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Espionnage des chefs d’Etat européens : Le Makhzen accablé par les preuves
Par Mohamed Kouini
Les services secrets marocains ont été formellement accusés d’espionnage sur des dizaines de personnalités occidentales par le Parlement européen. Ces accusations sont le fruit d’une longue enquête menée par une commission parlementaire, dirigée par une députée libérale néerlandaise, Sophie In’t Veld.
Selon un rapport préliminaire, qui sera examiné et adopté prochainement, le Makhzen est directement désigné comme principal acteur de l’utilisation à grande échelle des logiciels espions, destinés à attaquer les smartphones sous IOS et Android. Le logiciel israélien Pegasus a été le principal moyen que les services de Mohamed VI avaient usé et abusé, d’une manière scandaleuse, dans leurs campagnes d’espionnage, lesquelles n’ont épargné aucun dirigeant politique européen ni même les intellectuels, les journalistes, les acteurs de la société civile ou les militants associatifs.
Ce logiciel Pegasus a été conçu et commercialisé depuis 2013 par la société israélienne NSO. Les services du Makhzen ont été les premiers clients de cette société, en exécutant une stratégie d’écoutes et d’espionnage à des fins répressives contre des entités privées, se permettant non seulement d’espionner les opposants politiques marocains mais également des activistes et autres militants des droits de l’homme qui vivent à l’étranger.
Selon les premières ébauches de ce rapport, le Maroc a utilisé ces logiciels d’espionnage en Espagne, en Italie et en France. Ainsi, le rapporteur du compte rendu, la libérale néerlandaise Sophie In’t Veld, pointe le Makhzen comme le principal utilisateur de Pegasus mais aussi de « spywares » dans différents pays européens.
« Les révélations de juillet 2021 sur le projet Pegasus ont montré un grand nombre de cibles en Espagne. Cependant, ils semblent avoir été ciblés par différents acteurs et pour différentes raisons. Ce que l’on sait jusqu’à présent, c’est que les autorités marocaines ont attaqué le Premier ministre Pedro Sánchez, la ministre de la Défense Margarita Robles et le ministre de l’Intérieur Fernando Grande Marlaska », indique le texte du rapporteur.
Dans ce rapport, il est mentionné de nombreuses preuves de cette opération de grande envergure. Ce document, qui fera encore l’objet de nombreuses modifications avant d’être voté en plénière dans les prochains jours, a également levé le voile sur d’autres actions d’espionnage ayant ciblé, cette fois-ci, de hauts responsables politiques en France.
Le texte de la commission d’enquête révèle que le président français lui-même, Emmanuel Macron, et plusieurs de ses ministres de son cabinet ont été victimes d’espionnage par le Maroc.
Même l’Italie n’a pas échappé à cette opération marocaine. Selon le même texte, les conclusions relevées par la commission d’enquête font état d’actions d’espionnage dont a été victime l’ancien Premier ministre et ancien membre de la Commission européenne, Romano Prodi qui, selon le rapport, « a été espionné avec Pegasus par les services secrets marocains ».
Selon In’t Veld Prodi, il a été « une cible intéressante » pour le Maroc en raison de son rôle d’ancien envoyé spécial de l’ONU pour le Sahel et en raison de ses « éventuels contacts avec des personnalités de haut niveau au Sahara occidental et en Algérie ».
Il va sans dire que cette vaste opération d’espionnage menée par le Makhzen n’a pas épargné d’autres personnalités politiques de haut rang dans d’autres pays européens. Des soupçons pèsent lourdement sur des actions des services marocains en Allemagne, en Belgique, aux Pays-Bas et dans les pays scandinaves.
Les scandales liés aux logiciels espions suscitent des appels à de nouvelles interdictions en Europe
Un projet de rapport du Parlement européen propose de mettre fin à l’utilisation des logiciels de surveillance dans les 27 États membres.
Un moratoire à l’échelle européenne sur les logiciels de surveillance tels que Pegasus de NSO Group et d’autres produits similaires est nécessaire pour mettre un terme aux abus, selon un projet de rapport des législateurs de l’Union européenne publié mardi.
Ce rapport a été rédigé par Sophie in ‘t Veld, membre néerlandaise du Parlement européen, qui préside une commission spéciale chargée d’enquêter sur l’utilisation des logiciels espions dans les 27 pays de l’UE.
« Dans une démocratie, mettre les gens sous surveillance devrait être une exception et il devrait y avoir des règles », a déclaré Mme in ‘t Veld.
Ce rapport fait suite à une proposition formulée en septembre par la Commission européenne, l’organe exécutif de l’UE, qui interdirait l’utilisation de logiciels de surveillance pour espionner les journalistes. S’adressant aux journalistes mardi, Mme in ‘t Veld a appelé à des restrictions encore plus larges de l’utilisation des logiciels espions par les gouvernements.
Un pays européen ne devrait être autorisé à vendre, acquérir et utiliser des logiciels espions que s’il remplit plusieurs critères, tels que la divulgation d’une liste de crimes pour lesquels il déploiera le logiciel espion et l’achat d’une licence pour l’utiliser, indique son rapport. « Nous devons renforcer l’application supranationale », a-t-elle ajouté.
Lundi, le gouvernement grec a déclaré qu’il interdirait la vente de logiciels espions après qu’un journal eut rapporté que plus de 30 personnes, dont des hommes politiques et des journalistes, avaient été placées sous surveillance par l’État.
Les rapports sur le logiciel dans les médias grecs ont provoqué un tollé ces derniers mois après qu’un politicien de l’opposition a découvert que son téléphone avait été ciblé par une variante du logiciel espion connu sous le nom de Predator, qui est fabriqué par la société Cytrox, selon Citizen Lab, un groupe de recherche de l’Université de Toronto.
La commission d’enquête du Parlement européen poursuivra ses travaux pendant plusieurs mois et votera l’année prochaine sur une version finale du rapport, qui n’est pas juridiquement contraignant. Selon Mme in ‘t Veld, l’utilisation de logiciels espions viole plusieurs lois européennes, dont le règlement général sur la protection des données, mais les gouvernements nationaux ne font pas respecter les règles. Les autorités européennes ont condamné l’utilisation abusive des logiciels espions, mais affirment que la surveillance relève de la compétence des autorités de sécurité des différents pays membres.
La Cour européenne des droits de l’homme, qui instruit les affaires de violation des droits par les États membres, a récemment souligné le rôle des gouvernements nationaux dans la réglementation de la surveillance. En septembre, la Cour a jugé que la législation hongroise ne présentait pas de garanties suffisantes dans une affaire impliquant Benedek Jávor, un ancien membre du Parlement européen qui affirmait que son téléphone était sous surveillance lorsqu’il était en fonction.
Lors d’un appel téléphonique en 2015 avec un avocat d’un groupe de défense des libertés civiles, M. Jávor a déclaré que l’appel s’était terminé soudainement. Lorsque l’avocat a appelé l’autre téléphone portable de M. Jávor, il a entendu l’enregistrement de leur appel précédent. « Les institutions européennes devraient exercer une forte pression sur le gouvernement hongrois pour qu’il modifie la législation », a déclaré M. Jávor dans une interview.
Les fabricants de logiciels d’espionnage, dont le groupe NSO basé en Israël, suscitent la controverse depuis l’apparition, il y a plus d’un an, de détails sur la manière dont certains gouvernements utilisent ces outils. Le rapport de Mme in ‘t Veld comprend une section sur NSO Group et d’autres entreprises qui vendent des logiciels similaires, dont certaines ont leur siège dans l’UE.
NSO Group n’a pas répondu à une demande de commentaire. Lors d’une audition au Parlement européen cet été, un représentant de la société a déclaré qu’elle avait vendu le logiciel à au moins cinq pays membres de l’UE.
L’année dernière, l’administration Biden a placé NSO Group sur une liste d’interdiction d’exportation, l’empêchant d’obtenir certaines technologies des États-Unis et rendant plus difficile la recherche de clients internationaux par l’entreprise. Cette mesure faisait suite à des enquêtes menées par un consortium de médias sur la vente par NSO Group de Pegasus à des dizaines de clients gouvernementaux et d’organismes d’application de la loi dans le monde entier pour l’espionnage de journalistes, de politiciens et de militants des droits de l’homme.
Les chercheurs ont indiqué que des gouvernements hors d’Europe utilisent Pegasus pour extraire des informations des téléphones. En janvier, Citizen Lab a déclaré qu’environ 35 journalistes et militants au Salvador avaient été ciblés par le logiciel espion, selon le Wall Street Journal. La police israélienne a déclaré qu’elle utilisait différents types de logiciels espions, dont un développé par NSO Group.
Les défenseurs de la vie privée ont demandé une interdiction permanente des logiciels tels que Pegasus. Le logiciel d’espionnage va au-delà de la surveillance car il permet à l’utilisateur de prendre le contrôle du téléphone de sa cible, lui donnant ainsi accès à la modification de ses données, a déclaré Fanny Hidvégi, directrice de la politique européenne et du plaidoyer de l’organisation à but non lucratif Access Now. « Il n’y a aucune garantie qui puisse rendre cette utilisation légitime », a-t-elle ajouté.
La Commission européenne prend des gants de velours lorsqu’elle traite des logiciels espions utilisés sur les citoyens, selon le chef de l’enquête sur les logiciels de piratage tels que Pegasus.
La principale eurodéputée à la tête d’une enquête sur les logiciels espions a accusé la Commission européenne d’ignorer la « grave menace pour la démocratie » que représente l’utilisation de cette technologie, et les gouvernements nationaux de ne pas coopérer à son enquête.
L’eurodéputée libérale néerlandaise Sophie in ‘t Veld a déclaré qu’il y avait une utilisation illégale de logiciels espions en Pologne, en Hongrie, en Grèce et en Espagne, et des soupçons concernant Chypre, tandis que d’autres États membres de l’UE facilitaient le fonctionnement de cette industrie « louche ».
Elle a accusé les gouvernements nationaux de ne pas coopérer à son enquête, menée par une commission spéciale du Parlement européen chargée d’examiner l’utilisation de Pegasus – un logiciel de piratage vendu par la société de surveillance israélienne NSO Group – et de logiciels espions équivalents à la suite des révélations du Guardian et d’autres médias.
Publiant son rapport intermédiaire mardi, l’eurodéputée a accusé la Commission européenne, l’organe chargé de faire respecter le droit communautaire, de garder le silence face à une menace pour la démocratie.
« La Commission est très déterminée à combattre les attaques contre la démocratie venant de l’extérieur », a-t-elle déclaré, citant son plan d’action pour la démocratie et sa réponse au rachat de Twitter par Elon Musk. Le commissaire européen au marché intérieur, Thierry Breton, avait déclaré sur la plateforme qu’ »en Europe, l’oiseau [Twitter] volera selon nos règles ».
L’eurodéputé a ajouté : « Mais … lorsque la menace pour la démocratie n’est pas un étranger lointain, mais les gouvernements des États membres de l’UE, la Commission considère soudain que la défense de la démocratie européenne n’est plus une question européenne, mais une question qui relève des États membres. La Commission montre ses muscles à Musk, mais met des gants de velours aux États membres qui utilisent des logiciels espions sur les citoyens. »
La commission Pegasus du Parlement européen – la commission d’enquête sur l’utilisation de Pegasus et de logiciels espions de surveillance équivalents – a été créée en mars 2022 après que 17 médias, dont le Guardian, ont révélé l’utilisation généralisée de logiciels de piratage par des gouvernements, dont plusieurs États membres de l’UE.
L’enquête s’est appuyée sur l’analyse médico-légale de téléphones et sur la fuite d’une base de données de 50 000 numéros susceptibles d’intéresser les clients de NSO, dont ceux du président français, Emmanuel Macron, du président du Conseil européen, Charles Michel, ainsi que d’autres responsables, personnalités de l’opposition et journalistes dans 34 pays.
Le logiciel espion transforme effectivement les téléphones des personnes en dispositifs de surveillance à leur insu, copiant les messages, récoltant les photos et enregistrant les appels.
Le député européen demande l’interdiction de la vente, de l’acquisition et de l’utilisation de logiciels espions au sein de l’UE, à moins que les États membres ne remplissent des conditions strictes garantissant une utilisation appropriée de cette technologie. Il s’agit notamment de s’assurer que des enquêtes sont menées en cas d’utilisation abusive présumée de logiciels espions et de disposer d’un cadre juridique conforme à la législation européenne sur les droits de l’homme.
Pour utiliser le logiciel espion, les États membres de l’UE seraient également tenus de coopérer avec Europol et d’abroger les licences d’exportation incompatibles avec les réglementations européennes visant à contrôler les marchandises dangereuses vendues à des régimes répressifs.
Elle a reconnu que toute réponse se heurterait à l’opposition des dirigeants européens et de leurs ministres. Le Conseil des ministres de l’UE a refusé de répondre aux questions de la commission spéciale Pegasus sur l’utilisation des logiciels espions. Dans une lettre datée du 12 octobre et consultée par le Guardian, il est indiqué que la surveillance de la législation européenne incombe à la Commission, sans fournir de réponse à aucune question.
« Certains gouvernements abusent des logiciels espions, d’autres se comportent encore correctement, mais tous utilisent le manteau de la sécurité nationale pour créer une zone de non-droit », a déclaré in ‘t Veld.
En ce qui concerne la Pologne, le rapport conclut que le logiciel espion est « une partie intégrante et vitale d’un système conçu spécifiquement pour la surveillance et le contrôle sans entrave des citoyens ».
L’utilisation de Pegasus en Pologne a été révélée pour la première fois en décembre 2021, après que l’Associated Press, avec des chercheurs du Citizen Lab de l’Université de Toronto, a rapporté que la technologie avait été utilisée contre au moins trois personnes, dont Krzysztof Brejza, un sénateur polonais qui menait la campagne du parti d’opposition Plate-forme civique.
En Hongrie, environ 300 personnes ont été visées, dont des militants politiques, des journalistes et un ancien ministre, selon le média hongrois Direkt 36, l’un des groupes de médias impliqués dans l’enquête initiale. Le gouvernement de Budapest n’a confirmé qu’en novembre dernier qu’il avait acquis le logiciel espion Pegasus, après des mois d’esquive.
En Grèce, certains signes indiquent que le logiciel espion a été utilisé « de manière très systématique et à grande échelle », selon la députée. En se basant sur les médias grecs, son rapport indique qu’au moins 33 personnes ont été ciblées – « un étonnant who’s who de la politique, des affaires et des médias ».
Le premier ministre grec, Kyriakos Mitsotakis, a confirmé que le leader de l’opposition Nikos Androulakis a été visé par un logiciel espion, ce qu’il a décrit comme une erreur qui n’aurait jamais dû se produire. Le rapport de in ‘t Veld indique qu’Androulakis a déposé une plainte officielle concernant une tentative d’infecter son téléphone avec le logiciel espion Predator, une alternative moins chère à Pegasus.
En Espagne, le rapport suggère l’existence d’un système judiciaire à deux vitesses, l’affaire d’espionnage présumé du Premier ministre Pedro Sánchez étant traitée beaucoup plus rapidement que les actions intentées contre le gouvernement espagnol par les dirigeants du mouvement indépendantiste catalan. Les téléphones de Sánchez, ainsi que ceux de ses ministres de la défense et de l’intérieur, auraient été piratés par le gouvernement marocain.
Le Maroc a nié avoir espionné des dirigeants étrangers à l’aide de Pegasus, et a déclaré que les journalistes enquêtant sur NSO étaient « incapables de prouver que [le pays avait] une quelconque relation » avec cette société.
Le président régional catalan, Pere Aragonès, a déclaré que le rapport confirmait que l’État espagnol avait espionné des dizaines de personnalités catalanes pro-indépendance simplement parce qu’elles avaient, selon ses termes, « travaillé pour la liberté de notre pays ».
L’ancien président catalan Carles Puigdemont, autre cible apparente de Pegasus, a déclaré que les conclusions du rapport montraient que l’Espagne « espionne et viole les droits fondamentaux de l’homme ».
Puigdemont, qui s’est réfugié en Belgique pour éviter d’être arrêté pour son rôle dans le référendum d’indépendance catalan illégal et unilatéral organisé il y a cinq ans, a déclaré : « L’espionnage de masse, incontrôlé et illégal est très grave, mais il l’est encore plus s’il est mené par un État et protégé par l’Union européenne. »
Le rapport a conclu que Chypre était une « importante plaque tournante européenne pour l’industrie de la surveillance », jetant le doute sur les démentis de Nicosie selon lesquels la société israélienne à l’origine de Pegasus, le groupe NSO, avait une filiale dans l’État membre de l’UE.
La Bulgarie, l’Irlande, la République tchèque et le Luxembourg ont été cités comme des pays facilitant les affaires de l’industrie des logiciels espions.
Le rapport de l’eurodéputé n’a cependant pas encore été approuvé par les 37 autres membres de la commission Pegasus du Parlement européen. Le président de la commission, l’eurodéputé néerlandais de centre-droit Jeroen Lenaers, a pris ses distances par rapport au rapport d’in ‘t Veld, déclarant que son « premier projet » ne devait pas être compris comme les conclusions du groupe. « Seul le rapport final et les recommandations, tels qu’adoptés à la fin de notre période d’activité, représentent la position du Parlement européen dans son ensemble. »
La Commission européenne a rejeté l’accusation selon laquelle elle aurait fait preuve de faiblesse face à une menace pour la démocratie. « La commission est toujours claire sur le fait que toute tentative des services de sécurité nationaux d’accéder illégalement aux données des citoyens, si elle est confirmée, y compris les journalistes et les politiciens, les opposants politiques, est inacceptable », a déclaré un porte-parole. « Les États membres doivent superviser et contrôler leurs services de sécurité pour s’assurer qu’ils respectent pleinement les droits fondamentaux, notamment la protection des données personnelles, la sécurité des journalistes et la liberté d’expression. »
Le groupe NSO a déclaré qu’il prendrait des mesures juridiques contre les clients qui violent ses accords. « Dès qu’il y a un soupçon qu’un client utilise à mauvais escient la technologie vendue par NSO, la société enquêtera et résiliera le contrat, si cela s’avère vrai », a-t-il déclaré en décembre dernier en réponse à des allégations similaires de piratage gouvernemental.
En août, la société a annoncé qu’elle nommait un nouveau directeur général interne, promettant de « veiller à ce que les technologies révolutionnaires de la société soient utilisées à des fins légitimes et dignes ».
D’après un travail d’investigation réalisé par l’hebdomadaire Documento, les traces du logiciel espion Predator auraient été détectées sur les téléphones de 33 personnes. En plus de membres de l’opposition, seraient aussi concernés des ministres en activité, leurs proches, ainsi que des journalistes et des hommes d’affaires. Les services de renseignement grecs sont placés sous l’autorité directe du Premier ministre, Kyriakos Mitsotakis. Les éditorialistes réclament des conséquences.
Le journaliste d’investigation Kostas Vaxevanis, éditeur du journal Documento, écrit :
«Tout le monde faisait l’objet d’une surveillance. Les adversaires politiques de Mitsotakis, mais aussi ses propres collègues – les ministres qui ne suivaient pas sa ligne ou qui étaient jugés imprévisibles. Le pays a été pris dans les mailles d’un filet de collecte d’informations, dont le but était la manipulation politique et le chantage – et ce système continue probablement d’opérer aujourd’hui. … La Grèce vit dans la réalité virtuelle dystopique des spectres qui hantent l’esprit de Mitsotakis. … Tous les individus sont des ennemis, des dangers potentiels. Même les personnes de son proche entourage n’ont pas échappé à ce délire de persécution.»
Ces révélations ne suscitent pas l’écho qu’elles mériteraient en Grèce, déplore le portail TVXS :
«Si les médias internationaux relaient le reportage de Documento sur ces pratiques d’espionnage, la plupart des médias progouvernementaux du pays l’occultent ostensiblement. Cette information détonante est présentée comme une nouvelle routinière, d’importance modérée, comme un accrochage parmi d’autres entre le gouvernement et l’opposition. On aurait pu penser que l’éditeur du journal qui a réalisé le reportage enchaînerait les entretiens à la télé et la radio. Or non seulement il n’en est rien, mais de surcroît, le mécanisme de propagande gouvernementale le présente comme un adversaire politique fanatique, farouchement opposé à Mitsotakis, et non comme un journaliste qui a divulgué des informations capitales.»
Le site News247 est sans voix :
«Si les ministres étaient surveillés avec la connaissance du Premier ministre, alors ce scandale d’espionnage revêt des proportions nouvelles, inédites pour un pays de l’UE. … Et si cette surveillance avait lieu sans que le Premier ministre ne soit au courant, alors le pays n’est qu’un espace ouvert aux quatre vents, sur lequel prolifèrent les logiciels espions de tout type. La promesse tardive du gouvernement d’interdire réellement la vente de logiciels illégaux n’a aucune valeur. Car jusqu’à présent, il l’a faite seulement pour empêcher que ne soit divulgué ce pan du scandale. Aucune enquête n’a été ouverte sur les sociétés qui ont commercialisé Predator, et la majorité a obstinément refusé que les représentants de ces entreprises ne témoignent devant les commissions parlementaires compétentes.»
La Grèce va interdire la vente de logiciels espions dans le cadre d’un scandale d’écoutes téléphoniques
ATHENES – La Grèce va bientôt interdire la vente de logiciels espions, a déclaré le gouvernement lundi, après un article de presse selon lequel plus de 30 personnes, dont des ministres et des hommes d’affaires, avaient été sous surveillance de l’État via des logiciels malveillants téléphoniques.
Une liste de personnes dont les téléphones auraient été infectés par le malware Predator a été publiée dimanche par le journal de gauche Documento, qui cite deux sources qui ont joué un rôle dans la surveillance au nom du gouvernement conservateur.
Le porte-parole du gouvernement, Giannis Oikonomou, a déclaré que le rapport selon lequel le gouvernement était derrière la surveillance des logiciels espions était « sans fondement ». Il a déclaré que l’État grec n’avait ni utilisé ni acheté de tels logiciels espions et a ajouté que les autorités judiciaires enquêteraient sur le dernier rapport.
La Grèce, a-t-il dit aux journalistes, soumettra bientôt un projet de loi au parlement interdisant la vente de logiciels espions. « Nous ne laisserons subsister aucune ombre sur les problèmes qui empoisonnent la société grecque », a-t-il déclaré.
Le rapport Documento était le dernier développement d’un scandale d’écoutes téléphoniques qui a déclenché un tollé politique en Grèce, alors que l’Union européenne examine de plus près l’utilisation et la vente de logiciels espions. Un procureur grec a ouvert une enquête plus tôt cette année.
La plupart des cibles présumées, dont un ancien Premier ministre conservateur et les actuels ministres des Affaires étrangères et des Finances, ont refusé de commenter ou ont déclaré au journal qu’elles n’étaient pas au courant de l’affaire.
En juillet, le chef de l’opposition socialiste Nikos Androulakis a déposé une plainte auprès des principaux procureurs pour avoir tenté de mettre son téléphone portable sur écoute avec un logiciel de surveillance. Le gouvernement, qui fait face à des élections en 2023, a déclaré à l’époque que la surveillance était légale car elle avait été approuvée par un procureur.
Un procureur grec enquête également sur les allégations d’un journaliste selon lesquelles son smartphone aurait été infecté par un logiciel de surveillance lors d’une opération des services de renseignement grecs.
Une commission parlementaire européenne spéciale ( PEGA ) qui enquête sur l’utilisation de Pegasus et de logiciels espions de surveillance similaires a conclu une visite en Grèce et à Chypre la semaine dernière.
« Cette question doit être urgemment et pleinement clarifiée avant les élections de l’année prochaine », a déclaré Sophia In ‘T Veld, de la délégation de la commission, aux journalistes en Grèce.
Maroc, Mohamed Ziane, Mohammed VI, Makhzen, Abdellatif Hammouchi, Pegasus,
Il s’inquiète de la dérive de son pays, avec un roi absent qui semble se dessaisir de ses pouvoirs étendus. Et il dirige ses fléchettes, sans crainte de représailles, vers le cercle qui entoure le monarque, à commencer par le tout-puissant chef de la police et des renseignements, Abdellatif Hammouchi. Mohamed Ziane (Malaga, 1943) ne s’inquiète pas des conséquences de ses paroles, les plus dures exprimées de l’intérieur du Maroc, où la censure et la répression ont tout dépouillé.
Ziane connaît bien les tenants et les aboutissants du makhzén – l’entourage de Mohammed VI – car il en a fait partie pendant des décennies. Il a servi Hassan II et dans la première phase du règne de son fils jusqu’à ce qu’il prenne ses distances et devienne un oiseau rare, un opposant singulier. Ziane était ministre des droits de l’homme, député et fondateur du parti libéral marocain. Il affirme à ce jour être le premier et le seul haut fonctionnaire marocain à avoir démissionné de son plein gré, devant les caméras de la télévision locale.
Né d’un père marocain et d’une mère espagnole, Ziane se targue d’avoir combattu le franquisme, mais affirme avoir « choisi d’être marocain ». « Je me sens très espagnol, c’est sûr. J’ai choisi d’être marocain. C’est mon souhait », répond-il en espagnol avec une touche du sud. « Au milieu des années 1950, il y avait les révolutions d’indépendance et un romantisme révolutionnaire et j’ai choisi d’être marocain parce que cela signifiait construire un nouveau pays, lutter contre l’impérialisme et le colonialisme, croire en des valeurs universelles auxquelles je continue de croire », argumente-t-il. « Aujourd’hui, je peux me demander si j’ai pris la bonne décision. Je ne sais pas, mais je ne vais pas le changer à 80 ans. Je ne vais pas changer le fusil de chasse sur mon épaule ou mon parcours », ajoute-t-il.
Ziane, avocat connu et infatigable, aime perdre les batailles, les affaires difficiles. Il fait partie des dissidents victimes de l’espionnage de Pegasus, dont la vie privée constitue un chantage permanent pour Rabat, et a récemment été condamné à trois ans de prison après avoir été reconnu coupable de 11 chefs d’accusation. Au cours du long entretien accordé à The Independent, il parle librement et ne s’effondre qu’au souvenir de son fils, actuellement derrière les barreaux dans ce qu’il considère comme un complot. « Il a emprisonné mon fils au motif stupide qu’il a fabriqué des masques pour les vendre dans une clinique », se plaint-il alors que des larmes coulent sur son visage.
Question : Comment se présente le Maroc depuis Rabat ?
Réponse : Il y a un malaise généralisé. Tout le monde se demande ce qui se passe dans le pays et qui le dirige. Et c’est très grave. Quand la réponse des responsables est que le roi peut diriger un pays depuis l’étranger, je leur dis : un roi peut diriger un pays depuis l’étranger quand il est un roi qui n’a pas de pouvoir exécutif. Cependant, lorsque vous avez les pouvoirs dont dispose le roi Mohammed VI, il est difficile de comprendre qu’un dirigeant puisse se permettre le luxe de vous dire : je peux gérer 40 millions de Marocains de l’étranger en utilisant le zoom, comme nous le faisons maintenant, ou WhatsApp. Je trouve la blague très forte.
On se demande où est le roi et pourquoi il est hors du Maroc, et aussi pourquoi les hauts fonctionnaires veulent nous convaincre que c’est normal, alors que c’est totalement anormal. Vous pouvez diriger un pays de l’extérieur, du moins d’une manière très artificielle et formelle, mais si vous devez prendre des décisions alors qu’il y a une guerre en Europe et un conflit au Sahara, avec l’Algérie comme voisin… Vous devez trouver une solution avec la Tunisie, parce qu’elle n’est pas un voisin mais elle est si proche qu’elle semble l’être. Quand il y a un problème comme la reconnaissance de l’État d’Israël, qui est très dur pour le peuple marocain, et qu’il se permet la fantaisie ou le luxe de ne pas être présent pour décider concrètement de ce qui doit être décidé, je vois qu’il y a un malaise général dans le pays et honnêtement, je ne sais pas comment cela va se terminer.
Il y a un vide de volonté d’exercer le pouvoir, ce qui est pire qu’un vide de pouvoir.
Q.- Y a-t-il une vacance du pouvoir au Maroc ? R.- Plus qu’un vide de pouvoir, il y a un vide de volonté d’exercer le pouvoir. Ce qui est encore pire. Vendredi prochain, la Constitution prévoit que le Roi doit se présenter et inaugurer la session d’automne des deux chambres, qui est la plus importante. Le budget de l’État est présenté. En octobre et novembre, il doit y avoir des réunions et des arbitrages sur le budget et la situation est très difficile avec les prix actuels du pétrole, avec le fait que l’Algérie a fermé le gazoduc qui passait par le Maroc et dont nous profitons. Que tout cela se passe et que le roi est absent, aujourd’hui nous ne savons pas s’il va y avoir une augmentation des impôts ou s’il va y avoir un apport de crédits étrangers ou de crédits internationaux et s’il va y avoir une augmentation des salaires pour répondre à cette augmentation du coût de la vie. Mais ce sont des problèmes très difficiles.
C’est une façon très cool de gouverner un pays qui est à deux pas de l’Europe et qui a des problèmes avec une frontière à Ceuta et Melilla.
Q.- Qui gouverne effectivement le pays ? A. – Probablement les amis du roi. Il y a un responsable de la vie économique, en collaboration avec le chef du gouvernement, qui est responsable parce qu’il est un ami du roi. Ce sont deux personnes qui vont décider, je ne sais pas si c’est sous le contrôle ou la présidence effective du roi ou, selon eux, dans leur propre intérêt. Sur le plan politique, il y a aussi un autre qui se dit ami du roi, celui qui s’occupe des problèmes avec les partis politiques, et il est probablement accompagné du chef de la police et du chef du contre-espionnage pour ce qui est de la sécurité intérieure de l’État.
Mais il me semble difficile que l’arbitrage du budget se fasse en dehors d’un Conseil des ministres et en dehors de la présence du Roi, qui gouverne. Si l’on présume que le roi règne et qu’il y a un gouvernement qui dispose effectivement du pouvoir exécutif, alors que l’on sait d’avance que ce n’est pas le cas, il est difficile d’accepter que la loi de finances soit présentée dans une situation internationale comme celle que nous connaissons actuellement. C’est une façon très cool de gouverner un pays qui est à deux pas de l’Europe et qui a des problèmes avec une frontière à Ceuta et Melilla, et aussi avec l’Union européenne. Tout cela est très complexe et très délicat.
Q.- Quelle serait la solution ? Faut-il envisager une abdication et une transition rapide vers votre fils ? R.- Je ne sais pas si c’est une solution constitutionnelle. Si c’est le cas, le fils aura bientôt 19 ans. Comme il aura 18 ans, il existe un conseil de régence qui a un pouvoir consultatif, mais il disparaît lorsqu’il a 19 ans. Le conseil de régence durerait trois ou quatre mois en tant que conseiller. Ce serait une bonne chose, car cela permettrait que pendant les quatre ou cinq mois où ils sont maintenant sous la tutelle de certaines personnes qui, au Maroc, n’ont aucune légitimité ou popularité pour dire qu’ils représentent le peuple. Ce sont des gens fidèles à un État qui est plus passé que futur. La situation sociale et économique du pays est si grave qu’informer le peuple que nous allons vivre une transition dans la succession au trône est capable de faire descendre les masses dans la rue et de servir d’impulsion. Et cela serait très difficile à supporter pour le Maroc.
Le pouvoir au Maroc est composé de personnes fidèles à un État qui est plus passé que futur. La situation sociale et économique du pays est très grave.
Q.- Je comprends que vous penchez vers une transition immédiate ? R.- En tout cas, on ne peut pas continuer ainsi, parce qu’aujourd’hui il y a une agitation qui ne donne pas confiance. Ce n’est pas la confiance des étrangers pour venir investir au Maroc, c’est la confiance d’un peuple qui sent qu’il a des institutions ou un roi qui prend ses responsabilités. Qui prend ses responsabilités au Maroc ? Quand un peuple ressent une telle inquiétude, je pense que le risque est très grand.
Qui assume la responsabilité au Maroc ? Quand un peuple ressent une telle agitation, le risque est très grand.
Q.- Le risque de révoltes ? R.- Les masses ne sont généralement pas intelligentes, mais elles sont dangereuses. Dans la situation actuelle, je ne pense pas qu’il soit approprié de déclencher des émeutes et une révolte de masse. D’abord, parce que les masses ne sont pas intelligentes et que nous ne savons pas où elles peuvent nous mener. Et deuxièmement, parce que croire que les choses peuvent être résolues par la répression est une folie au 21ème siècle. Mais, en fin de compte, il y a des imbéciles partout dans le monde, malheureusement. Et le problème n’est pas qu’au XXe siècle, il y avait moins d’imbéciles, mais qu’ils avaient du mal à atteindre les postes de décision. Aujourd’hui, ils y parviennent très facilement, non seulement au Maroc mais aussi dans de nombreux pays européens.
Q.- Que sait-on au Maroc de l’activité quotidienne de Mohammed VI ? R.- Au Maroc, nous ne savons rien. Nous ne savons pas s’il est malade, s’il est hospitalisé, s’il s’occupe de sa mère, s’il se promène dans les rues, s’il fait des courses, s’il rencontre quelqu’un… Nous ne savons rien. Nous attendons comme des bohémiens vendredi prochain pour savoir comment il va, comment il se porte et s’il vient au Maroc ou s’il va faire son discours au parlement sur internet. L’ignorance est la pire chose qui puisse arriver à une personne. Et cela arrive avec une personne qui prétend être le peuple et que le peuple vit émotionnellement. La situation n’est pas très agréable.
Q.- Je ne sais pas si vous lisez le Maroc d’aujourd’hui comme un pays dans lequel une partie de la population veut fuir, y compris le monarque… R.- Que la majorité des gens veulent émigrer, c’est sûr. Vous pouvez voir ce que les conseillers municipaux d’une municipalité très importante comme Berkane ont fait, ils sont allés à une réunion en Hollande et là ils ont dit : au revoir, je ne retourne pas dans ce pays parce que je n’ai rien à y faire. Le système judiciaire a abandonné la rectitude. Je n’ai aucun doute là-dessus. Les tribunaux ne vont pas fonctionner d’une manière indépendante du pouvoir. Ils n’appliquent même pas la loi de nos jours. Et c’est très grave.
L’ignorance est la pire chose qui puisse arriver à une personne. Et cela arrive à une personne qui prétend être le peuple et que le peuple vit émotionnellement.
Q.- Cela donne l’impression que le roi veut aussi fuir… R.- Le plus grave est que le roi ne pense pas à retourner au Maroc. Et s’il n’y pense pas, nous voulons savoir pourquoi. S’il veut aussi fuir. S’il ne veut pas être roi, c’est son problème. S’il n’en peut plus, s’il n’est pas intéressé, s’il ne veut pas ou ne se voit pas continuer à être monarque sous cette pression pour des raisons de santé ou pour des raisons de fantaisie ou de romantisme, c’est son problème. S’il ne veut pas être roi, qu’il ne le soit pas. Personne ne peut forcer une autre personne à faire ce qu’elle ne veut pas être. Nous sommes totalement d’accord sur ce point, mais il faut l’expliquer et convaincre les gens que la bonne personne a été choisie pour endurer ce que le Maroc et le monde entier vont endurer au cours de la prochaine décennie.
Q.- Comment voyez-vous les relations hispano-marocaines aujourd’hui ? R.- Il y a eu un changement dans la politique marocaine, qui était la fermeture des frontières de Ceuta et Melilla. C’est une décision très difficile qui a été endurée par le peuple marocain, par le covid. S’il n’y avait pas eu le coronavirus, il aurait été la mèche qui aurait déclenché l’explosion sociale. C’est ce que subit le Nord, mais je ne pense pas que la solution soit de continuer à fermer les frontières. Je suis d’avis que les zones autour de Ceuta et Melilla doivent être développées. Ce serait la solution idéale pour l’Europe en termes d’émigration. Le plus important serait qu’au lieu d’aller fabriquer en Chine, l’Europe vienne fabriquer dans le nord du Maroc, notamment dans les zones de Ceuta et Melilla, où nous devrions trouver une solution qui offre des garanties aux investisseurs et aux habitants des deux zones.
Q.- Le Maroc va-t-il continuer à revendiquer Ceuta et Melilla ? R.- Je pense que c’est une chose du passé. Ce que nous devons trouver, ce sont des solutions intelligentes. Notre avenir est en Europe. C’est pourquoi je crois à la souveraineté partagée. Ce que nous devons faire, c’est créer de grandes zones internationales intégrées où nous pouvons investir et concurrencer la Chine. Le Maroc doit faire un effort en matière d’indépendance de la justice et de respect des valeurs universelles communes. L’homme vit de rêves, car s’il avait cru que se poser sur la lune n’était pas possible, il n’y serait jamais parvenu.
Q.- En Espagne, nous ne connaissons toujours pas les véritables raisons du changement de position de l’Espagne sur le conflit du Sahara. On a parlé de chantage marocain ? R.- Si vous faites référence à Pegasus, j’en ai moi-même été victime. Ce que la police politique marocaine m’a fait est absurde et criminel. Du point de vue de la déontologie, c’est très amer. Ce en quoi je crois, ce sont les déclarations de l’Espagne aux Nations unies et c’est la même chose que celle de l’ensemble de l’Union européenne. Il faut convaincre les deux parties, le Polisario et le Maroc, pour ne pas dire l’Algérie et le Maroc, même si aujourd’hui le Polisario est plutôt l’ »Argelsario ».
Ce n’est pas Pedro Sánchez qui pourrait changer les choses entre le Maroc et le Sahara.
Une solution doit être trouvée et le Conseil de sécurité des Nations unies est le cadre approprié pour trouver une solution à ce problème. L’Espagne peut aider à trouver la solution, mais croire qu’elle peut être résolue en dehors du cadre des Nations unies est impossible. Dire des choses, c’est une chose. Il est vrai que la proposition marocaine est un grand effort et il doit y avoir un effort de l’autre côté et ensemble nous devons trouver la bonne solution. Il serait sage de pouvoir résoudre cette question, ce différend très amer, car nous devons nous dépêcher de nous développer, non seulement sur le plan économique et social, mais aussi sur le plan culturel, moral et des valeurs. Nous devons trouver des valeurs communes. Je connais un peu le fonctionnement de l’Espagne et ce n’est pas Pedro Sánchez qui pourrait changer les choses. Nous serons toujours à l’écoute du Conseil de sécurité.
Q.- Vous êtes très critique à l’égard d’Abdellatif Hammouchi, le chef de la quasi-totalité de la police marocaine, de la police nationale (DGSN) et des services secrets (DGST). Ne craignez-vous pas ses représailles ? A.- Il a emprisonné mon fils au motif stupide qu’il a fabriqué des masques pour les vendre dans une clinique. Nous avons apporté la preuve que la clinique n’existe pas. Ils ont dit que mon fils avait fait des masques dans une entreprise et l’entreprise dit qu’ils n’ont jamais vu mon fils. Et pourtant, il est en prison depuis trois ans et demi. Et c’est très difficile à supporter. Ensuite, un jour, il m’a fait chanter avec une vidéo dans laquelle il dit que je suis nue et que ce que vous pouvez voir est mon dos.
Face à toute l’humanité, je suis le seul à ne pas pouvoir reconnaître que la forme de son postérieur est moi, mais une personne qui le connaît bien est ma femme et elle dit que ce n’est pas moi. Imaginez que ça ne me fait pas parler avec sympathie de ce type. C’est quelqu’un qui n’a jamais rien défendu, qui n’a aucune légitimité et aucune popularité. Il y a l’histoire à dormir debout selon laquelle il est très important parce qu’il a facilité la lutte contre le terrorisme, dites-le à son frère ou à son cousin. C’est faux. Un effort mondial a été déployé, tant par les sociétés civiles que par les gouvernements, et il nous a permis d’arrêter une folie. Nous devons être fiers de ce que nous avons accompli. Aujourd’hui, le terrorisme n’existe peut-être plus sous la forme sous laquelle il a triomphé à l’origine.
Q.- Pourquoi le Maroc a-t-il fait de l’espionnage une arme non seulement contre le monde extérieur, mais aussi contre son propre peuple ? Tant de limites ont été franchies… R.- C’est pourquoi nous voulons savoir où se trouve le Roi et depuis combien de temps il est malade et qui décide aujourd’hui et depuis combien de temps il est malade ; nous devons savoir quand cette situation de maladie du Roi a commencé, s’il est malade. Il a été signalé qu’il a contracté le covid. Je l’ai eu trois fois et je suis vivant et je vous parle. Covid n’est pas un gros problème. C’est pourquoi il est important de savoir qui est responsable des décisions prises au Maroc. Ce que le peuple marocain demande est clair.
Le ministère des affaires étrangères marocain, se battre avec ses voisins, est une chose puérile à faire.
Q.- Êtes-vous inquiet de la vision agressive que le monde extérieur a du Maroc ? Pour l’instant, Rabat a des problèmes avec la France, l’Algérie et la Tunisie…… A.- Cela m’inquiète beaucoup. Nous avons oublié les pays scandinaves, la Belgique et l’Allemagne, alors il vaut mieux s’arrêter et ne pas chercher plus loin, car nous allons atteindre les cinq continents. Quand on commence à perdre la sympathie du monde, on se demande qui est responsable. Ce sont des enfantillages, car je n’ai aucune raison de me battre avec un étranger alors que ce que je veux, c’est le convaincre qu’aussi mauvais que je sois, nous devons avoir des relations humaines. Sinon, personne ne nous aimera.
Le peuple marocain est bien conscient de cette situation et c’est pourquoi nous ne pouvons pas supporter plus longtemps de ne pas connaître la vérité, car tout le monde finira par quitter le Maroc, et c’est ce qui va se passer. Ce que l’on a appelé le printemps arabe s’est très mal terminé, pour de nombreuses raisons. Cela signifie que les gens ne veulent plus changer la nature ou la forme des régimes ; ce qu’ils veulent, c’est partir une fois pour toutes. Au Maroc, nous ne croyons plus à la possibilité de changer le pays. Et cela ne peut pas être. L’Europe et l’Occident doivent changer leur mentalité à l’égard de l’immigration et des peuples du tiers monde, et ils doivent nous aider à récupérer nos richesses et à mettre au pouvoir des personnes qui veulent les valoriser pour le développement des peuples. Sinon, il n’y a pas d’autre solution.
Les gens ne veulent pas changer la nature et la forme des régimes ; ce qu’ils veulent, c’est en sortir une fois pour toutes.
Q.- Considérez-vous que le Maroc est une dictature ? A.- Le Maroc est un pouvoir personnalisé et absolu. Ce n’est pas Saddam Hussein ou Kadhafi ou Hitler ou Staline, mais c’est un pouvoir très personnel et absolu.
Q.- Une société peut-elle vivre du patriotisme ? R.- Non. Ni par patriotisme, ni par expansionnisme. C’est une absurdité du 19ème siècle. Ce n’est même pas au 20ème siècle que cela a été accepté. Au 21e siècle, ne pas croire à l’universalisme est une folie.
Q.- Mais n’est-ce pas la recette suivie au Maroc ? R.- C’est ce qu’ils croient inculquer et c’est ce sur quoi le régime marocain s’appuie. Je peux assurer au régime marocain que croire au patriotisme en 2022, c’est croire aux dents d’une dinde. Cela me semble totalement absurde.
Ni le patriotisme ni l’expansionnisme ne sont nécessaires pour vivre. C’est une absurdité du 19ème siècle.
Q.- Vous étiez un fidèle serviteur du majzem de Hassan II et de Mohammed VI. Aujourd’hui, vous êtes un farouche opposant… R.- J’ai travaillé avec Hassan II et Mohammed VI pour imposer mes idées et réussir à les convaincre d’appliquer mes objectifs, mes projets et ma façon de voir les choses. Je ne me suis pas mis au service d’un quelconque pouvoir économique, policier ou politique. J’ai été ministre et j’ai démissionné lorsqu’il y a eu une folle campagne contre la contrebande de marchandises et de drogues, parce que ce n’est pas la façon d’agir et parce que c’est contraire aux droits de l’homme. J’avais également de nombreux conflits à cette époque. Il ne faut pas se laisser emporter par l’aventurisme ni sacrifier un peuple, mais il ne faut pas non plus s’accommoder de ce qui existe aujourd’hui.
Q.- Vous étiez ministre des droits de l’homme et vous avez démissionné. Un cas unique dans votre pays… A.- Il y avait aussi un conseiller du roi qui a démissionné quand ils ont voulu nationaliser le commerce agricole. Et il y a eu un ministre qui a démissionné, accusé d’être guidé par ses intérêts personnels. J’ai été le seul à aller à la télévision et à dire que je partirais s’ils ne changeaient pas leur politique.
Q.- Les hommes politiques espagnols et marocains se ressemblent beaucoup à cet égard. A Madrid, comme à Rabat, même Dieu ne démissionne pas… A.- [rires] Vous devez comprendre que la sphère qui entoure les personnes au pouvoir facilite l’enrichissement et qu’il y a beaucoup d’avantages. Les êtres humains sont très stupides, malheureusement, c’est le moins que l’on puisse dire.
Before the Israeli Pegasus, Morocco used the computer control software of the private company Hacking Team to spy on the activities of the UN Secretariat General, related to the Western Sahara issue. According to confidential documents, Morocco is the third largest client of this Italian company and has paid more than 3 million euros to Hacking Team. Including 1.19 million euros for the Moroccan DST, 1.93 million euros for the CSDN (Supreme Council of Defense, chaired by Mohammed VI).
These serious revelations come from 400 gigabytes of information extracted from the website of the company Hacking Team and published by anonymous hackers. The Milan-based company sells spyware for hundreds of thousands of euros to countries and security services that flout virtual ethics, including Morocco. Several confidential documents of the UN Department of Peacekeeping Operations (DPKO) stolen by the Moroccan services have been revealed by the hacker who acts under the pseudonym of Chris Coleman.
Other documents seem to emanate from other services dependent on the UN General Secretariat. Among these documents, the minutes of meetings of the UN Secretary General with the Minister of Foreign Affairs, Ramtan Lamamra, and with the Chadian President, Idriss Déby. Morocco had set up three monitoring points. In Rabat, with massive surveillance tools from the French company Amesys (Bull-France). In Casablanca and Tangier, with offensive security tools from Hacking Team and Vupen (France) respectively.
According to the NGO, Reporters Without Borders, Hacking Team’s software was identified on the computers of the offices of the Moroccan news website Mamfakinch, a few days after this media had received the Breaking Borders Award 2012 by Global Voices and Google. Malware had been deployed there, via a Word document, which claimed to contain important confidential information.
Shortly thereafter, the electronic site « Algérie Patriotique » published two confidential documents fraudulently stolen by Morocco to learn about Algeria’s intentions. These are the minutes of meetings between the Minister of Foreign Affairs, Ramtane Lamamra, and the UN Secretary General, Ban Ki-moon.
Let us note in passing that the content of these talks proves that Algeria has no double talk and does not plot against anyone. Algeria’s only concern is peace in the region. So why does the Makhzen want to spy on its neighbor?
It is an established fact that Algeria’s diplomatic activities prevent the Makhzen’s people from getting any sleep. Algeria is active internationally and particularly on issues affecting the region facing a major destabilization operation, including through armed conflict in Libya, a situation conducive to the development of terrorist groups, which has had an extension in Mali and a dramatic impact also in Tunisia, as evidenced by the recent attack in Sousse.
This does not please the Moroccan leaders who are doing everything to sabotage the Algiers roadmap on Mali and efforts to bring the conflicting parties in Libya together. The Makhzen is enraged every time Algeria makes progress in this direction. And even more so, when Algeria’s foreign partners give it the thumbs up.
« Algeria plays a key role in the peace process in Mali. I welcome the collaboration of Algeria, Mali’s neighbors, regional organizations and my Special Representative in developing a roadmap in Algiers. It is essential that all relevant actors continue to work together to support the political process, » noted UN SG Ban Ki-moon in the PV hacked by the Makhzen.
Regarding Libya, the UN Secretary General wrote: « I encourage Algeria to support the efforts of my new Special Representative, Bernardino León, to reach a comprehensive agreement on the future of the transition in Libya.
The site Privacy International addresses the issue in the following post:
Facing the Truth: Hacking Team leak confirms Moroccan government use of spyware
On July 6th, the company Hacking Team was hacked: over 400GB of administrative documents, source code and emails are now available for download.
Documents from the hack confirm once again the claims made in our report Their Eyes on Me, the Moroccan intelligence services made use of Hacking Team’s spyware ‘Remote Control System’ to target those whom they perceive as their opponents. The documents show the two intelligence agencies in the country have been renewing their contracts and are currently still using the piece of spyware. Over the past six years Morocco has spent more than €3 million on Hacking Team equipment.
Among the documents, a client list showed that the two Moroccan intelligence agencies – the High Council for National Defence (CSDN) and the Directory of Territorial Surveillance (DST) – have both purchased Remote Control System. The CSDN first acquired it back in 2009 and the DST obtained it in 2012.
In total Morocco spent €3,173,550 to purchase the licenses and maintain the product. In 2015 alone, the CSDN spent €140,000 and the DST €80,000 for spyware that can reach respectively up to 300 and 2,000 targeted devices.
The contracts were both signed through Al Fahad Smart Systems, an Emirati company that acts as an intermediary for government and private companies seeking to purchase “security services”.
The documents also reveal that the Moroccan Gendarmerie was listed as an “opportunity” for 2015 and expected to obtain €487,000 from them.
The documents arrived two months after the Moroccan government threatened members of Moroccan civil society with a lawsuit following the publication in Morocco of the Privacy International report ‘Their Eyes on Me’. The report was a series of testimonies of activists who had been targeted by Hacking Team spyware.
In a press release relayed by the press agency MAP, the Government said they had “filed a lawsuit against some people who prepared and distributed a report which includes serious accusations of spying by its services”. And they added that “(the) ministry has asked for an investigation to identify people behind such accusations to try them by the competent court ».
The staff of our partner organisation in Morocco reported that their neighbours and family members were interrogated by the police following the announcement.
All the claims stated in the report were in fact backed by research from the Citizen Lab, an interdisciplinary research group affiliated to the University of Toronto. Back in 2012, they had identified the use of Remote Control System against Mamfakinch, a collective of citizen journalists, whose stories are documented in our report.
Emails from Hacking Team employees, spotted by The Intercept, reveal that their opinion of the Moroccan government had remained untainted. David Vincenzetti, the CEO of Hacking Team, wrote to his colleagues in a recent email: “The King of Morocco is a benevolent monarch. Morocco is actually the most pro-Western Arab country, national security initiatives are solely needed in order to tighten stability.”
Those revelations are, however, yet more evidence that the reality of the Moroccan regime is very different from the public image the Government likes to spread. Far from a liberal Kingdom led by a benevolent monarch, Morocco is in fact yet another regime that has been caught red-handed using highly invasive technology to spy on journalists and pro-democracy activists. And when their wrongdoing is exposed, the government attempts to discredit the solid work of independent researchers and to silence local activists.
Le 3 mars 2022, Omar Radi est condamné par la cour d’appel de Casablanca à six ans de prison pour deux affaires totalement distinctes – « viol » et « espionnage » – instruites et jugées lors du même procès, à rebours de toute logique judiciaire. Le journaliste marocain, dont le piratage du téléphone par le logiciel Pegasus avait été révélé par un rapport d’Amnesty International en juin 2020, travaillait alors à une enquête au long cours sur les expropriations foncières. Une investigation qui lui avait déjà valu des menaces et pour laquelle il avait commencé à collecter des documents : acte notarié, vidéos, photos… Grâce à ces éléments, auxquels nous avons eu accès, et après plusieurs mois d’enquête pour poursuivre son travail, Forbidden Stories révèle aujourd’hui comment des terres tribales ont servi à l’enrichissement de proches du roi. Plongée au cœur d’une machine à cash.
Par Cécile Andrzejewski avec Hicham Mansouri
La voix chaleureuse d’Ihsane El Kadi invite d’emblée à l’écoute. Directeur des médias indépendants algériens Radio M et Maghreb Emergent, il officie comme présentateur de l’émission « L’invité du direct » sur Radio M, « La petite radio du grand Maghreb ». À l’antenne, on le devine heureux de recevoir son invité du jour, le 22 décembre 2019.
« Amis auditeurs de radio M, nous avons le très grand plaisir d’accueillir ce matin, dans « L’invité du direct » Omar Radi, journaliste indépendant au Maroc », se réjouit-il. Avant de lancer la discussion sur des réalités de l’investigation au Maghreb, et au Maroc en particulier, puis sur l’enquête en cours d’Omar Radi sur l’expropriation des terres au royaume chérifien.
« Je travaille avec une tribu, au Nord de Rabat, Ouled Sbita, raconte-t-il. Ils ont été virés de leurs terres agricoles où il y avait une forêt. La forêt [a été] rasée, on a mis à sa place un terrain de golf et on a privatisé la plage (…). On a mis des centaines de villas et de logements de luxe. Nous sommes dans une logique de prédation foncière. »
Comme à son habitude, le journaliste va droit au but, cash et sans tergiversations.
Quelques jours plus tard, de retour au Maroc, Omar Radi est convoqué par la police, arrêté et placé en détention, au prétexte d’un tweet vieux de plusieurs mois où il s’en prend à un juge. Après une semaine, il est libéré à titre provisoire, suite à une campagne massive de soutien. « J’ai été puni pour l’ensemble de mon œuvre », estime-t-il alors auprès de Forbidden Stories. Le journaliste habitué à travailler sur les liens entre pouvoir et business dans son pays, depuis longtemps critique de l’appareil d’État marocain, est loin de se douter que ses ennuis ne font que commencer.
Lauréat en 2019 d’une bourse de la Bertha Foundation – une ONG basée à Londres cherchant à « soutenir les militants, les storytellers et les avocats œuvrant pour la justice sociale et les droits humains », au moment de son arrestation, Omar Radi est occupé à scruter les violations des droits fonciers au Maroc, notamment via l’instrumentalisation de la notion « d’expropriation pour utilité publique ». Il s’est donné pour mission de lancer un site Internet, Aradi, « terre » en arabe, rassemblant toutes les informations relatives aux politiques foncières du pays. Il n’en aura jamais l’occasion.
En juin 2020, Amnesty International et Forbidden Stories révèlent que son téléphone a été infecté par le logiciel espion Pegasus. Le début d’un long calvaire qui aboutira à sa condamnation le 3 mars 2022 à six ans de prison ferme pour « viol » et « atteinte à la sécurité intérieure de l’État » avec « financement de l’étranger » – deux dossiers distincts, pourtant instruits et jugés conjointement.
Dans la première affaire, une ancienne collègue au journal le Desk, pour lequel travaillait Omar Radi, l’accuse de l’avoir violée dans la nuit du 12 au 13 juillet 2020. Le journaliste, lui, reconnaît une relation consentie.
Dans la seconde affaire, il a été reproché à Omar Radi d’avoir rencontré des officiels néerlandais, considérés comme des « officiers de renseignement » par le parquet. Parmi les autres éléments à charge: des missions d’audit effectuées par le journaliste auprès de deux sociétés de conseil économique britanniques, qui lui valent d’être accusé de leur avoir « fourni des informations de l’ordre de l’espionnage », et la bourse de la Fondation Bertha pour son travail sur la dépossession des terres tribales.
Un verdict « inique » pour l’association Human Rights Watch (HRW). « Les charges pour espionnage étaient irrecevables parce que basées sur rien. Quant à l’accusation de viol, elle aurait mérité un procès juste, autant pour l’accusé que pour la plaignante » a déploré Ahmed Benchemsi, le directeur de la communication et du plaidoyer pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord de l’ONG après la condamnation.
De fait, plusieurs ONG et enquêtes journalistiques dénoncent l’instrumentalisation par le régime marocain de la lutte contre les violences sexuelles à des fins politiques et sécuritaires, afin de faire taire les opposants. D’autres journalistes ont eux aussi été poursuivis pour adultère, avortement, relations sexuelles hors mariage ou agression sexuelle, entre autres. Selon un décompte de RSF, 9 journalistes et 3 collaborateurs de médias sont à ce jour en prison au Maroc.
« Un cadre de vie exceptionnel »
Une des pistes suivies par Omar Radi avant ses déboires judiciaires mène à une trentaine de kilomètres au Nord de Rabat, sur les terres des habitants du douar Ouled Sbita, un village à deux pas d’un bord de mer paradisiaque.
Dans cette zone où la pression immobilière se fait de plus en plus en forte, elles aiguisent les appétits. En l’espèce, c’est le promoteur immobilier Addoha qui a jeté son dévolu sur elles, dès l’automne 2006, pour y déployer son projet de la Plage des Nations.
« Un lieu particulier [qui] cristallise à la fois l’échec du développement, le mal-développement, mais aussi l’injustice et la prédation », décrivait Omar Radi dans un brouillon d’article peu avant son arrestation. « Un cadre de vie exceptionnel été comme hiver », vante Prestigia, la filiale luxe d’Addoha sur son site Internet. Contactés, ni le service communication de l’entreprise, ni son avocat n’ont donné suite à nos demandes d’entretien.
À l’époque du lancement du projet de la Plage des Nations, le PDG d’Addoha, Anas Sefrioui, une des plus grandes fortunes du Maroc, fait partie de l’entourage du roi Mohammed VI. Plus précisément, le businessman serait un proche de Mounir Majidi, secrétaire personnel du monarque et gestionnaire de la fortune royale. Le nom de ce dernier est par ailleurs apparu dans les Panama Papers, lié à deux sociétés dont il a bien été l’administrateur mais qui « ont été créées de façon totalement légale et transparente vis-à-vis des autorités marocaines et étrangères », selon son avocat.
Cette proximité d’Anas Sefrioui avec l’entourage royal agace certains concurrents du promoteur immobilier. Un homme d’affaires marocain, décédé depuis, Miloud Chaâbi va jusqu’à accuser l’entreprise Addoha de bénéficier de faveurs de l’État. Dans une allusion à peine voilée, il s’en prend ainsi à « ceux qui s’offrent terrains et fonciers à des prix symboliques ». En 2013, le propre cousin du roi Mohammed VI, le prince Hicham, soutient lui aussi qu’Addoha est « lié au palais ».
Anas Sefrioui serait tombé en disgrâce deux ans plus tard. Mais en 2007, lorsque le projet de la Plage des Nations est lancé, sa côte de popularité atteint des sommets dans l’entourage royal. Cette année-là, « la société Addoha a commencé à s’intéresser à nos terres, dénonce Mohamed Boudouma, un des habitants en lutte, auprès de France 24, en février 2017. Notre tribu a été approchée par des représentants de l’État qui voulaient [en] acheter les portions littorales. Des délégués, que nous n’avons pas choisis, ont négocié en notre nom avec le ministère de l’Intérieur, lequel est propriétaire de ces terres, selon une loi héritée de l’époque coloniale. Nous n’en avons qu’un droit d’usage. Ces délégués nous ont floués en disant que ces terres le long du littoral seraient vendues au roi. En réalité, elles ont été vendues à la société Addoha », pour son projet Plage des Nations.
C’est précisément sur cette manipulation que travaillait Omar Radi. « Les Ouled Sbita sont une tribu de paysans, qui vivent dans un endroit magnifique, près de Rabat », décrit-il en 2020 auprès de la Bertha Foundation.
« Un jour, ils ont reçu une notification d’expropriation. Les autorités ne leur ont pas demandé de partir, elles leur ont expliqué que Sa Majesté avait besoin de ces terres et que, pour cette raison, la tribu devait les quitter. Comme les habitants ont cru que le roi voulait ce terrain, pour le bien du Maroc, ils ont accepté. » Avant de s’apercevoir de la tromperie, explique le journaliste.
LES MEMBRES DE LA TRIBU ONT DÉCOUVERT QUE C’EST FINALEMENT UNE ENTREPRISE TOTALEMENT PRIVÉE, ADDOHA, QUI A RÉCUPÉRÉ CES TERRES.
Une législation coloniale Car les terres des Ouled Sbita ont un statut spécial. Il s’agit de terres collectives, régies par une loi remontant à l’époque coloniale : le dahir du 27 avril 1919. Ce décret royal les rend inaliénables, incessibles et intransmissibles, tout en les plaçant sous la tutelle du ministère de l’Intérieur. Concrètement, la tribu qui y vit en a l’usufruit mais pas la propriété.
La gestion revient à une assemblée de représentants de la collectivité, les nouab en arabe. Les mêmes dont Mohamed Boudouma remettait en cause la légitimité auprès de France 24. De fait, ces nouab ne sont pas élus, mais simplement désignés par les autorités locales, avec dans les faits, quasiment aucun pouvoir pour s’opposer aux consignes du ministère de tutelle.
« Avec sa tutelle, l’État peut mobiliser une partie des terres collectives pour des projets d’intérêt général », retrace le juriste Ahmed Bendella.
La règle de 1919 ne va pas beaucoup changer après l’indépendance. Pire, cette loi coloniale va devenir un outil du Makhzen (selon l’expression marocaine désignant l’administration et le pouvoir du pays, ndlr) pour se constituer une assiette foncière à bas coût, quand ses propres ressources terriennes s’amenuisent. Et pour cause.
« S’étendant sur une superficie estimée à 15 millions d’hectares (selon les propres estimations du Ministère de l’intérieur marocain en 2013, ndlr), cette catégorie foncière est particulièrement touchée, aujourd’hui, par l’intensification de l’accaparement des terres agricoles et pastorales au profit de projets économiques de grande envergure », écrit la politologue Yasmine Berriane en 2015.
« Avec l’expansion urbaine, ces terres jusque-là dévalorisées ont commencé à intéresser, elles ont soudain pris un énorme potentiel, continue Ahmed Bendella. La possibilité de céder des terrains reste à une double condition : au profit d’un organisme public et pour un projet d’utilité publique, comme la construction d’une école, de bâtiments administratifs, de routes… »
Une exigence qui disparaît en 2019, à l’occasion de la refonte de la loi. Mais en 2007, quand les terres du douar Ouled Sbita attirent l’attention des promoteurs, il n’est pas encore question de revoir la législation. À cette époque, impossible pour le privé de récupérer ce domaine.
Officiellement du moins. Car, un subterfuge, couvert par l’État, va permettre à Addoha de mettre la main sur les terres des Ouled Sbita. C’est ainsi que le terrain va être vendu à un établissement public, comme la loi l’autorise, par la tribu, représentée par… le Secrétaire d’État à l’intérieur, au nom de la tutelle de l’État sur les terres collectives. Ce même établissement public va ensuite remettre le domaine à l’entreprise qui a en fait avancé le prix de vente. Rendant ainsi légale l’opération d’achat normalement interdite par la loi.
L’institution financière publique en embuscade
« Comme ce serait illégal que la cession se déroule directement en faveur du privé, elle se fait au profit d’institutions étatiques qui cèdent ensuite la terre aux investisseurs », détaille une spécialiste du sujet ayant requis l’anonymat. Une manière de contourner la loi pour permettre au secteur privé de s’accaparer les terres normalement protégées par l’État. Omar Radi s’apprêtait justement à décortiquer ce tour de passe-passe.
D’après un acte de réquisition qu’il s’était procuré, « le 21 octobre 2010, « la collectivité ethnique Ouled Sbita », représentée par le Secrétaire d’État à l’Intérieur, a vendu à la Caisse de Dépôt et de Gestion, représentée par son Directeur Général, la totalité de la propriété dite « Bled Ouled Sbita », située à Salé, Bouknadel, Plage des Nations, consistant en une parcelle de terrain nu, d’une superficie approximative de 355 hectares ». La Caisse de Dépôts et de Gestion (CDG) y déclare ensuite, dans « un acte reçu par le Notaire le même jour » que la propriété en question « a été acquise pour le compte de la Société Anonyme « Douja Promotion Groupe Addoha » qui a effectivement avancé la totalité du prix de vente ». En clair, la collectivité n’ayant pas la capacité juridique de vendre elle-même sa terre, c’est l’État, en vertu de sa tutelle, qui a cédé les terres des Ouled Sbita à la CDG, établissement public. Et la société Addoha, qui a avancé l’argent, les a ensuite récupérées auprès de la CDG. Le document ne mentionne cependant aucun prix de vente.
Avant son arrestation, Omar Radi a transmis à la Bertha Foundation ce document central pour l’enquête : l’acte de réquisition, dévoilant le subterfuge ayant permis à Addoha de mettre la main sur les terres des Ouled Sbita (Photo : Omar Radi).
Au sein du ministère des finances, sous couvert d’anonymat, un cadre décrypte : « Comme il s’agit de terres collectives, un type de foncier spécifique, la CDG, en tant qu’établissement public, a joué le rôle de portage. Ça se fait souvent, c’est une manière de détourner la procédure. Dans un schéma de dépossession d’une collectivité tribale de ses terrains. » Une opération légale pour maquiller un arrangement avec la loi.
Institution publique marocaine créée en 1959, la Caisse de Dépôts et de Gestion a pour mission de centraliser et gérer les fonds d’épargne de la Caisse nationale de sécurité sociale, de la Caisse d’épargne nationale et la Caisse nationale de retraites et d’assurances.
Dotée d’une autonomie financière, la CDG, qui n’a pas répondu à nos demandes d’interview, entretient des relations privilégiées avec « des groupes et entreprises privés connus pour leur proximité du pouvoir politique », d’après les chercheurs Mohamed Oubenal et Abdellatif Zeroual. Parmi ces sociétés, Addoha.
Si l’on en croit le même cadre anonyme du ministère des finances, c’est justement en raison de ces liens étroits entre la CDG et Addoha que l’établissement a servi dans cette opération triangulaire. « Il fallait une troisième partie pour blanchir l’affaire. » Pour lui, le document de réquisition que s’est procuré Omar Radi « démontre de façon claire et évidente la connivence des parties pour détourner la loi. »
LE MINISTÈRE DE L’INTÉRIEUR SAVAIT. C’EST PIRE QUE L’EXPROPRIATION, CES GENS ONT ÉTÉ DÉPOSSÉDÉS DE LEUR TERRAIN.
Cette dépossession était au cœur du travail d’Omar Radi. La lutte des Ouled Sbita contre l’entreprise Addoha aussi. Et c’est en s’intéressant de plus près à cette société que Forbidden Stories a découvert que le scandale va plus loin encore : l’histoire de la Plage des Nations s’avère certainement liée à un délit d’initié, qui aurait enrichi les plus proches du roi. Car si les habitants du douar ont été approchés par le promoteur immobilier en 2007, le projet de la Plage des Nations a lui été annoncé dès 2006. En grandes pompes.
Le 11 novembre 2006, « [Sa Majesté] le Roi préside la signature de deux mémorandums d’entente relatifs à des investissements touristiques et immobiliers à Rabat. Une enveloppe de près de 11 milliards de dirhams (1 milliard d’euros, ndlr) pour la réalisation d’un parc zoologique (4,7 milliards de Dhs – près de 450 millions d’euros, ndlr) et l’aménagement de la plage des Nations, (6 milliards de Dhs – plus de 560 millions d’euros, ndlr), comprenant des milliers de résidences, plusieurs hôtels, restaurants (…), écrit l’agence de presse du royaume. Ces mémorandums d’entente [ont été ] conclus entre l’Etat et le Groupe Addoha. »
C’est donc sous les yeux du souverain qu’est lancé le projet de la Plage des Nations, qui aboutira à l’expulsion de la tribu. Avant même que celle-ci n’en soit informée.
Mais l’affaire s’avère plus fumeuse encore. Car le 10 novembre, à la veille de ces prestigieuses annonces, la valeur de l’action Addoha va exploser. Une drôle de coïncidence qui nécessite de remonter le cours de l’actualité boursière de l’époque. En juillet 2006, la société Addoha introduit 35 % de son capital en Bourse. L’opération, juteuse, rapporte 2,7 milliards de dirhams (soit 270 millions d’euros) à Anas Sefrioui – ironie du sort, si l’on en croit plusieurs sources, lui-même aurait été réticent à cette ouverture de capital et n’aurait cédé qu’à la suite de pressions en haut lieu. La valeur d’Addoha décolle rapidement et le cours de l’action ne cesse d’augmenter.
Jusqu’à l’explosion ce fameux vendredi 10 novembre 2006. Ce jour-là, « la place de Casablanca est en pleine ébullition. Dans les sociétés de Bourse, les ordres d’achat et de vente pleuvent dès l’ouverture. La coqueluche de la cote, Addoha, dépasse les 2000 dirhams (…). Les traders surexcités ne savent plus où donner de la tête. Les échanges sur le titre totalisent un milliard de dirhams », raconte alors Le Journal hebdomadaire – le périodique indépendant a mis la clé sous la porte en 2010, étranglé par les procédures baillons.
Cette folie boursière trouvera finalement son explication le lendemain avec la signature par le groupe Addoha de ces deux mémorandums d’investissement avec l’État, présidée par Mohammed VI en personne.
Une semaine plus tard, Noreddine El Ayoubi, alors directeur général d’Addoha, détaille les ambitions du groupe pour ce qui constitue encore le terrain de la tribu Ouled Sbita. « Il s’agit de la réalisation d’un pôle touristique à la Plage des Nations sur une assiette foncière de plus de 450 ha » – soit une centaine d’hectares supplémentaires que ce qui sera signé ensuite avec les représentants de la collectivité. « Ce projet comprend une zone résidentielle, des hôtels, un parcours de golf de 18 trous, des équipements de loisirs ainsi qu’une zone commerciale. » Un plan colossal ne tenant qu’à la possibilité d’exploiter ces terres collectives.
« Si ce n’est pas du délit d’initié, ça y ressemble… »
L’envolée boursière suscite rapidement les critiques. Dans ce même article du Journal hebdomadaire, un trader s’interroge : « Si ce n’est pas du délit d’initié, ça y ressemble à s’y méprendre. » L’affaire sera bien vite enterrée par le gendarme de la Bourse marocain, le Conseil déontologique des valeurs mobilières (CDVM, depuis remplacé par l’Autorité marocaine du marché des capitaux ou AMMC), qui n’a pas donné suite à nos demandes d’entretien. Et il faut creuser profondément pour retrouver les traces d’un début d’investigation.
C’est en se plongeant dans les quelques 600 pages du premier volume du rapport annuel de la Cour des Comptes de 2010, qu’on tombe sur une critique de la Cour à l’égard du CDVM. Le gendarme de la Bourse aurait classé « sans une instruction approfondie » certains dossiers relatifs à de possibles délits boursiers. Celui de « l’affaire AD », par exemple. Des initiales bien mystérieuses qui renvoient en fait… à Addoha.
« On ne fait pas apparaître les noms dans les rapports, explique un magistrat de la Cour. Mais on fait allusion à l’organisme et aux années. En faisant attention, on peut bien entendu arriver aux concernés. » Tout semble fait pour que ces affaires passent inaperçues. La preuve, en dehors de nos confrères de Lakome, personne n’avait établi de lien entre la société « AD » du rapport de la Cour des comptes et l’entreprise Addoha.
Une fois ce nom de code déchiffré, on comprend donc que, concernant les soupçons de délit d’initié ayant pesé sur Addoha, le CDVM a bien ouvert une enquête « suite au constat, lors de la surveillance, de mouvements massifs d’achat sur la valeur à l’approche de la publication des deux communiqués de presse de la société ».
Mais cette investigation a, d’après la Cour, eu l’honneur d’un « traitement spécial » : « Le dossier n’a pas fait l’objet de discussion [au conseil d’administration du CDVM] et le directeur général du CDVM a décidé son classement, le 26 septembre 2008, sans en préciser les motifs ».
Contactée, Dounia Taârji, directrice générale du CDVM au moment des faits, a décliné notre demande d’entretien, nous expliquant que « les enquêtes du CDVM étant couvertes par un engagement de confidentialité, [elle n’était] pas en mesure de répondre à nos questions. ».
La Cour des comptes écrit cependant dans son rapport que cinq individus, dont les noms ont été anonymisés, ont bel et bien été suspectés de délit d’initié.
Le CDVM s’est en effet penché sur des « personnes ayant un lien familial avec les dirigeants ou de fonction avec la société » qui auraient « [dégagé] des plus values considérables se chiffrant à des millions de dirhams ». Plus précisément, près de 200 millions pour l’une (soit 20 millions d’euros), 2, 6, 11 ou 29 millions pour les autres (de 200.000 à 2,9 millions d’euros).
De ces suspects, rien ne sera dévoilé, si ce n’est donc leur lien avec la société, par leur famille ou leur poste dans l’entreprise. Surtout, d’après plusieurs observateurs, les bénéficiaires réels de ce probable délit d’initié ne sont pas à chercher de ce côté.
« Vous ne trouverez jamais l’identité de ceux sur lesquels le CDVM a enquêté », affirme Aboubakr Jamai, journaliste marocain, en exil depuis 2007, fondateur du Journal Hebdomadaire et ancien directeur de la version francophone de Lakome, aujourd’hui professeur d’économie à l’université d’Aix en Provence.
Il est vrai que la répression féroce qui s’abat au Maroc sur les journalistes, lanceurs d’alerte et opposants porte ses fruits. Peu de sources contactées acceptent de nous parler sur cette affaire, pourtant vieille d’une quinzaine d’années. Et les rares téméraires se risquant à nous répondre ne le font que sous couvert d’anonymat.
Dans le rapport du CDVM, seuls sont pointés des salariés d’Addoha ou des proches de Monsieur Sefriou, or selon Aboubakr Jamai, « l’enrichissement aurait surtout concerné l’entourage du roi. » Un autre connaisseur de la royauté renchérit, sous couvert d’anonymat : « Au départ, des proches du roi ont acheté Addoha, puis il y a eu ces annonces qui ont catapulté la boîte : la Plage des Nations, le zoo… Le Palais a carrément présidé la signature. Et au fur et à mesure que l’action a explosé, ils ont empoché la plus value. Ils ont gagné beaucoup d’argent dans cette affaire. » Selon cette source, le foncier sert régulièrement de machine à cash aux fortunes au royaume.
LA FAÇON LA PLUS CLEAN D’IMPRIMER DU BILLET DE BANQUE, C’EST DE PRENDRE UN BOUT DE TERRE QUI NE VAUT RIEN ET DE LE TRANSFORMER EN TERRE QUI VAUT UNE FORTUNE.
Par exemple, en bâtissant des villas de standing sur des terres collectives expropriées à une tribu.
« Ce terrain nous l’avons acquis à 50 Dhs/m² (environ 5€/m²), soit 225 millions de dirhams (un peu plus de 22 millions d’euros, ndlr) », précise en 2006 Noreddine El Ayoubi, directeur général du groupe Addoha à Aujourd’hui Le Maroc.
Combien vaut désormais le m² à la Plage des Nations ? Sur son site, le promoteur propose plusieurs biens. Par exemple, des lots de terrain sur mesure, « parcelles qui vous permettront de construire la demeure de vos rêves sur golf dans un cadre idyllique », vendues à 3500 Dhs/m² (environ 350 €/m²), soit 70 fois plus que la somme accordée aux Ouled Sbita. Certes, comme le rappelle à La Libre Belgique Saad Sefrioui, directeur général d’Addoha jusqu’en mars dernier et neveu d’Anas Sefrioui, « les terres étaient nues, il a fallu investir dans la connexion au réseau d’eau et d’assainissement, en plus de la construction ».
Mais comment le terrain des Ouled Sbita a-t-il pu être cédé à un tarif aussi bas, au regard de son exceptionnelle location ?
« Dans la majorité des cas, il n’y a pas d’utilité publique dans les expropriations »
Les autorités utilisent en fait l’expropriation pour utilité publique « pour obtenir des terres quasiment gratuitement. Une grande partie des terres ainsi obtenues servent à enrichir le secteur privé », affirmait Omar Radi auprès de la Bertha Foundation. Il est vrai que le problème de l’écart entre l’indemnisation accordée et le prix de vente sur le marché s’avère récurrent. « La même administration peut me dire que mon terrain vaut 20.000 Dhs/m² quand je subis un redressement fiscal mais qu’il n’en vaut en réalité que 30 Dhs/m² si je suis exproprié », ironise un expert.
Dans un discours tenu face au Parlement le 14 octobre 2016, Sa Majesté Mohammed VI évoque « ces nombreux citoyens [qui] se plaignent des affaires d’expropriation », déplorant que « le montant de l’indemnisation [soit] en deçà des prix de vente en vigueur ».
À raison, car le référentiel des prix utilisé par les impôts pour connaître les tarifs de l’immobilier n’est pas celui auquel le ministère des finances a recours pour déterminer la valeur d’un terrain exproprié. C’est pourtant bien une commission administrative, où siègent des représentants de la direction des impôts et des domaines, entités du ministère des finances, qui fixe le prix des terres expropriées.
Mais « les montants des indemnisations ne reflètent pas la réalité », reconnaît Lahcen Maazizi, directeur des affaires administratives et juridiques au Ministère de l’Équipement et de l’eau, lors d’une rencontre sur « l’expropriation pour cause d’utilité publique » organisée par son ministère, les 15 et 16 mars derniers. Khalid Sbia, inspecteur des finances au ministère de l’Économie, y démontre que le prix de la terre fixé par l’administration lors de l’expropriation peut être 8 fois, 20 fois, voire 40 fois inférieur à celui décidé par la justice en cas de litige. « Il y a un vrai problème : soit ces comités [administratifs] sont hors de toute réalité, soit ce sont les décisions judiciaires qui le sont », commente-t-il.
Les participants à cette rencontre vont plus loin encore. Ils remettent en cause, purement et simplement, le principe même d’expropriation pour utilité publique. La notion n’a en fait jamais été définie dans la loi, selon Hamid Oulad Leblad, conseiller à la Cour de Cassation. Khalid Sbia, l’inspecteur des finances pointe aussi sans détour « le manque d’une définition juridique ». « Les décisions judiciaires et la jurisprudence ont montré que dans la majorité des cas il n’y a pas d’utilité publique dans les expropriations. » Voilà qui a le mérite d’être clair.
Ce constat n’est pas sans rappeler les interrogations des habitants du douar Ouled Sbita. « On nous a dit que le promoteur immobilier venait pour le bien commun. Mais est-ce que construire des golfs et des villas, c’est agir pour le bien commun ? », questionne ingénument Saïda Seqqat, auprès de Libération en 2017. Ironie de l’histoire : quinze ans après son lancement, le projet n’est toujours pas terminé.
« La zone commerciale prévue n’a jamais vu le jour, regrette Michel*, propriétaire depuis 2012 d’une villa de 450 m², avec piscine privée et jardin de 150 m², obtenue à l’époque pour environ 350 000 euros (3,5 millions de dirhams). Beaucoup de gens ont acheté mais n’habitent pas sur le site, ils viennent seulement l’été ou le louent pour les vacances. Ça bloque l’implantation de commerces. Il y a une petite épicerie, mais c’est tout. En dehors des mois d’été, sans voiture, vous ne pouvez rien faire. On est très loin de l’objectif du projet, ils ont vu trop grand. »
Dans l’attente du passage de son affaire en Cour de cassation, Omar Radi est toujours condamné à six ans de prison. Il lui en reste quatre à passer derrière les barreaux.
*Le prénom a été modifié.
LES ENQUÊTES SENSIBLES D’OMAR RADI
En 2013, Omar Radi obtient le Prix du journalisme d’investigation IMS-AMJI pour son enquête sur l’exploitation des carrières de sable. Il y dénonce l’opacité du système d’agréments qui permet l’exploitation de ces carrières et notamment l’implication de sociétés domiciliées dans des paradis fiscaux qu’il identifie en épluchant les registres du commerce.
En 2016, l’affaire dite « des serviteurs de l’Etat » fait scandale au Maroc. Omar Radi ne signe pas l’enquête mais il est à l’origine de la fuite de données à l’origine du scandale. Les documents qu’il parvient à se procurer montrent que des terrains très coûteux ont été offerts gracieusement à des personnalités proches des autorités marocaines.
En octobre 2017, son travail sur le mouvement de contestation du Rif dit le « Hirak » lui vaut une garde à vue de 48h. Cette année-là, Omar Radi réalise – avec ATTAC Maroc – un film documentaire sur le sujet, « Mourir plutôt que vivre humilié », qui retrace le soulèvement des habitants de la région d’Al Hoceima au nord du pays. Le récit commence avec la mort de Mohsen Fikri, un vendeur de poissons broyé dans une benne à ordure alors qu’il tente de s’opposer à la saisie de sa marchandise. Au Maroc, l’événement déclenche un mouvement de protestation qui prend une tournure de plus en plus politique au fil des mois. En mars 2020, Omar Radi est condamné à 4 mois de prison avec sursis pour avoir fustigé la condamnation de membres du Hirak.
Le Maroc réhabilite l’architecte de Pegasus et expose sa rencontre avec le directeur du CNI
Abdellatif Hammouchi, chef de la police marocaine, a brisé un tabou dans le monde du renseignement en publiant un communiqué et des photos d’une rencontre avec Esperanza Casteleiro, chef des espions espagnols.
Par Ignacio Cembrero
Au cours de sa décennie à la tête du Centre national de renseignement (CNI), le principal service secret espagnol, le général Félix Sanz Roldán s’est rendu plusieurs fois au Maroc, mais toujours dans le plus grand secret, comme il est d’usage dans ce type de visite. L’actuelle directrice des espions espagnols, Esperanza Casteleiro Llamazares, s’est rendue jeudi à Rabat pour la première fois. Les autorités marocaines ont médiatisé sa visite en diffusant plusieurs photos et en publiant un communiqué qui a surpris son hôte, qui était persuadé que son séjour serait discret. Le directeur a rencontré Abdellatif Hammouchi, 56 ans, qui est à la fois directeur de la Sécurité nationale et de la Direction générale de la surveillance du territoire (DGST), la police secrète. Jamais un chef de la police n’a détenu autant de pouvoir dans l’histoire du Maroc, plus que l’actuel ministre de l’intérieur, Abdelouafi Laftit. M. Casteleiro a également eu un entretien avec Yassine Mansouri, chef de la Direction générale des études et de la documentation, le service de renseignement extérieur, mais cet entretien n’a pas été rendu public.
« L’objectif de la réunion est de renforcer la coopération bilatérale entre le Maroc et l’Espagne dans divers domaines sécuritaires d’intérêt commun », souligne le communiqué de la DGST. Pour souligner l’importance de la réunion de Rabat, les collaborateurs d’El Hammouchi ont envoyé des photographies de la réunion à des journalistes espagnols appartenant à des médias favorables aux autorités marocaines.
Hammouchi était déjà à Madrid les 16 et 17 juin au retour d’un voyage aux États-Unis et, selon l’hebdomadaire « L’Observateur du Maroc », dirigé par Ahmed Charai, un collaborateur des services secrets marocains, selon une décision de justice de 2015, il a rencontré ses homologues espagnols de la « sécurité et des renseignements ». Le ministère de la défense, dont dépend le CNI, a nié qu’il ait rencontré Esperanza Casteleiro. Le supercopain marocain est revenu en Espagne, sur la Costa del Sol, cet été pour des vacances en famille.
Hammouchi est également considéré comme le cerveau derrière l’utilisation massive par le Maroc du logiciel malveillant israélien Pegasus, introduit dans les téléphones portables de plus d’un millier de politiciens européens, principalement français, de journalistes et de militants des droits de l’homme et d’opposants marocains, comme l’a révélé le 18 juillet 2021 Forbidden Stories, un consortium de 17 grands médias. « Abdellatif Hammouchi, le super-flic marocain, au cœur du scandale Pégase », titrait « Mediapart », l’un des journaux les plus influents de France, le 22 juillet 2021, après avoir rappelé que parmi les victimes de ce « malware » figuraient le président Emmanuel Macron et 14 ministres. « Abdellatif Hammouchi, l’espion marocain qui met la France en difficulté », faisait la une de l’hebdomadaire « Le Point ».
Les autorités marocaines ont toujours nié avoir acquis et utilisé ce « malware », mais dans une interview publiée le 27 décembre par le quotidien « Le Monde », l’actuel Premier ministre israélien, Yaïr Lapid, n’a pas nié que la société israélienne NSO avait vendu la licence au Maroc. Il a répondu : « C’est une licence très stricte : nous avons exposé tout le matériel dont nous disposions aux autorités françaises ». La visite de M. Lapid à Paris et celle de son collègue de la défense, Benny Gantz, ont contribué à apaiser les tensions avec la France.
En brisant un tabou et en médiatisant aux quatre vents la visite du directeur du CNI à Rabat, Hammouchi tente de blanchir son image et de montrer que, malgré l’épisode Pegasus, il reste un interlocuteur valable et apprécié de ses collègues responsables des services secrets européens, selon des sources familières du monde du renseignement. Trois membres du gouvernement espagnol, le président Pedro Sánchez et ses ministres de la défense et de l’intérieur, ont également été victimes de ce programme israélien malveillant au printemps 2021, comme l’a révélé en mai le ministre de la présidence, Félix Bolaños. Le gouvernement a alors déposé une plainte auprès de l’Audiencia Nacional.
Personne au sein du gouvernement espagnol n’a alors désigné le Maroc comme l’auteur possible de l’espionnage des téléphones portables, bien que les dates du piratage coïncident avec le moment de plus grande tension dans la crise hispano-marocaine : l’entrée de plus de 10.000 immigrants illégaux à Ceuta en mai 2021. Des rapports confidentiels du CNI en possession de l’exécutif en indiquent également la paternité marocaine. La ministre des affaires étrangères de l’époque, Arancha González Laya, a également été « piratée » à ces dates, selon ce que le Centre national de cryptologie lui a dit après avoir analysé son téléphone portable. L’ancien ministre l’a reconnu dans une interview publiée le 8 juin dans « El Periódico de España ». Elle s’est plainte que tout a été utilisé contre elle « dans la crise avec le Maroc : écoutes, dénonciations et campagnes de presse ». Le 3 mai, le quotidien britannique « The Guardian » a également révélé que 200 autres téléphones portables espagnols avaient été ciblés par les services secrets marocains, mais sur cette liste, seuls quatre numéros ont été divulgués à ce jour, dont celui de la célèbre militante sahraouie Aminatou Haidar. La liste des téléphones mobiles français infectés s’élève à environ 1000.
Suite à la plainte de l’exécutif, le juge d’instruction de la Cour Suprême, José Luis Camala, a demandé le 5 mai qu’une commission rogatoire soit envoyée en Israël afin d’interroger les dirigeants de NSO. Quatre mois plus tard, aucune réponse n’a été reçue. Le gouvernement espagnol, pour sa part, n’a demandé aucune explication à Israël, selon une source israélienne. L’exportation de Pegasus nécessite une autorisation du ministère israélien de la défense, car il est considéré comme une cyber-arme. La cyber-attaque Pégasus a généré des tensions entre la France et le Maroc qui persistent encore. Preuve en est qu’Emmanuel Macron n’a pas reçu à l’Elysée le roi Mohammed VI, qui vit à Paris de manière quasi continue depuis le 1er juin. Il ne lui a pas non plus téléphoné pour s’enquérir de son état de santé lorsqu’il a contracté la covidie à la mi-juin. La diplomatie française a drastiquement restreint les visas accordés aux Marocains, et certains d’entre eux n’hésitent pas à demander ce document dans les consulats espagnols au Maroc, puis à se rendre en France via une escale dans un aéroport espagnol, respectant ainsi la réglementation Schengen (espace européen de libre circulation).
Abdellatif Hammouchi n’a plus officiellement mis les pieds en France depuis le 20 février 2014, date à laquelle la police judiciaire française a tenté, en vain, de le faire comparaître devant un juge d’instruction qui enquêtait sur deux plaintes déposées contre lui pour torture par deux Marocains représentés par des avocats de l’Association des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT), composée de catholiques, évangéliques et orthodoxes. Avant que le scandale Pegasus n’éclate, il a tout de même effectué plusieurs visites officielles en Espagne, dont la dernière en septembre 2019, lorsqu’il a été décoré, sur ordre du ministre de l’Intérieur Fernando Grande-Marlaska, de la Grand-Croix de l’Ordre du Mérite de la Garde civile. Cinq ans plus tôt, en octobre 2014, c’est un autre ministre de l’Intérieur, Jorge Fernández Díaz, qui avait fait approuver par le Conseil des ministres une autre décoration pour l’invité marocain, la Grande Croix honorifique du mérite policier.
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Le droit à la vie privée est de plus en plus menacé par l’utilisation de technologies numériques modernes en réseau, dont les caractéristiques en font des outils de surveillance, de contrôle et d’oppression, selon un nouveau rapport des Nations unies, exhortant les Etats à mieux encadrer et réglementer ces outils.
Le rapport du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH) a ainsi examiné trois domaines clés : l’utilisation abusive d’outils de piratage intrusifs (logiciels espions) par les autorités publiques, le rôle clé des méthodes de cryptage robustes dans la protection des droits de l’homme en ligne, et les impacts de la surveillance numérique généralisée des espaces publics, à la fois hors ligne et en ligne.
Le document de l’ONU décrit en détail comment des outils de surveillance tels que le logiciel Pegasus peuvent transformer la plupart des smartphones en dispositifs de surveillance 24 heures sur 24. De tels outils permettent ainsi à l’intrus d’accéder non seulement à tout ce qui se trouve « sur nos mobiles, mais aussi de les armer pour espionner nos vies », a-t-elle souligné.
Pegasus, un scandale international
En juillet 2021 une enquête mondiale menée par des médias internationaux a révélé l’utilisation, entre autres, par le Maroc du logiciel d’espionnage Pegasus mis au point par l’entreprise sioniste NSO Group. Des journalistes marocains et internationaux ainsi que des hommes politiques étrangers figurent parmi les victimes de ce logiciel.
Selon Omaima Abdeslam, représentante du Front Polisario à Genève « le Maroc n’a pas seulement espionné ses citoyens, mais tous ceux qui parlent des violations marocaines au Sahara occidentale, notamment les activistes sahraouis » et même des hauts responsables européens à l’image des certains ministre et cadres français, ajoute-t-elle.
Ce scandale international a été révélé par seize rédactions coordonnées par l’organisation Forbidden Stories, avec l’appui technique d’Amnesty International, se basent sur une liste de plus de 50 000 numéros de téléphone, présélectionnés par certains clients de NSO Group pour une éventuelle mise sous surveillance.
Pegasus qui permet de prendre le contrôle d’un téléphone, donne accès à l’intégralité du contenu de l’appareil ainsi qu’à son microphone et à sa caméra. A côté du Maroc, une dizaine d’autres pays ont été pointés du doigt par les auteurs de l’enquête journalistique baptisée Projet Pegasus.