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  • Le PJD et l’histoire de la politique partisane au Maroc

    Le PJD et l’histoire de la politique partisane au Maroc

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    Le 8 septembre, les citoyens marocains ont infligé au Parti de la justice et du développement (PJD) une défaite écrasante aux urnes et ont retiré ce qui était essentiellement un mandat de 10 ans pour la primauté partisane dans le pays. Peut-être tirée par la combinaison des élections locales et parlementaires, la participation électorale officielle a atteint plus de 50 %, ce qui est historiquement élevé pour le Maroc. Le PJD est passé de 125 sièges au parlement de 2016 – sur un total de 395 – à seulement 12, choquant même ses adversaires les plus ardents.

    Cela a incité de nombreux commentateurs à déclarer la mort de l’islam politique et la fin du printemps arabe. Cependant, comme certains l’ ont fait valoir , ces prédictions ont été grandement exagérées. La défaite du PJD ne se comprend pas non plus dans les épreuves et tribulations régionales de l’islam politique, ni dans le contexte du printemps arabe (qui, selon votre degré d’optimisme, a été soit enterré au début de 2013 soit persiste jusqu’à aujourd’hui malgré de grandes difficultés en Algérie et au Soudan). Au contraire, ce qui est le plus instructif, c’est l’histoire récente du PJD lui-même, en tant que parti politique indépendant au Maroc. L’histoire de la politique partisane marocaine et la manière dont la monarchie marocaine a géré ses relations avec des partis politiques indépendants similaires sont également instructives.

    Surprendre les experts

    La défaite a surpris la plupart des observateurs, y compris le PJD et ses adversaires. Rien n’indiquait que les pertes électorales du PJD seraient si lourdes. Les données d’enquête menées au Maroc et parmi les projets comparatifs ont indiqué un degré de satisfaction relativement élevé de la part des citoyens marocains à l’égard de la performance du gouvernement. Selon l’indice de confiance 2021 de l’Institut marocain d’analyse des politiques, la confiance dans le gouvernement marocain a plus que doublé entre 2020 et 2021. Ces chiffres se démarquent par rapport à la région : printemps 2021, le Maroc placé plus hautdans la confiance du gouvernement et la satisfaction de la performance du gouvernement (y compris la réponse à la pandémie) dans sept pays interrogés du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord. Saadeddine Othmani lui-même a vanté ces résultats dans le cadre de sa stratégie de campagne lorsqu’il s’adressait à la presse locale sceptique.

    Tout en essayant de s’approprier le crédit, Othmani ne faisait pas que des slogans. Le gouvernement marocain a géré la pandémie avec un succès relatif. Les fermetures ont été ciblées, les éruptions ont été rapidement traitées et les taux d’infection étaient raisonnables pour un pays de la taille du Maroc. Fait important, le déploiement du vaccin a été efficaceet un appétit pour le vaccin relativement élevé par rapport aux autres pays de la région. Le gouvernement marocain est apparu comme le seul gouvernement régional épargné par la pandémie, selon les chiffres du Baromètre arabe (contrairement à la Jordanie, où les taux d’approbation étaient initialement élevés puis ont chuté en raison de la gestion de la pandémie). En tant que parti qui dirigeait officiellement (mais peut-être cérémonieusement) ce gouvernement, il aurait été raisonnable de s’attendre à ce que le PJD soit récompensé pour cette performance, au moins électoralement.

    De plus, la compétition du PJD laissait beaucoup à désirer. Ses rivaux partisans avaient subi des crises de réputation récentes et ne s’en sortaient pas forcément mieux devant l’opinion publique. Aziz Akhannouch, leader du Rassemblement national des indépendants (RNI), victorieux, a été la cible d’une vigoureuse campagne de boycott économique en 2018 visant un certain nombre d’entreprises dans lesquelles il détient une participation importante. Le Parti de l’authenticité et de la modernité (PAM), qui s’est classé deuxième au scrutin, a lui-même été en proie à la tourmente et à la crise parmi ses dirigeants. Enfin, l’Istiqlal a peut-être porté le coup le plus dur à sa réputation lors du congrès général de 2017qui fut plus tard nommée « la bataille des plats ». Bien qu’ils consacraient des ressources substantielles à l’élection (en particulier le RNI), il était peu probable que le PJD se retrouve derrière les trois partis – sans parler des quatre autres partis qui l’ont battu – lors des élections de 2021.

    Les leçons de l’histoire

    Avec le recul, la défaite électorale du PJD n’aurait pas dû être si surprenante. Le PJD en 2021 n’était plus le parti qui avait remporté deux élections en 2011 et 2016. Par une série de manœuvres et de machinations, le palais (ou le makhzen tant vanté ) a pu émousser toutes les armes du PJD. Le parti a failli se scinder en différentes factions après la décision de 2017 de « diriger » un gouvernement sans son chef charismatique – Abdelilah Benkirane. C’est Benkirane lui-même qui a empêché que cela se produise et a appelé à l’unité du parti, mais de nombreux membres de la direction et des cadres du parti n’étaient pas convaincus que ce qu’Othmani et ses collègues du PJD qui ont plaidé pour la participation au gouvernement n’ont pas fait de la trahison.. Il n’était pas clair en 2017 que le PJD survivrait à la décision de participer et de diriger un gouvernement qui a été essentiellement dépouillé de ses dirigeants élus. Que la décision soit revenue hanter le parti lors des élections suivantes a un parallèle historique frappant, avec un parti d’un penchant idéologique complètement différent.

    L’Union socialiste des forces populaires (USFP) avait historiquement entretenu les relations les plus acrimonieuses avec la monarchie marocaine. Beaucoup de ses dirigeants ont été persécutés et réprimés par le meurtre, l’exil et l’emprisonnement. S’il y avait un parti politique indépendant qui pouvait prétendre être l’opposition dominante à la monarchie, ce serait l’USFP. Les années 1990 ont vu une détente entre la monarchie et l’USFP, et en 1997, le parti a remporté (ou a été autorisé à gagner) les élections législatives. Le roi Hassan II a ensuite demandé au chef de l’USFP Abderrahmane Youssefi de former un gouvernement en 1998. En 2002, l’USFP a de nouveau remporté les élections législatives, mais plutôt que d’assigner son chef à former un gouvernement une seconde fois, le nouveau roi, Mohammed VI, a assigné Driss Jettou, un « technocrate » indépendant et non partisan, de le faire à la place.

    Les parallèles entre l’expérience de l’USFP et celle du PJD sont nombreux. Comme l’USFP, le PJD a accepté de participer au gouvernement dans des conditions qu’il ne contrôle pas entièrement. Comme l’USFP, le PJD a supervisé des politiques de libéralisation économique (privatisations dans le cas de l’USFP, baisse des subventions dans le cas du PJD) qu’il ne prônait pas mais qu’il approuvait sans équivoque. Comme l’USFP, le PJD avait des partenaires gouvernementaux qui lui étaient « imposés », que les partis attaquaient et combattaient activement dans la sphère publique (Driss Basri dans le cas de l’USFP, Akhannouch dans le cas du PJD). A l’instar de l’USFP, le PJD a fini par se porter garant de nombreuses dérives administratives à l’encontre d’acteurs sociaux favorables à son activisme.ciblé depuis 2017. Enfin, et peut-être le moins remarquable, le PJD a signé la libéralisation du cannabis et le traité de normalisation avec Israël – qui semblait contredire de manière flagrante ses principes conservateurs de la même manière que la libéralisation économique contredisait les principes du parti socialiste. La comparaison entre les deux éclaire ainsi le sort électoral du PJD, sinon (encore) organisationnel, similaire à celui de l’USFP il y a 15 ans. A ce titre, ce n’est ni le sort du printemps arabe ni celui de l’islam politique qui sont particulièrement instructifs pour contextualiser et analyser la défaite électorale du PJD.

    La disparition de l’islam politique ?

    Comme tous les partis indépendants au Maroc – ceux qui n’ont pas été formés explicitement par la monarchie et sa coterie pour organiser les élections et administrer le gouvernement – le PJD a bénéficié des avantages d’une participation politique formelle, mais a également supporté ses coûts. Ce faisant, l’idéologie a joué un rôle important dans l’activisme politique du PJD. Ailleurs , j’ai défini l’idéologie comme une articulation de l’appartenance à une communauté politique souhaitée qui structure, informe et restreint le menu de l’action politique possible.. L’idéologie du PJD a très certainement limité ses actions de manière importante. Il convient de noter ici l’incapacité d’Othmani à justifier suffisamment sa signature des accords de normalisation avec Israël en 2020 (anathème, selon l’idéologie du parti) auprès de la base de son parti, qu’il a tenté de réparer lors de sa grande réception du chef du Hamas Ismail Haniyeh en 2021. Cela dit, depuis 2015, le PJD avait pris ses distances assez notablement avec les Frères musulmans et ses partis et mouvements subsidiaires dans la région MENA, plaçant ses racines dans le mouvement nationaliste marocain. En tant que tel, son destin ne se reflète pas sur « l’islam politique » en soi.

    De plus, les experts qui soutiennent que l’islam politique a subi une défaite écrasante dans la région MENA sont extrêmement optimistes dans leur pensée. Au Maroc en particulier, la force politique la plus importante, la plus disciplinée et la plus populaire reste le groupe islamiste Al-Adl Wa Al-Ihsan. Al-Adl a une capacité de mobilisation sans précédent au Maroc, et il n’y a aucun signe que cette capacité ait été réduite ces derniers temps. En fait, le sort du PJD lors de sa participation aux institutions gouvernementales pourrait finir par renforcer l’approche d’Al-Adl consistant à rejeter la participation politique formelle dans le système de gouvernance marocain. La participation et la défaite à des élections autoritaires, bien qu’ayant des implications notables, sont rarement un signe d’effondrement idéologique et les islamistes sont passés maîtres dans l’art de jouer leur rôle de victime lorsqu’ils sont chassés des institutions du pouvoir.

    Au lieu de cela, il est peut-être plus prudent d’étudier l’expérience du PJD en tant qu’organisation politique dans le contexte national marocain. Ce contexte a finalement pesé plus lourd dans la prise de décision du parti, ainsi que dans la détermination de son sort électoral et organisationnel. À cet égard, les grandes déclarations idéologiques ne sont pas particulièrement instructives. De plus, le paradigme de la cooptation-coercition – qui a longtemps été dominant dans l’analyse des politiques autoritaires et des relations titulaire-opposition dans la région MENA – est d’une utilité limitée. Le Maroc a remis en cause à plusieurs reprises les hypothèses sur lesquelles le paradigme est basé, par exemple qu’il existe une opposition unitaire, ou que le menu de choix pour le titulaire autoritaire est exclusivement soit la cooptation, soit la coercition. Une approche plus nuancée, qui tire profit de l’histoire marocaine et se concentre sur la relation ancienne et évolutive entre la monarchie et les forces politiques indépendantes, est plus utile.

    Abdul-Wahab Kayyali, chercheur indépendant vivant à Montréal, QC, Canada. Ses intérêts de recherche portent sur les partis politiques, les mouvements sociaux et l’agence politique générale dans le monde arabe. Il tweete à @awkayyali . Les opinions exprimées dans cet article sont les siennes.

    Middle East Institute, 04/10/2021

  • Séisme politique au Maroc

    Séisme politique au Maroc

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    Les dernières élections ont vu le parti dominant subir une défaire cinglante et être relégué loin derrière les autres partis. Ce qui peut sembler un phénomène relativement rare mais classique prend ici d’autres significations et même au-delà des frontières.

    Le Parti pour la Justice et le Développement, que l’on qualifie habituellement d’islamiste, a subi un échec spectaculaire, qui a surpris par son ampleur et sa soudaineté. Rarement un parti aura passé de l’exercice du pouvoir au sommet à la quasi-disparition.

    Le PJD paie ainsi son aveuglement face à la réalité du pouvoir marocain, son louvoiement constant entre le respect de ses principes et les nécessaires compromissions, son refus de trancher dans les moments décisifs.

    Dès son lancement, le parti avait connu une vague de sympathie impressionnante. On sortait de décennies d’immobilisme politique, avec les mêmes acteurs qui se soumettaient au bon vouloir du Souverain. La corruption et la gabegie régnaient partout. Le vernis libéral était un leurre savamment entretenu grâce à la complaisance étrangère.

    Le peuple marocain fantasmait sur un renouveau improbable. Et puis est venu ce parti avec des idéaux qui lui parlaient, des gens hors du système, qui promettaient la moralisation de la vie politique avec une référence marquée pour la religion. Ce dernier point avait son importance. Le Maroc se prétendait certes un pays musulman, avec des cérémonies religieuses officielles, par exemple les causeries du Ramadan présidées par le Roi, mais peu étaient dupes du double discours et des pratiques sur le terrain. Rappelons pour mémoire la construction de la grande mosquée saoudienne et des institutions culturelles y attenantes sur la Corniche de Casablanca, censée faire oublier des excentricités peu compatibles avec l’Islam des visiteurs du Golfe.

    C’est dire si l’apparition du PJD avait suscité de grandes espérances, et ses références à l’islam n’étaient pas pour déplaire. La société marocaine est majoritairement attachée aux valeurs traditionnelles. C’était aussi l’époque où dans le monde arabe on espérait trouver dans l’islam politique une issue naturelle après l’échec de toutes les idéologies importées et une corruption endémique qui leur était imputée. Un gouvernement dirigé par des pratiquants sincères ne pouvait que défendre les intérêts fondamentaux du peuple. Et ce d’autant que le PJD ne se présentait pas comme le parti qui voulait imposer une tyrannie intégriste. Beaucoup de Marocains, modernistes par essence et par culture, n’auraient pas vu d’un mauvais œil un « assainissement » indispensable que seul ce parti pouvait réaliser.

    On peut penser ce qu’on veut de la Monarchie marocaine, mais elle est d’une perspicacité redoutable pour déceler la moindre menace à son pouvoir absolu et pour la juguler avec maestria et cynisme. Il suffit de rappeler comment Hassan II s’était joué de l’USFP et de son chef historique pendant 30 ans avant de lui offrir enfin un pouvoir démonétisé dont il avait su seul tirer tout le bénéfice. Le Palais offrit alors au PJD de se présenter aux élections mais en limitant volontairement sa participation sur une partie du territoire. Question de « stabilité » dans un Maroc qui doit évoluer avec « prudence ». Le parti « islamiste » joua le jeu et arriva même au sommet du pouvoir. Mais pour faire quoi ?

    Le Parti pour la Justice et le Développement a occupé pendant deux législatures des postes clés dont celui de premier Ministre. Certes il devait partager le pouvoir avec d’autres partis, mais le principal obstacle à l’application de son programme était le Monarque. Non seulement la constitution marocaine donne au Roi des pouvoirs exorbitants – à l’image de la constitution française dont elle s’est inspirée – mais ce dernier dispose d’une aura qui le rend intouchable, politiquement parlant. Lorsque Mohamed VI a organisé un référendum en 2011 réformant la constitution, pour éliminer toute velléité de « printemps marocain », et bien que cette réforme ne fût que cosmétique, tous les partis ont appelé à voter oui. Personne n’aurait imaginé une autre prise de position. Toute réserve aurait été considérée comme une atteinte à la personne sacrée du Roi.

    Le PJD était conscient de cet obstacle insurmontable. Il fut constamment « assis entre deux chaises ». D’un côté il connaissait la nature du pouvoir et son inclination pour un capitalisme mondial grevé de prébendes et dont le Monarque était un des principaux bénéficiaires. De l’autre il pensait bénéficier de la légitimité populaire pour pousser à quelques réformes décisives.

    Au final, si on juge un arbre à ses fruits, le PJD aura totalement échoué. On peut même dire qu’il est tombé dans le piège royal avec une facilité consternante. Il a joué son rôle historique voulu par le Roi avant de prendre la sortie, une sortie probablement définitive et sans honneur. Son désaveu aura montré à la population que la politique est décidément chose sérieuse que l’on ne peut confier à quelques idéalistes dépassés par l’Histoire, et que la morale religieuse n’a rien à voir dans la conduite d’un pays. Les Marocains auront bien appris la leçon puisqu’ils ont conduit à la tête du gouvernement un homme d’affaires accompli, un businessman ouvert à l’international et très compréhensif des intérêts économiques de la Monarchie.

    Sans revenir sur les nombreuses occasions qui auraient pu permettre au parti islamiste de « sauver l’honneur » et de ne pas trahir totalement son électorat, citons la dernière. Le Roi avait décidé de normaliser ses relations avec Israël. Il avait ses raisons. Ce n’est pas le lieu ici de les évoquer. Cette décision ne rencontrait pas l’adhésion populaire, c’est le moins que l’on puisse dire. Les partis politiques traditionnels, habitués aux magouilles, aux prébende et aux trahisons, et sachant que les faveurs viennent de Sa Majesté, ont mis leurs convictions (s’ils en avaient) dans leurs poches et un mouchoir dessus et ont fait de la surenchère dans leurs flatteries au Monarque visionnaire.

    Mais le PJD ? Ce fut la dernière couleuvre qu’il avala. Il avait pourtant une très belle carte à jouer. Quelle sortie audacieuse ! Mais il demeura tétanisé, comme tout autre homme politique qui aurait eu la terrible charge d’être en désaccord avec le Roi. Pour le peuple marocain, il était alors devenu un parti comme les autres, triste constat, alors autant remettre au pouvoir les orfèvres affairistes et ne plus vivre d’illusions.

    Les déboires du PJD nous amènent à faire cette remarque sur la nature du régime politique. Ce dernier a toutes les apparences d’un système moderniste reposant sur des législations cohérentes et appliquées par une administration relativement efficiente. Mais le système reste en dernier ressort profondément absolutiste, gouverné par un monarque tutélaire, devant qui toutes les dispositions législatives et tous les équilibres politiques s’évaporent pour laisser place à un rapport quasi féodal. C’est probablement ce trait que les dirigeants du PJD n’avaient pas pris suffisamment en compte.

    Il nous reste à souligner la terrible désillusion de cet échec, non seulement au Maroc, mais dans tous les secteurs du monde arabe, qui cherchent depuis deux ou trois décennies, une voie d’émancipation nationale combinant l’identité islamique, l’héritage philosophique et culturel et les apports universels. La plupart de ces expériences s’étant réalisées dans la violence ont laissé un goût amer. On pensait qu’un gouvernement islamiste « modéré » – suprême exigence pour être adoubé par l’Occident – allait réhabiliter cette voie. Mais il semble que des forces obscures n’avaient pas intérêt à ce qu’elle réussisse.

    Jacob Cohen

    Algérie54, 26/09/2021

  • La réussite d’Akhannouch sera celle du roi. Son échec aussi.

    La réussite d’Akhannouch sera celle du roi. Son échec aussi.

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    Le PJD a oublié qu’au Maroc, seul le Palais gouverne

    Depuis Hassan II, le pouvoir de dissuasion et d’attraction du Palais a fait ses preuves. Très peu de politiciens, de syndicalistes et de personnalités de tous bords peuvent ou veulent résister à cet aimant puissant qui attire tout vers lui

    La mort du leader syndical Noubir Amaoui, fondateur et ancien secrétaire général de la Confédération démocratique du travail (CDT), la veille du scrutin électoral du 8 septembre, aurait dû sonner comme un présage aux dirigeants du Parti de la justice et du développement (PJD, islamistes).

    Amaoui était presque oublié. Le PJD, dont le secrétaire général était, avant la désignation d’Aziz Akhannouch par Mohammed VI, le chef du gouvernement, allait lui aussi entrer dans l’insignifiance politique.

    On ne le sait pas assez, mais le cas Amaoui est l’exemple type du politicien critique, grande gueule dans ce cas de figure, qui par ses diatribes féroces frôlait souvent l’appel à la révolte, voire la lèse-majesté, et qui a fini par se muer, le bâton aidant, en une sorte de sage défenseur du trône. Jusqu’à perdre toute crédibilité.

    L’affaire Amaoui se résume ainsi. Pour avoir traité en 1992 le gouvernement marocain de « bande de malfrats » (grupo de mangantes), dans une interview publiée par El País, Amaoui fut poursuivi, incarcéré et condamné à deux ans de prison ferme (il ne fit que quatorze mois).

    Il bénéficia d’une grâce royale et à sa sortie de prison, celui qui était alors le primus inter pares des gauchistes au sein de l’Union socialiste des forces populaires (USFP, opposition historique au régime) se métamorphosa.

    Lui, la seule personnalité marocaine capable de jeter à la poubelle une invitation du Premier ministre pour assister à l’anniversaire de l’accession de Hassan II au trône.

    Le charismatique Amaoui se convertit en un homme « responsable », soucieux de « l’intérêt national » jusqu’au point d’accepter de jouer le jeu du makhzen (pouvoir) au grand jour.

    Et quel jeu ! Se désolidariser par exemple, comme en 1995, des cheminots lors d’une grève générale. Ou abandonner à leur sort, quelques mois plus tard, les rudes mineurs de Jbel Aouam, dans le centre du pays, au milieu d’une bataille décisive pour leur survie.

    Quand il n’invitait pas, comme en mars 1997, le ministre de l’Intérieur et bras droit de Hassan II, Driss Basri, à se joindre à lui pour s’adresser aux participants lors du congrès de sa centrale syndicale. La séquence de l’indignation étouffée de plusieurs invités de marque, marocains et étrangers, obligés d’écouter sagement les cancans du symbole de la répression au Maroc, est entrée dans l’histoire.

    Le précédent Youssoufi

    Depuis Hassan II, le pouvoir de dissuasion et d’attraction du Palais royal a fait ses preuves. Très peu de politiciens, de syndicalistes et de personnalités de tous bords peuvent ou veulent résister à cet aimant puissant qui attire tout vers lui.

    Le défunt souverain a réussi l’exploit de convertir les dirigeants du Parti du progrès et du socialisme (PPS), autrefois communistes, notoirement athées et peu respectueux des préceptes édictés par le prophète de l’islam, à sa « commanderie des croyants ».

    Et surtout à la chose religieuse, puisqu’il les a obligés à partir en pèlerinage à La Mecque pour en faire de respectables hadjs (pèlerins), avant de leur faire découvrir les plaisirs de la rente bourgeoise, en leur distribuant des prébendes capitalistes, agréments de transports, terres agricoles, licences d’import-export, etc.

    Cette conversion a si bien réussi qu’il n’était pas rare d’entendre les dirigeants du PPS défendre publiquement la « monarchie exécutive » du Maroc. Un royaume, on le sait, où le roi, « commandeur des croyants », chérif, possesseur de la baraka, règne, gouverne et possède l’une des plus grandes fortunes du pays. Et du monde.

    L’USFP est passée par ce processus adaptateur. Différent, mais sous la même ombrelle royale. Un homme comme le premier secrétaire de l’USFP, Abderrahman Youssoufi, fort d’un passé turbulent constellé de faits de résistance au colonialisme français, de privations de liberté et de droits, d’exil et d’opposition véhémente au régime de Hassan II, était conditionné pour résister aux attraits du palais royal.

    De plus, il était un ami personnel de Mehdi ben Barka, le mythique chef de l’opposition de gauche qui a été, en 1965, kidnappé, torturé et assassiné par des sbires du régime marocain. Son corps n’a jamais été retrouvé.

    Pourtant, il a fini par embrasser en 1998 l’homme qui avait ordonné le kidnapping et la disparition de son ami, et par accepter de former un gouvernement dit d’« alternance démocratique » dans lequel il n’avait aucun contrôle sur les ministères dits de « souveraineté » comme l’Intérieur, les Affaires étrangères, la Justice, les Affaires islamiques, l’administration de la Défense et le secrétariat général du gouvernement. Des postes stratégiques sans lesquels rien ne pouvait se faire au Maroc. Il a accepté aussi de ne plus ressasser le cas de son « ami ».

    Plus tard, en guise de mea culpa, Youssoufi justifia cette volte-face par le sens des « responsabilités » et la défense de « l’intérêt national ».

    Parce que, expliqua-t-il, le roi avait déclaré au Parlement, en 1997, que le Maroc risquait à tout moment une « crise cardiaque ». Alors que le seul qui risquait vraiment cette « crise cardiaque », qui a d’ailleurs fini par l’emporter en 1999, était le moribond Hassan II.

    Youssoufi connaissait l’état de santé du roi. En politicien madré, opportuniste et au service des intérêts du peuple et non du système, il aurait pu en profiter pour faire céder le régime sur des points autres que des réformettes électorales et des bricoles économiques. Il avait le tempo pour imposer un agenda menant vers une démocratisation réelle des institutions.

    Il aurait pu… Mais par ambition personnelle, il céda volontairement à la mystification du gouvernement « d’alternance démocratique » qui, reconnaîtra-t-il plus tard, après son renvoi du gouvernement en 2002 par le successeur de Hassan II, n’était en fait qu’une « alternance consensuelle » où le roi tirait les ficelles.

    Cette « alternance », quelle qu’en fût le nom, fit perdre à l’USFP sa primauté politique, passant de première formation de l’arc parlementaire en 1998 à cinquième en 2002, mais aussi une partie de son fidèle électorat, sa centrale syndicale et son organisation de jeunesse. Toute ressemblance avec des faits réels ou ayant existé récemment n’est pas fortuite.

    Promis et juré, le PJD n’allait pas perdre son âme
    En 2011, avec l’accession des islamistes du PJD aux affaires, beaucoup crurent que forts des enseignements du passé, les coriaces « barbus » allaient se comporter différemment. Ou du moins, rester sur leurs gardes.

    Avec une confortable assise sociale et électorale, une réputation d’intégrité morale et un chef charismatique, Abdelilah Benkirane, le PJD pouvait se permettre d’être un compagnon de route du Palais et non pas un vulgaire exécuteur des instructions royales.

    Il accepta donc le principe d’une collaboration sincère avec le roi, en assumant qu’il pouvait céder sur de futures et nécessaires compromissions. Pour le PJD, il était important d’assimiler l’art des compromis politiques pour donner l’image d’un parti de gouvernement « responsable » et soucieux de « l’intérêt national ».

    En parallèle, il déploya des trésors d’ingéniosité pour faire croire à ses troupes qu’il n’allait pas être le commissionnaire de ces messieurs du cabinet royal. Promis et juré, le PJD n’allait pas perdre son âme.

    Il ne savait pas ce qui l’attendait. Après avoir accédé au Mechouar Essaïd, où se trouve le siège de la primature, à l’intérieur du palais royal de Rabat, un Benkirane triomphant exhiba à coups de blagues une certaine familiarité avec le souverain. La lune de miel venait de commencer. Ainsi que les premiers renoncements.

    Le nouveau chef du gouvernement renia rapidement les enseignements et les revendications du Mouvement du 20 février, dont les manifestations massives lui avaient permis d’être appelé à la rescousse par un Palais en proie non pas à une « crise cardiaque » mais plutôt à une crise de panique.

    Il envoya aux oubliettes quelques promesses et les références porteuses qui avaient hissé son parti au firmament. La suppression du dispendieux festival international de musique Mawazine de Rabat, créé par le secrétaire particulier du roi, Mohamed Mounir Majidi, et ancien cheval de bataille du PJD au Parlement, cessa d’être une priorité.

    L’humiliation collective de la bay’a, avec cette image rétrograde de centaines de hauts fonctionnaires se prosternant comme un seul homme tout en braillant des proclames de soumission au roi, une cérémonie de prestation du serment d’allégeance autrefois huée par les islamistes, devint soudainement pour Benkirane l’expression de la tradition marocaine, alors que la cérémonie de la fête du Trône date de l’époque du protectorat français, dans les années 1930.

    Enfin, la défense des valeurs religieuses musulmanes et la lutte contre la corruption récurrente du régime, deux des plus importants fonds de commerce du PJD, disparurent, comme d’ailleurs la barbe islamique de Benkirane, du langage gouvernemental courant.

    Le plus étonnant, le plus grave pour les couches défavorisées, fut de voir Benkirane endosser l’habit du libéral intraitable qui met fin aux subventions de l’État aux énergies fossiles dans les transports et l’électricité, démantèle le système des subventions de certains produits de première nécessité, s’attaque au travail fonctionnarisé et modifie sévèrement le régime des retraites.

    Il y a eu aussi, bien sûr, la grande promesse d’une couverture sociale pour tous, qui ne verra pas le jour sous son mandat.

    Au cimetière des victimes illustres du régime

    Pour prouver sa fidélité au trône, Benkirane accepta d’être instrumentalisé judiciairement par l’État profond pour porter plainte, en son nom et à Madrid, contre le journaliste espagnol Ignacio Cembrero avec une accusation gravissime : apologie du terrorisme.

    Une plainte rejetée à trois reprises par la justice espagnole. Une première fois par un procureur et deux fois par un juge d’instruction.

    Et en tant que chef du gouvernement, Benkirane se comporta comme une petite frappe médiatique en traitant sur sa page officielle de la primature un dissident marocain, l’ex-capitaine Mustapha Adib, un dissident qui avait réprimandé un général marocain hospitalisé à Paris, de « repris de justice ». Ce qui lui valut une tentative de procès à Paris.

    Curieusement, il adopta un prudent silence face à la prolifération dans la presse proche des sécuritaires de détails scabreux et de scandales sexuels, une spécialité des services secrets marocains, affectant plusieurs ministres du PJD, hommes et femmes, afin de ternir la « réputation islamique » du parti.

    Avec un tel tableau de références serviles, le charismatique Benkirane s’attendait à ce que le Palais le garde encore longtemps. Il finit par être déboulonné en 2017 par ses propres « frères » ; et du secrétariat général du parti et du gouvernement. Sur indication de qui ? Probablement du seul endroit où ce genre de décisions se prennent : le Palais.

    À ce qu’il paraît, ce dernier n’a jamais été convaincu de l’adhésion sincère de cet ancien membre de la Chabiba islamiya (Jeunesse islamique) au système.

    Les conseillers de Mohammed VI, croit-on, craignaient sa popularité et le soupçonnaient de pratiquer une certaine forme de taqîya (pratique de précaution, au sein de l’islam, consistant, sous la contrainte, à dissimuler ou à nier sa foi afin d’éviter la persécution) qui dissimulerait ses vraies intentions.

    Après son départ, le roi prit soin de l’enterrer en grandes pompes en lui offrant personnellement une voiture de luxe et en lui concédant un salaire mensuel de 70 000 dirhams (plus de 6 600 euros). Dans un pays où le salaire minimum ne dépasse pas les 3 000 dirhams (280 euros).

    Comme ses prédécesseurs, lions devenus toutous, le bourru Amaoui et le vieux renard Youssoufi, le roué Benkirane finit ainsi dans le cimetière des victimes illustres du régime.

    Son successeur, Saâdeddine El-Othmani, placé à la tête du parti et du gouvernement après la fronde du huitième congrès du PJD, en décembre 2017, n’avait pas à se démarquer des soumissions et des renoncements de son prédécesseur. Son caractère l’y prédisposait naturellement.

    Ce docteur en psychiatrie, affable et peu porté sur l’exubérance verbale de son prédécesseur, accepta volontairement de diriger un autre gouvernement hétéroclite sur lequel il n’avait aucun contrôle.

    Les ministères stratégiques lui échappaient, et les orientations majeures dans les secteurs clefs du pays venaient directement du Palais royal. Ce n’est pas lui faire insulte que de dire qu’El-Othmani devint un figurant dans une pièce de théâtre qui avait son décor, son metteur en scène et ses propres comédiens

    En 2017, il ne s’opposa pas à la violente répression menée par l’appareil sécuritaire contre les activistes du hirak du Rif, et il ne dit mot la même année quand le roi renvoya brutalement plusieurs ministres de son cabinet pour « incompétence », dont son principal allié dans la coalition, le secrétaire général du Parti du progrès et du socialisme (PPS), Nabil Benabdellah.

    Il ne fit même pas semblant de vouloir démissionner quand le ministre de l’Intérieur, son théorique subordonné, imposa en 2019 une loi sur un nouveau quotient électoral bénéficiant soi-disant aux petites formations politiques. Alors que c’est de notoriété publique que cette loi avait été conçue en haut lieu pour affaiblir le PJD et balkaniser encore plus le Parlement.

    Enfin, lui, le ferme soutien de la cause palestinienne, dut avaler la pilule amère de la normalisation avec Israël. Le Palais poussa la cruauté jusqu’au point d’obliger cet antisioniste primaire à parapher de sa main les accords de normalisation devant les caméras de télévision. Une grosse rebuffade pour lui, une sonore gifle à l’électorat du PJD, et un pied de nez à l’immense majorité des Marocains.

    Humiliation supplémentaire, ni le Palais ni le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, ne bronchèrent quand le chef du bureau de liaison israélien à Rabat, David Govrin, l’accusa dans un tweet de soutenir « les deux organisations terroristes, le Hamas et le Jihad islamique ».

    Le 8 septembre, la perte de son siège de député lors des élections législatives et sa démission immédiate du secrétariat général du PJD scellèrent définitivement ses quatre mornes années à la tête d’un prétendu exécutif qui n’a de gouvernement que le nom.

    Seul le Palais gouverne

    Au Maroc, seul le Palais gouverne et il n’a jamais eu l’intention de partager la moindre parcelle de pouvoir avec son opposition.

    Les deux fois où le régime a fait mine de céder, c’était pour sauvegarder ses propres intérêts.

    La première fois en 1998, quand l’agonisant Hassan II chargea l’opposant Youssoufi de former un gouvernement. Pour sauver le Maroc de la « crise cardiaque », fit-on croire aux Marocains. En fait, pour passer le relais d’un règne à un autre sans soubresauts.

    La deuxième fois en 2011 quand Mohammed VI, pour sauver son régime des périls du Printemps arabe, confia les clés d’une primature captive à un autre opposant, Abdelilah Benkirane.

    Si la « responsabilité » et « l’intérêt national » sont compris par les partis politiques comme l’expression d’un devoir vital pour le pays, pour le Palais, ce ne sont que des mots vagues mais précieux qui font partie d’un stratagème dont la finalité est de préserver la quiétude d’une dynastie prédatrice qui doit continuer à régner, goupaverner et faire des affaires.

    Au Maroc, nous ne sommes pas encore à l’ère où un parti, fort du vote de ses électeurs et du poids de ses députés au Parlement, pourrait tracer une intrépide et néanmoins légitime frontière entre ses prérogatives et celles, envahissantes, d’un souverain omniprésent et accaparateur.

    Le jour où une formation politique refusera les oukases royaux et affrontera au besoin la colère du cabinet royal, le Maroc entrera dans une vraie nouvelle ère.

    En attendant, la seule bonne nouvelle dans les résultats du 8 septembre – dont l’analyse mériterait plus qu’un petit paragraphe, tant l’argent distribué généreusement, selon l’accusation formulée par le Parti authenticité et modernité (PAM) et par le PJD, et le poids du ministère de l’Intérieur ont été prédominants –, c’est que contrairement à ses prédécesseurs, le nouveau chef du gouvernement, le milliardaire Aziz Akhannouch, n’a pas besoin d’être une potiche du roi. C’est son ami et son bras armé.

    La réussite de M. Akhannouch sera celle du roi. Son échec aussi.

    Ali Lmrabet
    Ali Lmrabet est un journaliste marocain, ancien grand reporter au quotidien espagnol El Mundo, pour lequel il travaille toujours comme correspondant au Maghreb. Interdit d’exercer sa profession de journaliste par le pouvoir marocain, il collabore actuellement avec des médias espagnols. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @alilmrabet.

    Middle East Eye, 21/09/2021

  • Maroc : Les islamistes doutent de la régularité du scrutin

    Maroc, #PJD, Elections Législatives, #Maroc, islamistes,

    Pour avoir cautionné le processus de normalisation des relations diplomatiques israélo-marocaines, les islamistes ont subi une défaite cinglante aux dernières législatives en passant de 125 à 13 sièges au Parlement.

    Quelques jours après leur cinglante défaite aux législatives, les islamistes marocains continuent de crier à la fraude. Le parti islamiste PJD a dénoncé “les violations et les irrégularités” qui ont émaillé les dernières élections générales au Maroc, où il a essuyé une déroute historique, selon un communiqué diffusé hier.

    Le Parti de la justice et du développement (PJD) “dénonce les violations et les irrégularités qu’ont connues les élections”, dont “l’usage massif de l’argent, la manipulation des procès-verbaux ou encore les noms rayés des listes électorales ou ceux y figurant doublement”, accuse le communiqué clôturant une session extraordinaire du conseil national du PJD tenue samedi à huis clos.

    Ces “formes de corruption électorale ont abouti à l’annonce de résultats qui ne reflètent pas la teneur de la cartographie politique et la libre volonté des électeurs”, estime le parti islamiste modéré, qui a déploré “une régression de notre expérience démocratique”.

    Selon le ministre de l’Intérieur, Abdelouafi Laftit, les opérations de vote se sont déroulées “dans des circonstances normales, hormis des cas isolés”. Au pouvoir depuis dix ans, sans jamais véritablement gouverner, le PJD s’est effondré aux législatives, passant de 125 sièges à 13 sur un total de 395.

    L’ampleur inattendue de la défaite s’est confirmée avec les élections locales, tenues le même jour : le parti a dégringolé de 5 021 élus à 777 aux communales et de 174 sièges à 18 aux régionales contre 174. En fin de campagne et le jour du vote, les islamistes avaient déjà fait état de “graves irrégularités”, citant des achats de voix et de candidats ainsi que “la distribution obscène d’argent” à proximité de bureaux de vote.

    Le PJD “est à un tournant important où nous pouvons questionner nos choix (…) sans succomber à la psychologie de la défaite”, a dit samedi son secrétaire général démissionnaire, Saâd Eddine El-Othmani, dans la réunion à huis clos.

    Le parti a convoqué un congrès extraordinaire “fin octobre” qui choisira une nouvelle direction après la démission collective du secrétariat général au lendemain de la débâcle électorale. “Nous sommes encore sous le choc. C’est comme si le parti était en réanimation, mais nous ambitionnons de le ressusciter”, a promis une responsable du PJD Amina Maelainine.

    C’est le parti libéral du Rassemblement national des indépendants (RNI), considéré comme proche du palais royal, qui a triomphé le 8 septembre, raflant 102 sièges à la Chambre des représentants.

    Son patron, le milliardaire Aziz Akhannouch — désigné depuis chef du gouvernement par le roi Mohammed VI —, a lancé des tractations avec les partis représentés au Parlement — mis à part le PJD retourné dans l’opposition — pour former une coalition gouvernementale.

    Liberté, 20/09/2021

  • Maroc :  Dos au mur, les islamistes font leur post-mortem

    Maroc : Dos au mur, les islamistes font leur post-mortem

    Maroc, PJD, islamistes, #Maroc,

    par Kamal Guerroua

    Voté, il y a quelques jours, le plan d’action du gouvernement confirme que le PIB de l’Algérie a dépassé 136 milliards de dollars US en 2020. Ce qui marque une signifiante chute par rapport à 2019 où ce dernier était fixé à 171 milliards de dollars.

    Ce recul significatif soulève, il est vrai, de sérieuses inquiétudes, dans la mesure où il s’ajoute au fait que depuis le choc pétrolier de 2014, où la chute des prix du baril de pétrole a dépassé les 50% (celui-ci a, pour rappel, baissé sous le seuil symbolique des 60 dollars), l’Algérie ne cesse de s’appauvrir.

    Pour rappel, entre novembre 2014 et janvier 2016, les prix du pétrole qui s’étaient établis à 100 $ le baril, ont reculé de plus de 60%, atteignant 27 $ en janvier 2016, leur plus bas niveau depuis de nombreuses années.

    En conséquence, en 2014, le PIB de l’Algérie, parvenu au seuil de 218 milliards de dollars, a chuté en 2017 jusqu’à 170 milliards de dollars, avant de remonter en 2018 à près de 175 milliards de dollars.

    La paupérisation de larges couches de la société n’est que la résultante de déséquilibres macro-économiques majeurs. Si elle continue sur cette voie, l’Algérie risque de se voir être déclassée par de nombreux pays africains dans les années à venir.

    Le pays voisin, le Maroc à titre d’exemple, pourrait nous laisser derrière lui d’ici l’horizon 2026. Son PIB sera, d’après les projections du FMI, dans ses dernières perspectives sur la Croissance Economique Mondiale dans le continent africain, de 162 milliards de dollars US et l’Algérie aux alentours de 153 milliards de dollars.

    Il en sera, peut-être, de même pour certains pays africains, lesquels deviendront d’ici là de géants économiques à l’instar du Nigeria ou de l’Egypte.

    Le Nigeria, première puissance économique en Afrique, va ainsi doubler sa richesse nationale au cours des six prochaines années en passant de 429 M $ en 2020 à 964 M $ en 2026.

    Cela dit, en comparaison avec beaucoup de pays qui progressent, l’Algérie recule et s’appauvrit, de plus en plus. N’est-il pas grand temps de remédier à cette situation pour permettre à l’Algérie d’exploiter son potentiel et devenir une puissance émergente dans l’avenir?

    Le Quotidien d’Oran, 20/09/2021

  • Maroc-élections: Les islamistes dénoncent des irrégularités

    Maroc, élections, islamistes, PJD, #Maroc,

    Il critique la dernière réforme électorale, qui a modifié le mode de calcul, et accuse les partis rivaux et « certains agents de l’autorité » – qu’il ne nomme pas – d’avoir exercé des pressions sur leurs militants.

    Le parti islamiste Justice et Développement (PJD), qui a subi une lourde défaite lors des élections du 8 septembre au Maroc, a de nouveau dénoncé des irrégularités dans le processus électoral, qualifiant sa débâcle de « revers démocratique » dans le pays.

    Le Conseil national (assemblée) du PJD – le parti qui a dirigé le gouvernement au cours de la dernière décennie – s’est réuni samedi, dix jours après les élections législatives et municipales, pour évaluer les résultats après avoir perdu 90% de ses sièges ainsi que les mairies des principales villes du pays.

    Le PJD n’a remporté que 13 sièges sur un total de 395 à la Chambre des représentants (contre 125 en 2016), occupant la huitième place de ces élections.

    Dans son communiqué, publié dimanche, l’assemblée du parti islamiste dénonce à nouveau des irrégularités au cours du processus électoral : elle dénonce la dernière réforme électorale qui a changé la méthode de calcul, et accuse les partis rivaux et « certains agents de l’autorité » – qu’elle ne nomme pas – d’avoir exercé des pressions sur ses militants.

    Le PJD a également dénoncé la confusion liée aux listes électorales (avec l’élimination ou la répétition de noms), et a critiqué « l’achat massif de votes », la non-délivrance des rapports électoraux, le retard dans la déclaration des résultats, et la non-publication des résultats détaillés jusqu’à présent.

    L’assemblée du parti islamiste a estimé que les résultats des élections « ne reflètent pas la réalité de la carte politique, la libre volonté des électeurs, et constituent un recul dans le processus de notre expérience démocratique », a-t-elle critiqué.

    Le PJD a décidé de convoquer un congrès extraordinaire à la fin du mois d’octobre pour élire une nouvelle direction après la démission du secrétaire général du parti, Saadedin Otmani, et de l’ensemble de l’exécutif du parti.

    Les élections du 8 septembre – où le taux de participation a atteint 50,35 % – ont donné la victoire au Rassemblement national des indépendants (RNI), parti centriste et libéral, avec 102 sièges, suivi du Parti authenticité et modernité (PAM), libéral, avec 87 sièges, et du Parti Istiqlal (PI), nationaliste, avec 81 sièges.

    Les trois partis ont entamé des consultations la semaine dernière en vue de former un gouvernement de coalition.

    Les observateurs marocains et internationaux qui ont assisté au processus électoral l’ont qualifié de « transparent » malgré quelques irrégularités qu’ils ont constatées et qui, selon eux, n’ont pas affecté le scrutin.

    El Diario de Ceuta, 19/09/2021

  • Islamistes : leurs échecs au Maroc et ailleurs

    Maroc, élections, PJD, islamistes, #Maroc,

    Décidément le pouvoir ne réussit pas aux islamistes au Maroc après la Tunisie. Et les talibans se heurtent également aux réalités.

    Par Yves Montenay

    Ce qui suit s’appuie notamment sur les travaux et les sondages du centre de recherche Pewet de « Arab Barometer »

    Décidément, le pouvoir ne réussit pas aux islamistes. Ils viennent de le perdre au Maroc après la Tunisie et surtout après l’Égypte où ils sont sévèrement réprimés.

    Et en Afghanistan ? Au bout de huit jours de pouvoir, les talibans se heurtent également aux réalités.

    LE CAS DU MAROC

    Je connais assez bien le Maroc pour y être allé très souvent soit en colloque, ce qui permet des contacts approfondis avec des gens compétents et avec les étudiants, soit en exploration en multipliant les contacts à la base, ce qui est possible grâce à une francophonie partielle, voire honorable, de mes interlocuteurs, appuyée de mon côté par quelques mots d’arabe.

    Mon impression générale est qu’il s’agit d’un pays qui est parti d’extrêmement bas et où la présence française a été courte : de 1918 à 1956, le début du protectorat en 1911 ayant été occulté par la Première Guerre mondiale, et où cette présence française a été assez respectueuse des structures locales, notamment grâce à Lyautey. Un mot pour ce dernier qui semble oublié des deux côtés, et dont le cercueil aux Invalides porte l’inscription en arabe : « je suis fier d’avoir servi le grand peuple marocain ».

    Bref un pays extrêmement pauvre, profondément féodal et religieux, mais qui a eu la sagesse de détruire beaucoup moins l’apport français, notamment économique, que la Tunisie et surtout l’Algérie. Ce qui lui permet un développement notable par rapport au niveau initial et de grandes inégalités… qui ne sont pas récentes dans ce pays.

    Passons maintenant aux islamistes locaux. Dire qu’ils étaient au pouvoir au Maroc est très exagéré. Le pouvoir suprême a toujours été entre les mains du roi, et comme le roi est commandeur des croyants, il était délicat pour les islamistes de s’y opposer.

    Le mouvement islamiste s’est donc coupé en deux : un parti légaliste, le PJD, qui participe aux élections et un parti illégal, mais toléré. Le parti légaliste a gagné les législatives de 2011, et de 2016, mais avec une majorité relative seulement ce qui l’a obligé à un gouvernement de coalition diluant encore plus son pouvoir partiel.

    Les élections de 2021 ont vu la chute brutale du parti, qui n’a plus que 12 sièges sur 395 et sera donc écarté du pouvoir.

    Cela après des mésaventures analogues des partis islamistes dans d’autres pays dont nous parlerons tout à l’heure.

    Les islamistes semblent donc bien meilleurs dans l’opposition qu’au pouvoir, comme c’est le cas de nombreux partis dans le monde. Mais l’histoire nous montre que c’est particulièrement accentué pour les partis religieux au sens propre ou au sens pratique, comme les partis communistes. C’est-à-dire pour ceux qui promettent des miracles et demandent d’agir par la violence pour les obtenir.

    Donc si le vote est libre, le parti est battu. S’il n’y en a pas, il devient un parti unique et se maintient par la répression, comme c’est le cas en Iran.

    Mais, dira-t-on, le Maroc est totalement et profondément musulman, et cela devrait déterminer tout le reste. Je mets de côté la minuscule communauté juive, naguère importante, mais aujourd’hui en Israël, les dizaines de milliers de Marocains convertis à l’évangélisme ainsi que les Subsahariens et Européens chrétiens, mais ces deux derniers groupes ne sont pas citoyens marocains.

    Totalement musulman donc ? Apparemment oui, mais il ne faut pas oublier qu’une forte pression sociale amène les sceptiques à être discrets, sauf quand ils sont entre eux, ou croient l’être comme en témoigne ce petit souvenir. Étant à Marrakech pour un colloque international, donc dans un brassage de nationalités qui n’obligeait pas à se montrer plus pieux que l’on était, j’ai recueilli plusieurs observations du petit personnel d’un niveau social moyen, donc suffisamment francophone pour saisir les propos échangés. Elles peuvent être résumées par : « je constate avec surprise qu’il y a beaucoup d’athées parmi les participants marocains, or je n’arrive pas à concevoir qu’on puisse être marocain sans être musulman. Vous êtes Français, expliquez-moi comment on peut être athée ».

    D’autres indicateurs vont dans le même sens : une forte consommation de vin, les contraventions pour attitude inconvenante pour des gens non mariés, la consultation d’Internet en français, donc de tendances religieuses ou sociales très variées, et le développement de l’enseignement privé, général ou professionnel, massivement francophone et maintenant parfois anglophone, mais dont le cadre de pensée est séculier.

    Tout cela se retrouve dans les travaux des centres de recherche cités plus haut. En résumé, on constate la sécularisation d’une partie importante de la société et l’étonnement, voire le rejet de cette sécularisation par une autre partie. Cela explique dans un premier temps un vote islamiste important, mais loin d’être unanime, et dans un deuxième temps une déception puisque les élus ne se sont pas montrés moins corrompus ou plus efficaces que leurs prédécesseurs. À leur décharge, rappelons que de nombreux Marocains n’ont pas une vue très précise des conditions du développement et notamment de la contribution ou du frein venant de l’éducation nationale. Les Français non plus, d’ailleurs.

    Tout cela retrouve également plus ou moins dans les autres pays arabes.

    LES ARABES ET L’ISLAMISME

    Partons du pire, pour un Occidental du moins, l’adhésion au djihadisme. Les sondages réalisés dans le monde arabe dès 2011 montraient (et continuent de montrer) que seule une infime minorité de musulmans (un pour 100 000) se reconnaissent dans le projet radical porté par Ben Laden et plus tard par l’État islamique. Ce qui n’empêche pas un nombre important d’Arabes de se réjouir de tout ce qui peut humilier l’Amérique, sentiment qui n’est pas réservé aux Arabes.

    Finalement, Ben Laden et l’État islamique ont plutôt affaibli le monde musulman radical en le rendant infréquentable, mais parallèlement augmenté la crainte des musulmans par les Occidentaux. Les seuls gagnants ont finalement été les dictateurs comme le président Sissi en Égypte ou l’armée algérienne.

    En Tunisie, la chute du régime autoritaire de Ben Ali a permis aux islamistes relativement modérés du parti Enhada (la renaissance) d’arriver en tête des élections démocratiques qui ont suivi. Ce passage des islamistes au pouvoir a beaucoup déçu, ce qui a permis au président Kaïs Saïed de prendre le pouvoir. Ce tournant est trop récent pour savoir ce qu’il donnera.

    Remarquons que les djihadistes, Al-Qaïda ou autres, bénéficient d’un effet d’optique qui en exagère l’importance, car les médias, comme il est normal, ne parlent pas des musulmans paisibles, puisqu’ils ne font pas l’actualité. Il est beaucoup plus vendeur de parler des djihadistes, et ces derniers commettent suffisamment d’atrocités pour remplir les médias.

    À l’autre extrémité du spectre religieux, 12 % des Arabes ne seraient pas croyants, dont 33 % des jeunes Tunisiens. Ces sceptiques peuvent se conforter mutuellement sur les réseaux sociaux francophones ou anglophones.

    L’AFGHANISTAN ET LES AUTRES ISLAMISTES AU POUVOIR

    Au Moyen-Orient, hors du monde arabe, on pense inévitablement à l’Iran que nous avons évoqué et où la dictature islamiste a ruiné le pays. On peut penser aussi à la Turquie où le pouvoir autoritaire et islamiste du président Erdogan est menacé d’après les sondages… mais reste à savoir si la prochaine élection sera libre.

    Un peu plus à l’Est se trouve l’Afghanistan. Les talibans sont au pouvoir depuis quelques jours, mais d’ores et déjà on remarque que gouverner sera plus difficile que conquérir. Du moins si on peut appeler « conquête » d’avoir vu l’armée officielle refuser de combattre, voire vendre ses armes pour avoir la vie sauve ou encore rallier directement les talibans.

    Les déceptions s’annoncent fortes. D’abord tout simplement faute de nourriture maintenant qu’il n’y a plus d’aide occidentale. Notre tropisme charitable nous mènera bientôt à nourrir les affamés malgré les entorses de leurs dirigeants à nos principes, comme en Corée du Nord. 1,2 milliard de dollars viennent d’être affectés à cela.

    Mais cela va poser toutes sortes de problèmes pratiques : qui distribuera la nourriture, alors que pour l’instant seules les ONG occidentales et leurs employées, probablement obligées de se voiler intégralement, ont la logistique nécessaire ? Les talibans proclament qu’ils ont changé alors que chacun constatera que ce soi-disant changement ne s’applique pas sur le terrain où il n’est pas du tout certain qu’un commandant local obéisse au gouvernement central. Il n’est même pas certain que ledit gouvernement central ait changé, alors qu’il est composé de Patchounes traditionalistes.

    Il faudra aussi gouverner sans les personnes qualifiées qui ont fui et sans les femmes qui formaient une partie du corps professoral et de santé. Il faudra aussi payer les fonctionnaires et entretenir les infrastructures vitales. L’usage probable de la planche à billets ne fera qu’accélérer l’inflation et donc appauvrir le reste de la population.

    La déception qui s’annonce se traduirait dans les urnes s’il y avait des élections libres. Les islamistes disent que ces élections seront remplacées par des instances de consultation (choura), et non de concertation. Soit ces débats feront évoluer le régime en écartant les plus traditionalistes, soit ces derniers garderont le pouvoir par la force comme en Iran.

    Au Sahel francophone (et au Nigéria anglophone), même remarque : il est facile pour les djihadistes de se comporter comme les talibans avant la prise du pouvoir en terrorisant les uns ou en apportant aux autres une autorité patriarcale qui leur convient. Il leur sera tout aussi difficile de gouverner si les Français s’en vont, suivis d’une bonne part des cadres du pays vers les États côtiers, voire la France. Il faudra alors néanmoins, comme en Afghanistan, nourrir le peuple et développer pays…

    RESTE À DIFFUSER CES ÉCHECS DES GOUVERNEMENTS ISLAMISTES

    Cela nous ramène au Maroc et à la Tunisie, où les élections, certes imparfaites, ont néanmoins un sens. Partout où elles pourront avoir lieu, mon avis est que les islamistes ne tiendront pas longtemps.

    Je sais que la démocratie n’a pas bonne presse en ce moment, mais elle sera la revendication ouverte ou cachée des populations soumises aux islamistes. Revendication démocratique qui sera souvent prise en charge par les militaires, comme en Égypte. Vous me direz qu’ils sont déjà en place en Afghanistan…

    Le devoir des médias indépendants, notamment occidentaux, est de diffuser le choc du réel qui a suivi ou pourrait suivre les prises de pouvoir, notamment dans la partie de la population que les proclamations islamistes font rêver, du Sahel à certains recoins de l’Occident. L’ouverture sur l’extérieur du Maroc et de la Tunisie montre que c’est possible.

    Contrepoints, 18/09/2021

  • BBC: Comment le roi du Maroc a porté un coup à l’islam politique

    BBC: Comment le roi du Maroc a porté un coup à l’islam politique

    Maroc, PJD, élections, islamistes, Mohammed VI, #Maroc,

    Par Magdi Abdelhadi*

    Le parti islamiste au pouvoir au Maroc a subi une défaite choquante lors des récentes élections – une tournure des événements qui se répercute dans toute l’Afrique du Nord, compte tenu du rôle pionnier de l’islam politique dans le cadre du printemps arabe.

    Le Parti du développement et de la justice (PJD), qui a été le premier parti islamiste à arriver au pouvoir lors d’une élection dans la région et au Moyen-Orient élargi, a vu sa part des voix décimée, passant de 125 à seulement 12 sièges.

    En 2011, le sentiment d’un nouveau départ pour beaucoup au Maroc était réel.

    L’ascension du PJD correspondait à l’air du temps.

    Les protestations qui ont d’abord éclaté en Tunisie, connues plus tard sous le nom de Printemps arabe, battaient leur plein. Zine al-Abidine Ben Ali en Tunisie, Hosni Mubarak en Égypte et Muammar Gaddafi en Libye ont tous été renversés cette année-là.

    Les partis islamistes étaient sur le point de remporter les élections en Égypte et en Tunisie et de changer le cours de l’histoire, comme beaucoup l’avaient espéré.

    Le roi du Maroc, Mohammed VI, a vu où le vent soufflait et a agi rapidement pour prévenir tout bouleversement similaire qui pourrait menacer son trône.

    Il a limogé le cabinet et dissous le parlement. Pour endiguer la vague de protestations, il a annoncé son intention de rédiger une nouvelle constitution afin d’engager le Maroc sur une nouvelle voie.

    Des changements cosmétiques

    La Constitution, approuvée par 98,5 % des voix, a été saluée comme un changement de cap et a contribué à faire du roi un autocrate bienveillant désireux de partager le pouvoir avec le peuple.

    Mais les réformes promises par le roi ont été jugées superficielles par le Mouvement du 20 février pour le changement, la bannière sous laquelle les manifestations ont été organisées pendant le printemps arabe.

    Ce mouvement était descendu dans la rue pour réclamer une réforme radicale visant à faire du Maroc une monarchie constitutionnelle, où le roi « régnerait mais ne gouvernerait pas », un symbole de la nation – plus conforme aux monarchies européennes du Royaume-Uni ou de la Scandinavie.

    En fait, le roi a conservé dans la nouvelle constitution presque tous les pouvoirs qu’il détenait par le passé. Il a continué à contrôler la politique étrangère, de défense et de sécurité.

    Il a également conservé sa position de chef spirituel de la nation – il est officiellement le « commandant des croyants », une description historique utilisée nulle part ailleurs aujourd’hui, et qui repose sur l’affirmation que sa dynastie est une descendante directe du prophète Mahomet.

    Cependant, la nouvelle constitution a fait miroiter un nouveau départ à une partie de la classe politique, dont le PJD.

    Le parti a saisi l’occasion et a surfé sur la vague de mécontentement généralisé à l’égard des anciens partis politiques.

    Et le roi et ses courtisans – qui avaient toléré les islamistes à contrecœur – n’ont pas bloqué leur ascension pour compléter la façade démocratique, tout en gardant les ficelles du pouvoir réel sous sa coupe.

    Le PJD a encore augmenté sa part de voix lors des élections suivantes, en 2016, pour atteindre 125 sièges et passer encore cinq ans au pouvoir.

    Un calice empoisonné

    Bien que presque tout le monde s’attendait à ce que le parti perde quelques voix lors des élections de la semaine dernière, personne n’avait prévu cette défaite écrasante – même le chef du parti et son adjoint ont perdu leurs sièges, ce qui a entraîné leur démission immédiate.

    Il est peut-être trop tôt pour expliquer pleinement les raisons de cette chute spectaculaire. Mais les observateurs s’accordent à dire que le PJD n’a tout simplement pas réussi à tenir ses promesses électorales.

    Un parti qui a pour nom « justice » et « développement » n’a pas réussi à tenir ses promesses, affirment-ils.

    Il avait, par exemple, promis de sortir davantage de Marocains de la pauvreté, d’améliorer l’éducation et la santé publiques, mais n’a rien fait de tout cela. Au contraire, le fossé entre les riches et les pauvres s’est tout simplement creusé.

    En outre, le parti s’est aliéné une partie de sa base en approuvant une loi controversée introduisant des contrats de deux ans pour les enseignants, ce qui les prive de la sécurité de l’emploi et est considéré par certains comme la première étape de la privatisation du système éducatif.

    Sur la question du statut de la langue française dans l’éducation – un sujet particulièrement sensible pour un parti qui défend l’identité arabo-islamique dans l’ancienne colonie française – il n’a pas réussi à bloquer une loi qui faisait du français la langue d’enseignement des sciences dans les écoles.

    Les détracteurs du parti affirment qu’une fois au pouvoir, il est devenu plus royaliste que le roi, prenant le parti du « makhzen » – le terme utilisé par les Marocains pour désigner le roi, les puissants courtisans et les agences de sécurité – contre le peuple dans les principaux conflits de droits et de travail.

    Certains commentateurs estiment que la plus grande erreur du parti a été d’assumer la responsabilité du gouvernement sans détenir le véritable pouvoir, qui appartenait au roi.

    C’était comme un calice empoisonné.

    Cela dit, la modification de la loi électorale, qui n’avait pas été proposée par le PJD mais qui a été adoptée par le Parlement en mars, a également porté un coup décisif aux chances du parti de remporter une autre grande victoire électorale.

    L’abaissement du seuil de référence pour les petits partis et le décompte des voix sur la base de tous les électeurs éligibles plutôt que sur les seuls bulletins valides ont contribué à la défaite du parti.

    Le parti avait contesté ces changements, les qualifiant d’inconstitutionnels, mais n’avait pas réussi à les bloquer au Parlement.

    En apparence, ces changements visaient à permettre une plus grande pluralité, mais en réalité, ils n’ont fait que fragmenter davantage le paysage politique, une tactique utilisée depuis longtemps par le makhzen, selon les analystes, pour miner les partis politiques.

    Une mascarade électorale ?

    Au niveau régional, la nouvelle de l’échec a été accueillie avec jubilation.

    En Égypte et dans le Golfe, le parti est considéré comme la version marocaine des Frères musulmans, un mouvement politico-religieux national et transnational qui a été désigné comme « terroriste » dans certains pays.

    Les commentateurs ont considéré la chute du PJD comme le dernier clou du cercueil de l’islam politique.

    Au Maroc, on peut affirmer sans risque de se tromper que la marginalisation du PJD suggère que le makhzen a désormais complètement traversé la tempête du printemps arabe et de ses suites immédiates.

    Mais les tensions sous-jacentes, nées de la quête d’un gouvernement véritablement représentatif et responsable, ou du désir de contrôler les pouvoirs du roi, n’ont pas disparu.

    L’homme désigné par le roi pour former le nouveau gouvernement, Aziz Akhannouch, le leader milliardaire du Rassemblement national des indépendants (RNI), qui a remporté le plus grand nombre de voix, a déclaré que son gouvernement s’emploiera à « mettre en œuvre la stratégie du roi ».

    Commentant cette déclaration, le journaliste marocain chevronné, Hamid Elmahdaouy, a écrit que tous les candidats précédents au poste de Premier ministre avaient dit la même chose.

    Il s’est demandé quel était l’intérêt de l’élection, estimant que « le vote et toute l’élection n’étaient qu’une mascarade ».

    *Analyste de l’Afrique du Nord

    BBC, 16/09/2021

  • Maroc: Le royaume des seigneurs

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    Chaabane BENSACI

    Fin de l’entr’acte! Le Makhzen vient de mettre fin, à sa manière, au deal convenu avec les islamistes du Parti de la Justice et de la Démocratie, depuis 2011. Plaisanterie mise à part, plus besoin ni de justice ni de démocratie, au royaume des seigneurs.

    Afin de surmonter l’épreuve du Printemps arabe, Mohamed VI et son cabinet noir ont caressé les islamistes marocains dans le sens du poil, tout en leur accordant quelques concessions de pure forme. A eux les grandes décisions et les principaux leviers de l’économie du pays, à eux l’ivresse d’un pouvoir de pacotille dont ils ont fini par mesurer la triste vanité.

    La débâcle du 9 septembre aura secoué le cocotier avant que ne se tienne un congrès où les délégués ont déjà aiguisé les couteaux. Mais à quoi bon, les jeux sont faits.

    Après que Abdellilah Benkirane, l’ex-secrétaire général du PJD, ai été démis de ses fonctions de chef du gouvernement, en raison de ses critiques envers une normalisation avec l’Etat hébreu, très prisée par Mohamed VI et son cercle proche, voilà Saad-Eddine El Othmani qui croyait essuyer les plâtres et se découvre un fossoyeur des illusions perdues. De 127 sièges, dans la précédente Assemblée, le parti ne compte plus que 13 représentants.

    Une terrible humiliation pour une mouvance dont on sait qu’elle n’a rien perdu de son ambition, même s’il lui faut, aujourd’hui, ravaler son amertume. Avec une représentativité limitée aux dimensions d’une cabine téléphonique, qui n’existe plus d’ailleurs, le Makhzen peut, à bon compte, parler du «temps venu de la modernité». Et qu’importe la vague de colère qui agite les réseaux sociaux et secoue la base électorale du PJD, outrée par le rôle de l’argent sale et les manoeuvres sordides qui ont favorisé l’émergence des prétendues «forces de la modernité».

    Le RNI de l’agriculteur milliardaire, Aziz Akhannouch, très proche du palais, le parti de l’Authenticité et de la Modernité (PAM) de l’opposant Abdellatif Ouahbi, son frère ennemi de circonstance, et…l’Istiqlal pavoisent et clament leur vertu, malgré les faits.

    Le PJD, lui, crie à l’infamie et à la corruption, comme s’il s’agit d’un phénomène nouveau. El Othmani qui a avalé bien des couleuvres, croit-il sincèrement que le choix de Mohamed VI, réel ou supposé, n’a pas pesé sur cette élection?

    Les grands gagnants sont l’un pour la légalisation du cannabis, rejetée par le PJD, l’autre pour la fraternisation avec Israël, et le dernier, un porte-étendard de l’expansionnisme du Royaume.

    Bref, les instruments dont a besoin, aujourd’hui, le Royaume pour poursuivre sa dangereuse politique de déstabilisation de la région.

    L’Expression, 12/09/2021

  • Maroc : Des législatives sur fond de dégagisme (Analyse)*

    Maroc : Des législatives sur fond de dégagisme (Analyse)*

    Maroc, élections, #Maroc, PJD, islamistes, #Maroc,

    – Le scrutin, tenu le 8 septembre, s’est soldé par un échec cuisant du Parti Justice et Développement

    Les élections législatives tenues le mercredi 8 septembre au Maroc ont créé la surprise, tant par l’augmentation significative du taux de participation, passé de 42% en 2016 à 50,35%, que par l’échec cuisant du PJD (Parti Justice et Développement).

    Alors qu’il détenait 125 sièges, le parti du Premier ministre Saad Dine El Otmani n’en a remporté que 13.

    Une débâcle inattendue aux allures de gifle, au moment où le Royaume est confronté à une aggravation de la crise sanitaire, forçant les autorités à prendre des décisions impopulaires.

    Dès vendredi, l’homme d’affaires Aziz Akhannouch, à la tête de RNI (Rassemblement national des indépendants), a en toute logique été nommé à la tête du gouvernement par le roi Mohamed VI, au terme d’un entretien au Palais Royal de Fès.

    Celui qui est en effet devenu l’homme fort du royaume chérifien, a raflé 102 sièges à la chambre des représentants et doit désormais former son gouvernement.

    Parallèlement, le PJD a annoncé la démission de son secrétaire général Saad Dine El Otmani, et de l’ensemble de son bureau politique, tout en considérant, par voie de communiqué, que les faibles résultats obtenus « ne reflètent pas la réalité de la carte politique » du Maroc, « ni la position du parti sur la scène politique, ses résultats dans la gestion des affaires locales et gouvernementales, et la large réponse des citoyens au parti pendant la campagne électorale ».

    Selon le politologue François Burgat, cette défaite est à décrypter de plusieurs manières.

    « Je ne pense pas que la cinglante défaite électorale du PJD puisse être interprétée, comme voudront le faire leurs contempteurs automatiques, comme une nième défaite des islamistes », a écrit celui qui est également un islamologue de renom, sur ses réseaux sociaux.

    Il explique en effet que son analyse réside dans le fait que « ce PJD n’a jamais exercé le pouvoir » et que « comme d’autres formations d’opposition avant lui, il a accepté d’en goûter certains des avantages ».

    François Burgat considère que le pouvoir est toujours resté « hors de portée de ses ministres, manié par les seules mains du Roi ou de ses proches conseillers ».

    « Logiquement, le PJD paie donc aujourd’hui le prix des concessions et autres compromissions auxquelles sa volonté de se maintenir sur l’avant-scène l’ont irrésistiblement conduit », a-t-il poursuivi, citant « la trahison des jeunes du 20 février jusqu’à la reconnaissance récente de l’Etat hébreu ».

    Le politologue analyse donc cette défaite du PJD, non pas comme une « crise des islamistes » mais comme « l’échec de ceux qui ont, par opportunisme, cru pouvoir frayer avec les pouvoirs en place sans trahir leurs idéaux » et conclut à la nécessité, pour « cette génération des concessions et des compromissions » de « laisser la place ».

    Même son de cloche du côté du sociologue Mohamed Ennaji, cité par le site d’informations Telquel.

    Cet historien de formation affirme que la « pulvérisation pure et simple » du PJD ne traduit pas nécessairement la fin de « l’attrait qu’exerçait l’islam politique ».

    Il assure que « ce serait une erreur de généraliser » car « le PJD à lui seul n’épuise pas l’islam politique et celui-ci pourrait trouver d’autres formes de manifestation ».

    En tout état de cause, le parti, à la tête du Maroc pendant dix ans, va convoquer son assemblée générale le 18 septembre prochain dans le but « d’évaluer globalement les résultats électoraux et de prendre les décisions appropriées ».

    Le gouvernement formé par le nouveau Premier Ministre Aziz Akhannouch, est quant à lui attendu dans les prochains jours et devrait contribuer à un renouveau dans l’échiquier politique marocain.

    * Les opinions exprimées dans cette analyse n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas forcément la ligne éditoriale de l’Agence Anadolu.

    AA/Nice/Feïza Ben Mohamed

    Anadolou, 12/09/2021