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  • Voici comment l’Europe a été poussée au suicide économique

    Voici comment l’Europe a été poussée au suicide économique

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    Avec l’aide active des « dirigeants » européens, les États-Unis parviennent à ruiner l’Europe.

    Comme l’écrivait Michael Hudson, professeur et chercheur en économie à l’université du Missouri à Kansas City, début février, avant l’intervention de la Russie en Ukraine :

    L’Amérique n’a plus la puissance monétaire, l’excédent commercial et une balance des paiements toujours positive qui lui permettait d’élaborer les règles du commerce et de l’investissement dans le monde depuis 1944-45. La menace qui pèse sur la domination américaine est que la Chine, la Russie et le cœur de l’île-monde eurasienne de Mackinder offrent de meilleures opportunités de commerce et d’investissement que celles offertes par les États-Unis, qui demandent de plus en plus désespérément des sacrifices à leurs alliés de l’OTAN et autres.

    L’exemple le plus flagrant est la volonté des États-Unis d’empêcher l’Allemagne d’autoriser la construction du gazoduc Nord Stream 2 afin d’obtenir du gaz russe pour les prochains froids. Angela Merkel s’est mise d’accord avec Donald Trump pour dépenser un milliard de dollars dans la construction d’un nouveau port GNL afin de devenir plus dépendante du GNL américain, dont le prix est élevé. (Le plan a été annulé après que les élections américaines et allemandes ont changé les deux dirigeants). Mais l’Allemagne n’a pas d’autre moyen de chauffer un grand nombre de ses maisons et immeubles de bureaux (ou d’approvisionner ses entreprises d’engrais) que le gaz russe.

    Le seul moyen qui restait aux diplomates américains pour bloquer les achats européens était d’inciter la Russie à lancer une réponse militaire, puis de prétendre que la réplique à cette réponse doit l’emporter sur tout intérêt économique purement national. Comme l’a expliqué la sous-secrétaire d’État aux affaires politiques, Victoria Nuland, lors d’un point de presse du département d’État, le 27 janvier : « Si la Russie envahit l’Ukraine, d’une manière ou d’une autre, le Nord Stream 2 n’avancera plus ». Le problème est de créer un incident suffisamment offensif et de dépeindre la Russie comme l’agresseur.

    À la mi-février, un observateur de l’OSCE notait que les bombardements d’artillerie sur le Donbass par les Ukrainiens était passé d’une poignée à plus de 2 000 explosions par jour. La Russie a réagi à ces préparatifs d’attaque en reconnaissant les républiques du Donbass, en signant des accords de défense avec elles et en leur venant finalement en aide.

    Peu après le lancement de l’opération militaire russe, le professeur Hudson a approfondi ses réflexions :

    La récente provocation de la Russie par l’expansion de la violence ethnique anti-russe par le régime néo-nazi ukrainien de Maiden post-2014 vise à provoquer une épreuve de force. Elle répond à la crainte des intérêts américains de perdre leur emprise économique et politique sur leurs alliés de l’OTAN et d’autres satellites de la zone dollar, car ces pays ont vu leurs principales opportunités de gain dans l’augmentation de leur commerce et de leurs investissements avec la Chine et la Russie. …

    Comme l’a expliqué le président Biden, l’escalade militaire actuelle (« en agaçant l’ours ») ne concerne pas vraiment l’Ukraine. Biden a promis dès le départ qu’aucune troupe américaine ne serait impliquée. Mais il exige depuis plus d’un an que l’Allemagne empêche le gazoduc Nord Stream 2 d’approvisionner son industrie et ses logements en gaz à bas prix et se tourne vers les fournisseurs américains, dont les prix sont beaucoup plus élevés. …

    L’objectif stratégique américain le plus urgent de la confrontation entre l’OTAN et la Russie est la flambée des prix du pétrole et du gaz. En plus de créer des profits et des gains boursiers pour les entreprises américaines, les prix plus élevés de l’énergie vont faire perdre une grande partie de sa vapeur à l’économie allemande.

    Au début du mois d’avril, le professeur Hudson refaisait un point sur la situation :

    Il est maintenant clair que la nouvelle guerre froide a été planifiée il y a plus d’un an par les États-Unis, avec la stratégie de bloquer le Nord Stream 2 dans le cadre de son objectif d’empêcher l’Europe occidentale (« OTAN ») d’augmenter sa prospérité par le commerce et les investissements mutuels avec la Chine et la Russie. …

    Ainsi, les régions russophones de Donetsk et de Louhansk ont été bombardées avec une intensité croissante, et comme la Russie s’abstenait de répondre, des plans auraient été élaborés pour lancer une grande épreuve de force en février dernier ;- une attaque lourde de l’Ukraine occidentale organisée par des conseillers américains et armée par l’OTAN. …

    Avant la guerre des sanctions, le commerce et les investissements européens promettaient une prospérité mutuelle croissante grâce aux relations entre l’Allemagne, la France et d’autres pays de l’OTAN d’un côté et la Russie et de la Chine de l’autre. La Russie fournissait une énergie abondante à un prix compétitif, et cet approvisionnement énergétique devait faire un bond en avant avec Nord Stream 2.

    L’Europe devait gagner les devises étrangères nécessaires pour payer ce commerce d’importation croissant en exportant davantage de produits industriels vers la Russie et en investissant dans la reconstruction de l’économie russe, par exemple par des entreprises automobiles allemandes, des avions et des investissements financiers. Ce commerce et ces investissements bilatéraux sont désormais interrompus pour de très nombreuses années, étant donné la confiscation par l’OTAN des réserves étrangères de la Russie conservées en euros et en livres sterling.

    La réponse européenne à la guerre par procuration des États-Unis contre la Russie est basée sur une moralisation hystérique menée par les médias, ou alors une hystérie moralisatrice. Elle n’était et n’est toujours ni rationnelle ni réaliste.

    Les « dirigeants » européens ont décidé que le suicide économique de l’Europe était nécessaire pour montrer à la Russie que Bruxelles était sérieusement fâchée. Des gouvernements nationaux imbéciles, y compris celui de l’Allemagne, ont suivi ce programme. S’ils continuent sur leur lancée, le résultat sera une désindustrialisation complète de l’Europe occidentale.

    Pour reprendre les termes d’un observateur sérieux :

    Aujourd’hui, nous constatons que pour des raisons purement politiques, poussés par leurs propres ambitions, et sous la pression de leur suzerain américain, les pays européens imposent davantage de sanctions sur les marchés du pétrole et du gaz, ce qui entraînera davantage d’inflation. Au lieu d’admettre leurs erreurs, ils cherchent un coupable ailleurs. …

    On a l’impression que les politiciens et les économistes occidentaux oublient tout simplement les lois économiques de base ou choisissent simplement de les ignorer. …

    Dire non à l’énergie russe signifie que l’Europe deviendra systématiquement et durablement la région du monde la plus coûteuse en ressources énergétiques. Oui, les prix vont augmenter, et des ressources vont aller contrer ces hausses de prix, mais cela ne changera pas la situation de manière significative. Certains analystes affirment que cela portera gravement, voire irrévocablement, atteinte à la compétitivité d’une partie importante de l’industrie européenne, qui perd déjà du terrain au profit d’entreprises d’autres régions du monde.

    Maintenant, ces processus vont certainement s’accélérer. Il est clair que les possibilités d’activité économique, avec ses améliorations, quitteront l’Europe pour d’autres régions, tout comme les ressources énergétiques de la Russie.

    Cet autodafé économique… ce suicide est, bien sûr, l’affaire interne des pays européens. …

    Or, les actions erratiques de nos partenaires – c’est ce qu’elles sont – ont entraîné une croissance de facto des revenus du secteur pétrolier et gazier russe, en plus des dommages causés à l’économie européenne. …

    En comprenant les mesures que l’Occident prendra dans un avenir proche, nous devons tirer des conclusions à l’avance et être proactifs, en tournant les mesures chaotiques irréfléchies de certains de nos partenaires à notre avantage pour le bien de notre pays. Naturellement, nous ne devons pas espérer que leurs erreurs se répètent. Nous devons simplement, pratiquement, partir des réalités actuelles, comme je l’ai dit.

    Tiré du discours de Vladimir Poutine, lors d’une réunion sur le développement de l’industrie pétrolière, 17 mai 2020, Kremlin, Moscou

    Moon of Alabama

    Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone

  • Les deux perdants avec l’invasion de l’Ukraine

    Biden, États-Unis, gaz, OTAN, Pétrole, Poutine, Russie, Union européenne,

    Il peut être opportun d’analyser la guerre en d’autres termes et d’aller au-delà de la simple confrontation entre la Russie et l’OTAN. Ce qui est en jeu, c’est notre avenir et, sur ce plan, il y a des forces qui gagnent.

    Formulons la guerre en Ukraine en d’autres termes . Un pays dont la force réside dans les armes et les réserves d’énergie, et dont la cohésion nationale dépend d’un nationalisme qui atténue le sentiment d’humiliation, envahit un pays voisin qui, enle passé en faisait partie. La démonstration de force veut montrer au monde que la Russie est redevenue grande. Le principal ennemi dans cette guerre, du point de vue de Poutine , n’est pas le peuple ukrainien, pas même l’OTAN, mais les États-Unis, qui sont le pays qui a mené la réaction, dirigeant et encourageant ses partenaires de l’OTAN, insistant à plusieurs reprises sur la nécessité de découplage avec l’énergie russe, et prônant désormais une longue guerre qui épuise la Russie. Les États-Unis sont un pays qui a ses principaux atouts dans les armes et l’énergie, puisque grâce à la fracturation hydraulique , il a considérablement augmenté sa production de pétrole et de gaz, dans lequel le nationalisme est profondément ancré et dans lequel la moitié du pays estime que l’objectif principal devrait être de redonner sa grandeur à l’Amérique. Nous sommes donc face à des rivaux directs, car ils rivalisent sur le même plan , alors même que la puissance des États-Unis est bien supérieure à celle de la Russie, et ce d’autant plus que sa puissance dans le domaine financier est difficile à égaler.

    Et c’est significatif, car celui qui a remporté les élections, c’est Biden , dont les lignes d’action , claires dès le début de son mandat, semblaient très différentes : renforcement des capacités internes, reconstruction des infrastructures, grand développement des énergies renouvelables et une nouvelle pacte social. Biden représentait le triomphe d’un autre pays , d’un autre USA, qui voulait sortir de la guerre, des énergies fossiles, qui s’était engagé dans de bonnes relations avec l’Europe, et qui voulait tisser un ordre international loin de ce genre d’enfermement insulaire pour lequel Trump avait parié . L’ Union européenne s’est jointe avec joie à la victoire de Biden , en partie parce quecela signifiait un changement qui lui permettait de tisser de nouvelles affinités , en partie parce qu’il coïncidait avec nombre de ses objectifs. Sur certains points , Biden a même semblé plus audacieux que les dirigeants européens, notamment dans les domaines économiques, puisqu’il a mis sur la table une série d’options qui promettaient de réorienter, au moins en partie, les processus de tensions internes et d’inégalités en Occident. .

    Avec l’arrivée de la guerre, la carte a complètement changé . Rien de ce programme Biden ne décolle, les combustibles fossiles sont à nouveau au centre des priorités, tout comme l’industrie de l’armement, le nouvel accord est oublié et l’argent des investissements va aider l’Ukraine. Dans ce nouveau scénario, la rhétorique de l’establishment américain diffère peu de ce qu’il pouvait dominer à l’ ère Trump . Et la politique étrangère est à nouveau dominée par les positions néoconservatrices , par les armes, le carburant et l’argent.

    Le mépris de l’Europe

    Pour l’Union européenne, ce virage a des conséquences énormes. En premier lieu, parce que son approvisionnement énergétique va être beaucoup plus cher s’il se découple de la Russie, avec toutes les conséquences qui en découlent en termes de pénurie d’approvisionnement et de difficultés pour les familles et les entreprises (et, par extension, pour sa place dans les échanges internationaux ). Deuxièmement, parce qu’enraciner la guerre pour affaiblir la Russie. Cela ne peut se faire sans de grands dommages économiques au continent, ce que les Américains ne subiront pas. Les perspectives d’inflation et de hausse des taux d’intérêt constituent une menace sérieuse pour l’économie des pays et des citoyens européens, tandis que les États-Unis sont mieux préparés à résister à cet assaut. Et le boom définitif des énergies renouvelables en Europe devra être mis entre parenthèses, car peut-être qu’à moyen terme cette impulsion se poursuivra, mais à court terme la priorité sera au pétrole et au gaz, et à la sécurisation des approvisionnements, alors que l’avenir semble pour amener le retour du nucléaire. Nous verrons comment les événements se dérouleront, mais les prévisions pour notre continent sont assez sombres.

    Poutine ne veut pas de l’UE comme interlocuteur parce qu’il nous qualifie de simples serviteurs des États-Unis, et Biden veut un alignement transparent sur l’UE.

    La particularité est que, de plus, aucun des deux grands prétendants ne semble montrer une grande appréciation de l’Europe . Poutine ne veut pas de l’UE comme interlocuteur, car il nous traite de simples serviteurs des États-Unis et son attitude depuis un certain temps consiste à nous rabaisser. Le but du président russe est de négocier une sortie de guerre directement avec Biden , qui comprend qu’il est le seul interlocuteur valable. Et les États-Unis ont leur propre programme : leur engagement dans une guerre prolongée, dans laquelle la Russie s’épuise, est particulièrement mauvais pour l’Europe, qui souffrira d’autant plus que la guerre durera. Alors Poutine , dans son idée de négocier directement avec les États-Unisla sphère d’influence, met la pression sur une Europe qui, d’autre part, est poussée à faire siens les objectifs américains . Il n’est pas surprenant que les présidents français, Emmanuel Macron , et chinois, Xi Jinping , aient conjointement appelé à un cessez-le-feu urgent en Ukraine mardi dernier, car les deux pays sont très intéressés à arrêter la guerre rapidement.

    Bref, ce contexte pose deux problèmes importants pour l’Europe, l’un d’influence, l’autre de projet. Au sein de l’Union, les divergences se creusent autour de l’autonomie dite stratégique. Il y a des pro-européens qui croient que les pays devraient être entièrement alignés sur les États-Unis , et une autre partie, avec en tête la France et une partie de l’Allemagne, qui poussent dans le sens de limiter les ambitions atlantistes. Personne ne doute de l’alliance avec les États-Unis, mais ce qui est en jeu, ce sont les termes de ce partenariat. autonomie stratégique cela signifie la possibilité pour l’Europe de poursuivre ses propres intérêts en toute amitié avec les États-Unis, mais sans perdre de vue le fait qu’elle est une entité autonome. Il y a des pays européens qui pensent que c’est une mauvaise idée, que le lien avec les Etats-Unis doit être complet, et d’autres qui prônent l’établissement d’une marge d’action claire et précise. C’est une autre question européenne qui devra trouver une solution. Le sommet de l’OTAN à Madrid sera intéressant dans ce sens. Bien sûr, la façon dont cette tension sera résolue dictera une grande partie de notre avenir.

    Une vieille connaissance retrouvée

    Mais au-delà de cette politique d’alliances, il faut noter le virage idéologique qui s’est déjà opéré, et qui se traduit par un retour aux postulats néoconservateurs : l’union de l’armement, des énergies fossiles, de la défense et de l’expansion de la sphère financière semble avoir gommé les aspirations qui semblaient s’être installées avec Biden . Et puis il y a le retour des questions culturelles et religieuses au premier plan, avec la fuite de la décision de la Cour suprême des États-Unis sur l’avortement.

    La particularité est que ce retour des budgets néoconservateurs se produit avec un président démocrate à la tête de la Maison Blanche.

    Ce retour est curieux, car il évoque l’après 11 septembre 2001. A ce moment-là, les attentats ont servi aux néoconservateurs pour imposer leurs thèses et appliquer leur agenda. L’Europe a accepté ce virage sans problème, et il y a eu très peu de critiques sur la guerre en Afghanistan, mais au fil du temps, les différences sont devenues apparentes. La guerre en Irak a marqué une nette divergence entre l’axe franco-allemand et les États-Unis. Peut-être que la même chose va se passer maintenant, mais ce qui est étrange, c’est que tout cela se passe avec un président démocrate à la tête de la Maison Blanche.

    Les deux victimes

    Cette vision néoconservatrice, qui instaure clairement une nouvelle guerre froide, fait deux victimes : l’Europe et l’idéologie progressiste. Dans un monde de guerre, de lutte pour les énergies fossiles, de renforcement des dépenses de défense, l’UE est mal préparée, car elle a bâti ses dernières années sur le commerce, les exportations et les importations, les règles internationales et les investissements dans le financier. Elle a perdu beaucoup de ses capacités internes, même dans des domaines stratégiques, ce qui rend très difficile vous pouvez donc désormais compter sur l’autonomie que vous souhaitez. Reconstruire toute cette propre sphère nécessite un investissement et une façon de penser très différente de celle qui nous a amenés ici ; et il ne semble pas que les principaux pays de l’UE soient alignés pour mener les actions pertinentes avec l’intensité qui serait nécessaire.

    Et quant à l’idéologie progressiste, le problème avec l’invasion de l’Ukraine et avec le nouvel ordre du jour est qu’elle change complètement leur démarche. Sans aucun doute, le monde vert, numérique et inclusif auquel ils aspiraient , avec le changement climatique comme grande menace, pâlit devant les temps nouveaux. Beaucoup de ses propositions semblent secondaires à notre époque, où les balles, les guerres commerciales et l’inflation menacent une dépression économique. Aucun des grands pays ne considère le changement climatique comme l’objectif ultime , puisqu’il s’agit désormais d’assurer l’approvisionnement.

    On connaît déjà l’articulation interne des sociétés liées aux armes, aux finances et au nationalisme. L’autre est encore à venir.

    L’ère nouvelle a conduit à un terrain, celui du réalisme et de la géopolitique , celui des tensions entre pays et territoires et celui de l’aggravation des différences entre les classes, auquel la vision progressiste n’était pas préparée. Dans ce contexte, le pari vert et numérique est soumis à la géopolitique, et peut être développé, mais à condition qu’il convienne à cette dernière. C’est le cas européen, ou cela devrait l’être, mais pour parvenir à ce développement, il faudrait faire des investissements très importants, qui ne pourraient être mis en œuvre efficacement qu’en mutualisant les prêts, avec un rôle différent pour la BCE et avec la chute du interdiction des aides d’État, entre autres. Une vision qui est loin d’être dominante en Europe.

    Réinvention

    Cependant, maintenant que les États-Unis ont abandonné les projets que Biden avait en tête, l’ Europe pourrait jouer ses tours et promouvoir d’autres types de politiques. Il n’y a pas que l’énergie, la défense ou l’approvisionnement alimentaire qui sont en jeu, ce qui est suffisant. Il s’agit aussi du type de valeurs, d’économie et de société qu’il faut construire dans cette nouvelle époque qui émerge après la guerre. L’Europe prétendait jouer le rôle de pourvoyeuse de normes, source de règles, de lien international par les valeurs libérales, de paix construite par le commerce et la finance. Cependant, ce rêve a non seulement disparu avec l’invasion de l’Ukraine, mais c’est précisément la confiance aveugle dans cette perspective qui a affaibli la position européenne et l’a conduite à une situation dans laquelle elle n’est pas préparée à affronter les temps présents. L’Europe devrait se réinventer pour qu’en plus de l’armement, de l’énergie et de la finance, il y ait d’autres valeurs dans le monde déglobalisé, pour que cet élan éclairé prenne une nouvelle expression. Cependant, sa situation existentielle est compliquée : alors que la guerre s’éternise, que les hostilités s’intensifient et que le découplage énergétique russe est complet, lachoc en Europe peut être très grand. Soit une nouvelle Europe émerge, soit elle se rétrécit complètement.

    De la même manière, il reste à savoir quelles idéologies seront en jeu dans ces temps à venir. Nous avons déjà la proposition d’articulation interne des sociétés liée à la prééminence de l’armement, des finances et du nationalisme, l’autre reste à venir .

    Quelque chose de curieux est arrivé au progressisme : il parlait constamment du pouvoir, celui exercé par les hommes sur les femmes, celui de la race blanche sur les gens d’une autre couleur de peau, celui de la religion sur les coutumes sociales, celui des vieux sur les jeunes, mais il a oublié de penser au pouvoir des armes, de l’argent et de la géopolitique. Et, dans une certaine mesure, elle entend rester ancrée dans son cadre quand ce n’est plus possible : elle tord les crocs, refusant d’intégrer la nouvelle perspective au moment où elle est dominante.

    Cela arrive aux progressistes comme aux libéraux qui se soucient du maintien des équilibres de pouvoir institutionnels, mais qui ignorent tout ce qui les survole, et que c’est justement ce qui détermine la possibilité de ces équilibres. Il leur est arrivé la même chose à tous les deux : le pouvoir semblait désagréable, dépassé, intrinsèquement négatif : tous deux avaient pour fonction de réguler, d’ordonner et de normaliser. Mais ils ont oublié que seul ce que vous avez est réglementé ; sinon, le pouvoir vous régule. Et cette fois le montre douloureusement.

    Par conséquent, les idéologies dans lesquelles nous avons évolué sont en train de se réinventer. Mais pas parce que la guerre de Poutine a conduit à une époque où tout est nouveau. Au contraire, il signifie le triomphe d’une idéologie spécifique. L’autre, qui était représenté par une double expression, celle de progressisme et celle de libéralisme naïf, est celui qui a perdu et, donc, celui qui devra récupérer, s’il le peut, le terrain perdu par un processus de évolution.

    Esteban Hernández

    Source : El Confidencial, 15/05/2022

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    #Ukraine #Russie #France #Allemagne #OTAN #EtatsUnis

  • Le cas apparemment désespéré de la Suède et de la Finlande

    Le cas apparemment désespéré de la Suède et de la Finlande

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    Les dirigeants des deux pays européens candidats à l’entrée dans l’Otan par ces temps de guerre, la Première ministre de Suède Magdalena Andersson et le président de Finlande Sauli Niiniströ, devront se trouver aujourd’hui à la Maison-Blanche pour obtenir de Joe Biden l’assurance que malgré l’opposition réitérée de la Turquie, leurs pays seront reçus bien et à «bras ouverts» dans l’Otan, pour reprendre une expression qu’ils n’ont pas peu entendue ces derniers jours. Le moment est d’une importance capitale pour leurs deux pays qui parce qu’ils ont rompu avec la politique de neutralité, suivie par eux depuis si longtemps qu’elle a semblé faire partie de leur ADN, se sentent aujourd’hui à découvert, exposés de leur propre initiative à connaître un sort similaire à celui de l’Ukraine. Ils pensaient qu’ils couraient le danger d’être attaqués même en l’absence de la moindre opposition interne à l’Otan, et cela du seul fait qu’il est d’usage que leur demande d’intégration soit examinée avant d’être approuvée.

    Dans l’intervalle en effet, ils se trouveraient dans quelque chose ressemblant à une zone de non-droit international, dépourvus de toute garantie et de toute protection, aussi bien de celles que confère le statut de neutralité, dont ils se sont librement dépouillés, que de celle qu’accorde l’Article 5 de la charte de l’Otan, dont par la force des choses ils ne sont pas encore membres.

    Ils avaient calculé que cette période de tous les dangers prendrait place entre le moment du dépôt officiel de la demande d’intégration et celui où elle est acceptée solennellement, forcément à l’issue d’un sommet de l’Otan, le prochain étant prévu en juin prochain à Madrid. Il leur fallait déjà prendre un risque énorme indépendamment de tout contretemps par définition imprévisible. Or voilà que la Turquie leur signifie qu’elle opposerait son veto à leur entrée, quoi qu’ils fassent pour la convaincre de les laisser passer.

    Lors d’un point de presse tenu en présence du président algérien, en visite à Ankara, Recep Tayyip Erdogan a eu à leur égard des mots peu faits pour les rassurer sur son intention : vous voulez nous rendre visite, grand bien vous fasse, mais si c’est pour nous convaincre de vous céder le passage, je vous conseille de ne pas même vous donner cette peine. Et il a ajouté : avec vous dans l’Otan, c’est comme si celle-ci devenait un nid de terroristes. Evidemment, ce ne sont pas les Suédois et les Finlandais qui sont en l’occurrence les terroristes, mais du point de vue d’Erdogan les Kurdes du PKK et les partisans de Fethullah Gülen qu’ils abritent chez eux, et dont ils ont toujours refusé l’extradition.

    Au vu d’arguments aussi radicaux de la part des Turcs, à l’appui de leur refus annoncé de l’entrée de la Suède et de la Finlande dans l’Otan, l’affaire semble entendue. On voit mal comment leurs auteurs pourraient se laisser fléchir après les avoir assénés. C’est pourtant pour rassurer les Suédois et les Finlandais que le président américain a invité à la Maison-Blanche leurs dirigeants. L’idée vient tout naturellement à l’esprit qu’il doit disposer des moyens à même de faire revenir Erdogan à de meilleurs sentiments. Il se pourrait bien toutefois qu’il soit en train tout simplement de prendre ses désirs pour des réalités. A moins qu’il soit disposé à user de son influence pour faire en sorte que les demandes du pouvoir turc se rapportant à ses opposants soient satisfaites, sinon toutes du moins pour les plus importantes d’entre elles. Qu’il soit lui-même prêt à livrer Gülen, la bête noire d’Erdogan.

    A ce prix, la Turquie voudrait sans doute lever son opposition. Mais à moins que cela, probablement non.

    Mohamed Habili

    Le Jour d’Algérie, 18 mai 2022

    #Finlance #Suède #OTAN #EtatsUnis #Turquie #Gülan #Russie #Ukraine

  • Finlande-Suède-OTAN : Des objections de la Turquie

    Finlande-Suède-OTAN : Des objections de la Turquie

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    Résumé
    -Demande déposée au siège de l’OTAN
    -Un mouvement qui redessine la carte géopolitique de l’Europe.
    -Non-alignés pendant des décennies, la guerre en Ukraine a provoqué un bouleversement de leur politique.


    Les pays cherchent à résoudre les objections de la Turquie aux candidatures à l’OTAN.
    BRUXELLES, 18 mai (Reuters) – La Finlande et la Suède ont déposé mercredi au siège de l’OTAN leur demande officielle d’adhésion à l’Alliance, une décision motivée par l’invasion de l’Ukraine par la Russie, mais la Turquie s’oppose à un processus d’adhésion qui ne devrait prendre que quelques semaines.

    Neutres tout au long de la guerre froide, la décision de la Suède et de la Finlande d’adhérer à l’OTAN est l’un des changements les plus importants de l’architecture de sécurité de l’Europe depuis des décennies, reflétant un changement radical de l’opinion publique dans la région nordique depuis l’invasion de la Russie le 24 février.

    « Il s’agit d’un moment historique que nous devons saisir », a déclaré le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, lors d’une brève cérémonie au cours de laquelle les ambassadeurs de Suède et de Finlande auprès de l’Alliance ont remis leurs lettres de candidature, chacune dans une enveloppe blanche ornée du drapeau national.

    « J’accueille chaleureusement les demandes d’adhésion à l’OTAN de la Finlande et de la Suède. Vous êtes nos partenaires les plus proches, et votre adhésion à l’OTAN renforcera notre sécurité commune », a déclaré M. Stoltenberg. L’alliance considère que l’adhésion de la Finlande et de la Suède la renforcerait considérablement en mer Baltique.

    Les candidatures ayant été officiellement déposées, les pays nordiques et leurs nombreux partisans doivent maintenant faire face à des mois incertains au cours desquels toute résistance à leur candidature doit être surmontée, les 30 membres de l’OTAN devant approuver l’élargissement.

    La ratification par tous les parlements alliés pourrait prendre jusqu’à un an, selon les diplomates.

    Ces derniers jours, la Turquie a surpris ses alliés en émettant des réserves quant à l’adhésion de la Finlande et de la Suède, affirmant que ces deux pays abritent des individus liés à des groupes qu’elle considère comme terroristes et s’en prenant aux embargos sur les exportations d’armes qui lui ont été imposés après son incursion en Syrie en 2019.

    Stoltenberg a déclaré mercredi qu’il pensait que les problèmes pouvaient être résolus.

    « Nous sommes déterminés à travailler sur toutes les questions et à parvenir à des conclusions rapides », a déclaré Stoltenberg, notant le soutien solide de tous les autres alliés.

    Soucieux de faire avancer le processus d’adhésion, le ministre suédois de la défense s’est déjà rendu à Washington et sera suivi par le Premier ministre suédois Magdalena Andersson et le président finlandais Sauli Niinisto dans le courant de la semaine. en savoir plus

    Les pays espèrent que la ratification rapide de l’accord par les États-Unis, première puissance de l’alliance, contribuera à leur faciliter le chemin vers l’adhésion, la Maison Blanche s’étant déclarée convaincue que tout obstacle pourra être surmonté.

    La décision de chercher une place sous le parapluie de l’OTAN représente un revers pour Moscou, la guerre en Ukraine ayant déclenché le type même d’élargissement de l’alliance aux frontières de la Russie qu’elle a pris les armes pour empêcher.

    Jusqu’à présent, la réponse de Moscou a été étonnamment modérée, puisqu’elle avait précédemment mis en garde contre des mesures de nature « militaro-technique » et indiqué qu’elle pourrait déployer des armes nucléaires dans son exclave européenne de Kaliningrad si les pays adhéraient à l’Alliance.

    Le président Vladimir Poutine a déclaré lundi que l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’OTAN ne constituait pas une menace pour la Russie, mais il a averti que Moscou réagirait si l’alliance occidentale renforçait l’infrastructure militaire dans les nouveaux membres nordiques.

    Par Robin Emmott et Marine Strauss

    Reuters, 18 mai 2022

    #OTAN #Finlande #Suède #Russie #Ukraine

  • Sergueï Lavrov s’exprime sur un monde multipolaire

    Sergueï Lavrov s’exprime sur un monde multipolaire

    Russie, Ukraine, Etats-Unis, OTAN, monde multipolaire, Sergueï Lavrov, UE,

    Le ministre russe des Affaires étrangères aborde la thématique de l’émergence d’un monde multipolaire lors du marathon éducatif « Nouveaux Horizons » à Moscou, dans le contexte de l’opération militaire russe en Ukraine.

    Le ministre russe des Affaires étrangères Sergue? Lavrov a rencontré les participants du marathon éducatif « Nouveaux Horizons » hier à Moscou. Il s’est entre autres exprimé sur la situation des affaires internationales, et plus précisément sur le dossier ukrainien.

    « Tout le monde se moque de l’Ukraine [qui est devenue] du consommable dans la guerre totale hybride contre la Russie. Personne n’a de doutes là-dessus maintenant. Cela a été déclaré publiquement », a-t-il notamment souligné, déplorant que les Occidentaux aient à ses yeux « déclaré la guerre » à la Russie. « Il y a cette phrase qui est devenue connue : « L’Occident est prêt à mener la guerre jusqu’au dernier ukrainien ». Et c’est très bien dit », a-t-il ajouté.

    « Vague suicidaire » : Viktor Orban critique « le monde occidental » lors de son investiture

    Durant son discours d’investiture, le Premier ministre hongrois a dénoncé une « vague suicidaire » qui agite « le monde occidental », précisant que la Hongrie demeurait « le dernier bastion avec la Pologne de l’Occident chrétien conservateur ». Le Premier ministre hongrois Viktor Orban a dénoncé le 16 mai le « suicide » de l’Occident et rappelé sa « ligne rouge » concernant les sanctions envers la Russie, lors de sa cérémonie d’investiture devant le Parlement.

    Une « vague suicidaire » agite « le monde occidental » qui « expérimente le programme de grand remplacement », a déclaré le chef du gouvernement de 58 ans, en référence à une théorie, définie par certains comme « complotiste », popularisée par la droite radicale arguant que les élites organiseraient le remplacement des populations européennes par des immigrés extra-européens. Ce « programme veut remplacer les enfants chrétiens en voie de disparition par des migrants d’autres civilisations » et « je vois de la même manière la folie » des théories du genre, a-t-il ajouté.

    Large vainqueur des législatives début avril, il avait auparavant prêté serment pour un quatrième mandat consécutif après avoir été réélu par 133 voix sur les 199 que compte le Parlement.

    Viktor Orban a présenté la Hongrie, « havre de bon sens » où avoir « la bénédiction de Dieu reste important », comme « le dernier bastion avec la Pologne de l’Occident chrétien conservateur », alors que « l’UE a baissé les bras ».

    Deux partis de l’opposition ont quitté l’hémicycle, qualifiant le nouveau gouvernement « d’illégitime », après 12 années d’édification d’un Etat « illibéral » selon les termes de Viktor Orban, certaines organisations internationales fustigeant pour leur part une « dérive autoritaire ». Alors que la grogne monte dans l’Union européenne (UE) contre le blocage par Budapest du projet d’embargo pétrolier, Viktor Orban, qui s’était rapproché ces dernières années du président russe Vladimir Poutine, a rappelé que « menacer la sécurité énergétique » restait « une ligne rouge » à ne pas franchir.

    La Hongrie rejette le sixième paquet de sanctions faute de garanties sur le maintien de son approvisionnement, et a chiffré le 16 mai entre 15 et 18 milliards d’euros le coût d’un arrêt des achats de pétrole russe.

    Malgré cette discorde, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen l’a « félicité » sur Twitter pour sa « réélection », disant avoir « hâte d’aborder collectivement avec succès les défis sans précédent » auxquels l’UE est confrontée.

    Agences

    #Russie #OTAN #EtatsUnis #Ukraine #Hongrie #Monde_multipolaire #UE

  • Un monde à polarité variable

    Un monde à polarité variable

    Algérie, Est, Ouest, OTAN, Etats-Unis, Syrie, Irak, Yémen, Russie, Ukraine, Chine, France


    Il semble qu’aujourd’hui il sied à l’Algérie, du fait de sa propre histoire, de sa position géostratégique et des liens qu’elle a patiemment tissés, parfois contre ses desiderata, de tenir bon et de ne pas céder au chantage ou à la pression de parties dont le passif n’est pas du tout confiant. Pourtant, le respect d’un Etat découle du sérieux de sa diplomatie, de la cohérence avec ses principes et de ses engagements historiques. Nous sommes un pays non aligné par rapport aux deux blocs Est et Ouest. La multipolarité qui se dessine, avec les guerres menées par les Etats-Unis en Syrie, en Irak, au Yémen ou celle de la Russie contre l’Otan et Ukraine, se présente comme un avantage diplomatique pour l’Algérie. Mais nous ne devons pas trahir nos vrais alliés que sont la Russie et la Chine.

    Les Etats-Unis, eux, n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts à défendre. Quant à la France, elle n’est plus digne de confiance, avant même les attaques de Macron en quête de repères d’un pays qui ne s’est pas – et ne sera pas – départi de son complexe colonial après plus d’un demi-siècle d’Indépendance !

    Le juste milieu dans la nouvelle configuration internationale mettra davantage à l’épreuve notre diplomatie. S’il était aisé de se positionner durant la guerre froide, en non-aligné, aujourd’hui on continuerait à le faire, bon gré malgré, parce que si les Etats-Unis commencent à perdre de leur influence, le monde n’a pas encore les règles qui régiront ses relations multipolaires basées sur les souverainetés respectées de chacun des Etats ! Un monde nouveau en termes de relations internationales est en train d’apparaitre. Et précisément aujourd’hui se jouera l’Intelligence diplomatique algérienne.

    En d’autres termes, nous devons être au diapason de la realpolitik sans trahir nos traditionnels engagements.C’est d’autant plus vrai que de constater que l’histoire est en train de basculer et, ceux qui défendent, mordicus, le monde unipolaire en voie d’effondrement sont capables de nous précipiter irrémédiablement vers la cata !

    Et pour reprendre l’adage d’Antonio Gramsci, «entre le vieux monde (qui) se meurt, le nouveau monde (qui) tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres», ne faut-il pas hisser notre diplomatie au rang des souverainetés respectueuses et respectées ?

    Par Salah Bey
    E-Bourse, 17 mai 2022

    #OTAN #Russie #Ukraine #Chine #Algérie #Bipolarité

  • D’autres chats à fouetter

    Ukraine, Russie, OTAN, Finlande, Suède, Union Européenne, UE,

    La discrète Finlande a décidé d’intégrer l’OTAN. La sage Suède se dit prête à la rejoindre. Du coup, avec l’énorme coulée de lave née en Ukraine, l’Europe nordique est en passe de perdre sa sérénité légendaire et de fatidiques turbulences risquent d’embraser le monde entier.

    Sans doute, ne faudrait-il plus s’arrêter aux justifications et aux arguments que chacun pourrait avancer et fixer plutôt l’attention sur la permanente culture de l’animosité que les hommes développent comme première nature et continuer à nourrir les conflits alors que l’humanité a d’autres chats à fouetter. Elle fait face, de plus en plus, aux catastrophes naturelles et elle doit plus que jamais s’armer de patience et de courage pour nouer définitivement avec la pitance qui se fait outrageusement désirer aux quatre coins de la terre. Pauvre ou nanti, nul n’échappe plus à la grande difficulté de survie.

    Forts d’un grand espoir, l’ensemble des peuples étaient heureux à la fin de la Deuxième Guerre mondiale de voir revenir la paix et la sagesse nécessaires au recouvrement de la maturité à laquelle le monde était censé voué. Mais on s’est rendu compte au fil du temps que la malédiction ne s’était pas estompée et que la folie des hommes s’est perpétuée. Ne changeant que leurs natures, les conflits se sont multipliés. La misère et ses famines se sont élargies et l’Eden tant espéré n’était que chimère et une fausse vue de l’esprit.

    En quoi donc finalement est utile cette lutte perfide des idéologies contraires, ces batailles de vérités surfaites, grosses humeurs, clamant avec hypocrisie les aléatoires et contraires sens accordés à la liberté de l’homme ? Le pragmatisme des quidams du monde où qu’ils soient, n’ont de préoccupations premières que le souci du pain et de la santé. Ils n’ont cure des communismes chantés à toutes les modes ni des démocraties peintes de toutes les couleurs.

    Avant d’être dans les esprits de ceux qui régentent les gouvernances, le monde libre est d’abord et avant tout dans les cœurs des gouvernés.

    par Abdou BENABBOU

    Le Quotidien d’Oran, 17 mai 2022

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    #Ukraine #Russie #OTAN #Suède #Finlande #Europe #UE

  • La Turquie contre l’adhésion de Suède et  Finlande à l’OTAN

    La Turquie contre l’adhésion de Suède et Finlande à l’OTAN

    #Turquie #OTAN #Erdogan #Suède #Finlande #Ukraine #Russie

    Le président Recep Tayyip Erdoğan a réitéré lundi les objections de la Turquie et a déclaré que le pays n’approuverait pas l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’OTAN, car il les a critiquées pour ne pas avoir pris une position claire contre les organisations terroristes.

    Les remarques d’Erdoğan sont intervenues après que les pays nordiques ont officiellement annoncé leur intention de demander leur adhésion à l’alliance militaire après l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

    La Turquie a déclaré la semaine dernière qu’elle ne verrait pas leurs candidatures de manière positive , citant principalement leur historique de soutien aux organisations terroristes, notamment le PKK et son aile syrienne, les YPG.

    Toute demande d’adhésion doit être approuvée à l’unanimité par les 30 membres de l’OTAN.

    « Aucun de ces pays n’a une attitude claire et ouverte envers les organisations terroristes », a déclaré Erdoğan lors d’une conférence de presse conjointe avec son homologue algérien Abdelmadjid Tebboune dans la capitale Ankara. « Comment pouvons-nous leur faire confiance ? »

    « Tout d’abord, nous ne pouvons pas dire ‘oui’ à ceux qui imposent des sanctions à la Turquie, à l’adhésion à l’OTAN qui est une organisation de sécurité », a-t-il noté.

    La Suède et la Finlande avaient imposé des embargos sur les exportations d’armes à la Turquie après son opération militaire visant à dégager le nord de la Syrie à l’est de l’Euphrate des YPG en 2019.

    Erdoğan a décrit la Suède comme un « centre d’incubation d’organisations terroristes », affirmant que certains membres de son parlement soutenaient le PKK, désigné comme organisation terroriste par la Turquie, les États-Unis et l’Union européenne.

    La Première ministre Magdalena Andersson a déclaré lundi que le gouvernement suédois avait officiellement décidé de demander son adhésion à l’OTAN, un jour après que le président finlandais Sauli Niinisto a confirmé qu’Helsinki demanderait également son adhésion.

    La Suède a signé mardi une demande officielle d’adhésion à l’OTAN, un jour après que le pays a annoncé qu’il demanderait l’adhésion à l’alliance militaire de 30 membres. En Finlande voisine, les législateurs devraient plus tard dans la journée approuver officiellement la décision des dirigeants finlandais de se joindre également.

    Le ministère suédois des Affaires étrangères a déclaré plus tôt lundi que de hauts représentants de la Suède et de la Finlande prévoyaient de se rendre en Turquie pour des entretiens afin de répondre aux préoccupations d’Ankara.

    Cependant, Erdoğan a déclaré qu’ils « ne devraient pas prendre la peine » de venir s’ils espèrent convaincre Ankara d’assouplir ses objections à leur adhésion.

    « Ils disent qu’ils viendront en Turquie lundi. Vont-ils nous convaincre ? Excusez-moi mais ils ne doivent pas se fatiguer », a-t-il noté.

    Erdoğan a déclaré que l’OTAN deviendrait « un endroit où les représentants des organisations terroristes sont concentrés » si les deux pays se joignaient.

    Le président a déclaré que la Suède et la Finlande refusaient d’extrader des personnes liées au PKK et au groupe terroriste güleniste (FETÖ), le groupe terroriste à l’origine du coup d’État défait de 2016 en Turquie.

    Le ministère de la Justice a déclaré lundi que les deux pays n’avaient pas approuvé la demande de la Turquie d’extradition de 33 personnes liées au PKK et au FETÖ.

    La Turquie a déclaré qu’elle souhaitait que les pays nordiques cessent leur soutien aux groupes terroristes présents sur leur territoire et lèvent les interdictions de vente de certaines armes à la Turquie.

    La Turquie étant un membre apprécié de l’OTAN, toute préoccupation en matière de sécurité doit être résolue, a également déclaré lundi le chef de l’OTAN après avoir discuté avec le haut diplomate turc des candidatures à l’adhésion de la Suède et de la Finlande.

    « J’ai parlé avec le ministre des Affaires étrangères Mevlüt Çavuşoğlu des décisions de nos partenaires les plus proches, la Finlande et la Suède, de demander l’adhésion à l’OTAN. La Turquie est un allié précieux et tout problème de sécurité doit être résolu », a déclaré le secrétaire général Jens Stoltenberg sur Twitter après un appel téléphonique. avec Çavuşoğlu.

    « Nous devons être solidaires en ce moment historique », a-t-il ajouté.

    L’adhésion potentielle de la Suède et de la Finlande à l’OTAN « renforcerait » l’Union européenne, a également déclaré mardi le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell lors d’une réunion des ministres de la Défense de l’UE à Bruxelles.

    L’adhésion des deux pays nordiques à l’alliance militaire occidentale augmenterait également la « capacité de réaction » de l’UE aux menaces le long de sa frontière, a déclaré Borell en arrivant à la réunion.

    Selon Borrell, l’élargissement potentiel de l’OTAN est « le contraire de ce que Poutine était prêt à réaliser » en envahissant l’Ukraine alors que le président russe Vladimir Poutine « essayait d’arrêter le développement de l’OTAN [le long] des frontières de la Russie ».

    Borrell a ajouté qu’il « espère que l’OTAN sera en mesure de surmonter » les objections de la Turquie à la candidature de la Finlande et de la Suède.

    Le porte-parole présidentiel Ibrahim Kalın a déclaré samedi que la Turquie n’avait pas fermé la porte à l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’OTAN, mais souhaitait des négociations et une répression de ce qu’elle considère comme des activités terroristes.

    Le ministre des Affaires étrangères Çavuşoğlu a déclaré dimanche que les discussions avec ses homologues suédois et finlandais à Berlin avaient été utiles. Les deux pays avaient fait des suggestions pour répondre aux inquiétudes d’Ankara, que la Turquie considérerait, alors qu’il avait fourni la preuve que des terroristes étaient présents sur leur territoire, a-t-il dit.

    Il a notamment pointé du doigt la Suède, affirmant que le PKK avait tenu des réunions à Stockholm ce week-end.

    Néanmoins, il a déclaré que la Turquie ne s’opposait pas à la politique de l’alliance d’être ouverte à tous les pays européens qui souhaitent postuler.

    L’invasion de l’Ukraine par Moscou le 24 février a fait basculer l’opinion politique et publique en Finlande et en Suède voisine en faveur de l’adhésion à l’OTAN comme moyen de dissuasion contre l’agression russe.

    La Suède et la Finlande étaient toutes deux neutres tout au long de la guerre froide, et leur décision de rejoindre l’OTAN serait l’un des plus grands changements apportés à l’architecture de sécurité européenne depuis des décennies, reflétant un changement radical de l’opinion publique dans la région nordique depuis que la Russie a envahi son voisin l’Ukraine en février.

    Moscou a réagi à la perspective de l’adhésion des États nordiques à l’OTAN en menaçant de représailles, y compris des «mesures militaro-techniques» non spécifiées.

    Daily Sabah, 16 mai 2022

  • Où va le monde ?

    Où va le monde ?

    Où va le monde ? – OTAN, Russie, Ukraine, Etats-Unis, guerre nucléaire,

    Il se dirige apparemment vers une guerre de tranchées. Les États-Unis d’Amérique voyant perdue la compétition économique et partiellement celle morale qui l’accompagne, ils ne peuvent plus ompter que sur leur supériorité technologique et militaire pour triompher. Quelles dispositions la société algérienne que la guerre de libération a mise dans le camp adverse doit-elle développer pour faire face ? Elle devra renforcer ses arrières probablement, ses contrepouvoirs. Contrepouvoirs dont on a pris l’habitude de parler de ceux internes, mais pas du tout de ceux externes. Les crises économiques et écologiques actuelles et à venir exposent une partie importante des sociétés occidentales au défaitisme et au pessimisme. Leurs mythes les lâchent, leur compétitivité industrielle recule. Elles ont besoin d’un réarmement. Il importe qu’elles rappellent et se rappellent leur supériorité morale, intellectuelle et technologique face aux rivaux qui les menacent de déclassement, aux vagues de populations qui menacent de les submerger. Elles ne le peuvent plus dans que la guerre. Il faut se rappeler que l’on ne gagne plus la guerre militairement, comme lorsque la société vaincue se mettait sous l’autorité de l’armée du vainqueur, mais politiquement, lorsque l’on gagne l’adhésion de la société. L’Ukraine qu’elles arment aujourd’hui contre la Russie est donc un bon champ de bataille, ou demain Taiwan contre la Chine. Pour les sociétés dominées, la défense restera la meilleure stratégie. En engageant peu de forces dans le combat, on assure le moins de pertes. Mais les sociétés dominées ne choisissent pas toujours la défense qu’elles veulent, elles n’en choisissent ni le lieu ni l’heure : quand elles sont prises dans la guerre, comme disent les Chinois, elles l’ont déjà perdue. La guerre n’est pas simplement militaire, il faut savoir où elle commence et où elle finit. La société doit donc développer des dispositions qui lui permettent de passer rapidement d’un état de paix à un état de guerre et inversement. Et cela concerne en particulier la frontière, les échanges entre la société civile, au sens large, et la société militaire.

    Dans un récent livre, Yascha Mounk plaide pour une grande expérience qui conduirait les démocraties dont la plupart ont été fondées autour d’une conception monoethnique et monoculturelle d’elles-mêmes à des démocraties de conception multiculturelles et multiethniques : « Nous voilà partis pour une grande expérience, la construction de démocraties multiethniques très diverses, qui passeront l’épreuve du temps et, espérons-le, traiteront équitablement tous leurs citoyens. Cette grande expérience est l’entreprise la plus importante de notre époque. Elle a démarré sans expérimentateur, en l’absence de toute volonté délibérée. Aucun consensus n’existe sur le genre de règles ou d’institutions qui pourraient la faire aboutir. » Il parie sur une progression du principe de l’égalité dans le prolongement des tendances passées : « L’incroyable différence qu’on constate entre les droits et les possibilités dont jouissent aujourd’hui les Afro-Américains, comparés à leur situation d’il y a cinquante ou cent ans, est le témoin de la faculté des démocraties, même les plus imparfaites, à se réinventer. … En dépit des ombres du passé, la plupart des démocraties font de réels progrès pour intégrer leur diversité dans la conception qu’elles se font d’elles-mêmes ». Aussi fait-il appel aux optimistes de tempérament : « Ignorer que nos démocraties ont désespérément besoin de s’améliorer relèverait de l’optimisme béat, mais nous tenir pour incapables de tirer parti des progrès de ces cinquante dernières années ou condamnés, quoi que nous fassions, à rester à jamais définis par le racisme et l’exclusion, voilà qui relèverait d’un cynisme plus ignorant encore. Le chemin de la grande expérience vers le succès sera cahoteux, mais le coût de l’échec serait bien trop élevé pour que nous nous contentions de demi-mesures ou que nous abandonnions la course à mi-parcours. » [1] À quel coût faut-il penser, du point de vue des Américains du nord, des Européens ou de l’humanité ?

    Histoire fléchée, mais brisée

    En vérité, Yascha Mounk se bat pour que ne meure pas le mythe de l’histoire comme progrès qui a assis la domination de la modernité occidentale. Les USA ne succomberont pas à l’histoire européenne et resteront le modèle pour l’humanité, l’histoire ne cessera pas d’être progrès. J’ai envie de l’associer à cet autre optimiste, Elon Musk qui se bat pour prolonger la trajectoire industrielle actuelle. Deux entrepreneurs, l’un idéologue et l’autre global (idéologique, économique et militaire), l’un qui s’adresse aux terrestres qui sont tentés par le pessimisme face à l’accroissement des inégalités et à la menace d’austérité, l’autre aux terriens qui ont tendance à faire sécession, mais sans franchement regarder l’avenir. L’un porté par un cours des choses actuel qui s’essouffle, qu’il faut vivifier, qui veut lui donner des leaders, l’autre qui doit fournir des troupes, une galerie. Derrière Elon Musk, il y a en vérité le complexe militaro-industriel américain.

    Tous deux se battent pour une histoire fléchée positivement, laissant croire qu’elle pourrait concerner l’ensemble de la société multiculturelle. La question est : importe-t-il de savoir quelle partie de l’humanité concernera cette histoire fléchée positivement ou pas ? Faudra-t-il préserver une telle flèche du temps quoiqu’il en coûte pour la partie de l’humanité qui en a la capacité ? Qu’en coûtera-t-il pour le reste de l’humanité abandonnée par le progrès technologique ? Une nation imposera-t-elle, par la destruction et la guerre, sa supériorité technologique au reste de l’humanité ? De ce point de vue la Russie, en Syrie et en Ukraine, est une caricature de l’Occident. Car si le cours de l’histoire n’est pas conforme aux dispositions de l’humanité encore sous le règne des mythes des Lumières occidentales (progrès infini, domination de la nature), s’il s’avère fléché négativement au contraire des dispositions humaines, si les individus se retrouvent « ramant » à contre-courant sans y être préparé, les « noyades » risquent d’être nombreuses. La dualisation des sociétés et du monde ne peut que s’aggraver. À moins que l’humanité revienne de l’illusion du progrès infini, refuse de s’engager dans une guerre des riches contre les pauvres.

    Si l’on doit attribuer un mérite à Elon Musk, outre le fait d’être intelligent, juif, d’origine sud-africaine par le père et canadienne par la mère, c’est celui de voir les forces en jeu dans le cours actuel des choses et de travailler à renforcer certaines d’entre elles, lui permettant de « défier la science » pour faire sensation en s’appuyant sur des forces actives, mais discrètes, en conscientisant, mobilisant d’autres insuffisamment conscientes d’elles-mêmes et insuffisamment agressives, mais prêtes à ne regarder qu’en avant parce qu’ayant trop à perdre en ralentissant le pas. Les sociétés aiment ce genre de guerrier. « Si le citoyen Musk aspire à un État minimum, l’entrepreneur Musk, lui, excelle à composer avec les pouvoirs publics. Pour obtenir de l’argent tout d’abord. Le ministère américain de la Défense a été le premier client de SpaceX. La Nasa a sauvé l’entreprise en 2008 avec son premier contrat de ravitaillement de la Station spatiale internationale. Et l’agence publique américaine a ouvert à l’opérateur privé son site de lancement de Cap Canaveral. Pour profiter des règlementations ensuite. … » [2]. J’ai envie de le nommer le Chinois des USA pour son intelligence du monde et l’anti-Chinois pour son libertarianisme. À la différence de la Chine à propos de Jack Ma, les USA sont allés le chercher en Afrique du Sud.

    Dans la « grande expérience » de Yascha Mounk qui devrait permettre aux sociétés démocratiques de se concevoir et de se réaliser comme multiethnique et multiculturelle, où il oppose les pessimistes et les optimistes quant à la progression de l’égalité et de la justice, il s’agit de convaincre ceux qui commencent à douter, mais voudraient croire, soit les membres de la classe moyenne supérieure menacés de déclassement et la classe moyenne inférieure désireuse de progression. Il laisse la classe supérieure qui est attachée au progrès technologique, la classe moyenne supérieure qui persiste à vouloir le rester, à Elon Musk. C’est que l’optimisme que nourrissaient les mythes des Lumières occidentales commence à s’effriter. L’histoire bégaie, elle hésite à confirmer la loi du progrès continu, la soumission de la nature à des lois objectives et du destin des humains à leur volonté[3]. Il se corrompt par le bas, le pessimisme gagne les classes inférieures, qui ne font plus confiance au marché et demandent une répartition autoritaire des ressources qui ne va pas sans conflits.

    Il faut être populistes si nécessaire, aller directement au peuple, mais être enthousiastes, croire au progrès en général à nouveau, pour conquérir le cosmos. On évitera de traiter de « populistes » les entreprises globales qui effacent toutes les intermédiations. On ne traitera pas de même le président français Macron, qui ni de gauche, ni de droite sape les structures de médiations politiques traditionnelles. Il faut aussi défendre plus fermement et plus intelligemment le « solutionnisme technologique»[4] et aller en guerre si nécessaire contre ceux qui se dressent contre le cours de l’histoire dirigé par le progrès technologique. Les USA viennent d’ajouter à la peur occidentale la menace militaire russe à la menace économique chinoise. Il faut maintenant à l’Occident défendre sa position dans le monde, s’attacher à sa suprématie militaire et par conséquent au progrès technologique. La guerre vient au secours du mythe du progrès qui s’effrite. Elle soude l’Occident autour de « sa » valeur de liberté. La lutte pour la liberté, la lutte pour la défense de l’hégémonie occidentale (et la survie de la Russie), surclasse la lutte pour la préservation de l’humanité et de son habitat. Les classes moyennes ont besoin de croire que leur destin est celui des classes supérieures et non celui des classes inférieures et surtout qu’elles n’appartiennent pas à une société déclinante. Elles avaient besoin d’être protégées du déclassement, mais ne voulaient pas de sobriété énergétique, voilà que la guerre qui menace la sécurité de leur mode de vie, ne leur laisse pas le choix. Il n’y a plus à réfléchir. On peut bien décliner, mais non cesser de dominer pour être dominé[5]. Cela pourra se faire (décliner, mais préserver sa position) par la guerre et cela d’une pierre deux coups : d’un côté, imposer la sobriété énergétique aux Européens avec le boycott des exportations d’énergie russe, la décroissance aux Américains avec la stagflation[6], et de l’autre, mettre en place une division du travail industrielle et militaire entre les États-Unis et ses alliés, profitable à la puissance militaire occidentale : aux USA les forces planétaires et aux alliés, les forces locales[7]. Les USA ne se détournent donc pas de l’Europe, de l’Asie ou du Moyen-Orient, ils se construisent comme force planétaire et aident leurs alliés à construire les forces locales d’appoint.

    Il faut se rappeler la violence « sans état d’âme » de l’Occident au cours du XIX° siècle et de la première moitié du XX°, convaincu de son indiscutable différence et supériorité pour ressentir ce que la différence signifie aujourd’hui[8]. Il ne se dira plus que l’on part en guerre pour un coup d’éventail. La distinction entre progressistes, ceux portés par l’histoire, et les réactionnaires, ceux condamnés par l’histoire, commence à se brouiller. Les progressistes partisans du progrès technologique deviennent les réactionnaires du progrès social et humain, les réactionnaires du progrès technologique (tels les luddites du début du XIX° siècle) deviennent les progressistes partisans du progrès social et humain. Le progrès technologique qui ne se diffuse plus suffisamment ne se confond plus avec le progrès matériel ; celui-ci ne se confond plus avec le bien-être et le progrès social, il est mal réparti et sa consommation nuit. Le progrès technologique se dissocie du progrès social. Il reste que de telles dissociations ne sont pas, ne seront pas égales sur toute la planète.

    Les menaces de crises économique et écologique ne suffisent pas à modifier les habitudes des sociétés. Elles ne suffisent pas à les en dégager, à les mettre à l’heure du monde. Les chocs extérieurs, les guerres autorisent des transformations que les sociétés n’auraient pas tolérées autrement. Quand l’état d’une société se détériore, il importe qu’il se dégrade moins que celui de la société voisine. La Russie sera sans aucun doute l’instrument d’une telle politique de transformation autoritaire orchestré par les USA, l’instrument d’une nouvelle victoire du néolibéralisme. Jusqu’à quand ?

    Il faut penser à ce que représente la Russie pour l’Occident : cherchant sa place dans une Europe qui la craint, ses excès mettent à jour les impasses de celle-ci. Elle va à ses extrêmes dans l’espoir de faire sa place. La Russie est européenne, mais rivale. Seulement plus étatiste, encore engoncée dans des propensions impériales. C’est elle qui a adopté le socialisme que l’Europe de l’Ouest a inventé, mais n’a pas su appliqué. Le vaste continent qu’elle représente, riches en ressources naturelles, mais faiblement peuplé sur la plus grande partie de son territoire, a ensuite adopté le marché, pour encore être la victime. La leçon que tirera la Chine du gouvernement de Poutine, pourra-t-elle être dissemblable de celle qu’elle a tirée des gouvernements d’Eltsine et de Gorbatchev ? Le monde n’a pas tort quand il condamne à la fois la Russie et l’Occident, l’agression de l’Ukraine par la Russie et les sanctions économiques occidentales. La Chine se serait attaquée au problème ukrainien à sa naissance s’il en était un, avant 2014 et non en 2022. Comme elle l’a fait avec la place Tian’anmen d’abord, Hong Kong ensuite. Elle fera différemment avec Taiwan. Du point de vue de la Chine, la Russie a encore perdu la guerre que lui mènent les USA. Ils ont divisé l’Europe en fragilisant les rapports de la Russie avec l’Europe et l’Allemagne en particulier et ils ont confirmé une division du travail militaire, et donc industrielle, avec leurs alliés. Mais les USA doivent prendre garde à la défection de leurs fronts arrière.

    On ne parle pas de l’effet des sanctions économiques sur les sociétés occidentales, de la remise en ordre qu’elles peuvent et doivent engager à l’occasion. Pour ce qui apparaît aujourd’hui, l’Europe et la Chine seraient plus affectées que les USA, à moins que la stagflation n’y soit qu’à ses débuts. La sobriété énergétique va-t-elle devenir une opportunité ? La décroissance occidentale sera-t-elle acceptée ? Ce qui est sûr c’est que la guerre ne préfigure pas une croissance mondiale autrement partagée between the West and the Rest.

    Pessimistes et optimistes, opposition et complémentarité

    Il faut distinguer entre opposition négative et opposition positive, autrement dit, l’optimisme accroissant le pessimisme des autres (ils s’excluent, ne s’écoutent plus), le pessimisme des uns accroissant l’optimisme des autres (ils opèrent dans la même direction ; ils se complètent, les optimistes assimilant les pessimistes et contenant leur accroissement).

    Dans cette distinction entre pessimistes et optimistes en général, la pensée dichotomique ne voit pas qu’ils peuvent se compléter et se substituer l’un à l’autre, s’opposer et alterner. Les croyances ont été déconnectées de leurs conditions d’existence, de leur compétition et de leur éventuelle conversion.

    Au sein d’une société, les pessimistes et les optimistes peuvent avoir des fonctions différentes pour un même objectif : la prospérité relative de la société en question.[9] Il pourrait y avoir ceux qui croient à la victoire du plus fort, à la logique des rapports de force en externe, les battants (Elon Musk, les libertariens) qui partent en guerre, et ceux qui croient qu’en interne l’état de droit devrait être la règle, la logique du rapport de force devant être bannie, les pacifistes (Yascha Mounk), … pour renforcer le rapport de force externe. Un peu comme au temps des colonies, certains ne vivaient que des bienfaits du colonialisme. Un peu comme la viande, on aime la consommer, mais on a pitié des bêtes que l’on égorge ou maltraite … quand on y pense. Aussi les optimistes peuvent-ils s’accommoder d’une distribution des rôles, pourvu que ceux qui vivent des méfaits du progrès ne viennent pas troubler la fête de ceux qui vivent de ses bienfaits, pourvu que méfaits et bienfaits soient bien séparés et ne soient pas mêlés. Pourvu par exemple, que le militaire puisse rentrer chez lui et accéder aux bienfaits de ses méfaits. Pourvu que les conquêtes et guerres extérieures puissent nourrir la paix intérieure. L’idéologue doit donc rabattre suffisamment de personnes qui puissent vivre de l’espoir que demain ils pourront s’assoir à la table des bienfaits du progrès ou que de toute façon il n’y a pas d’autre solution, il faut se battre pour y être, pour que la guerre ne se mêle pas à la paix, et qu’en cas d’échec, il ne faudra s’en prendre qu’à soi-même.

    En fait il faut distinguer parmi les optimistes, ceux qui réussiront et ceux qui échoueront, ceux qui seront bien servis par le cours de l’histoire et ceux qui ne le seront pas. Ceux qui auront su en lire les propensions, favoriser celles qui leur sont favorables et annihiler les autres. Et ceux qui seront portés sans savoir où. On pourrait distinguer trois groupes : ceux donc qui font corps avec le cours des choses et tirent avantage de ses propensions, ceux qui réussissent à se maintenir en équilibre sans se préoccuper du reste, tanguent, mais ne se brisent pas, et enfin ceux qui doivent se délester ou sombrer. Car, parmi ceux qui veulent, tous n’ont pas les moyens de leur volonté, les moyens ne se convertissent pas en fin, l’espoir les fait vivre et … périr. Il faut distinguer entre ceux qui se donnent pleinement, à moitié ou insuffisamment les conditions de la réussite.

    Dans le cours des choses actuel, que je caractériserai à la suite d’autres comme une archipélisation du monde[10], on peut distinguer entre trois groupes. Il y a ceux qui se battent pour être du bon côté d’une société d’apartheid (voilà pourquoi la Palestine pourrait annoncer le futur de l’humanité), ce serait comme la partie émergée de la société mondiale. Il y a ceux ensuite qui sont l’autre côté et serait comme la partie immergée, parce qu’ils rêvent d’une société juste et ignorent le sol qui les portent et qui se dérobent sous leurs pieds. Enfin je distinguerai ceux qui se tiennent à la frontière de ces deux mondes, qui ne peuvent pas se faire à l’idée d’une telle division de l’humanité, mais pour qui l’avenir reste indéterminé.

    La structure d’une société peut-être stable, bipolarisée en équilibre ou en déséquilibre : la tendance qui l’anime pouvant être à la progression de bas en haut et/ou de régression de haut en bas de la structure. Il y a problème quand la société est tirée dans deux directions opposées. Elle a alors tendance à se désolidariser et à se diviser en deux sociétés antagoniques, certains voyant leur condition terrestre se dégrader sans espoir de se reclasser, glissant sur une pente négative et d’autres décollant de cette pente, envisageant de survivre à leur condition terrestre, poursuivant le rêve de domination et de conquête du cosmos. Soit lorsque ceux qui descendent refusant le mouvement s’accrochent aux autres et que ceux qui montent décident de faire sécession parce qu’ils refusent de partager le sort des premiers. Les optimistes décident d’abandonner les pessimistes à leur destin, de leur faire la guerre si nécessaire. Le progrès technologique ayant alors besoin de la guerre pour persister et stabiliser sa trajectoire.

    Un clivage particulièrement pertinent opposait dans un passé récent les sociétés : progressistes contre réactionnaires, ceux bénits par l’histoire, et ceux qu’elle condamnait. Le progrès technologique se confondait alors avec le progrès social. L’Occident conquérait le monde, les classes inférieures voyaient leur avenir dans les classes moyennes inférieures, celles-ci dans les classes moyennes supérieures et ces dernières dans les classes supérieures. Les pays retardataires dans celui des pays avancés. La croyance en une loi émancipatrice de l’histoire – toujours plus d’égalité et de justice, était entretenue par une expérience historique fléchée positivement. Bien qu’une telle croyance ne concerna au départ qu’une partie de l’humanité, les croyances des autres mondes ne purent lui résister. L’innovation et la liberté n’étaient plus des péchés. Il fallait en faire l’expérience. La catégorie des gagnants recoupait alors celle des progressistes, celle des perdants coïncidant avec celle des réactionnaires. Il n’y avait alors pas de problèmes, les réactionnaires devaient se résoudre à se convertir, on ne pouvait rien contre la loi de l’histoire, la loi de la domination de l’homme sur la nature, la loi du développement des forces productives. La domination des gagnants, le reclassement des perdants étaient aisés. Aujourd’hui cette croyance tenace, mais mise en doute, est confrontée à des crises sociales et écologiques. La domination de la nature paraît plus destructrice que bienfaisante, le développement technologique creuse les inégalités sociales plutôt qu’il ne les résorbe. Pour les sociétés retardataires, des révolutions qui espéraient raccourcir l’histoire en faisant table rase du passé se sont révélées illusoires.

    Démocraties multiculturelles dans un monde multiculturel

    C’est d’un autre optimisme dont nous avons besoin en vérité, celui d’humains qui ne seraient plus des dieux dans le système Terre, au sein du règne des vivants. Celui d’une humanité qui prenne soin d’elle-même et de l’habitat qui lui est donné. Le bonheur n’est pas dans le consumérisme des uns et la puissance des autres, il est dans la santé, dans la qualité de la vie.

    Il est possible de concevoir et de réaliser de telles sociétés multiethniques et multiculturelles à condition que dans le monde elles renoncent à se faire la guerre, qu’une compétition pacifique fasse que la circulation des individus entre ces sociétés soit possible en fonction de la participation que les individus souhaitent. À condition qu’il puisse y avoir libre circulation et association des individus en nations concurrentielles, mais pacifiques. Ce serait comme vouloir refaire le monde. Y pense-t-on encore ? Il est plus facile de faire confiance aux sociétés de conception monoethnique et monoculturelle à la manière des empires et à leurs traités de paix. Ces derniers ont mieux traité les minorités religieuses et culturelles que les démocraties, n’ignore pas Yascha Mounk. C’est un autre totalitarisme que d’envisager l’humanité entière derrière une loi, plutôt que d’accepter son pluralisme culturel. On ne peut extraire de l’humanité la compétition, mais on peut l’organiser. Une démocratie de conception multiculturelle peut s’organiser en supposant ou pas un monde de conception multiculturel, une compétition pacifique ou violente des cultures, en recherchant ou pas l’hégémonie. Mais une société de conception multiculturelle dans un monde de conception non multiculturel ne peut être stable. Elle n’accorde ses cultures que lorsqu’elle triomphe de la compétition extérieure et assure une paix intérieure, ce qui ne peut être chose éternelle.

    Yascha MONK envisage la « conception multiculturelle » des sociétés seulement à l’intérieur des démocraties sans la considérer au sein du monde. Un peu comme John Rawls qui conçoit sa justice dans le cadre d’une société nationale et non celui des relations internationales. Autrement dit, sans considérer la capacité de ses démocraties à « comprendre » le monde et à être « compris » par lui. Il est toujours possible de réaliser la paix intérieure par des conquêtes extérieures. De séparer une ethnie en l’une qui profite des bienfaits des conquêtes d’une autre qui en souffre. Mais cela n’est pas aisé. Il faut des conquêtes extérieures, à défaut desquelles les « conquêtes intérieures » prendront le pas. Le gâteau qui s’accroit peut accueillir plus de convives, un gâteau qui se réduit fait que certains ne pourront y prendre part. Il reste que l’optimisme ne produira pas les mêmes effets dans des sociétés conquérantes et celles qui ne le sont pas. Il armera les premières et désarmera les secondes.

    En fait il s’est agi de réaliser des connivences, des résonnances entre différentes ethnies au travers de la conquête. Au plan national ou mondial. Il ne s’agit pas de détruire les ethnies pour leur substituer des nations, ce qui n’est autre qu’une manière d’affaiblir la nation face aux inégalités. La France à la différence des pays anglo-saxons. La nation contre l’ethnie à l’image de la société française est la cause des problèmes que l’Afrique a avec l’État et le marché. Il faut que des tribus, des ethnies résonnent autour d’un même objectif. Elles ne se mobiliseront pas séparément et leurs frontières passeront en arrière-plan, quand elles ne seront pas temporairement oubliées. Qu’une coopétition honnête s’établisse entre les différentes ethnies et nations du monde, telle serait une condition plus sérieuse de la paix. La lutte pour l’hégémonie est l’ennemi d’une telle coopétition. L’ennemi, la cause du désordre est le champion qui veut rester l’éternel champion. Les nations d’Afrique ont du mal à s’organiser, on continue de penser pour elles des organisations qui accroissent leur désordre. Pour ce faire, on accuse leur culture d’être la cause. Pourquoi refuser à ces nations le droit d’expérimenter et de comparer leurs expériences pour trancher la question ? Pourquoi croire que les moyens d’organisation d’une société sont supérieurs à ceux d’une autre sans en avoir fait la preuve expérimentale ? Probablement pour perpétuer leurs échecs et préserver l’hégémonie de la Raison occidentale.

    Un exemple, les rapports des Algériens et des Français en France et dans le monde. Pourquoi les Français voudraient-ils dissocier les immigrés algériens de l’Algérie et les Algériens en réaction, s’opposer à une telle dissociation ? La même histoire ne serait plus partagée entre les immigrés d’origine algérienne et les Algériens ? Mais qu’est-ce qui fait vivre une telle histoire commune au lieu de la faire oublier ? N’est-ce pas la vie que ces immigrés mènent en France ? Ils revivent en France la colonisation. Pourquoi ceux qui ne la revivent pas ne pourraient-ils pas appartenir aux deux sociétés, eux deux histoires, à une histoire commune de la France et de l’Algérie ? Pourquoi ne seraient-ils pas le fer-de-lance d’une « réconciliation » des deux sociétés par leur écriture d’une nouvelle histoire et non par une écriture commune de l’histoire passée qui n’aurait pas d’objectif en vérité que de demander aux Algériens de se ranger derrière la France. On ne réconciliera pas les deux sociétés en écrivant l’histoire du passé, mais en « écrivant » l’histoire du futur. Mais prête-t-on suffisamment attention, de part et d’autre, à l’histoire que l’immigration est en train d’écrire aujourd’hui ? Je suis fier des binationaux qui ont réussi, bien que je ne les approuve pas tous, ils prouvent que dans certaines conditions, nous ne valons pas moins que d’autres. Ils nous ont relevé la tête en quelque sorte, mieux que beaucoup des nôtres. Je leur dis soyez fiers de vous !

    La guerre en Ukraine, stratégies américaine, chinoise et russe.

    L’interprétation que je préfère de la guerre en Ukraine est la suivante : les USA ont utilisé l’Ukraine contre la Russie pour faire avorter les plans de la Chine au moment où celle-ci se tourne vers son marché intérieur, mais compte encore sur la technologie occidentale. Les USA ont refusé la compétition loyale que la Chine leur a déclarée. Je ne peux pas dire que c’était la réaction attendue par la Chine, mais cela ne doit pas être exclu. Il faut donc remettre le conflit entre la Russie et l’Ukraine dans le cadre de la « rivalité systémique » sino-américaine. Après les sanctions économiques contre les entreprises technologiques chinoises, les sanctions économiques contre la Russie visent à réduire les ressources de la Chine pour la réalisation de son programme de puissance rivale. L’angle d’attaque de Mounk vise moins à réaliser l’égalité sociale aux USA, que l’objectif d’affronter idéologiquement et technologiquement la concurrence et le modèle chinois.

    Pour le moment, la guerre idéologique menée par l’Occident oppose régimes autoritaires et sociétés démocratiques. On voit bien que cette opposition n’implique pas le reste du monde démocratique ou non. L’Ouest est démocrate chez lui, mais pas en dehors, pas au Conseil de sécurité, ni chez les dictatures ou monarchies alliées. Une bonne part des sociétés démocratiques vivent des bienfaits des dictatures dans le reste du monde. Elles ne vivent pas, ne souffrent pas de leurs méfaits. Elles ne s’en plaignent pas. Ecce homo.

    En fait la guerre en Ukraine, n’est pas sans résonnance avec la guerre civile aux USA : il s’agit de protéger les blancs américains du déclassement en comprenant les Américains d’origine africaine et hispanique dans la lutte pour la liberté. La défense de la supériorité américaine étant confondue avec la lutte contre l’autoritarisme. Mais cela ne changera probablement rien au fait que les conquêtes extérieures de la société de classes ne sont plus là pour acheter la paix sociale. Ils mènent une guerre interne et externe contre la menace des non-héritiers. Voilà pourquoi le sujet d’une démocratie de « conception » multiethnique et multiculturelle importe davantage qu’un combat contre les injustices mondiales et locales. Voilà pourquoi il faut séparer la justice à l’intérieur et à l’extérieur. Parce qu’il faut un combat idéologique qui égare les uns et conduit les autres plutôt qu’une lutte contre l’humainement insupportable, plutôt que des pratiques de transformation. Le monde ne viendra pas à bout de ces luttes, mais il réduira les dégâts, empêchera ceux qui sont irréversibles.

    Et c’est pour cela que la Russie par son intervention militaire provoquée par les USA aurait pour dessein selon les USA de brouiller pour la Chine les données de la compétition avec eux. Elle ajoute de « nouvelles sanctions » économiques contre l’économie chinoise. Mais pourquoi les médias occidentaux s’efforcent de faire croire à l’efficacité des sanctions économiques dans les sociétés dites autoritaires ? Pourquoi devrait-on penser qu’elles permettraient d’affaiblir et de détruire l’autorité des gouvernements autoritaires en accroissant leurs difficultés économiques ? Parce que l’on pense que ces sociétés, n’ont à l’image des sociétés riches, que le souci de leur condition matérielle ? Et partagent avec elles les mêmes croyances ? Même si la Russie se désolidarise de la Chine dans sa lutte pour la suprématie, ce de quoi on ne devrait pas douter, même si elle lui vole un moment la vedette, il ne faut pas s’étonner si la Chine s’efforce de retourner l’arme des sanctions contre ses promoteurs. En ce moment, on décrit le redoublement de son autoritarisme pour imposer sa politique de zéro Covid, on rechigne à parler du mal que l’atelier du monde occasionne à l’industrie occidentale. L’Ouest entre en guerre contre la Russie en lui fournissant des armes pour afficher sa supériorité, qui sait et dira comment la Chine y participe ? L’Ouest ne nous le dira pas, il faut fabriquer des armes contre le rival et non lui en donner, il faut fabriquer de l’optimisme dans le corps social et non du défaitisme. Il s’efforcera d’en souffrir le moins possible, il faut rassurer en ayant l’air d’être toujours le maître du monde.

    L’alternance de la progression et de la régression.

    Une histoire de cycles. Pourquoi épuisons-nous les ressources naturelles ? Parce que nous ne respectons pas les conditions de leur renouvèlement, le cycle de leur reproduction. Il s’avère que notre consommation ne peut plus continuer à croître, elle rencontre des limites en amont, du côté de la production des ressources naturelles et en aval du côté de ses effets sur la biosphère. Ainsi beaucoup d’économistes soutiennent aujourd’hui qu’il faut investir dans la transition écologique et que pour ce faire il faut nécessairement moins consommer, contrairement à la tradition où la consommation était un moteur de la croissance de la production.

    Du reste d’où vient la violence ? Elle vient de ce que nous voulons obtenir des autres plus qu’ils ne peuvent consentir, en d’autres termes pour parler comme les économistes, du fait que la demande d’égalité ne rencontre pas d’offre, que les courbes d’offres et de demandes sont inélastiques. Elles ne peuvent pas s’aligner, l’échange des droits est asymétrique. La violence vient de ce que l’on veut plus d’égalité et que l’on a pour réponse un accroissement des inégalités, de ce que l’on veut plus de pouvoir d’achat et que l’on en a moins. Si les courbes d’offre et de demande d’égalité ont des pentes différentes, l’une croissante et l’autre décroissante, si la société veut des droits qu’elle ne peut s’offrir, leur ajustement se fera au détriment de la demande qui aura tendance à réagir par la violence pour « redonner à l’offre son élasticité », mais que ne pourra contenir qu’une plus grande violence si l’offre rigide risque de se rompre plutôt que de s’ajuster. Ou pour parler comme P. Bourdieu, la violence apparaît au moment où des dispositions qui se sont développées indépendamment du cours des choses se heurtent avec lui et le contestent violemment. Comme depuis le colonialisme, nous continuons à souffrir d’un désajustement de nos dispositions et de leur espace de réalisation, d’une désynchronisation entre ce que nous voulons et ce que nous pouvons.

    On se trompe donc quand on combat pour l’extension du principe de l’égalité dans un contexte de régression, le résultat sera contreproductif. Combattre pour plus d’égalité conduira à plus de dégâts et moins de bénéfices. Vouloir maximiser un profit alors qu’il s’agit de minimiser des pertes aggrave les pertes et ne les réduit pas. L’humanité est toujours possédée par l’espoir d’une vie meilleure. Mais il y a une différence entre objectiver le paradis de notre imagination dans le cours de sa vie et dans une autre, sur terre et au-delà. Les croyants dans le paradis d’un au-delà ont une plus grande force que ceux qui s’en sont passés ou que ceux qui lui ont substitué un paradis sur terre et rêvent d’une cité idéale. Faut-il considérer les martyrs qui ont donné leur vie pour une autre, celle dans l’au-delà ou celle de leurs descendants, qui ont passé le seuil qui sépare les révolutionnaires des réformistes comme le répète souvent Lakhdar Bentobbal[11], comme des fanatiques ? Faut-il leur abandonner le cri de guerre « Dieu est le plus grand » ? En rêvant d’une cité idéale nous avons substitué à l’idée du paradis dans un au-delà un paradis ici et maintenant.

    Ce n’est pas un hasard, si des théoriciens de la justice, tels Amartya Sen, remettent en cause le combat pour une société idéale qui finit par opposer les sociétés en faveur d’un combat contre les inégalités insupportables pour les humains et les non humains. Lorsque l’égalité régresse et se développe l’injustice, ce ne sont pas les principes qu’il faut leur opposer, mais l’examen des conditions qui sont à la base du désajustement des courbes d’offres et de demandes d’égalité et de justice. Rappelons comme dans l’esprit de la langue arabe et beaucoup moins dans celui de la langue française, qu’un droit est au bénéfice d’une partie et à la charge d’une autre. Il y a balance, pas de droit sans devoir. Il faut examiner comment se différencient les courbes d’offres et de demandes ? Pourquoi certaines sont ignorées et d’autres validées ? Il faut rester au plus près des conditions de production de l’offre et de la demande pour les transformer et non pas vouloir les changer en partant de principes abstraits qui ignorent ces conditions. L’Etat n’accorde des droits aux uns que s’il oblige la charge, les devoirs de ces droits, à d’autres.

    Le vrai problème qui est à l’origine de ce désajustement de l’offre et de la demande de justice sociale réside dans une certaine schizophrénie sociale : les gens ne font pas ce qu’ils disent, ne regardent pas ce qu’ils font. Ils veulent des choses, leurs désirs sont sans limites disent les économistes, mais confient à d’autres, les économistes, ce qu’il faut faire pour les obtenir. Ce qui leur permet de regarder ailleurs. Ils ne s’attachent pas à accorder leurs désirs collectifs et leurs capacités. Comme les Français, mais pas comme les Allemands et les Nordiques. Ils refusent de s’associer quand ils sont individuellement impuissants. Tout ne dépend pas de « la » volonté, une volonté abstraite séparée des conditions d’émergence et d’investissement. Il faut aussi le pouvoir. Pour que le vouloir s’accorde avec pouvoir, il faut que le premier reste au plus près du second, n’oublie pas de quoi il dépend, comprenne son sentier de dépendance et les nouvelles conditions qui permettent la transformation de sa trajectoire. Il faut vouloir ce que l’on peut, désirer le meilleur de ce que l’on peut, ce qui suppose une connaissance du champ des possibles, une adéquation des capacités et des ressources. La question n’est pas en général de sincérité ou d’hypocrisie. Nous énonçons des principes à réaliser au lieu de nous attacher aux conditions de production de l’offre et de la demande, nous laissons nos désirs se réfugier dans des principes sans se déployer dans des conditions concrètes, sans les garder solidaires de leurs conditions de production et de transformation. Nos théories ne sont pas la théorisation de nos pratiques réussies, elles sont le moyen qui nous permet de prendre nos désirs pour des réalités.

    S’il y a régression possible avec les crises écologiques et économiques, s’il doit y avoir baisse de la consommation pour investir dans la transition écologique, s’il faut faire preuve de sobriété, le point de départ des réformes n’est pas dans des principes abstraits et généraux, mais dans les injustices réelles que l’on ne pourra pas supporter et les moyens de les atténuer ou de les empêcher. Il faudra transformer aussi bien les conditions de l’offre que celles de la demande et que leur ajustement permette leur progression globale. Il faudra être mieux que les autres certes, mais de quel point de vue ? Il faut pour cela faire confiance à l’expérience plutôt qu’à quelque théorie qui on ne sait par quelle magie réalisera ce que nous voulons. La Théorie ne doit pas prendre la place de la Révélation. En vérité nous importons des théories pour le décor, dans la réalité nous bricolons sans esprit de suite. Au lieu de nous poser les bonnes questions, en conduisant des expériences maitrisées à l’aide de théories éprouvables, pour leur donner les bonnes réponses. Qu’est-ce que l’on ne peut pas accepter collectivement et individuellement, comment y remédier concrètement ? Nous sommes d’accord pour qu’il n’y ait pas de chômeurs ? Comment alors nous donner du travail les uns les autres ? Nous sommes d’accord pour l’augmentation du pouvoir d’achat, mais comment obtenir son accroissement sans nous référer d’abord à autre chose qu’à nous-mêmes ? Notre pouvoir d’achat ne nous est pas concédé d’abord par l’État ou la providence, mais par ce que nous concédons au monde et à nous-mêmes. Ce qui compte, c’est de ce qui nous est acquis, ce que nous nous concédons les uns aux autres comme droits.

    Notes :

    [1] La grande expérience. Les démocraties à l’épreuve de la diversité. Éditions de l’Observatoire. 2022. Il est l’auteur d’un best-seller précédent, le peuple contre la démocratie. Humensis, 2018. Dans cet ouvrage qui est comme le second volet du premier, il engage le combat contre les « populismes ».

    [2] « Elon Musk, l’homme qui voulait sauver l’humanité, la planète et la démocratie », les Échos du 03.05.2022.

    [3] La cosmologie occidentale du naturalisme (Ph. Descola) qui sépare nature et société.

    [4] Courant de pensée originaire de la Silicon Valley qui souligne la capacité des nouvelles technologies à résoudre les grands problèmes du monde, comme la maladie, la pollution, la faim ou la criminalité.

    [5] Les deux humeurs qui diviseraient l’humanité selon Machiavel : ceux qui veulent commander et ceux qui refusent d’être commandés. De ce point de vue tout le monde voudrait commander aussi se font-ils continuellement la guerre. On oppose désormais souvent à tort les passions aux intérêts pour expliquer les conflits. Après avoir privilégié les intérêts on privilégie les passions, pourquoi ne les associe-t-on pas parfois au lieu de les opposer toujours ?

    [6] La stagflation est la situation d’une économie qui souffre simultanément d’une croissance économique faible ou nulle et d’une forte inflation (c’est-à-dire une croissance rapide des prix).

    [7] Déjà en 1979, le ministre américain de la Défense n’écartait pas la possibilité de proposer aux partenaires des États-Unis, en matière de sécurité internationale, « un accord visant à instaurer « une division du travail « entre alliés, aux termes duquel « ceux-ci assumeraient une plus grande part du fardeau de notre puissance militaire commune, dans leur propre région, alors que nous nous orienterions davantage vers la constitution de forces militaires de caractère planétaire « ». https://www.lemonde.fr/archives/article/1979/09/13/le-ministre-americain-de-la-defense-suggere-une-division-du-travail-entre-allies-pour-la-protection-des-lignes-de-ravitaillement-maritime_2783768_1819218.html

    [8] Le passage de l’arrogance à la repentance, à la reconnaissance des crimes, aux réparations. L’un des plus grands scandales, qui n’en était pas un il y a encore peu de temps, du colonialisme occidental et de l’histoire du Canada que rapportent les médias occidentaux serait le suivant : pendant un siècle et demi, entre 1831 et 1996, plus de 150 000 enfants autochtones ont été arrachés à leurs parents, placés de force dans des pensionnats, avec interdiction formelle de parler leur langue ou de pratiquer leurs rituels. La politique était de les « sédentariser, civiliser et christianiser ». https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/pensionnats. Mais ne voient-ils pas que les scandales qu’ils dénoncent aujourd’hui chez les autres étaient les leurs il y a peu ?

    [9] Dans un autre registre, on peut rapporter d’Antonio Gramsci, la maxime suivante : « le pessimisme de l’intelligence et l’optimisme de la volonté ».

    [10] Les géographes définissent un archipel comme un ensemble d’îles relativement proches les unes des autres, la proximité se doublant le plus souvent d’une origine géologique commune. Cette image permet de bien rendre compte des processus en cours et au sein de la société française. (L’archipélisation de la société française. Jérôme Fourquet. Commentaire 2019/2).

    [11] In Daho Djerbal, Lakhdar Bentobbal, mémoires de l’intérieur. Chihab éditions. 2021.

    par Arezki Derguini

    Le Quotidien d’Oran, 15 mai 2022

    #OTAN #EtatsUnis #Russie #Ukraine

  • OTAN-Russie : A quels scénarios s’attendre ?

    OTAN-Russie : A quels scénarios s’attendre ?

    OTAN-Russie : A quels scénarios s’attendre ? – Ukraine, Finlande, Suède, Turquie,

    Les discussions, assez avancées, à propos de l’adhésion de la Finlande et la Suède à l’Otan reflètent-elles vraiment un échec de Poutine et une consolation, aussi maigre soit-elle, pour les Occidentaux ? L’opération militaire engagée par la Russie en Ukraine a complètement bouleversé l’Europe, et le monde, changeant profondément les opinions des populations de pays voisins directs de la Russie, particulièrement les pays nordiques. La Finlande, qui partage avec la Russie une longue frontière de 1 340 kilomètres, semble plus que jamais pressée de conclure son adhésion à l’Otan depuis l’éclatement de la guerre en Ukraine. Avant le 24 février, à peine 20 % des finlandais souhaitaient une adhésion à l’Otan, et après cette date, ils sont plus de 65 % de voix favorables à cette adhésion.

    Selon les informations en circulation, les autorités finlandaises ont entamé les démarches de l’adhésion de leur pays à l’Otan en mars dernier, en se rendant aux Etats-Unis où les discussions à ce sujet ont été sérieusement engagées à la Maison Blanche. On voit bien que ce dossier n’a pas été ouvert hier, mais sa médiatisation outrancière, elle, ne remonte qu’à ces trois derniers jours. Pourquoi maintenant ? Cherche-t-on à perturber la concentration des Russes sur le front ukrainien ?

    L’insécurité ambiante et la peur de voir un jour la Russie se tourner contre eux, a poussé les gouvernements finlandais et suédois à faire ce choix, qui n’était pas à l’ordre depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. L’attaque militaire russe contre l’Ukraine a-t-elle fait sauter la vieille neutralité finlandaise ? A vrai dire, la neutralité de ces deux pays a pris fin en 1995, à la suite de leur adhésion à l’Union européenne et la ratification dans ce sillage des clauses de sécurité du traité de l’UE. Et si la Finlande et la Suède sont assurées de bénéficier de ces clauses de sécurité liant les pays de l’UE, soit une défense commune et solidaire en cas de menace militaire contre l’un des pays membres, pourquoi alors a-t-on besoin du parapluie de l’Otan ? Peut être à cause du fait que l’Europe n’a pas encore bien mis en place cette stratégie de défense commune, et c’est pour cette raison que les autres membres de l’UE sont presque tous membres de l’Otan, sauf Malte, Chypre, l’Autriche et l’Irlande, et bénéficient de la garantie de défense du traité de l’Otan. Deux pays en quête de protection, poussés par la Russie dans le giron de l’Otan dans le sillage de son ‘opération militaire spéciale’ en Ukraine ? Bien évidemment que cette adhésion dérangerait la Russie, qui a déployé ses troupes militaires en Ukraine pour prévenir, précisément, l’extension de l’Otan à ses frontières. Est-ce à dire, les mêmes causes produisant les mêmes effets, que la Russie va agir de la même façon avec ces deux nordiques ?

    De toute évidence, la Finlande et la Suède ne sont pas l’Ukraine, qui est la deuxième république fédérée de l’ex-URSS par sa population. La symbolique, en sus de l’importance géostratégique de cette région, ne sont plus à souligner pour la Russie. La situation reste toutefois ouverte à tous les scénarios. En attendant l’officialisation de la demande d’adhésion de la Finlande et la Suède à l’Alliance atlantique, la Turquie (membre de l’Otan depuis 1952) vient jouer le trouble-fête, affichant son opposition à ce projet (un seul membre de l’Otan peut bloquer toute demande d’adhésion), accusant ces deux pays d’être des «maisons d’hôte pour organisations terroristes».

    Abdelkrim Zerzouri

    Le Quotidien d’Oran, 15 mai 2022

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    #OTAN #Russie #Ukraine #Finlande #Suède