objet de regards noirs. Avec ce renversement, Sartre s’est moqué de la prise de conscience soudaine du lecteur blanc qu’ils possèdent une race, et qu’eux aussi peuvent être l’objet d’un regard.

    Je vais citer ce qu’il a dit ici : « Voici des hommes noirs debout, qui nous regardent, et j’espère que vous, comme moi, ressentirez le choc d’être vu. Depuis trois mille ans, l’homme blanc jouit du privilège de voir sans être vu. C’était le passage d’ouverture, qui était crucial et qui fondait la perspective de Sartre. Il ne regardait pas cela d’un point de vue paternaliste.

    La préface compare le statut des Européens dans le monde à celui des aristocrates français sous l’ancien régime. Il les qualifia d’ »Européens de droit divin » et annonça prophétiquement que le mouvement culturel de la négritude allait se développer en une force politique qui renverserait l’ancien ordre colonial, tout comme l’institution de la monarchie avait été renversée à travers l’Europe.

    Ce fut un moment crucial. Il a cité quarante-quatre passages de poèmes de personnalités telles que Senghor, Césaire et David Diop, et a donné un aperçu de ce contre quoi la négritude se battait. L’essai allait au-delà d’une description immédiate et d’une dénonciation du racisme. Elle a inscrit la race et le colonialisme dans l’histoire.

    La partie la plus controversée de la préface de Sartre était qu’elle décrivait également l’idée d’une dialectique où, d’une part, nous aurions un racisme blanc et un colonialisme blanc et, d’autre part, nous aurions un « racisme antiraciste ». Dans une troisième étape, les deux finiraient par s’annuler, et nous arriverions à une conscience de classe générale et à la phase ultime de libération universelle.

    On peut comparer cela à Aimé Césaire. Il a exposé cette dialectique, incorporant la violence noire libératrice dans un processus d’émancipation universelle, dans sa pièce de 1958 And the Dogs Were Silent , sur un descendant d’esclaves qui s’est rebellé contre l’autorité coloniale. La marque d’universalisme de Césaire était également présente dans ses travaux antérieurs. En fait, je pense que Césaire a joué le rôle d’intermédiaire entre Sartre et un autre interlocuteur important, Frantz Fanon, très influencé par la négritude.

    DF – Comment Sartre et ses associés ont-ils répondu à la lutte pour l’indépendance de l’Algérie qui a débuté en 1954 ?

    Cela a commencé par Le Temps modernes . La guerre d’indépendance du peuple algérien débute officiellement à l’automne 1954 et se termine à l’été 1962. Au printemps 1955, paraît un numéro spécial des Temps modernes sur l’Algérie. L’éditorial s’intitulait « L’Algérie n’est pas la France ». C’était une réprimande cinglante et une réplique aux paroles officielles des ministres du gouvernement français tels que François Mitterrand , le futur président, qui avait dit : « L’Algérie, c’est la France ».

    Sartre compare le statut des Européens dans le monde à celui des aristocrates français sous l’ancien régime.
    Tout au long de la guerre, Le Temps modernes devient un espace de voix en faveur de l’indépendance algérienne. Ce fut une fantastique chambre d’écho pour la lutte anticoloniale. Bien sûr, c’était censuré. Je pense que le journal a été saisi six fois au total.

    Il ouvrit ses colonnes à Aimé Césaire, qui prédit la mort des colonies dans un article très important. Il a protesté contre les exécutions. Sartre lui-même a écrit de nombreux éditoriaux et articles, ainsi qu’une préface pour le livre du journaliste Henri Alleg, La Question , sur l’usage systématique de la torture en Algérie.

    Son premier article en 1956 était intitulé « Le colonialisme est un système ». C’était à un moment important, alors que le gouvernement français poussait vraiment, avec le soutien du Parti communiste français, à la guerre contre l’Algérie. Dans cet article très célèbre, Sartre parlait des réalités spécifiques du colonialisme français.

    Il a donné des chiffres en termes de richesse et en termes de terres saisies par le gouvernement français aux Algériens. Il a raconté comment l’agriculture algérienne a été détruite, avec toute la culture du blé supprimée pour faire place à la production de vin. Bien sûr, les musulmans ne boivent pas, et tout cela était destiné à l’exportation.

    C’est aussi le moment de la rupture de Sartre avec le parti communiste. Il signe le « Manifeste des 121 », dans lequel 121 intellectuels et personnalités publiques soutiennent le refus des soldats français de servir en Algérie. Il souhaite explicitement la défaite de l’armée française. Certains journalistes qui ont signé cette pétition sont allés en prison pendant deux ou trois semaines, et beaucoup d’universitaires et d’employés de l’État qui l’ont signée ont été rétrogradés.

    Sartre a écrit un certain nombre d’articles qui reliaient les impératifs économiques derrière le projet colonial. Sa rhétorique n’arrêtait pas de s’intensifier à mesure que l’intensité des combats augmentait. Il a pris à partie l’hypocrisie française dans des passages très célèbres. Dans l’une d’elles, il disait : « Nous, Français, devons faire face à ce spectacle inattendu, le strip-tease de notre humanisme. La voici complètement nue et pas belle. Ce n’était qu’une idéologie illusoire. L’exquise justification du pillage, sa tendresse et son affection, sanctionnaient nos actes d’agression.

    Il s’est adressé à des gens qui ne voulaient pas choisir leur camp et leur a dit : « Vous savez très bien que nous sommes les exploiteurs, vous savez très bien que nous avons pris l’or, les métaux et le pétrole des pays, non sans d’excellents résultats — palais, cathédrales, capitales industrielles. Et puis chaque fois que la crise menaçait, les marchés coloniaux étaient le coussin.

    Cet engagement a culminé lorsqu’il s’est défini comme un « porteur de valises ». Il existait un réseau souterrain de citoyens français, connus sous le nom de porteurs de valises, qui travaillaient avec le Front de libération nationale , les aidant à transporter des armes, des fonds et des communications. Sartre a défié le gouvernement français de l’arrêter. Il a également été témoin dans de nombreux procès, défendant ces porteurs de valises.

    Sartre a participé à de nombreuses manifestations, comme celles qui ont suivi le massacre de Paris en octobre 1961. Il a été présent publiquement de manière très agressive. C’était au grand risque pour sa vie. Il a été la cible de deux tentatives d’assassinat, mais il a continué. Cette période a beaucoup influencé ses écrits : sa Critique de la raison dialectique a été rédigée pendant la guerre d’indépendance algérienne.

    DF- Dans ce contexte plus large, quelle était la relation entre Sartre et Frantz Fanon , dont l’œuvre propre était indissociable de la lutte pour l’indépendance algérienne ?

    OG- Le rapprochement entre Sartre et Fanon peut sembler un peu délicat, car Fanon a critiqué l’essai de Sartre sur la négritude, Black Orpheus , dans son premier livre, Black Skins, White Masks . Il a critiqué l’inclusion de la négritude par Sartre dans une dialectique universelle comme une étape négative qui allait être transcendée. Ce faisant, selon Fanon, Sartre avait relégué l’expérience d’être noir dans de nombreuses colonies françaises à un statut destiné à céder rapidement la place à un autre. Il a dit que le schéma hégélien de Sartre ignorait ou effaçait l’expérience et l’individualité au profit de l’universel.

    Cependant, même dans sa critique d’ Orphée noir , Fanon ne ferme pas complètement la porte à un avenir universel. Il a finalement partagé l’objectif de Sartre. Il y a une citation célèbre à la fin de Black Skin, White Masks : « Le soldat estropié du Pacifique dit à mon frère : ‘Habitue-toi à ta couleur comme je m’habitue à mon moignon — nous sommes tous les deux des victimes’ », a déclaré Fanon. , « De tout mon être, je refuse d’accepter cette amputation. Je sens mon âme aussi vaste que le monde, vraiment une âme aussi profonde que le plus profond des fleuves. Ma poitrine a le pouvoir de se dilater à l’infini.

    Je pense que Sartre et Fanon ont finalement partagé plus que le but final de l’universalisme. Ils étaient tous les deux préoccupés par la façon de transformer les griefs empiriques en une lutte mondiale, et leur dialogue portait sur la meilleure façon de s’y prendre. Si l’on regarde Les Misérables de la Terre , le grand traité de Fanon sur les conséquences du colonialisme et comment le combattre, il écrivait qu’il n’était pas question pour le colonisé de concurrencer le colon : ils voulaient prendre sa place.

    Il a décrit le colonialisme comme une violence nue et a déclaré que la réponse à cela était une plus grande violence – la violence avait une sorte de valeur thérapeutique. Pour Fanon, en effet, la contre-violence du colonisé était rédemptrice. En fin de compte, la violence a créé la reconnaissance de l’ancien esclave en tant qu’être humain, et cela est né de la peur du maître.

    Ce n’était pas un appel insensé à l’abattage, mais plutôt une refonte de la dialectique maître-esclave, l’ancien esclave cherchant à être reconnu par la résistance armée. C’était un approfondissement et une complication de la deuxième étape de Sartre dans Black Orpheus .

    Sartre en a été influencé et l’a synthétisé par une formulation provocatrice dans sa préface aux Misérables de la Terre , où il a dit qu’abattre un Européen faisait d’une pierre deux coups : faire d’une pierre deux coups : faire disparaître à la fois un oppresseur et un opprimé. Ce qui restait était un homme mort et un homme libre. Le survivant, pour la première fois, sentit un sol national sous ses pieds.

    Bien sûr, les gens ont violemment critiqué Sartre pour cela. Je pense que la controverse s’articule autour d’une distinction entre la force et la violence : dans cette compréhension, la force est quelque chose que l’État a le droit d’utiliser, tandis que la violence est par définition illégale et laissée à la classe inférieure ou aux colonisés.

    En fin de compte, Sartre a été profondément influencé par Fanon et a cessé de parler d’universalisme et l’a critiqué à la place. Il s’est retiré de l’accent mis sur l’universalisme et s’est concentré sur la lutte identitaire liée à ce système colonial. Ce fut un grand échange d’influence entre les deux, tout en luttant pour un universalisme subversif, plutôt que l’universalisme du colonialisme et de l’État français.

    DF- Qu’ont dit Sartre et Les Temps modernes de la guerre américaine au Vietnam telle qu’elle s’est progressivement intensifiée au cours des années 1960 ?

    OG- Le Temps modernes est devenu, comme pour l’Algérie, un espace où les intellectuels écrivaient contre la guerre du Vietnam et lançaient des idées comme le Tribunal Russell, un lieu où d’anciens soldats américains pouvaient témoigner des horreurs de la guerre. Des dirigeants et des militants qui ont suivi Ho Chi Minh y ont également publié des articles. Le Temps modernes a poursuivi cette mission courageuse d’être le lieu de contestation intellectuelle de la guerre du Vietnam comme aucun autre espace de la presse française.

    Pour Sartre, il y a eu un durcissement de sa position. À l’époque de la résolution sur le golfe du Tonkin au Congrès américain, Sartre était censé se rendre à une conférence à Cornell et parler de son livre sur Gustave Flaubert. Mais Sartre a alors déclaré qu’il n’y avait plus aucune possibilité de dialogue et a refusé d’aller aux États-Unis. Il a annulé la conférence prévue juste au moment où les États-Unis intensifiaient leurs bombardements sur le Vietnam. Ce fut un moment crucial, et il a généré une énorme polémique.

    Puis, en 1965, dans une série intitulée « Un plaidoyer pour les intellectuels », Sartre a défini le rôle d’un intellectuel comme quelqu’un qui n’était pas seulement un spécialiste dans son propre domaine mais qui était prêt à risquer sa position de spécialiste et à aller dans d’autres domaines, prendre position sur des questions politiques qui ne correspondaient pas au statu quo. Il défiait ce qu’il appelait les intellectuels organiques, des intellectuels qui étaient là pour défendre les intérêts de leur classe sociale. Il a qualifié ces spécialistes de « faux intellectuels ». Le romancier Paul Nizan les appelait « les chiens de garde du système ».

    L’exemple que Sartre a donné était l’intellectuel pacifiste incarné par Albert Camus . Il l’a paraphrasé en disant : « Nos méthodes coloniales ne sont pas ce qu’elles devraient être, il y a trop d’inégalités dans nos territoires d’outre-mer, mais je suis contre toute violence ». C’était, pour Sartre, une approbation de la violence ultime, la violence infligée aux colonisés par leurs gouvernants — exploitation, chômage, malnutrition.

    Pour Sartre, un véritable intellectuel était quelqu’un qui n’était ni moraliste ni idéaliste, et qui allait prendre position sur l’attaque américaine contre le Vietnam. Cela, pour lui, était le test décisif. C’était la définition de Sartre d’un intellectuel :

    Il sait que la seule véritable paix au Vietnam coûtera du sang et des larmes. Il sait que cela commence par le retrait des troupes américaines et la fin des bombardements, donc par la défaite des USA. En d’autres termes, la nature de ses contradictions l’oblige à s’engager et à s’impliquer dans tous les conflits de notre temps, car ils sont tous — conflits de classe, de nationalisme ou de race — des conséquences particulières de l’oppression des défavorisés par les dominants. classe.

    À ce moment-là, pour Sartre, tout d’un coup, la guerre du Vietnam était tout. C’était le combat ultime. Le Tribunal Russell a été organisé pour répondre à la question de savoir si les États-Unis étaient engagés dans une activité génocidaire au Vietnam – une question posée par Lord Bertrand Russell. Il devait se tenir à Paris, mais Charles de Gaulle, le légitimant paradoxalement, a dit qu’on ne pouvait pas avoir ce tribunal en France. Ce n’était pas valable, a-t-il insisté, car la justice est inséparable de l’État. Ils l’avaient en Suède et au Danemark à la place.

    Il y avait toutes sortes de témoins – des Vietnamiens, des soldats américains et des officiels. Cela a pris environ un an. L’accusation de génocide était basée sur la définition des Nations Unies de 1948, qui nécessite essentiellement une preuve d’intention uniquement. C’était une accusation large, avec une norme inférieure à celle de prouver qu’un génocide avait eu lieu. Bien sûr, beaucoup d’allégations de massacres se sont avérées plus tard vraies, avec des cas comme My Lai, où des villages entiers ont été massacrés par des soldats américains, ainsi que les attentats à la bombe autorisés par des politiciens américains comme Henry Kissinger .

    Le verdict de Sartre est sorti sous la forme d’un livre intitulé Sur le génocide . Ce fut aussi un énorme scandale. Son résumé de clôture était crucial. Il a déclaré: «Nous devons faire preuve de solidarité avec le peuple vietnamien parce que son combat est le nôtre, parce que c’est le combat contre l’hégémonie américaine – le Vietnam se bat pour nous – le groupe que les États-Unis veulent intimider et terroriser par le biais de la nation vietnamienne est la race humaine dans son ensemble.

    DF- Les Temps modernes ont publié un numéro spécial célèbre et célèbre après la guerre des Six jours entre Israël et les États arabes en 1967. Quelle était la signification de cela pour le débat sur Israël en France et à l’extérieur également ?

    OG- Pour répondre à cette question, nous devons revenir un peu en arrière sur l’influence de l’occupation allemande de la France et de l’Holocauste sur le développement intellectuel de Sartre. Son premier grand texte sur une forme de racisme est Antisémite et Juif , paru en 1946. Sartre a toujours vu en Israël un lieu de refuge pour le peuple juif, qui avait été opprimé, attaqué et tué à une si grande échelle. , même après le soutien israélien à l’invasion de l’Égypte par la Grande-Bretagne et la France en 1956, qu’il a condamnée. Parallèlement, il s’est engagé dans la lutte contre le colonialisme dans le monde arabe, non seulement en Algérie mais aussi au Maroc et en Tunisie.

    À un moment donné au milieu des années 1960, Sartre a déclaré dans une interview pour un journal égyptien qu’il était déchiré entre des amitiés opposées. Ce sentiment d’être complètement déchiré a été en partie l’impulsion pour créer ce numéro du Temps modernes – environ mille pages. Il a été largement divisé en deux parties, avec des intellectuels israéliens et des intellectuels arabes qui ont discuté de la question de la Palestine et d’Israël. L’idée était d’essayer de favoriser le dialogue entre Arabes et Israéliens.

    Pour se préparer à l’émission, Sartre fait le tour de la région. En Egypte, il rencontre Gamal Abdel Nasser. Il est allé au Liban, en Syrie et en Israël. Il est allé dans des camps de réfugiés palestiniens. Ce fut pour lui une période très difficile en Israël : il refusa de rencontrer des militaires ou des partis politiques de droite, mais il rencontra la presse et la gauche israélienne.

    En fin de compte, la position de Sartre était de soutenir l’existence de l’État d’Israël, mais il voulait aussi un État légitime et une souveraineté pour la Palestine. Cela a enragé les deux côtés et l’a mis dans une position très difficile, même au sein de son propre groupe d’amis. Claude Lanzmann, qui était très proche de Simone de Beauvoir et qui publia alors ses travaux dans Le Temps modernes , partit au milieu du voyage, tant il était furieux des critiques de Sartre contre Israël.

    L’ironie était que ce numéro est sorti juste après la guerre des Six jours en 1967, bien que tout ce qu’il contenait ait été écrit auparavant. Dans son éditorial, intitulé « Pour la vérité », Sartre ne prend pas vraiment position dans un sens ou dans l’autre. Une pétition est sortie en France, juste avant la guerre, dans laquelle des intellectuels français de gauche disaient qu’ils ne voulaient pas assimiler Israël à l’impérialisme américain et qu’ils pensaient toujours qu’Israël devait avoir le droit d’exister. Sartre a signé cette pétition, puis, peu de temps après, la guerre a éclaté.

    Rien de ce que Sartre a fait n’était une approbation de la guerre sous quelque forme que ce soit, mais cela a créé un énorme choc. Le prestige de Sartre dans le monde arabe était sur une énorme trajectoire descendante, peut-être à l’exception des pays du Maghreb – certainement l’Algérie. Il y avait aussi une fracture dans la gauche française. À ce jour, Sartre est toujours attaqué par certains segments de la gauche pour ne pas avoir suffisamment soutenu la Palestine.

    Cependant, je pense que si nous regardons ce que Sartre a écrit et dit, il était pour l’existence d’Israël, mais il n’a jamais reculé sur sa croyance dans les droits des Palestiniens. Cette question est importante car elle nous aide à clarifier le dossier. Sartre était déchiré — il voulait être en faveur des deux côtés ; il voulait une solution à deux États.

    DF – Quel est l’état du discours public en France sur son histoire coloniale ? Où pensez-vous que Sartre et son héritage se situent dans ce débat ?

    OG- Je pense que la façon de commencer cette discussion est de regarder ce que Sartre a dit juste après la guerre d’indépendance en Algérie, qui s’est terminée par une victoire douce-amère :

    Il faut dire que la joie n’a pas sa place. Depuis sept ans, la France est un chien enragé traînant chaque jour une casserole attachée à sa queue, devenant un peu plus terrifié par son propre vacarme. Aujourd’hui, personne n’ignore que nous, la France, avons ruiné, affamé et massacré une nation de pauvres gens pour la mettre à genoux. Ils restent debout, mais à quel prix ? Pendant que les délégations mettaient fin aux affaires de guerre, 2 400 000 Algériens restaient dans les camps de la mort lente. Nous en avons tué plus d’un million. Après sept ans, l’Algérie doit repartir de zéro ; il faut d’abord gagner la paix, et ensuite s’accrocher avec le plus grand mal à la misère que nous avons créée. Ce sera notre cadeau d’adieu.

    Cette citation peut être interprétée comme un appel au règlement des comptes et à la mémoire de l’état des choses. Bien sûr, c’est exactement le contraire de ce qui s’est passé en France après la guerre. Le paysage politique actuel de l’histoire coloniale de la France est un mélange de déni et de manipulation. La guerre d’indépendance algérienne n’a été officiellement considérée comme une guerre qu’en 1999. En 2005, le Parlement français a adopté une loi pour dire que le colonialisme était dans l’ensemble bénéfique au peuple colonisé. Le président de droite de l’époque, Jacques Chirac, a pris un décret pour abroger cette loi.

    En octobre 1961, il y a eu une manifestation contre le couvre-feu des Algériens dans les rues de Paris. Ils sont massacrés par la police : des centaines de corps sont jetés dans la Seine. C’était complètement absent de l’histoire de France. Les livres à ce sujet ne sont apparus que dans les années 80 et 90. Il y a eu deux grands romans, Meurtres pour mémoire de Didier Daeninckx et La Seine était rouge de Leïla Sebbar , en 1983. En 2012, il y a eu une commémoration par François Hollande où il n’a pas pointé du doigt la police comme coupables, et, plus récemment, celle d’Emmanuel Macron en octobre dernier, à l’occasion du cinquantième anniversaire, qui ne s’excusait pas spécifiquement pour les crimes de l’État français.

    Nous sommes dans un endroit très étrange. Macron a récemment eu une querelle publique avec le gouvernement algérien parce qu’il a invité des descendants de colons colonialistes et leurs alliés indigènes au palais de l’Élysée. Au cours de cette réunion, il a essentiellement dit qu’il n’y avait pas de nation algérienne avant que la France n’envahisse l’Algérie en 1830. C’était un sujet de discussion colonialiste d’extrême droite et une tentative de voler la base de Marine Le Pen et d’Eric Zemmour.

    Aujourd’hui, la France est encore objectivement une puissance impériale. Son contrôle des anciennes colonies en Afrique est plus subtil qu’avant la décolonisation, mais pas de beaucoup. Ces anciennes colonies ont leurs ports et leurs infrastructures majoritairement détenus par des entreprises françaises, bien que la Chine se profile également à l’arrière-plan. Fondamentalement, la monnaie de la plupart des anciennes colonies françaises est contrôlée par la Banque de France : c’est le franc CFA , indexé sur l’euro.

    C’est une situation qui perdure, dénoncée par Sartre lui-même, mais que la quasi-totalité de la classe intellectuelle française ferme aujourd’hui les yeux. Afin de maintenir cet état de déni qui permet la poursuite de l’exploitation des anciennes colonies françaises, il est nécessaire de vilipender le plus grand opposant intellectuel au colonialisme et au néocolonialisme français, qui est ce qu’était Sartre.

    Dans les grands champs politiques et culturels de la France d’aujourd’hui, il y a une forte réticence à accepter le passé colonial et un refus obstiné de condamner le néocolonialisme. Dans ce contexte idéologique, Sartre ne peut pas être largement célébré pour ses écrits politiques ou philosophiques dans la France du XXIe siècle. Il ne peut pas être complètement ignoré – vous pouvez avoir des livres sur sa vie, sa biographie – mais les tentatives infaillibles de Sartre pour relier race et colonialisme rendent impossible de le revendiquer tout en renonçant simultanément à un engagement en faveur d’un changement social radical.

    La quasi-totalité de la classe intellectuelle française et les politiciens du Parti socialiste français ont renoncé de cette façon depuis 1968. Aujourd’hui, nous avons encore ces chiens de garde du système, qui sont attachés à l’ordre néolibéral et doivent donc rejeter Jean-Paul Sartre .

    A PROPOS DE L’AUTEUR
    Oliver Gloag est professeur agrégé d’études françaises et francophones à l’Université de Caroline du Nord, Asheville. Il est l’auteur de Albert Camus: A Very Short Introduction (Oxford University Press, 2020).

    À PROPOS DE L’INTERVIEWEUR
    Daniel Finn est l’éditeur de fonctionnalités chez Jacobin . Il est l’auteur de One Man’s Terrorist: A Political History of the IRA .Jacobin, 24/04/2022

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    Les crimes du colonialisme Français ne sauraient tomber dans l’oubli – France, Algérie, mémoire,

    Le Président Abdelmadjid Tebboune a qualifié d’ »odieux » les crimes du colonialisme français et rappelé les demandes de l’Algérie relative à la mémoire.

    Nous « célébrons le 60e anniversaire d’une journée nationale historique consacrée par les sacrifices du peuple algérien et de nos innombrables valeureux martyrs en tant que symbole de la victoire et de la libération du joug colonial abject », a écrit le chef de l’état dans un message, publié vendredi 18 mars, à l’occasion de la célébration de la fête de la Victoire le 19 mars, soixante ans après les Accords d’Evian. « L’annonce du cessez-le-feu après les négociations d’Evian, fut une victoire et avait sonné le glas de l’injustice et de la barbarie de l’agresseur bercé par l’illusion de déformer notre identité et d’effacer notre civilisation, notre culture et notre patrimoine mais c’était sans compter sur la volonté d’un peuple libre et déterminé à rester libre et authentique », at- il ajouté. Le 19 mars 1962 est pour le Président Tebboune une journée mémorable qui fut un prélude de la victoire, avec la proclamation du recouvrement de la souveraineté nationale le 5 Juillet 1962.

    Le colonialisme : « une destruction d’une grande ampleur » « Le peuple algérien y a puisé force et détermination pour affronter l’impact et les effets d’une destruction d’une grande ampleur, une destruction massive violente qui témoigne des crimes odieux du colonialisme et qui ne sauraient tomber dans l’oubli ni s’éteindre par la prescription », a noté le chef de l’état. Le chef de l’état a affirmé que la nécessité d’un traitement responsable, intègre et impartial du dossier de la mémoire et de l’Histoire, « dans un climat de franchise et de confiance, est incontournable ».

    A cet égard, je « souligne encore une fois que cette question demeurera au centre de nos préoccupations… nous poursuivrons sans relâche et sans compromis le parachèvement de nos démarches, en insistant sur le droit de notre pays à récupérer les archives, à connaître le sort des disparus durant la glorieuse guerre de Libération et à indemniser les victimes des essais nucléaires et autres questions liées à ce dossier… par fidélité au message de nos valeureux chouhada », a écrit Tebboune. « Préserver la position du pays dans un contexte mondial marqué par des perturbations » Ces dossiers sont en suspens depuis plusieurs années malgré la mise en place de « groupes de travail mixtes ».

    Fidèles au « legs historique de leurs prédécesseurs, les Algériennes et Algériens ont jeté des bases solides sur lesquelles repose aujourd’hui l’état-nation indépendant qui a résisté et triomphé grâce à la Révolution de novembre, face aux épreuves et aux souffrances », a souligné le chef de l’état. Et d’ajouter : « Conscient des mutations profondes sur les plans régional et international, l’état oeuvre en toute sécurité, à préserver la place et la position de l’Algérie dans un contexte mondial marqué par des perturbations et des bouleversements et dans un monde qui ne sera plus régi à l’avenir par les mêmes règles qui ont commandé, des décennies durant, les relations internationales, ni par les mêmes équilibres politiques et économiques mondiaux.

    Alors que nous vivons aujourd’hui, en cette conjoncture particulière et complexe, à l’instar des pays du monde, des mutations décisives sur les plans régional et international, nous tenons à affirmer que notre aspiration à bâtir une Algérie prospère nous impose de réhabiliter la valeur de l’effort et du travail, de veiller au renforcement de notre sécurité nationale dans toutes ses dimensions face à tout imprévu ou urgence, de veiller à l’unité de nos rangs, de conjuguer nos efforts et de renforcer le sens du devoir national, et d’assumer pleinement no responsabilités, dans les différents secteurs et à tous les niveaux, envers notre nation et notre patrie », a conclu le président de la République.

    Par : LAKHDARI BRAHIM

    Le Midi Libre, 20/03/2022

    #Algérie #France #Mémoire #Colonialisme

  • 60 ans après, la France commémore la fin de la guerre d’Algérie

    60 ans après, la France commémore la fin de la guerre d’Algérie

    60 ans après, la France commémore la fin de la guerre d’Algérie – Colonisation, mémoire, crimes coloniaux,

    Emmanuel Macron a cherché, à travers une série de gestes mémoriels, à «réconcilier la France et l’Algérie» ainsi que les «mémoires cloisonnées» en France, a rappelé l’Elysée. Avec une cérémonie organisée hier à l’Élysée, Emmanuel Macron a de nouveau plaidé pour un «apaisement» des mémoires sur les deux rives de la Méditerranée. «Tous les événements liés à la guerre d’Algérie ne se sont pas terminés du jour au lendemain», reconnaît l’entourage d’Emmanuel Macron. Mais l’Elysée assume son choix et souligne que «commémorer n’est pas célébrer».

    Dans son discours ce samedi, le chef de l’Etat entend donc dépasser toutes les blessures héritées du conflit. Lui qui depuis 2017 a multiplié les initiatives pour «apaiser» les mémoires et reconnaître la «singularité» de chacune d’entre elles. De la commande du rapport Stora, à la reconnaissance de la responsabilité de la France dans l’assassinat des militants Maurice Audin et Ali Boumendjel, en passant à la facilitation de l’accès aux archives concernant la guerre d’Algérie. Des gestes qui restent insuffisants aux yeux des autorités algériennes, qui continuent de réclamer des «excuses officielles pour la colonisation» ; l’ouverture du dossier des disparus ainsi que celui des essais atomiques au Sahara.

    «J’assume cette main tendue à l’Algérie», a déclaré Macron au cours d’une cérémonie à l’Elysée pour commémorer le 60e anniversaire des Accords d’Evian du 19 mars 1962, jour de l’entrée en vigueur du cessez-le-feu après huit années de conflit. Il a rappelé toutes les initiatives prises depuis 2017 pour «apaiser» la mémoire de cette guerre qui, avec «ses non-dits», a «été la matrice de nombreux ressentiments» en Algérie. «Beaucoup me diront: vous faites tout cela, mais vous n’êtes pas sérieux parce que l’Algérie ne bouge pas. A chaque fois, tous mes prédécesseurs ont été confrontés à la même chose», a-t-il déclaré devant quelque 200 invités. «Je pense que le jour viendra où l’Algérie fera ce chemin», a-t-il ajouté.

    Aucun officiel algérien n’était présent à l’Elysée, même si l’ambassadeur en France, Mohamed-Antar Daoud, avait été invité, selon l’Elysée. Les relations entre les deux pays sont marquées par un certain apaisement après deux années de crispations. Vendredi dernier, le président Tebboune a déclaré que le dossier mémoriel devait «inévitablement être traité d’une manière responsable et équitable dans un climat de franchise et de confiance». Mais les «hideux crimes de la colonisation ne seront pas oubliés et ne sauraient être frappés de prescription», a-t-il prévenu dans un message diffusé à l’occasion de la fête de la Victoire. «Il y aura encore des moments où on trébuche, il y aura immanquablement des moments d’énervement, il y aura des sentiments d’injustice encore. Mais nous y arriverons», a-t-il conclu.

    L’Elysée a présenté la commémoration du 19 mars comme «une étape» sur le chemin de mémoire «mais ce n’en est pas le terme». Mais Alger, qui réclame des excuses officielles de la France pour la colonisation, n’a pas donné suite à ce travail de mémoire. «C’est une main qui est tendue et qui reste tendue», a toutefois souligné l’Élysée.

    Crésus, 19/03/2022

    #Algérie #France #Colonisation #Mémoire

  • Algérie.- L’histoire et ses versions

    Algérie.- L’histoire et ses versions – France, colonisation, mémoire,

    Le film documentaire à la rescousse de la recherche d’un apaisement des mémoires ?

    Ces derniers jours, pour fêter les 60 ans de « la guerre d’Algérie », les documentaires historiques, accompagnés de débats avec les réalisateurs, occupent une place prépondérante sur les écrans des télévisions françaises. Dans les discours de différents présidents français sur cette période, les mots n’ont pas pu porter loin la volonté politique qui veut réconcilier les Français avec leur passé. L’historien spécialiste de l’histoire d’Algérie, Benjamin Stora, l’a clairement souligné lors d’un débat à l’issue du documentaire « C’était la guerre d’Algérie », en affirmant que les discours des présidents qui tentent de trouver l’équilibre entre les mots pour qualifier cette période coloniale, s’ils accrochent un moment, le temps d’une polémique, tombent fatalement dans l’oubli. D’où la volonté d’investir dans un autre créneau, qui fait mieux revivre l’histoire que ne le feraient l’écrit et la parole. Et qu’y a-t-il de mieux que le film documentaire, surtout quand il est bien construit, pour dire et regarder la vérité en face ?

    « Quelquefois, d’une image, d’un son, d’un mot jaillit la vérité de l’un de ces jeunes Français – un million et demi – qui ont été envoyés pour combattre en Algérie, entre 1954 et 1962 ou de ces familles de pieds-noirs « soudées par tant de souvenirs accumulés, ou encore d’un nationaliste algérien qui a vécu l’injustice coloniale et a trop longtemps attendu l’indépendance ». C’est une phrase bien révélatrice tirée du rapport sur les questions mémorielles portant sur la colonisation, établi par M. B. Stora sur demande du président français, Emmanuel Macron. L’historien, qui préconise dans ce même rapport « la poursuite de commémorations, comme celle du 19 mars 1962, demandée par plusieurs associations d’anciens combattants à propos des accords d’Evian, premier pas vers la fin de la guerre d’Algérie », semble ainsi s’inscrire en droite ligne de son travail qui vise à réconcilier les Français avec leur histoire. Car, il n’y a pas qu’à dépassionner politiquement les relations mémorielles entre deux pays.

    Le fossé est également creusé entre les Français eux-mêmes au sujet de cette guerre d’Algérie qu’on a mis du temps à reconnaître comme telle. Jusqu’en 1999, précisément jusqu’au 10 juin 1999, date à laquelle l’Assemblée nationale française a adopté une proposition de loi reconnaissant officiellement la guerre d’Algérie, on ne parlait en France que « d’évènements d’Algérie ». La commémoration du 19 mars 1962, marquant le cessez-le-feu en Algérie après la signature des accords d’Évian le 18 mars 1962, une date commune partagée entre l’Algérie et la France, les deux signataires des accords en question, répond à deux visions d’une mémoire déchirée qu’on a toujours du mal à faire converger l’une vers l’autre.

    Beaucoup de Français ne veulent pas du tout entendre de cette journée du 19 mars 1962, célébrée en hommage aux victimes de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc, car pour eux, il s’agit d’une période trouble qui a vu les violences redoubler de férocité, avec de nombreuses morts de Français et de harkis au tableau. En Algérie, c’est « la fête de la Victoire » qu’on commémore le même jour. L’image, le son et la parole réussiront-ils à donner un plus à l’écriture complexe de l’histoire ?

    par Abdelkrim Zerzouri

    Le Quotidien d’Oran, 17/03/2022

    #Algérie #France #Colonisation #Mémoire

  • Jacob Cohen: Le Maroc est l’agent de l’impérialisme occidental

    Jacob Cohen: Le Maroc est l’agent de l’impérialisme occidental – Algérie, Israël, Palestine, Normalisation, Sahel, mémoire,

    Il est connu pour sa défense du droit des palestiniens à l’édification d’un État indépendant, au vrai sens du terme. Il ne ménage aucune opportunité pour fustiger l’entité sioniste et ses plans d’hégémonie sur le Proche Orient. Il s’agit de l’auteur et journaliste franco-marocain Jacob Cohen, auteur du livre « printemps des Sayanims » qu’Algérie 54 a interrogé au sujet de plusieurs questions intéressant l’opinion publique algérienne et maghrébine, dont la normalisation des relations entre le Maroc et l’entité sioniste, la rupture des relations entre Alger et Rabat, le pass vaccinal, les prochaines élections présidentielles françaises, le Sahel et la question de la mémoire

    Algérie54: Le peuple marocain ne digère plus la normalisation avec l’entité sioniste, et l’occupation quotidienne de la rue par les manifestants opposés à cette normalisation, en est une parfaite illustration. Qu’en diriez-vous sur ce sujet que vous connaissez bien ?

    Jacob Cohen:Je crains malheureusement que les sentiments profonds du peuple marocain en faveur de la Palestine ne fassent pas le poids face à l’énorme machine du Makhzen. Les partis politiques, les syndicats, les organisations patronales ou commerciales, les lobbies touristiques, les pouvoirs locaux ou régionaux, les grandes institutions culturelles, bien que sensibles à la dérive sioniste de leur pays, ne peuvent exprimer que des réserves très discrètes. Car cette politique a été initiée par le Souverain qui bénéficie, au moins extérieurement, d’une aura quasi mystique. On ne le critique pas. Il y a autour de sa personne une vénération entretenue par presque tous ceux qui ont un droit à l’expression ou une situation à préserver. Et puis il y a ces retombées positives attendues de la « normalisation » avec le régime sioniste : Les retombées économiques, le replacement du Maroc dans l’échiquier mondial, le mirage de devenir une grande puissance régionale incontournable, et last but not least, l’affirmation de la Cause Nationale que constitue le retour du Sahara Occidental à la mère patrie. Alors quelques manifestations vite réprimées ne pèseront pas bien lourd.

    Algérie54: Le Maroc renforce sa coopération militaire avec Tel-Aviv, quelles sont les conséquences selon vous sur le devenir de la région ?

    Jacob Cohen: Il faut souligner que cette coopération militaire semble atteindre un niveau exceptionnel. Il ne s’agit pas seulement d’une vente d’armes et de la présence de quelques conseillers. Il s’agit véritablement d’une alliance stratégique entre le Maroc et Israël, que l’OTAN voit discrètement d’un bon œil. On peut dire que le Maroc est entré de plain-pied dans l’Alliance militaire atlantique. Il ne s’en cache pas d’ailleurs et semble tout faire pour précipiter le mouvement. La récente visite du ministre israélien de la Défense, ancien chef d’état-major de l’armée sioniste, en est l’illustration. Diverses stratégies ont dû être planifiées en commun. On assiste parallèlement à une résurgence du nationalisme marocain et à un réveil de revendications territoriales, ou au moins au désir de corriger certaines « injustices » héritées du colonialisme. Tout cela ne présage rien de bon quant à la stabilité de la région. Il paraît certain, désormais, que le régime chérifien n’hésitera pas à se faire l’agent de l’impérialisme occidental pour réduire l’influence régionale de l’Algérie et l’amener à plus de concessions dans sa politique étrangère et sa stratégie économique.

    Israël a un mépris total des Arabes, de tous les Arabes

    Algérie54: L’Algérie a rompu ses relations diplomatiques avec le Maroc, dans le sillage de la présence sioniste sur ses frontières et l’implication de Rabat dans un plan de déstabilisation la visant, suite à sa constante position de principe rejetant toute normalisation, sans le recouvrement du peuple palestinien de ses droits lui permettant l’édification de son État, quelle lecture, faites-vous au sujet des derniers développements allant dans le sens de l’escalade ?

    Jacob Cohen: Le fait certain évoqué ci-dessus, c’est que le Maroc est entré dans une stratégie de confrontation avec l’Algérie, assuré de bénéficier du soutien d’une des armées les plus puissantes au monde. Est-ce qu’il se laissera entraîner dans un conflit armé en pensant pouvoir donner un coup fatal à l’ennemi dans une guerre éclair et profiter de cet avantage pour récolter les dividendes ? Est-ce que le régime sioniste n’aurait pas intérêt à pousser à un conflit qui affaiblirait les deux pays et rendrait le Maroc plus dépendant encore ? Le drame est d’avoir fait rentrer le loup dans la bergerie. Israël a un mépris total des Arabes, de tous les Arabes. Et si les Arabes avaient appris à connaître l’envahisseur sioniste, son idéologie, ses manœuvres depuis un siècle, ses expéditions brutales contre toutes les populations arabes voisines, sa vision raciste et l’Apartheid qu’il impose à ses citoyens arabes, l’expansionnisme qui fait partie de son ADN, ils auraient peut-être été moins enthousiastes à entrer dans cette paix de dupes. Mais au fond avaient-ils le choix ? Les monarchies arabes avaient-elles encore les moyens de refuser la « pax israelana » que l’axe américano-sioniste leur a imposée ? Je crains que le destin des pays maghrébins ne soit plus totalement entre leurs mains.

    Algérie54: Le peuple marocain, dans sa majorité rejette les restrictions sanitaires imposées par le gouvernement marocain, l’exigence du pass vacinal ne risque-t-il pas d’embraser la rue marocaine, très affectée sur le plan socioéconomique par les effets du Covid-19 ?

    Jacob Cohen:Tous les peuples soumis à la tyrannie sanitaire commencent à prendre conscience, après quasiment deux ans, des manœuvres consistant à les inoculer avec un produit en phase d’expérimentation qui n’a reçu qu’une autorisation temporaire et qui entraîne des effets secondaires aussi graves qu’imprévisibles. Tout cela pour lutter contre un virus qui ne touche qu’une infime minorité de vieux avec des comorbidités. Autant dire une grippe. Mais l’état de sidération fut tel, accompagné d’une série de restrictions touchant les libertés fondamentales, c’est le pass sanitaire ou vaccinal, que les populations commencent à peine à se réveiller. C’est un phénomène qui touche le monde occidental, et que le Maroc a suivi aveuglément. Si une révolte devait réussir, elle affectera tous les pays, c’est un château de cartes global qui s’effondrera. En attendant, le Maroc continuera à appliquer la politique mondialiste et les résistances qui se manifestent ici ou là n’ébranleront pas vraiment le régime. Je ferai pourtant une réserve particulière sur la mobilisation assez impressionnante des avocats contre le pass vaccinal. Et ce pratiquement dans toutes les villes, même les petites. Cela peut servir de catalyseur et le pouvoir devrait s’en méfier.

    Algérie54: A moins de quatre mois des élections présidentielles françaises, la France est plongée dans un discours d’islamophobie et d’attaques d’immigrants, à l’instar d’Eric Zemmour, Marine Le Pen, ces derniers ont-t-ils les chances de devenir les prochains locataires du Palais de l’Élysée ?

    Jacob Cohen:Je ne crois pas que l’un des deux candidats extrémistes arrivera jusqu’à l’Élysée. D’abord ils se divisent et divisent leur électorat commun au risque de ne pas être au second tour. Ensuite ils sont trop clivants pour espérer battre Emmanuel Macron, s’il se représente, ou Valérie Pécresse, plus consensuelle. Les électeurs français, au moment décisif du scrutin, oublient leurs préventions et leurs critiques et se résignent à « faire confiance » à un candidat qui leur fera des promesses et paraîtra en mesure de se montrer responsable, de ne pas casser la baraque. De ce point de ce vue, l’électorat français est d’un conformisme confondant.

    Algérie 54: L’allocution d’Emmanuel Macron à l’occasion du nouvel an, a suscité des critiques, notamment en ce qui concerne sa stratégie de gestion de la pandémie du Covid-19, avec la hausse des contaminations des derniers jours ?

    Jacob Cohen: A mon avis, Emmanuel Macron n’a rien à craindre des critiques éventuelles contre sa gestion de la pandémie. Le peuple français, à une très forte majorité, reste encore dans un état de sidération et de peur. Il suit dans la même proportion toutes les directives gouvernementales, aussi irrationnelles et contradictoires qu’elles paraissent, comme le port du masque à l’extérieur ou l’obligation de renouveler un « vaccin » pas si efficace que ça. Les secteurs professionnels qu’on aurait pu penser les plus éclairés, professeurs, médecins, ingénieurs, avocats, universitaires, artistes, journalistes, etc. sont acquis à plus de 90% à la politique du gouvernement, par conviction, peur ou opportunisme. On assiste même dans les médias à des appels publics pour refuser de soigner les non-vaccinés, pour leur interdire les magasins d’alimentation, pour les enfermer. Le système moral et juridique français est en train de s’écrouler. A moins d’un événement dramatique d’ici aux élections, je verrai Macron réélu avec la quasi-reconnaissance des citoyens de les avoir sauvés de cette « terrible pandémie ».

    Algérie54: La France préside depuis le premier janvier 2022, l’Union Européenne, a-t-elle des chances de mener à bien cette mission, dans un environnement européen marqué par le retour du concept de l’État-nation ?

    Jacob Cohen: La présidence de l’Union européenne est une formalité. C’est plutôt un rôle d’animateur. Les véritables décisions se prennent ailleurs, à Bruxelles, à Berlin et surtout à Washington. L’Union européenne est définitivement acquise à l’oligarchie mondialiste et applique avec zèle ses directives. La crise du Covid, l’instauration d’une identité numérique à l’échelle européenne et l’achat de milliards de vaccins, l’ont amplement démontré. Pour le moment, je remarque que le concept de l’État-nation et ses velléités d’application sont circonscrits à quelques pays de l’ancienne Europe de l’Est, trop dépendants des subventions de l’UE. Dans la vieille Europe, le mouvement est présent mais minoritaire, et en butte à tous les sarcasmes de la bien-pensance. Il faudrait un événement d’une gravité exceptionnelle – comme l’effondrement de la manipulation vaccinale et l’hécatombe qui s’ensuivra – pour donner une vigueur irrésistible aux idéologies nationalistes.

    Algérie54: La France est de plus en plus décriée dans les pays du Sahel où les populations sont favorables au retrait des troupes militaires françaises. La France a-t-elle des cartes pour faire face au sursaut du panafricanisme et la montée de la concurrence russo-chinoise ?

    Jacob Cohen:La France poursuit inexorablement son déclin sur le sol africain. Le mouvement semble irréversible. Les populations supportent de moins en moins les diktats venant de l’ex-métropole. On peut même s’étonner de la longévité de la Françafrique. Mais tout a une fin. Les Chinois et les Russes proposent d’autres schémas de coopération. D’autres puissances de moyenne importance comme la Turquie s’investissent en Afrique. Les peuples africains rêvent d’autres horizons que l’ancien colonisateur, qui n’a en plus rien perdu de sa morgue. La crise du Covid n’a pas arrangé les choses. Les Africains utilisent les traitements précoces diabolisés injustement par l’Occident et viennent de refuser ou de détruire des millions de vaccins. On peut éventuellement parler d’un fossé civilisationnel qui se creuse entre l’Afrique et ce même Occident.

    Algérie54: La question de la mémoire continue d’empoisonner les relations algéro -françaises à quelques mois du 60ème anniversaire de l’indépendance de l’Algérie ; Quel est votre avis sur ce sujet ?

    Jacob Cohen: Si cette question demeure aussi vivace, c’est que les deux pays n’ont pas pu, ou voulu, ou pas en même temps souhaité, trouver la volonté d’affronter l’ensemble des problèmes qui se posaient et de leur apporter une solution équitable et pérenne. Il y a eu aussi certainement des occasions manquées de part et d’autre. Le gros problème actuel, au fond, c’est l’instrumentalisation de la question à des fins de politique intérieure en France ou d’opportunisme politique en Algérie. C’est une question sensible et à multiples facettes. Peut-être faudra-t-il réunir un congrès franco-algérien avec des spécialistes de tous bords en dehors des politiques. Je pense qu’il en sortira une ébauche de solution.

    Algérie54: Paris est de plus en plus critiqué par la Chine et la Russie, dont les dirigeants qualifient la France de girouette de Washington ?

    Jacob Cohen: C’est hélas ! la triste réalité. Paris vit sur le mythe d’une grande politique étrangère audacieuse et indépendante. Que reste-t-il à la France en dehors de son armement nucléaire et de son siège permanent à l’ONU ? Privilèges qu’elle serait même prête à partager avec l’Allemagne. Sa parole a été prise en défaut avec l’annulation de son contrat de vente de deux navires à la Russie sur pression américaine. Trahison qu’elle paiera avec l’abandon par l’Australie d’un méga-contrat sur plusieurs sous-marins. Ses fleurons industriels comme Alstom sont vendus à l’encan. De même pour ses hôtels particuliers et ses vignobles. Ne restent que quelques gesticulations pathétiques qui n’impressionnent plus grand-monde.

    Entretien réalisé par M. Mehdi

    Algérie54, 02/01/2022

    #Algérie #Maroc #Jacob_Cohen #Palestine #Israël #Normalisation