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  • La stabilité du Maghreb, un impératif pour l’Europe

    Hakim El Karoui Senior Fellow – Monde arabe, Islam

    Normalien, agrégé de géographie, Hakim El Karoui a enseigné à l’université Lyon II avant de rejoindre le cabinet du Premier ministre en 2002. Après un passage à Bercy, il rejoint, en 2006, la banque Rothschild. Depuis le mois d’avril 2021, il dirige le bureau parisien de Brunswick. Il est également essayiste et entrepreneur social et a créé le club du XXIe siècle et les Young Mediterranean Leaders. Hakim El Karoui est senior fellow de l’Institut Montaigne et auteur de plusieurs rapports, dont Nouveau monde arabe, nouvelle « politique arabe » pour la France (2017).

    La Méditerranée n’est pas une frontière : les flux d’hommes, d’idées, de marchandises, d’argent en ont fait depuis longtemps une interface beaucoup plus qu’une barrière. Les six millions de Français originaires du Maghreb font aujourd’hui que le destin de la France est lié à cette région du monde. C’est aussi le cas pour l’Espagne, avec le Maroc, et l’Italie, avec la Tunisie et la Libye. Le Sud de l’Europe est arrimé au Nord de l’Afrique, pour le meilleur – les échanges culturels, les services comme le tourisme, l’économie du care, la coopération industrielle – comme pour le pire, avec l’islamisme radical européen qui prend ses racines au Maghreb.

    L’Europe – et particulièrement la France – n’a pas nécessairement su prendre la mesure des transformations sociales qui ont provoqué les révoltes du printemps arabe il y a une décennie. Ce rendez-vous manqué ne doit pas se reproduire à l’occasion de la crise sanitaire et de ses conséquences économiques.

    Depuis de nombreuses années, les pays européens ont le sentiment de voir se rétrécir leur sphère d’influence en Afrique du Nord. D’autres pays, notamment des économies émergentes, ont su trouver leur place auprès des nouvelles élites économiques et formuler des propositions de partenariat concurrentes à celles des Européens.

    Les dés ne sont pourtant pas jetés. Il n’y a aucune fatalité à ce que les liens entre les deux rives de la Méditerranée s’estompent au profit d’une présence turque, qatarie, chinoise ou russe renforcée. Nous avons de nombreux atouts et au-delà nous partageons une histoire et un destin communs avec ces pays.

    Cette note dresse un état des lieux complet du Maroc, de la Tunisie et de l’Algérie, avant la crise du Covid-19 et depuis. L’Institut Montaigne y plaide pour que les Européens octroient un soutien massif au Maghreb, notamment à la Tunisie, sans contrepartie trop brutale, pour éviter un choc social et politique qui y menacerait le fragile édifice démocratique.

    Avant le Covid-19 et depuis : quel état des lieux économique ?

    La Tunisie, une démocratie au modèle économique à réinventer

    Symbole politique unique dans le monde arabe, la Tunisie a réussi sa transition démocratique. Ses indices de transparence sont au niveau des grandes démocraties émergentes, à l’instar de l’Inde ou du Brésil. Mais, longtemps considérée comme l’un des pays les plus compétitifs du continent africain, la Tunisie voit sa situation économique et financière se dégrader depuis les années 2010 pour atteindre -7 % de croissance en 2020.

    Le pays est désormais caractérisé par un potentiel de croissance trop peu exploité, un manque de productivité et une certaine stagnation économique. Le secteur primaire (près de 13 % des emplois tunisiens), trop orienté vers la sécurité alimentaire nationale, est insuffisamment tourné vers le commerce extérieur. La Tunisie ne dispose d’aucune rente naturelle. C’est donc sur les exportations liées aux services (principalement le tourisme) et sur les flux d’investissements étrangers (IDE), notamment dans le textile et la micro-électronique, que repose l’économie tunisienne. Malgré une forte diversification de son économie et de réels atouts comme le faible coût du travail associé à un système de formation relativement efficace, la Tunisie peine à valoriser pleinement ses atouts.

    La Tunisie connaît un fort taux de chômage, environ 15 % de la population active. Sa croissance démographique rapide, d’environ 1 % par an, ralentit la capacité d’absorption du marché du travail de sorte que les taux de chômage des 15-24 ans comme celui des diplômés s’élèvent à environ 35 % et 30 % respectivement.

    Afin de calmer la colère sociale, les autorités ont massivement eu recours à l’augmentation de l’emploi public, en titularisant notamment des personnes en contrats à durée déterminée et en recrutant massivement dans la fonction publique dans les zones les plus pauvres. Dès la fin de l’année 2016, on dénombrait déjà près de 600 000 emplois publics, contre un peu moins de 450 000 à la fin de l’année 2010. Aujourd’hui, la masse salariale représente environ la moitié de la dépense publique tunisienne. L’emploi public culmine à près de 18 % du total – un record mondial.

    Ce modèle économique a fortement été ébranlé par la crise de 2020 et le « Grand confinement ». La réponse des autorités tunisiennes a été cohérente sur le plan sanitaire mais limitée financièrement. Par exemple, le gouvernement a versé deux tiers du SMIC aux familles les plus pauvres, soit 140 euros.

    Avec un total d’environ 2 points de PIB, le plan de relance lié aux mesures d’urgence demeure modeste, comparé à la moyenne mondiale et à celle des pays émergents (respectivement, près de 3,5 et 3 points de PIB).

    Le Maroc, un modèle de croissance expansif malgré de fortes inégalités

    Le Maroc et la Tunisie partagent certaines caractéristiques de développement :

    un modèle de croissance « ouvert » (taux d’ouverture avant-crise proche de 90 %) qui repose sur les exportations touristiques et sur la consommation ;
    un secteur primaire important, qui représente 12,5 % du PIB et concerne un tiers de la population active.
    Le « printemps arabe » et la recrudescence de l’instabilité régionale ont largement bénéficié au Maroc. Le pays se situe une vingtaine de places devant la Tunisie dans les classements Doing Business et Global Competitive Index. Les flux touristiques le démontrent : le Maroc a enregistré une croissance nettement plus importante que la Tunisie ou même l’Égypte – où les arrivées se sont effondrées lors des manifestations de 2011 et des vagues d’attentats de 2015 et 2016.

    Mais de fortes inégalités persistent. Le Maroc souffre, comme la Tunisie, d’un taux de chômage important, principalement chez les jeunes de 15-24 ans (21,9 %). La participation des femmes au marché du travail (19,9 % in 2020) est près de deux fois inférieure à la moyenne des pays en voie de développement (45 %). Le taux d’alphabétisation des femmes est inférieur d’environ 20 points à celui des hommes. Par conséquent, les femmes marocaines sont plus nombreuses qu’ailleurs dans le secteur informel.

    Plus largement, les principaux indicateurs sociaux sont inférieurs au reste des pays du Maghreb. Mais si le Maroc peine à réduire les inégalités structurelles, le pays a rapidement mobilisé un grand nombre d’outils de financement pour gérer l’urgence sanitaire de 2020 et soutenir les populations fragiles. Dès le début de la crise de Covid-19, les autorités marocaines ont effectivement mobilisé 3 milliards de dollars, soit 3 % du PIB. Mais ce montant ne suffit pas à contenir l’accroissement rapide du ratio d’endettement et le creusement des déficits courants.

    L’Algérie, des fondamentaux économiques dépendants du cours des hydrocarbures

    Le modèle de croissance algérien est fondé sur un triptyque :

    production et exportation des ressources, notamment en hydrocarbures qui représentent entre 20 et 25 % du PIB national et plus de 90 % des exportations ;
    faible tertiarisation de l’activité, notamment en ce qui concerne le tourisme et les services à la personne ;
    forte présence de l’État dans l’économie.
    La pérennité de ce modèle de croissance dépend donc fortement des cours des hydrocarbures. Or, depuis 2014, on observe une baisse tendancielle des rentes pétrolières, ce qui impacte réellement le PIB algérien.

    La baisse des recettes pétrolières a conduit à un accroissement du déficit budgétaire depuis cinq ans. En 2015, il atteignait -16 % du PIB. L’endettement public intérieur a continué à se creuser, passant à 46,3 % du PIB en 2019. Le double choc pétrolier et sanitaire du premier semestre 2020 a abouti à une contraction du secteur des hydrocarbures, une baisse de la consommation et une chute de l’investissement. La crise est financière mais aussi sociopolitique. La stabilité sociale et politique de l’Algérie repose depuis la fin des années 1990 sur ses dépenses sociales.

    Les dépenses sociales au sens large représentent environ 25 % du PIB, soit 5 points de plus que la moyenne de l’OCDE – un montant considérable. La soutenabilité de ce système de redistribution massive via les transferts sociaux en Algérie est conditionnée à un prix élevé du baril de pétrole. L’effondrement des prix du pétrole au début de l’année 2020 a ainsi mis en péril un système de transferts sociaux essentiels pour la stabilité politique du pays.

    Cette politique de transferts sociaux permet de compenser un taux d’emploi très faible, avec un taux d’activité parmi les plus bas au monde (42 % en moyenne).

    L’Algérie doit donc trouver d’autres sources de financement pour assurer la pérennité de son système.

    Avant la pandémie, les pays du Maghreb étaient porteurs de fragilités économiques et sociales. Ces dernières se sont accentuées avec la crise. Pour y faire face, cette note projette des scénarios macroéconomiques par lesquels l’Institut Montaigne évalue clairement et précisément les besoins de financement des trois pays maghrébins.

    Sortir de la crise : quels scénarios ?

    Le cas tunisien

    La Tunisie a bénéficié d’un prêt d’urgence d’environ 753 millions de dollars de la part du FMI en avril 2020. Cette somme ne suffira pas à couvrir l’entièreté du besoin de financement public du pays en 2021. 1 milliard de dollars supplémentaires pourraient lui être accordés, mais ils sont conditionnés à la mise en place de réformes structurelles négociées avec le précédent gouvernement.

    Selon les scénarios les plus optimistes, les besoins de financement tunisiens seraient compris entre 3 et 5 milliards de dollars, et entre 5 et 9 milliards de dollars pour les scénarios pessimistes. La Tunisie a besoin de trouver en urgence des financements complémentaires.

    Le cas marocain

    Le Maroc a levé environ 3 milliards de dollars en décembre 2020. Le FMI soulignait début 2021 que la dette marocaine semblait soutenable à court terme.

    Le pays doit néanmoins financer un grand plan de développement à moyen terme : renforcement de son capital humain (déficiences structurelles pour l’éducation par exemple), financement en infrastructures et industries de réseaux (notamment le réseau routier), transition énergétique et modernisation du système de protection sociale et de santé.

    Selon les scénarios optimistes, les besoins de financement par le Maroc se situeraient entre 3,5 et 6,5 milliards de dollars. Entre 6 et 11 milliards de dollars seront nécessaires selon les scénarios pessimistes, s’il ne dispose pas d’aide des bailleurs internationaux.

    Le cas algérien

    Des trois pays du Maghreb, c’est l’Algérie qui détient le déficit budgétaire le plus important : il devrait atteindre 13,5 % du PIB en 2021. L’Algérie maîtrise cependant son taux d’endettement (46,3 % de son PIB en 2019). Déclinant un soutien multilatéral (en particulier du FMI), le gouvernement finance ses transferts sociaux sans difficulté grâce à la richesse de ses ressources en hydrocarbures. Néanmoins, la pérennité de ce système social dépend fortement du paramètre très évolutif du prix des hydrocarbures.

    Soutenir le Maghreb, un impératif pour l’Europe

    Relancer le partenariat euro-méditerranéen

    Le bilan est clair : les pays du Maghreb, et particulièrement la Tunisie, ont besoin d’être soutenus financièrement dans le contexte de la crise sanitaire. Les économies de la région et la stabilité de ces pays sont sous tension. L’Europe doit pouvoir inclure le Maghreb dans son plan européen de 750 milliards d’euros. Faire bénéficier la capacité d’emprunt européenne aux trois pays du Maghreb leur permettrait d’acquérir les liquidités nécessaires à la transformation de leurs modèles de développement. À cette condition, la crise pourra constituer une opportunité à saisir pour se relancer durablement.

    Le Maghreb, nouvel enjeu stratégique

    Le Maghreb n’est plus un pré-carré européen. Les trois pays du Maghreb font l’objet d’un intérêt de la part des grands acteurs régionaux et mondiaux. L’influence de l’Europe – et particulièrement celle de la France – recule progressivement.

    Seule démocratie du monde arabe, proche de l’Europe par ses échanges commerciaux, la Tunisie représente un fort symbole politique. La France demeure un partenaire majeur de la Tunisie : environ 14 % des importations tunisiennes en 2019 (contre 21 % en 2009). Mais l’analyse des flux d’investissements directs montre que d’autres puissances s’intéressent à la Tunisie. 39 % du stock d’IDE en 2019 provenaient des pays du Golfe, dont 11 % pour le Qatar. La Turquie est également très implantée sur le marché tunisien, notamment dans le domaine des travaux publics et des infrastructures.

    Le Maroc, passerelle entre l’Europe et l’Afrique, plateforme commerciale et financière importante, économie ouverte aux échanges et insérée dans les principaux flux économiques et financiers, est au cœur des intérêts régionaux et internationaux. Le Maroc intéresse de plus en plus la Chine, dont la diaspora est assez importante sur le littoral marocain. La Chine regarde de près les implantations logistiques, notamment à Tanger, et exporte beaucoup de biens manufacturés et de matériel au Maroc. Elle a aussi construit un partenariat avec le Royaume pendant la crise du Covid-19 : envois de masques, test avancé de vaccins, distribution massive de vaccins chinois, etc. La Chine est en bonne position sur le plan des importations marocaines : elle représente 10 % du total en 2019, même si elle demeure derrière l’Espagne (15 %) et la France (12 %).

    Fondamentalement souverainiste mais très ouverte sur l’international par ses échanges commerciaux, l’Algérie se caractérise par son paradoxe. Riche en hydrocarbures et très attentive aux choix de ses partenaires économiques, l’Algérie détient les clients et les fournisseurs les plus diversifiés de la région. La Russie et la Chine sont devenues des partenaires importants de l’Algérie (17 % des importations algériennes provenaient de Chine en 2019). Longtemps concentrées sur le secteur de la défense, les relations entre Moscou et Alger ont récemment évolué avec la crise du Covid-19 vers le domaine de la santé (utilisation du vaccin russe en Algérie).

    C’est pourquoi l’Europe doit rester très attentive à la situation du Maghreb et trouver des solutions, pas seulement d’ordre financier, pour contribuer à la stabilité de ces pays. Celles-ci dépendent du bien-être des populations, davantage que le seul soutien aux régimes. Agissons tant qu’il est encore temps.

    Institut Montaigne, mai 2021

    Etiquettes : Maghreb, Printemps arabe,

  • Dix ans après le printemps arabe, la Libye a une nouvelle chance de paix

    Il y a dix ans, la zone d’exclusion aérienne des Nations unies au-dessus de la Libye a marqué le début de la révolution libyenne et de la campagne de bombardements de l’Occident.

    J’ai passé une grande partie de la guerre intégré aux combattants de Misrata, la troisième ville de Libye, à étudier l’insurrection. Les combats ont cessé avec la mort du colonel Moammar Kadhafi, le dirigeant de la Libye depuis quatre décennies.

    Malheureusement, l’espoir a cédé la place à la tourmente, les Libyens voyant les gouvernements qui se sont affrontés et les centaines de groupes armés se disputer les richesses pétrolières du pays. Les initiatives de paix ont échoué à plusieurs reprises – jusqu’à tout récemment.

    Le 16 mars, date du 10e anniversaire du printemps arabe et de l’intervention de l’OTAN, un gouvernement unissant l’est et l’ouest de la Libye a pris le pouvoir pour la première fois depuis 2014. Cette opportunité est la dernière et meilleure chance des Libyens pour la stabilité et la prospérité. Il existe trois raisons d’espérer, mais ce sont des raisons tout aussi impérieuses de désespérer.

    1. Victoire militaire impossible pour l’un ou l’autre camp

    En avril 2019, le chef des milices de l’Est de la Libye, Khalifa Haftar, a attaqué la capitale libyenne, Tripoli. Il voulait prendre le contrôle avant que le Congrès national libyen puisse se réunir pour mettre en place des élections.

    À l’époque, il avait l’avantage militaire, soutenu par l’Égypte, les Émirats arabes unis, la Russie et la France et disposant de drones et d’avions de combat de pointe. Haftar était sur le point de remporter la victoire malgré les efforts des groupes armés de Tripoli, Misrata et Zintan pour l’arrêter. C’était jusqu’à ce que la Turquie intervienne il y a quelques mois, renversant le cours des combats et bouleversant l’équilibre militaire en Libye.

    La Turquie voulait faire échec à la puissance russe et égyptienne dans la région et s’assurer des droits de forage sous-marin dans la mer Méditerranée. L’intervention de la Turquie a été décisive, entraînant le retrait des milices d’Haftar et des mercenaires russes.

    Cette défaite a fondamentalement modifié la politique libyenne. Il est devenu évident pour Haftar et ses partisans qu’il n’y avait, pour l’instant du moins, aucune solution militaire au conflit libyen. Cette impasse a transformé le dialogue politique et militaire des Nations Unies en une véritable négociation pour le pouvoir et l’avenir de la Libye.

    2. La pandémie : Un point de rupture pour les Libyens

    Les Libyens sont furieux contre leur classe politique. Il est difficile d’exagérer l’enfer que les Libyens ont vécu au cours de la dernière décennie, et la pandémie n’a fait qu’exacerber la situation.

    Le système de santé libyen s’est effondré pendant la révolution, laissant les Libyens vulnérables au COVID-19. Au cours de l’été, de nombreuses familles ont dû choisir entre attendre les bombardements ou exposer leur famille au COVID-19 si elles fuyaient.

    La Libye était un pays aisé avant la révolution de 2011. Avec seulement six millions d’habitants et de vastes réserves de pétrole, la Libye devrait plutôt ressembler au Qatar ou aux Émirats arabes unis, deux nations riches au niveau de vie élevé.

    Les Libyens le savent et en ont assez. Cette colère a déstabilisé les dirigeants politiques libyens de toutes les parties au conflit et constitue un élément moteur des progrès politiques récents et inattendus. Le fait que Haftar et d’autres dirigeants soutiennent le nouveau gouvernement est une preuve supplémentaire de la pression exercée par les Libyens moyens, étant donné que ces dirigeants ont rejeté tout compromis jusqu’à présent.

    3. Les puissances régionales recherchent la stabilité en Libye

    Après la mort de l’ambassadeur américain Chris Stevens en 2012 à Benghazi, la communauté internationale a abandonné la Libye. Comparez cette réponse à la détermination européenne et américaine en Irak et en Afghanistan, où des milliers de diplomates sont restés malgré une violence extrême.

    Les puissances régionales ont comblé le vide, en lorgnant sur les richesses de la Libye. L’Égypte, la Russie et les Émirats arabes unis ont parié sur Haftar, lui fournissant des systèmes d’armes sophistiqués et les mercenaires pour les faire fonctionner. Mais l’intervention de la Turquie en 2019 a changé la donne.

    Désormais, pour que les acteurs régionaux puissent bénéficier de la Libye, ils ont besoin d’un gouvernement opérationnel qui contrôle pleinement sa richesse pétrolière. La Turquie est également intéressée par le succès du traité maritime qu’elle a signé avec la Libye quelques jours avant son intervention, renforçant sa stratégie plus large pour la Méditerranée orientale.

    Que faut-il encore pour que tout se passe bien ?

    Les États-Unis et l’Europe doivent s’impliquer

    Les raisons d’espérer ne sont, malheureusement, pas assez nombreuses. Le nouveau premier ministre libyen, Abdul Hamid Dbeibah, ne doit pas non plus se laisser abattre. Plus important encore, l’Europe et les États-Unis doivent s’impliquer.

    L’Europe a le plus grand intérêt à le faire, car la Libye est une route majeure pour la migration. Un État libyen fonctionnel contribuerait grandement à empêcher des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants de se noyer sur les côtes européennes chaque année.

    Les États-Unis étant le premier donateur d’aide étrangère de l’Égypte, ils doivent encourager les Égyptiens à faire pression sur Haftar pour qu’il continue à soutenir le nouveau gouvernement.

    Enfin, la communauté internationale doit soutenir les efforts de l’ONU en Libye, y compris l’application de l’embargo sur les armes, qui a été « totalement inefficace ». Stephanie Williams, représentante intérimaire de l’ONU en Libye, est l’héroïne méconnue des négociations politiques qui ont conduit au nouveau gouvernement d’unité libyen.

    En créant un dialogue politique progressif et inclusif, Mme Williams a utilisé la pression de l’opinion publique pour pousser les politiciens à agir. Il faut espérer que le nouveau représentant des Nations unies en Libye, le Slovaque Ján Kubiš, ne gâchera pas cet élan en ignorant les principes qui ont permis le succès : l’humilité, la transparence et la place centrale de la voix des Libyens.

    Stephen Harris
    Rédacteur en chef, Science + Technologie

    The Conversation, 22 mars 2021

    Tags : Libye, Printemps Arabe, Kadhafi, révolution, OTAN,

  • Le printemps tunisien n’a pas apporté de réel changement – Rapport spécial

    Par Alessandra Bajec

    Chaque janvier depuis 2011, les manifestations sont devenues un événement régulier en Tunisie pour marquer le dixième anniversaire de la révolution qui a renversé le régime du dictateur de longue date Zein el Abdine Ben Ali – et a déclenché ce qui est devenu le printemps arabe. Malgré ces manifestations annuelles, cependant, la Tunisie n’a pas réussi à faire de progrès substantiels dans la vie quotidienne de ses citoyens car la démocratisation du pays ne s’accompagne pas d’une transition socio-économique.

    Compte tenu de cet échec, les manifestations de cette année étaient différentes. Tout au long du mois de janvier, des manifestations nocturnes ont secoué les quartiers défavorisés de la capitale comme Ettadhamen et Douar Hicher et de nombreuses villes du pays pendant plus d’une semaine. Des dizaines de jeunes âgés de 15 à 30 ans ont affronté les forces de sécurité. Certains incidents de pillage et de vandalisme ont été signalés. L’armée et la police ont réagi par un recours excessif à la force et des arrestations massives de plus de 1 600 jeunes pour la plupart, dont un tiers sont des mineurs.

    La série de manifestations nocturnes a commencé le jour de l’anniversaire, le 14 janvier, qui a coïncidé avec le début d’un verrouillage national de quatre jours ordonné ostensiblement de contenir un récent pic de COVID-19, bien que de nombreux Tunisiens aient affirmé que la mini-détention avait été imposée dissuader les gens de manifester, plutôt que pour des raisons de santé publique.

    Les révoltes ont frappé différents endroits, des zones urbaines pauvres de Tunis à Siliana, Kairouan, Kasserine et Gafsa à l’intérieur jusqu’aux villes balnéaires telles que Bizerte, Nabeul, Sousse et Monastir.

    Des rassemblements de jour ont suivi pour protester contre la répression policière, la corruption et une situation économique désastreuse exacerbée par la pandémie de coronavirus. Les militants ont également demandé la libération des jeunes manifestants détenus. Les manifestations se sont poursuivies tout au long de la seconde quinzaine de janvier, certains rassemblements se poursuivant en février. La vague de troubles chez les jeunes était sans précédent. Les étudiants, les décrocheurs, les chômeurs – pour la plupart non affiliés à aucun parti politique – se sont révoltés dans les quartiers populaires. Leurs protestations reflétaient une prise de conscience plus large du taux de chômage élevé, de l’appauvrissement et de la détérioration des conditions de vie.

    Heythem, un militant de la fin des années 20 du mouvement tunisien «Hold Them Accountable» ( Hassebhom ), a déclaré à Toward Freedom que les actions des jeunes de la périphérie étaient «politiques» alors même qu’ils pillaient les chaînes de supermarchés. «Ils ont envoyé un message politique: » nous avons faim, nous devons nous battre pour nos petites entreprises « », a-t-il affirmé. «Lorsque ces enfants voient la police faire des descentes dans leurs quartiers et attaquer leurs pairs, ils demandent clairement de ‘quitter mon quartier!’»

    Une fois que les manifestations de rue sont entrées dans le centre de la capitale tunisienne pendant la journée, le mouvement de protestation s’est encore élargi pour inclure des acteurs de la société civile, des groupes de défense des droits, des partisans de gauche, des représentants de partis de gauche, des anarchistes et des militants queer.

    La colère généralisée face à la privation socio-économique et aux abus de la police s’est reflétée dans la participation importante et variée dans les rues du centre-ville de Tunis.

    «Dès que la scène de protestation s’est déplacée dans la capitale, les foules sont devenues beaucoup plus diversifiées avec une forte représentation de la société civile au sens large», a déclaré Quiem Chettaoui à Toward Freedom . Chettaoui est un spécialiste des politiques publiques axé sur les questions socio-économiques en Tunisie. Elle a déclaré que ces manifestants avaient aidé à formuler «des demandes plus explicites», vraisemblablement compte tenu de leurs antécédents politiques et de leur expérience de l’activisme.

    Un nouveau groupe de jeunes militants antifascistes, «The Wrong Generation», s’est mobilisé de manière plus inclusive que d’autres groupes de protestation, atteignant les jeunes des quartiers défavorisés. Leur intention est de mieux comprendre les doléances des riverains, tout en gardant un contact régulier avec eux.

    Un autre groupe, la Campagne nationale pour soutenir les luttes sociales, a publié une déclaration articulant un ensemble de revendications populaires à la suite des manifestations de janvier appelé le programme des peuples contre l’élite. Certaines des demandes incluent la libération de tous les détenus et le démantèlement du système répressif de la police; porter le salaire minimum d’un peu moins de 400 TND (146 $) à 600 TND (219 $) par mois et octroyer des allocations de chômage mensuelles de 400 TND; la distribution des terres appartenant à l’État et des terres négligées des grands propriétaires fonciers aux travailleurs agricoles sans terre, aux chômeurs et aux petits agriculteurs; et la relance de l’industrie textile nationale.

    Amayed Aymen, un activiste de 29 ans et chercheur indépendant de Gafsa, a assisté à une plus grande participation aux rassemblements de janvier, même s’il pensait que les membres de groupes de la société civile établis et les militants politiques restaient détachés des problèmes quotidiens des personnes issues des districts marginalisés.

    «Ils [l’élite civile] ne savent pas ce qui se passe dans les banlieues ou à l’intérieur, ils visitent à peine ces zones, mais beaucoup d’entre eux ont tendance à parler au nom du peuple même si ce n’est pas leur lutte», a noté le chercheur.

    «Quand vous voyez des enfants se lever, c’est un très mauvais signe», a-t-il ajouté. «Cela signifie qu’eux aussi ressentent l’impact de la crise. Vous pouvez voir des Tunisiens lutter pour acheter des produits essentiels et mener une vie normale. La situation est toujours pire pour ceux qui vivent dans des zones à faible revenu. »

    Le pays est aux prises avec un taux d’inflation de 7,5% et le chômage dépasse 15%, un tiers du nombre étant composé de jeunes. Le PIB a diminué de 9 pour cent l’année dernière.

    Face au chômage endémique des jeunes, au manque de perspectives de vie et à une réponse sécuritaire musclée à leurs problèmes, tout ce que ces jeunes Tunisiens voulaient était d’être entendu.

    Politiciens focalisés sur le vandalisme

    Le silence prédominant des responsables gouvernementaux en réaction aux troubles nocturnes a déçu les militants. Certains politiciens et chefs de parti ont rompu leur silence quelques jours plus tard, manifestant cependant très peu d’empathie. Plutôt que de tenter de comprendre ce qui aurait pu motiver de telles vagues de colère, les partis politiques ont préféré concentrer leur attention sur les actes de vandalisme et de pillage qui se sont produits pendant les émeutes.

    Rached Ghannouchi, président du parlement et chef du parti musulman Ennahdha , s’est adressé avec mépris aux jeunes en colère à la télévision: «Le vandalisme et le pillage ne vous apporteront pas d’emploi», a-t-il insisté. Certaines personnalités importantes d’ Ennahdha ont accusé les jeunes manifestants d’être des saboteurs et des criminels.

    Dans un autre discours télévisé, le Premier ministre Hichem Mechichi a déclaré qu’il comprenait les manifestants, mais que «la loi sera appliquée».

    Lors d’une visite dans une banlieue de Tunis, le président Kais Saied s’est entretenu avec une dizaine de jeunes, les exhortant à s’abstenir de viser des personnes ou des biens.

    Le 26 janvier, le parlement tunisien a tenu un vote de confiance dans un remaniement du gouvernement de Mechichi. Il s’est réuni au milieu d’une forte sécurité policière, ressemblant à un état de siège, alors que des centaines de manifestants se rassemblaient à proximité pour appeler à la chute du système.

    A tweeté Nesrine Jelalia, directrice exécutive du chien de garde parlementaire tunisien Al Bawsala, «Au lieu de se préparer à recevoir une délégation de jeunes manifestants à l’ARP [parlement] pour les engager dans le dialogue et les écouter, l’ARP et les autres institutions étatiques ont choisi de se barricadent au moyen de barbelés et de chars.

    La révolution du jasmin: une certaine démocratie gagnée; mais les droits économiques et sociaux prévenus

    Dix ans plus tard, le mécontentement de la population est palpable. L’establishment politique post-révolutionnaire n’a manifestement pas réussi à répondre aux aspirations mêmes scandées par ceux qui ont combattu dans le soulèvement. Pourtant, le bouleversement tunisien de 2011, surnommé la «révolution du jasmin», a abouti à une démocratie naissante qui a jusqu’à présent traversé une transition cahoteuse mais pacifique malgré tous les défis économiques, politiques et sociaux. La petite nation nord-africaine a souvent été saluée comme la seule réussite du printemps arabe en raison de son expérience démocratique, qui a été la première et la plus longue du monde arabe à la suite des manifestations. Depuis lors, de nombreux Tunisiens jouissent de droits et libertés durement acquis, tant publics qu’individuels, l’un des acquis les plus solides étant la liberté d’expression.

    Mais à l’origine, la révolution n’était pas une question de démocratie. Lors des révoltes populaires de 2010-2011 qui ont balayé les régions intérieures de la Tunisie, le slogan notoire «travail, liberté et dignité nationale» représentait le mieux les revendications fondamentales qui ont poussé les gens à descendre dans la rue. Il s’agissait avant tout d’améliorer leurs moyens d’existence. Lorsque le 17 décembre 2010, le vendeur ambulant Mohammed Bouazizi s’est immolé par le feu, ce qui a déclenché la révolution tunisienne, il l’a fait pour protester contre la corruption gouvernementale et le chômage généralisé.

    Plus tard, alors que les bouleversements se propageaient dans tout le pays et atteignaient la capitale, des groupes de la société civile, des partis d’opposition et des syndicats ont rejoint le mouvement. Ce n’est qu’alors que le changement politique est devenu une demande.

    Mehdi Barhoumi, chef de projet pour l’ONG International Alert en Tunisie , a expliqué à Toward Freedom que la priorité de l’élite politique était la «question démocratique» par opposition à la «question socio-économique». «Le changement structurel nécessaire pour créer un modèle juste et équitable ne s’est pas produit», s’est-il plaint.

    Pour de nombreux jeunes révolutionnaires et militants, une fois que les élites politiques et civiles ont saisi le soulèvement comme une opportunité d’évincer l’ancien autocrate, des questions comme le transfert de pouvoir et la transition démocratique ont repris les appels initiaux en faveur des droits socio-économiques entendus lors des premières manifestations.

    Le jeune militant Heythem est également un ancien membre du mouvement «Je ne pardonnerai pas» ( Manich Msameh) qui a fait pression contre la corruption et l’impunité. Il a souligné qu’après que Ben Ali a fui le pays le 14 janvier 2011, des personnalités de l’opposition et des organisations civiles établies ont exprimé des revendications institutionnelles, à savoir la rédaction d’une constitution et la tenue d’élections libres et équitables, qui n’étaient «pas les revendications du peuple. . »

    La Tunisie a tenu des élections libres (présidentielles et législatives) à deux reprises depuis la révolution, en 2014 et 2019. Heythem a noté qu’après avoir voté pour la première fois à deux séries d’élections démocratiques, les Tunisiens se sont rendu compte que les dirigeants politiques post-2011 n’agissent pas. dans l’intérêt public comme ils l’espéraient. Au lieu de cela, ils sont enclins à protéger les groupes d’intérêt et les capitalistes de copinage, car beaucoup d’entre eux sont connectés à ces réseaux privilégiés bien enracinés.

    «Le processus révolutionnaire a été rapidement détourné par des groupes d’intérêt, qu’il s’agisse d’élites politiques, économiques ou financières, qui ont maintes fois entravé les progrès du pays», a observé Quiem Chettaoui. Cela, selon elle, était dû au fait que le mouvement de protestation populaire de base en 2011 n’était pas très bien organisé et que les forces politiques qui s’opposaient au régime étaient trop faibles et non coordonnées pour former un bloc cohésif qui pourrait soutenir le mouvement de protestation dans sa demande de changement. .

    Une décennie après le début de la révolution, au milieu d’une politique tumultueuse, plus de dix gouvernements élus successifs n’ont pas réussi à promulguer des réformes indispensables telles que l’adoption de griefs sociaux et économiques régionaux et la lutte contre la corruption et le népotisme.

    La richesse reste concentrée sur la côte et la responsabilité est insaisissable

    Loin de renverser le statu quo socio-économique, le leadership politique post-2011 a reproduit les mêmes mécanismes qui perpétuent les inégalités régionales depuis que l’État nord-africain a obtenu son indépendance en 1956. Autrement dit, la richesse est principalement concentrée dans les zones côtières. au détriment de l’arrière-pays négligé qui est aux prises avec des infrastructures médiocres, des ressources limitées et un accès limité aux opportunités d’emploi.

    Sayida Ouniss , une parlementaire représentant le parti musulman Ennahdha, a reconnu que le droit d’accéder aux ressources économiques est une question centrale qui aurait dû être priorisée, mais qui n’a pas été traitée jusqu’à présent, ce qui implique que la «volonté politique» fait défaut. Si elle est résolue , a-t-elle déclaré à Toward Freedom, « cette question clé ouvrirait des opportunités commerciales, faciliterait la création d’entreprises, embaucherait formellement des travailleurs et garantirait la fourniture d’une couverture de sécurité sociale».

    Mehdi Barhoumi, qui est également un expert des droits et de la gouvernance, a rappelé que l’ancien modèle économique avait été maintenu, «renforçant ainsi les déséquilibres régionaux» que la pandémie a encore mis en évidence en termes d’accès aux services de santé et sociaux.

    La lutte pour la reddition de comptes a également été difficile. Le processus de justice transitionnelle en Tunisie, qui a été mis en place pour restaurer la dignité des victimes et faire face à des décennies de corruption et de violence, a subi des revers majeurs. La plupart sont issus des dirigeants politiques du pays et des élites tunisiennes. Des responsables gouvernementaux, ainsi que des autorités de sécurité et judiciaires, ont entravé le travail de la Commission vérité et dignité (TDC), mise en place en 2014. La TDC est chargée d’enquêter sur les violations des droits de l’homme, la corruption et les crimes économiques commis dans toute la dictature du pays et dans le années qui ont immédiatement suivi la révolution ,. Le gouvernement a empêché l’accès aux preuves contenues dans les archives et les fichiers. Le Parlement a même tenté d’ empêcher l’extension du mandat de la commission. De plus, la loi de réconciliation administrative très controversée, adoptée en septembre 2017, a accordé l’amnistie aux fonctionnaires coupables de corruption, ce qui a bouleversé le processus officiel de justice transitionnelle.

    Une cour constitutionnelle n’a toujours pas été formée depuis sa création en 2014 en raison de l’incapacité du parlement à nommer ses trois derniers membres, laissant la démocratie tunisienne mal équipée pour réglementer la répartition du pouvoir au sein du régime politique du pays, en particulier en temps de crise.

    « Sans un organe juridique pour déterminer qui a raison, des questions cruciales comme la nomination des ministres ont évolué vers des luttes intestines politiques et le chaos, empêchant le pays d’aller de l’avant», a expliqué Sarah Yerkes, membre senior du Carnegie Endowment for International Peace’s Middle. Programme Est qui se spécialise dans la politique et l’économie de la Tunisie. .

    Pour rendre les choses plus difficiles, la Tunisie vit une instabilité politique continue depuis la révolution, alors que les cabinets successifs de courte durée, avec des dirigeants politiques occupés à leurs propres conflits internes, ont reporté ou bloqué la mise en œuvre de réformes clés. Le gouvernement manque tout simplement de la continuité dont il a besoin pour fonctionner comme il se doit, en particulier en période de crise comme la pandémie de coronavirus.

    Accorder la priorité au progrès politique depuis 2011 ne s’est pas traduit par une amélioration des moyens de subsistance et de la dignité pour tous. Les libertés civiles et politiques sans opportunités économiques et équité sociale ne signifient pas grand-chose pour la population.

    «La police partout, la justice nulle part»

    Dans un environnement politique de plus en plus polarisé, le gouvernement est bien conscient de son incapacité à apporter les solutions nécessaires aux citoyens. Au lieu de cela, il a choisi de contenir la colère populaire en renforçant la sécurité.

    La relation entre les forces de sécurité et les citadins pauvres en Tunisie est depuis longtemps tendue. Les pratiques répressives adoptées à l’époque de Ben Ali (1997-2011) se sont poursuivies après la révolution de 2011. Le jeune activiste Amayed Aymen a évoqué les abus constants de la police que les jeunes des quartiers défavorisés doivent endurer. «Les flics arrêtent régulièrement et vérifient les papiers d’identité des jeunes hommes dans le centre de Tunis, en fonction de leur apparence.» S’ils arrêtent quelqu’un d’un endroit marginalisé », a-t-il ajouté,« ils lui demanderont «que faites-vous ici?», Soulignant la liberté restreinte et le peu de dignité de ces jeunes.

    Mais parce que ces mêmes jeunes Tunisiens à la fin de l’adolescence ou au début de la vingtaine n’ont pas vécu sous la dictature de Ben Ali, ils ignorent ce qu’est l’autoritarisme et s’attendent à être libres à l’ère de l’après-révolution. Ils savent qu’ils ont des droits et sont prêts à se battre pour eux. Ils perçoivent en grande partie le gouvernement et l’ensemble du système comme corrompus. Ils rejettent les partis politiques et les islamistes, les membres de l’ancien régime et autres, et s’opposent aux abus de pouvoir de la police et de toute autorité qui leur dicte quoi faire. «La police partout, la justice nulle part», lit-on certaines des banderoles hissées lors des manifestations de janvier.

    Les dirigeants politiques n’ont pas rompu avec les anciens choix économiques et sociaux faits sous Ben Ali, et les jeunes d’aujourd’hui veulent rompre avec la classe politique actuelle qui s’est révélée à plusieurs reprises incompétente.

    Pendant ce temps, les vestiges des politiques de Ben Ali ont prolongé un modèle de développement exclusif, laissant croître l’économie informelle, avec sa main-d’œuvre de plus en plus précaire et peu rémunérée, tout en refusant aux travailleurs irréguliers le droit d’être intégrés dans le secteur formel afin d’avoir accès à une meilleure économie économique. Opportunités.

    Le député Ouniss a admis que la grande erreur commise par toutes les parties au fil des ans n’a pas été de donner la priorité à un meilleur accès à la production de richesse. «Il faut du courage politique de chacun pour prendre position contre le capitalisme de copinage, pour ouvrir un débat et légiférer sur ce dossier», a estimé le législateur. Agir sur cette question critique, a-t-elle poursuivi, permettrait de réapprovisionner les caisses, y compris les fonds de sécurité sociale, permettant à l’État d’allouer des dépenses plus adéquates dans les secteurs de l’éducation, de la santé, des transports et des infrastructures, ainsi que de concevoir et de mettre en œuvre des politiques publiques. garantir l’équité économique et sociale.

    Pour Mehdi Barhoumi, «le vrai problème n’a pas été de remettre en question le système économique et social que nous avons. Nous devons avoir un nouveau modèle basé sur une meilleure redistribution des richesses », faisant allusion à la rareté des emplois et à la diminution des services publics de qualité médiocre à l’intérieur, au sud et dans les banlieues.

    Le parcours révolutionnaire de la Tunisie est remis en cause par des mouvements régressifs venant de plusieurs joueurs. Ceux-ci incluent les cercles des capitalistes et des groupes d’intérêt financier, les élites politiques, le plus grand parti islamiste modéré Ennahda (qui est la seule force politique stable depuis la révolution) et des politiciens contre-révolutionnaires comme Abir Moussi, un ancien responsable du parti de Ben Ali qui loue ouvertement l’ancien régime et dont le Parti Destourien Libre (PDL) est en tête dans les sondages.

    Les forces extérieures empêchent également le changement

    Cependant, les défis ne viennent pas seulement de l’intérieur. Le Fonds monétaire international (FMI), le plus important donateur étranger du pays, est probablement le plus grand acteur extérieur contre-révolutionnaire. La politique du FMI en Tunisie est une autre source de pression économique. Ses prêts sont liés à un programme d’austérité drastique aggravant les malheurs sociaux de l’État nord-africain, en particulier dans les régions internes, tout en faisant peu pour essayer de résoudre les problèmes structurels auxquels est confrontée l’économie nationale. Les directives néolibérales du fonds ont considérablement sapé les faibles efforts des gouvernements de transition pour adopter des mesures socialement et économiquement justes pour répondre aux demandes de la population.

    L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis (EAU) ont également joué un rôle en soutenant les forces antidémocratiques en Tunisie et en concentrant récemment leur soutien sur le leader contre-révolutionnaire, Abir Moussi.

    Le gouvernement américain a fourni plus de 100 millions de dollars d’aide à la Tunisie pour renforcer l’application de la loi et le système judiciaire du pays. Une partie de l’aide a été consacrée à la modernisation de l’académie de police phare du ministère de l’Intérieur et au renforcement des capacités de formation de la police et de la Garde nationale dans des programmes comprenant le contrôle des foules. [Le texte continue ci-dessous]

    Depuis 2011, la coopération militaire entre les États-Unis et la Tunisie s’intensifie. En 2015, le département d’État américain a classé le petit État nord-africain comme son seizième principal allié non-OTAN, affirmant qu’un tel accord de partenariat envoyait «un signal fort de notre soutien à la décision de la Tunisie de rejoindre les démocraties du monde». Cette déclaration n’a pas bien résonné auprès du public tunisien. «Depuis quand l’OTAN a-t-elle promu la« démocratie »dans les pays du sud de la Méditerranée?» a demandé Francis Ghilès, un expert européen de premier plan sur le Maghreb, dans un éditorial . Après que les forces de l’ OTAN ont bombardé la Libye, at – il noté, la «Le Royaume-Uni et les États-Unis ont quitté la Libye à l’automne 2011, laissant la Tunisie faire face à un afflux massif de réfugiés. Ils ont laissé un État en faillite et d’énormes caches d’armes modernes qui ont ensuite coulé dans les pays voisins.

    La Tunisie est un partenaire réticent de l’alliance, souhaitant préserver la souveraineté nationale en matière de sécurité, ce qui n’est pas facile dans un contexte de turbulences régionales, notamment lorsqu’elle est absorbée par des troubles économiques et sociaux chez elle. Le gouvernement s’oppose à la présence de toute organisation étrangère à l’intérieur du pays, semblant mal à l’aise de dire aux citoyens que les bases militaires tunisiennes sont utilisées par les puissances occidentales pour des opérations dans les pays voisins, ou qu’il y a des bottes étrangères sur le terrain.

    «L’OTAN est très impopulaire dans notre pays. J’ai encore du mal à comprendre pourquoi nous avons besoin de l’aide de ceux qui ont mis le feu à la région. » a tweeté Chafik Ben Rouine, co-fondateur de l’Observatoire tunisien de l’économie (TOE).

    Pendant ce temps, le mouvement de protestation de la jeunesse qui a émergé des troubles de janvier ne fait que commencer à se définir. Ces jeunes manifestants sont douloureusement conscients de la réalité dans laquelle ils vivent. Ils sont motivés par des revendications claires et rejettent la politique de statu quo proposée par l’establishment post-2011.

    Reste à voir si leur mouvement aura suffisamment d’endurance pour continuer à se mobiliser et à pousser pour le changement – contre un gouvernement qui continuera sa réponse axée sur la sécurité.

    Alessandra Bajec est une journaliste indépendante spécialisée dans le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord. Entre 2010 et 2011, elle a vécu en Palestine. Elle était basée au Caire de 2013 à 2017, et depuis 2018 est basée à Tunis.

    Toward Freedom, 15 mars 2021

    Tags : Tunisie, Printemps Arabe, démocratie, liberté,

  • La révolution tunisienne n’a pas tenu ses promesses économiques

    Par Jihad Fakhreddine et RJ Reinhart

    WASHINGTON, D.C. – La Révolution de jasmin de la Tunisie, il y a dix ans, a été l’une des révolutions les plus rapides et relativement les plus pacifiques qui ont secoué le monde arabe à cette époque. Le président tunisien de longue date, Zine El Abidine Ben Ali, a démissionné environ un mois après le début des manifestations.

    Toutefois, bon nombre des problèmes économiques qui ont poussé les gens à descendre dans la rue il y a dix ans subsistent. À bien des égards, ils sont même pires aujourd’hui, ce qui explique en partie pourquoi les Tunisiens redescendent dans la rue en 2021. En 2020, huit Tunisiens sur dix ont déclaré que c’était une mauvaise période pour trouver un emploi dans la ville ou la région où ils vivent – contre 53 % en 2010, avant le début de la révolution.

    Si une partie du pessimisme récent concernant le marché de l’emploi est probablement liée aux mesures de verrouillage mises en place par le gouvernement tunisien en raison de COVID-19, le pourcentage de Tunisiens affirmant que le moment était mal choisi pour trouver un emploi avait déjà grimpé à 76 % en 2019. En fait, environ sept Tunisiens sur 10 l’ont dit depuis 2015, ce qui suggère qu’une grande partie de la douleur économique actuelle était antérieure à la pandémie.

    En ce qui concerne la question plus large de la trajectoire de leur économie locale, les Tunisiens en 2020 étaient neuf fois plus susceptibles qu’en 2010 de dire que les conditions économiques empiraient (72% contre 8%, respectivement). Comme pour les évaluations du marché du travail local, il est probable que les développements liés à COVID-19 ont joué un rôle dans ce pessimisme. Cependant, en 2019, 62% des Tunisiens ont déclaré que leur économie locale se détériorait, ce qui constituait à l’époque un nouveau record.

    Le niveau de vie des Tunisiens souffre également

    Quarante pour cent des Tunisiens ont déclaré en 2020 que leur niveau de vie se détériorait, contre 7 % qui disaient la même chose en 2010, avant la révolution. Le pourcentage de Tunisiens affirmant que leur niveau de vie se détériore a généralement suivi une tendance à la hausse depuis 2010, atteignant un pic de 42 % en 2019, avant la pandémie.

    Dans le même temps, le pourcentage de ceux qui disent que leur niveau de vie s’améliore a chuté de 20 points de pourcentage par rapport à 2010. Les 61 % qui l’affirmaient il y a dix ans étaient le point culminant de la tendance de Gallup, bien que les 41 % qui l’affirmaient en 2020 étaient bien loin du creux de 23 % atteint en 2017. Ce creux s’est produit après l’approbation d’importantes mesures d’austérité dans le budget du gouvernement tunisien.

    Les pourcentages de personnes ayant du mal à se nourrir et à se loger ont triplé depuis la révolution
    Outre le fait que les Tunisiens sont plus nombreux à faire état d’une baisse de leur niveau de vie dix ans après la révolution, ils sont beaucoup plus nombreux à déclarer avoir du mal à se procurer les produits de base. En 2020, quatre Tunisiens sur dix ont déclaré qu’il leur était arrivé, au cours des 12 derniers mois, de ne pas pouvoir se procurer la nourriture dont ils avaient besoin, soit trois fois plus que les 13 % qui l’avaient déclaré en 2010. Ces 40 % constituent le niveau le plus élevé de la tendance de Gallup, dépassant le précédent sommet de 34 % en 2019.

    En outre, 31% des Tunisiens ont déclaré ne pas avoir pu se payer un logement adéquat au cours des 12 derniers mois, contre 9% en 2010. Les 31 % qui le disent en 2020 sont restés inchangés par rapport à l’année précédente.

    Davantage de Tunisiens sans emploi et gagnant moins à cause du COVID-19
    Les Tunisiens connaissaient déjà des difficultés économiques considérables avant la pandémie du COVID-19, qui n’a fait que les aggraver. L’automne dernier, plus de quatre Tunisiens sur dix ont déclaré avoir cessé temporairement de travailler à cause de la pandémie, tandis que près d’un sur cinq a déclaré avoir perdu un emploi ou une entreprise en raison de la situation. En outre, 36 % ont déclaré avoir travaillé moins d’heures et 33 % ont dit avoir reçu moins d’argent de leur employeur.

    La ligne du bas

    Les Tunisiens avaient de grands espoirs de changement au sortir de leur révolution en 2011. Cependant, leurs espoirs sont largement restés tels quels. Selon la mesure de Gallup, les Tunisiens ont déclaré que leur situation économique était nettement moins bonne en 2020 qu’en 2010.

    La pandémie de COVID-19 a clairement aggravé une situation économique médiocre, augmentant encore les difficultés du gouvernement du pays à concrétiser les espoirs de prospérité nourris depuis longtemps. Ces difficultés ne peuvent que s’aggraver dans les jours à venir. À la fin du mois dernier, le Fonds monétaire international a mis en garde contre une « récession économique sans précédent » dans le pays. L’organisme a recommandé de limiter les subventions à l’énergie et de réduire la masse salariale.

    Gallup News, 12 mars 2021

    Tags : Tunisie, révolution, printemps arabe,

  • Répercussions du printemps arabe

    Une rétrospective de 10 ans

    Il y a dix ans, ce qu’on a appelé le printemps arabe a commencé. Cela a commencé en Tunisie avec d’énormes manifestations qui se sont propagées dans toute la région. Ils ont fait tomber les autocrates, ce qui a conduit à une situation de guerre. Il est probablement logique qu’à l’occasion du 10 e anniversaire du printemps arabe, nous devrions voir comment un acte de désespoir extrême a tout déclenché.

    Cela a commencé en Tunisie en décembre 2010. Muhammad Bouazizi a vendu des fruits dans la rue. Il avait 26 ans, soutenait toute sa famille et gagnait difficilement sa vie. Un jour, la police a tenté de confisquer sa charrette. Selon la police, il n’avait pas de permis mais cette allégation a été rejetée par Bouazizi catégoriquement. En fait, a-t-il affirmé, la police voulait être soudoyée. Une policière l’a même giflé. Lorsqu’il a tenté de se plaindre aux autorités locales, il a été ignoré. Il s’est donc immolé par le feu devant un bâtiment gouvernemental. Muhammad est mort quelques semaines plus tard. En quelques semaines, une énorme réaction a éclaté qui a conduit à des manifestations de masse en Tunisie. Le sort de Muhammad a résonné avec tant de gens parce qu’ils souffraient également de certaines frustrations. Selon Al-Jazeera,

    Au cours des deux dernières années, il y a eu plus de manifestations dans des endroits comme le Soudan, l’Algérie et le Liban. La barrière de la peur qui a été brisée il y a 10 ans a encouragé un si grand nombre à continuer d’appeler leurs gouvernements. Le printemps arabe n’est pas terminé à bien des égards

    Les gens du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord se sont sentis inspirés d’exiger des changements dans leurs pays également. Ils ont exigé la chute des régimes autocratiques. Ils appelaient ces gouvernements à être tenus responsables des injustices sociales dont ils avaient été victimes pendant des décennies. Sans doute, c’était le moment révolutionnaire à une échelle telle que nous n’avions pas vraiment observé depuis les luttes pour l’indépendance de la domination coloniale. Un bref rappel aidera à comprendre les effets de la révolution tunisienne sur les autres parties du monde.

    En Tunisie, le président était au pouvoir depuis 23 ans mais son pouvoir a été renversé après seulement un mois de manifestations. En Égypte, il n’a fallu que 18 jours pour se débarrasser d’Hosni Moubarak après 30 ans de règne. L’Égypte a ensuite obtenu son premier président élu démocratiquement, Mohammad Morsi, mais son gouvernement a été renversé par l’armée. Il est axiomatique d’admettre que l’armée est toujours aux commandes.

    En Libye, le président Mouammar Kadhafi a été capturé et tué après 42 ans au pouvoir. Cette situation particulière a créé un vide de pouvoir qui a conduit à une guerre civile toujours en cours. Le président du Yémen, Ali Abdullah Saleh, a également été expulsé après 33 ans au pouvoir. Mais depuis, le pays est plus divisé que jamais. Le combat entre les rebelles Houthis et la coalition militaire dirigée par l’Arabie saoudite a créé l’une des pires catastrophes humanitaires au monde. D’un autre côté, la Syrie est une sorte d’exception parce que Bachar al-Assad n’est pas parti. Ce qui a commencé comme des manifestations pacifiques est devenu l’un des pires conflits de notre temps. Avec le gouvernement d’Assad, des groupes tels que l’EIIL et des puissances étrangères se battent tous pour le contrôle.

    D’autres pays ont également connu des soulèvements, le plus grave étant à Bahreïn. Mais l’Arabie saoudite a envoyé des troupes de l’autre côté de la frontière pour y sauver la monarchie. Ainsi, dans la plupart des pays, le printemps arabe n’a pas abouti à ce que de nombreux manifestants voulaient. Certains diraient même que les choses ont régressé. Ils croient qu’un autoritarisme renouvelé a eu lieu, qui a exacerbé l’oppression encore pire qu’elle ne l’était avant le printemps arabe dans certains de ces cas.

    Dans l’ombre de la tourmente du monde arabe, il y a un pays qui semble avoir bien fait les choses. En tant que jeune démocratie, la Tunisie a beaucoup à offrir. Il a obtenu une nouvelle constitution, tenant plusieurs élections. Les médias sont considérés comme libres et les gens peuvent également manifester. La Tunisie a pu subir une transition politique relativement pacifique.

    La Tunisie a également fait quelque chose de remarquable en créant la Commission vérité et dignité. Il a été créé pour enquêter sur des choses comme les violations des droits de l’homme et la corruption sous l’ancien régime. Il y a eu plus de 62 000 plaintes de victimes. Certaines des audiences ont même été télévisées. Ils demandent des comptes ou des réparations.

    Il n’est pas hors de propos de dire que le processus même est un processus politique et controversé par nature, car il creuse vraiment profondément les racines de la laideur du régime autoritaire et de l’oppression. Il n’est donc pas étonnant qu’il y ait eu une résistance et que les politiciens de l’ancien régime soient de retour au pouvoir. Ils sont accusés d’avoir tenté d’arrêter les travaux de la commission. Ils ont même adopté une loi qui accorde l’amnistie aux fonctionnaires accusés de corruption à l’époque de Bin Ali.

    Il y a également eu des problèmes de sécurité. Des combattants ont traversé de Libye et des civils ont été attaqués. L’économie a également connu des difficultés. Les prêteurs internationaux comme le FMI ont offert des renflouements, mais les réductions de dépenses qu’ils exigeaient étaient impopulaires. Les gens n’ont pas pu acheter les produits de base. Par conséquent, il est difficile de qualifier la Tunisie de succès, mais aussi d’ignorer qu’elle fait mieux que les autres. 10 ans, ce n’est pas long pour transformer un pays et encore moins une région entière.

    Au cours des deux dernières années, il y a eu plus de manifestations dans des endroits comme le Soudan, l’Algérie et le Liban. La barrière de la peur qui a été brisée il y a 10 ans a encouragé un si grand nombre à continuer d’appeler leurs gouvernements. Le printemps arabe n’est pas terminé à bien des égards. La Tunisie est loin d’être un exemple parfait mais les gens là-bas ont la liberté d’élire qui les amène à exiger le changement. Les voix de centaines d’innocents sont entendues. C’est ce que voulait Muhammad Bouazizi. C’est ce que des millions de personnes voulaient, lorsqu’elles se sont levées il y a 10 ans.

    PakistanToday, 30 jan 2021

    Tags : Printemps arabe, démocratie, révolution,

  • Analyse : Dix ans après, le printemps arabe pourrait-il à nouveau fleurir?

    Si vous pensez que vous avez mal en cette saison d’obscurité, de maladie et de division, prenez un moment pour réfléchir à l’agonie des gens du Moyen-Orient.

    Il y a dix ans, la nouvelle année 2011 a suscité de grands espoirs de liberté, de progrès et de vie meilleure pour les populations extrêmement jeunes de la région. En décembre dernier, un jeune vendeur de fruits du nom de Mohamed Bouazizi – marre de l’humiliation de payer des pots-de-vin à des fonctionnaires locaux corrompus pour avoir le privilège de gagner une bouchée de pain pour nourrir sa famille – s’était aspergé de diluant à peinture et s’était brûlé vif dans une ville poussiéreuse. place en Tunisie.

    Son acte désespéré a ouvert une vague de frustration et de colère parmi des millions de ses compatriotes arabes. Ils sont descendus dans les rues en Tunisie, en Égypte, en Libye, au Yémen, à Bahreïn, en Syrie et dans d’autres pays. Ils ont exigé la libération des gouvernements tyranniques, la liberté de la corruption omniprésente, la liberté de vivre leur vie sans peur et sans oppression de la part de l’État ou de la mosquée. Les gouvernements et les dictateurs sont tombés – en Tunisie, puis dans une Egypte bien plus grande, puis en Libye et au Yémen. Un changement de régime semblait également imminent en Syrie, longtemps dirigée par les brutaux Assad.

    Il ne s’agissait pas seulement de jeunes agités, d’étudiants et de pauvres sans emploi; les commerçants, les ouvriers de la classe moyenne et les retraités se sont joints aux demandes de changement. Les plus de 400 millions de personnes du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord semblaient enfin disposées à tout risquer pour quelque chose de mieux.

    Évaluer ce qui a changé
    Et qu’ont-ils obtenu pour leurs douleurs?

    Balles et barils bombes en Syrie. Le dictateur Bashar al-Assad continue de mener une guerre d’usure apparemment sans fin, massacrant et terrorisant les civils pour vaincre les groupes insurgés en déclin (certains démocrates, certains djihadistes) parmi eux. Cinq millions de réfugiés ont fui vers les pays voisins et vers l’Europe.

    En Égypte, les puissants Frères musulmans ont profité de la chute du président de longue date Hosni Moubarak en 2011 pour remporter des élections libres. Ils ont commencé à gouverner si mal qu’une grande partie du public a soutenu le coup d’État militaire sanglant qui a suivi en 2013. Aujourd’hui, le général devenu président Abdel Fattah el-Sissi gouverne d’un poing plus dur que Moubarak ne l’a jamais fait. Des milliers de manifestants et de militants pour la démocratie sont morts – ou croupissent en prison.

    La guerre civile en Libye a mis fin à la vie et à la longue tyrannie de Mouammar Kadhafi en 2011, mais le partage chaotique du pouvoir règne désormais dans l’État en faillite. La révolution prometteuse du Yémen a pris fin lorsque les puissances régionales, l’Arabie saoudite et l’Iran, ont commencé à utiliser la nation la plus pauvre du Moyen-Orient comme indicateur de leur lutte. Aujourd’hui, les Yéménites meurent de faim alors que les bombes saoudiennes continuent de pleuvoir sur eux; ils souffrent de ce que les Nations Unies appellent la pire crise humanitaire au monde. Le Liban, envahi par les réfugiés syriens et étranglé par des décennies de régime corrompu, est un autre État qui a failli échouer; la force la plus puissante qui soit est le Hezbollah soutenu par l’Iran. La monarchie fragile de la Jordanie s’accroche pour la vie chère.

    Au niveau régional, les autocrates semblent à nouveau fermement en contrôle. Seule la Tunisie, où le printemps arabe a commencé, a encore une démocratie qui fonctionne – et sa survie est tout sauf assurée. La montée de l’Etat islamique a répandu la terreur dans plusieurs pays ces dernières années a causé des souffrances incalculables à des millions de personnes avant sa défaite militaire éventuelle. Il reste cependant une menace, avec Al-Qaïda et d’autres groupes extrémistes.

    Les États-Unis se sont retirés de l’influence dans la région à la suite de l’aventure ratée de George W. Bush en Irak, de la réticence hésitante de Barack Obama à agir et du refus de Donald Trump d’affronter les tyrans où que ce soit. La Russie et l’Iran sont désormais les acteurs les plus puissants de la région. Le dirigeant de facto de l’Arabie saoudite, le prince héritier Mohammed ben Salmane, prétend être un réformateur, mais emprisonne quiconque cherche réellement de nouvelles libertés chez lui. À l’étranger, il se trompe avec empressement dans tout conflit régional qui lui donne une excuse pour affronter l’Iran (voir: Yémen).

    Dans le même ordre d’idées, les musulmans sunnites et les musulmans chiites se méprisent toujours, ce qui explique une grande partie du conflit sous-jacent au Moyen-Orient au-delà de son dysfonctionnement politique perpétuel. Pendant ce temps, la persécution des chrétiens par les musulmans semble être pire presque partout, avec la persistance de certains anciens groupes chrétiens maintenant menacés par les attaques extrémistes en cours.

    Être là
    J’ai couvert le printemps arabe et ses premières conséquences, d’abord à distance, puis sur le terrain en Égypte, en Tunisie, en Jordanie et au Liban. J’ai arpenté les rues de Sidi Bouzid en Tunisie, où Mohamed Bouazizi s’est incendié, et j’ai visité sa tombe à l’extérieur de la ville. J’ai marché sur la place Tahrir du Caire, là où la révolution a commencé. J’ai parlé avec des musulmans et des chrétiens au Caire et à Tunis, à Beyrouth et à Amman, le long des frontières de la Syrie avec la Jordanie et le Liban, dans des appartements délabrés loués à des prix élevés à des réfugiés syriens à Beyrouth et dans l’énorme camp de réfugiés de Zaatari au nord de la Jordanie.

    J’ai été témoin du travail héroïque des chrétiens libanais qui apportent de l’aide et de l’amour du Christ – malgré les objections de certaines de leurs propres congrégations – aux réfugiés musulmans traversant la frontière depuis la Syrie. J’ai vu le ministère désintéressé de Munif *, un pasteur local dans une ville frontalière jordanienne, qui a transformé son église en un centre d’aide polyvalent pour les réfugiés syriens épuisés et terrifiés qui traversaient la ligne. Lui et sa congrégation les ont aidés à trouver de la nourriture, du travail, des lieux de vie et des études pour leurs enfants. (Je lui ai rendu visite à nouveau en 2018, et il y est toujours, soutenu par l’aide de nombreux bénévoles du monde entier).

    Un père et une mère syriens avaient trébuché à travers la frontière avec leurs cinq enfants après avoir survécu à une embuscade de l’armée syrienne. Ils ont dit que leur fils adolescent, Hassan *, avait reçu une balle dans la tête. Alors qu’il saignait dans les bras de sa mère, un soldat s’est approché, son arme pointée. Leur fils de 4 ans, Wafik *, qui parlait rarement, se leva et leva les bras. «Je vous en supplie, mon oncle, ne nous blesse plus. Ayez pitié de nous », a-t-il lancé. Le soldat, apparemment déplacé, a emmené Hassan à l’hôpital. Plus tard, ils ont trouvé des amis à l’église de Munif. Quand je les ai rencontrés, Hassan marchait avec hésitation. Il avait besoin d’une thérapie physique continue.

    Je me demande ce qui est arrivé à cette famille. Ont-ils trouvé une maison permanente en Jordanie? Rentreront-ils un jour chez eux en Syrie?

    Je m’interroge aussi sur Amani *, une jeune femme intelligente et instruite que j’ai interviewée en 2012 dans un quartier à la mode d’Amman, en Jordanie. Au cours d’un cappuccino avec des amis dans un café, elle a parlé avec un peu de chance des nouvelles opportunités que le printemps arabe pourrait lui apporter en tant que femme musulmane. Elle voulait une famille, mais elle voulait aussi une vraie carrière professionnelle et avait travaillé dur pour cela.

    «Au début, c’était un choc, et quand cela a continué, c’était comme si vous regardiez une série à la télévision», a-t-elle déclaré à propos des révolutions arabes qui explosaient autour d’elle. «J’espère que c’est une bonne étape pour obtenir la liberté et avoir un bel avenir, car il y a beaucoup de corruption dans les gouvernements partout au Moyen-Orient. Rien ne peut changer soudainement. Je pense que cela prendra du temps. Combien de temps, je ne sais pas. Cela peut prendre 10 ans, 20 ans, 50 ans, mais c’est la première étape pour changer l’avenir. »

    Le feu la prochaine fois
    Je pense qu’Amani était sur quelque chose. La sagesse conventionnelle est que le printemps arabe a complètement échoué et ne se reproduira pas de sitôt. Mais tout le monde n’est pas d’accord avec cette sombre évaluation.

    D’une part, les récentes manifestations et soulèvements ont secoué ou renversé des régimes en Irak, au Liban, en Algérie et, peut-être plus surprenant, au Soudan, qui a vu le renversement en 2019 du dictateur islamiste brutal Omar el-Béchir. Les manifestants qui ont forcé le changement là-bas étaient des chrétiens soudanais.

    La population du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord a augmenté de 70 millions depuis le début du printemps arabe et en ajoutera environ 120 millions de plus d’ici 2030. La pauvreté et le chômage ont augmenté avec lui, car des économies mal gérées ne parviennent pas à fournir des emplois à des vagues de jeunes à la recherche de travail. La répression politique moderne a tendance à ne fonctionner que tant que les gens ont suffisamment à manger.

    «Je ne pense pas que nous verrons une stabilité tant que les dictateurs et les agences de renseignement militaires continueront d’étouffer la société», a averti Fawaz Gerges de la London School of Economics dans une interview au Washington Post . «Le statu quo est intenable et la prochaine explosion sera catastrophique.»

    Alors ne pariez pas que la «rue arabe» reste silencieuse trop longtemps. Les moteurs de l’oppression au Moyen-Orient ne fonctionnent pas aussi efficacement qu’en Chine. Ils n’offrent pas non plus les incitations économiques à se taire comme le fait la Chine.

    «Malgré la nécrologie prématurée et l’héritage sombre du soulèvement arabe, la vague révolutionnaire de 2011 n’a pas été un mirage passager», écrit le politologue Marc Lynch aux Affaires étrangères . «En réalité, ce qui ressemblait à une fin n’était qu’un autre tournant d’un cycle implacable. Les régimes censés offrir la stabilité étaient, en fait, les principales causes de l’instabilité. Ce sont leur corruption, leur autocratie, leur gouvernance défaillante, leur rejet de la démocratie et les violations des droits humains qui ont poussé les gens à se révolter. … D’autres éruptions de manifestations de masse semblent désormais inévitables.

    Signes d’espoir
    C’est la perspective politique. Sous la surface, des courants plus profonds coulent.

    Je me souviens de Shamal *, un Tunisien de 27 ans que j’ai rencontré en Tunisie en 2012. Il est devenu un disciple du Christ après avoir vu le Christ dans une vision, vêtu de blanc. Des milliers de croyants d’origine musulmane racontent des histoires similaires de leur première rencontre avec Jésus. Shamal avait déjà été menacé et emprisonné pour sa foi, mais il ne l’avait pas abandonné. Il était devenu un faiseur de disciples.

    Alors que nous marchions dans les rues de Sidi Bouzid, Shamal a montré une sculpture commémorative de la charrette de fruits du martyr de la liberté Mohamed Bouazizi. Il était orné de ces mots dans les graffitis arabes: «Pour ceux qui aspirent à être libres.»

    «Je ne savais pas ce que c’était d’être libre, parce que je ne l’avais jamais vécu», a déclaré Shamal à propos de sa vie antérieure.

    Maintenant il sait. Personne ne peut enlever cela.

    * Noms modifiés pour protéger les identités

    Ponts Erich
    Ponts Erich

    Eric Bridges , journaliste baptiste depuis plus de 40 ans, a pris sa retraite en 2016 en tant que correspondant mondial pour l’International Mission Board de la Southern Baptist Convention. Il vit à Richmond, en Virginie.

    Baptiste News, 29 jan 2021

    Tags : Tunisie, Algérie, Maroc, Libye, Syrie, Egypte, Printemps Arabe,

  • Une époque de révolution inachevée

    Une époque de révolution inachevée
    10 ANS APRÈS LES RÉVOLUTIONS «ARABES»

    JOSEPH DAHER

    Les révolutions sont les locomotives de l’histoire (Karl Marx , Luttes de classe en France 1848–1850)


    Les révolutions ont été la forme la plus importante de conflit politique et social au XXe siècle, peut-être dans l’histoire de l’humanité, à l’exception peut-être des guerres internationales. Le déclenchement du processus révolutionnaire dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA) au cours de la dernière décennie fait partie de ces événements majeurs et révolutionnaires de l’histoire humaine. Il ne fait aucun doute que la première vague de révoltes en 2011 a marqué l’ouverture d’une époque inachevée de révolution et de contre-révolution.

    Un processus révolutionnaire à long terme

    Une révolution est généralement comprise comme un mouvement populaire de masse qui vise un changement radical même s’il n’y parvient pas. Dans le cas des soulèvements de la région MENA en 2011, ils n’ont pas remporté de changements matériels radicaux dans les structures économiques de la région, mais ont renversé les cliques familiales du pouvoir en Tunisie, en Égypte, en Libye, au Yémen, en Algérie et au Soudan, entre autres.

    En d’autres termes, nous avons été témoins de formes de révolution politique limitée plutôt que de révolution sociale, qui auraient entraîné des changements plus fondamentaux dans le régime néolibéral d’accumulation au sein du capitalisme, sinon dans le mode de production lui-même. Il est important de saisir les limites des victoires politiques, car les problèmes de la région ne sont pas seulement politiques mais sont les produits sociaux de sa forme particulière de capitalisme.

    Néanmoins, nous avons assisté à la mobilisation d’un grand nombre de personnes réclamant le renversement des régimes despotiques dans un pays après l’autre. C’est l’un des principaux aspects d’une révolution. Comme l’écrivait le révolutionnaire russe Léon Trotsky:

    La caractéristique la plus indubitable d’une révolution est l’ingérence directe des masses dans les événements historiques. En temps ordinaire, les États, qu’ils soient monarchiques ou démocratiques, s’élèvent au-dessus de la nation, et l’histoire est faite par des spécialistes de ce secteur d’activité – rois ministres, bureaucrates, parlementaires, journalistes. Mais à ces moments cruciaux où l’ancien ordre ne devient plus supportable pour les masses, ils franchissent les barrières qui les excluent de l’arène politique, balaient leurs représentants traditionnels et créent par leur propre ingérence les bases initiales d’un nouveau régime.

    Certains des soulèvements populaires ont abouti à une situation proche du double pouvoir. Ils ont organisé un État alternatif émergent pour contester le régime existant. Un exemple important de cela s’est produit en Syrie au début du soulèvement, lorsque les militants ont créé des comités de coordination et des conseils locaux dans les zones libérées.

    Celles-ci formaient une alternative potentielle au régime d’Assad et au capitalisme syrien. Mais ils ne se sont jamais complètement développés. Il y avait des problèmes avec eux, en particulier la sous-représentation des femmes ainsi que des minorités ethniques et religieuses. Néanmoins, ces organes locaux d’autonomie ont constitué au moins pendant un certain temps une alternative politique susceptible de séduire de larges couches de la population.

    Malgré la défaite de la première vague de soulèvements en 2011, le plus horriblement en Syrie, le processus révolutionnaire n’est pas terminé. Comme l’a souligné la décennie suivante de révolte en cours, la région est au milieu d’un processus révolutionnaire à long terme.

    Les racines du processus révolutionnaire

    Ce processus est enraciné dans l’économie politique du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. Le développement économique de la région est bloqué par son mode de production spécifique, qui est un capitalisme aventureux, spéculatif et commercial caractérisé par une recherche de profit à court terme. En conséquence, les masses de la région ont une confluence de griefs économiques et politiques qui ne peuvent être surmontés que par un changement révolutionnaire.

    Dans cette analyse, les soulèvements au Moyen-Orient et en Afrique du Nord ne sont pas seulement le résultat de la crise économique mondiale de 2008. Certes, la Grande Récession a contribué à les déclencher, mais la région a des problèmes structurels plus profonds par rapport au reste du système mondial. . Ce mode de production capitaliste est axé sur l’extraction de pétrole et de gaz naturel, le sous-développement des secteurs productifs, le surdéveloppement des services et le développement de diverses formes d’investissement spéculatif, en particulier dans l’immobilier.

    Chaque pays a bien sûr ses propres spécificités. Mais tous partagent des caractéristiques générales: les États patrimoniaux et néo-patrimoniaux dominent cette structure économique. Dans les États patrimoniaux classiques comme la Syrie et les monarchies du Golfe, une famille et sa clique président les dictatures, enrichissent une bourgeoisie d’État et se lancent dans une privatisation de copinage. Dans les États néo-patrimoniaux comme l’Égypte, la Tunisie, l’Algérie et le Soudan, les dictateurs supervisent les États contrôlés par l’appareil militaire. Dans les deux cas, le népotisme et la corruption sont monnaie courante.

    Les politiques néolibérales et les mesures d’austérité mises en œuvre au cours des dernières décennies ont exacerbé la politique autoritaire de la région et bloqué le développement économique. Les régimes ont réduit les services publics, supprimé les subventions aux produits de première nécessité comme la nourriture et privatisé l’industrie publique en les vendant souvent à des capitalistes liés aux centres du pouvoir politique.

    Ils ont également ouvert leurs économies aux investissements directs étrangers, développant le secteur des exportations et des services – en particulier le tourisme. Dans le même temps, les États ont maintenu les impôts sur les entreprises étrangères et nationales à un niveau bas et leur ont garanti une main-d’œuvre bon marché. Les appareils répressifs des régimes ont servi d ‘«agent de sécurité» protégeant les intérêts de ces entreprises et sévissant contre les travailleurs, les paysans et les pauvres.

    En conséquence, tous les pays de la région sont caractérisés par une inégalité de classe extrême, des taux de pauvreté élevés et un chômage élevé, en particulier chez les jeunes. Ceux qui ont une éducation et des compétences valorisées quittent leur pays pour des opportunités ailleurs.

    Et, dans le cas des monarchies du Golfe, leurs économies reposent sur des travailleurs migrants temporaires qui constituent la majorité de la population ouvrière et sont privés de droits politiques et civils. Au Koweït, au Qatar, aux Émirats arabes unis et à Oman, les travailleurs migrants représentent plus de 80% de la main-d’œuvre.

    Ces réalités contredisent les affirmations des institutions financières internationales et des États occidentaux, en particulier les États-Unis, selon lesquelles une réforme néolibérale créerait une «classe moyenne» ou une classe capitaliste qui, avec le soutien impérial de la réforme politique, entraînerait la démocratisation. En fait, il a produit le contraire: l’approfondissement de l’autoritarisme néolibéral.

    Ces conditions ont généré une lutte croissante parmi les travailleurs et les personnes opprimées à la veille des soulèvements de 2011. Elle a été chassée d’en bas par des jeunes, des travailleurs et des pauvres désespérés pour la liberté politique et l’égalité économique.

    Lutte et espoir de révolution

    Cela ne veut pas dire que nous devons adopter une perspective économiste, qui réduit tout aux conditions économiques. Il existe bien sûr de nombreux autres facteurs contributifs. Mais le blocage socio-économique combiné aux régimes dictatoriaux de la région a rendu impossible pour les masses populaires de surmonter les inégalités et d’exprimer leurs griefs à travers des processus institutionnels.

    Ces conditions matérielles prédisposaient le peuple à lutter. Mais ces conditions à elles seules n’étaient pas suffisantes pour déclencher les soulèvements. Comme Trotsky l’a fait valoir, les classes populaires se tournent vers l’action révolutionnaire lorsqu’elles voient l’espoir de transformer leur société:

    En réalité, la simple existence de privations ne suffit pas à provoquer une insurrection, si c’était le cas, les masses seraient toujours en révolte. Il faut que la faillite du régime social, révélée de manière concluante, rende ces privations intolérables, et que de nouvelles conditions et de nouvelles idées ouvrent la perspective d’une issue révolutionnaire.

    L’espoir et les nouvelles idées qui ont déclenché les révoltes en 2011 sont venus du fait que des millions de personnes dans les rues en Tunisie et en Égypte réclamaient le renversement de leurs dirigeants. Mais les luttes inspirantes dans ces deux pays ne sont pas venues de nulle part.

    Au cours de la décennie précédant le soulèvement, une lutte ouvrière importante a eu lieu en Tunisie et en Égypte. En Tunisie, l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) a joué un rôle de premier plan dans l’opposition aux régimes autoritaires, bien qu’elle ait été sérieusement affaiblie par une combinaison de répression, de privatisation des emplois publics et de compromis de la direction syndicale avec le régime .

    En Égypte, le pays a connu son plus grand mouvement social depuis la Seconde Guerre mondiale, avec des grèves et des occupations de différents secteurs de la société. Les grèves dans les usines de Mahala el Kubra en 2008 ont témoigné de la force du mouvement ouvrier malgré la répression des forces de sécurité. Ces luttes ont progressivement ouvert la voie à la création de syndicats ouvriers indépendants, qui ont joué un rôle décisif dans le renversement de Moubarak (bien que non officiellement reconnu) et les premières années du soulèvement.

    Ainsi, sur la base d’années de lutte, les révoltes en Tunisie et en Egypte ont montré comment la mobilisation de masse pouvait renverser les dictateurs. Leurs victoires, si incomplètes dans le cas de la Tunisie et temporaires dans le cas de l’Égypte, ont inspiré les masses de la région à se soulever contre leurs propres régimes.

    Les révoltes de la région MENA suscitent la résistance mondiale

    La première décennie du nouveau millénaire a commencé avec le lancement de la soi-disant «guerre contre le terrorisme» en 2001 et s’est terminée avec la grande récession de 2008 et la crise mondiale qui a suivi. Les soulèvements populaires au Moyen-Orient et en Afrique du Nord ont ouvert la prochaine décennie, déclenchant une résistance dans le monde entier contre l’ordre néolibéral et les gouvernements qui l’appliquent.

    Les soulèvements dans la région MENA ont renversé les dictatures de Ben Ali en Tunisie, Hosni Moubarak en Égypte, Muammar Khadafi en Libye et Ali Abdallah Saleh au Yémen, qui étaient tous au pouvoir depuis des décennies. Sans aucun doute, la plus grande réussite des soulèvements populaires a été de rappeler à la gauche qu’une révolution dans laquelle des masses de personnes se mobilisent pour refaire la société est possible. Cet ABC de la politique révolutionnaire avait été largement abandonné par de larges sections de la gauche.

    Les soulèvements de la région MENA ont inspiré des révoltes dans le monde entier. Une courte liste comprend le mouvement des Indignados en Espagne, Occupy aux États-Unis, les soulèvements contre la hausse des prix et la répression dans les États d’Afrique subsaharienne comme le Burkina Faso, et des luttes similaires dans de nombreux autres pays.

    La fin de cette décennie de révolte a culminé avec une deuxième vague du processus révolutionnaire dans la région MENA avec des soulèvements éclatant au Soudan, en Algérie, au Liban et en Irak. Deux nouveaux dictateurs – Omar el-Béchir au Soudan et Abdelaziz Bouteflika en Algérie – ont été renversés après 30 ans de règne, tandis que les classes dirigeantes néolibérales sectaires au Liban et en Irak ont ​​été défiées.

    Cette deuxième vague s’est produite au milieu de mobilisations populaires massives croissantes à travers le monde pour les droits politiques et sociaux et l’égalité de Hong Kong et de la Thaïlande à la Catalogne et au Chili. Des grèves et des manifestations féministes massives ont également été organisées pour lutter contre les attaques réactionnaires contre les droits des femmes de la Pologne à l’Argentine. En 2019, les grèves pour le climat ont balayé le monde et la décennie s’est terminée par le soulèvement des Black Lives Matter qui a secoué l’ordre politique et racial aux États-Unis.

    Les mobilisations populaires internationales ont approfondi la radicalisation mondiale contre le système capitaliste qui exploite et opprime l’humanité et détruit l’environnement à des fins lucratives. La pandémie n’a fait qu’aggraver les griefs dans le monde entier et remis en question la légitimité des gouvernements.

    L’offensive contre-révolutionnaire

    Alors que les révoltes de la région MENA ont inspiré des soulèvements similaires dans le monde entier, elles ont également déclenché une offensive contre-révolutionnaire de la part des régimes, des puissances régionales et des États impérialistes. Tout comme la révolution russe de 1917, les soulèvements constituaient une menace pour l’ordre capitaliste, notamment parce que ses réserves d’énergie alimentent l’économie mondiale.

    Comme le fait valoir David Harvey, «quiconque contrôle le Moyen-Orient contrôle le robinet pétrolier mondial et celui qui contrôle le robinet pétrolier peut contrôler l’économie mondiale, du moins dans un proche avenir. Les monarchies du Golfe détiennent environ 40 à 45% des réserves mondiales de pétrole et 20% de son gaz.

    La volonté d’assurer un flux ordonné de ces réserves explique pourquoi, après une brève période de confusion, les pouvoirs étatiques ont procédé à des contre-révolutions systématiques. Les régimes de la région ont réprimé les manifestations, tué un grand nombre de personnes et arrêté et emprisonné un nombre incalculable de personnes. Par exemple, le régime syrien, avec le soutien de la Russie et de l’Iran, a massacré des centaines de milliers de personnes et dévasté de grandes parties du pays.

    Les révoltes ont également affronté une autre force contre-révolutionnaire: les organisations fondamentalistes islamiques. Ils espéraient détourner les luttes pour imposer leur propre forme de régime néolibéral autoritaire et théocratique, contraire aux aspirations démocratiques et égalitaires du peuple. Les fondamentalistes ont trouvé le soutien de puissances régionales comme les États du Golfe et l’Iran.

    Diverses puissances régionales et impérialistes sont intervenues de manières multiples et diverses pour soutenir les contre-révolutions. Les puissances autres que les États-Unis ont accru leur marge de manœuvre pour le faire en raison du déclin relatif de Washington en puissance et en influence au Moyen-Orient en raison de l’échec de son occupation de l’Irak. La Russie et la Chine dans une moindre mesure mais surtout l’Iran, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, la Turquie, le Qatar et Israël ont profité de cette situation pour jouer un rôle croissant dans le soutien à la contre-révolution.

    L’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et le Qatar sont d’abord intervenus militairement au Bahreïn et ont lancé une guerre contre le Yémen avec le soutien dans les deux cas des États-Unis. L’Iran et la Russie sont intervenus en Syrie. L’Iran et ses forces mandataires en Irak et au Liban se sont également opposés aux révoltes dans ces pays et n’ont pas hésité à réprimer les manifestants.

    La Turquie et son allié le Qatar ont soutenu les Frères musulmans et d’autres mouvements fondamentalistes islamiques dans divers pays. Ankara est également intervenue sur le territoire syrien contrôlé par le PYD, la branche syrienne du PKK, dans sa guerre en cours contre l’autodétermination kurde.

    Bien que ces rivalités impérialistes et régionales soient évidentes, elles n’empêchent pas les alliances entre ces divisions. Comme l’a noté Karl Marx, les capitalistes et les États capitalistes sont une «bande de frères en guerre». Ainsi, en même temps qu’ils se trouvent en concurrence pour affirmer leur pouvoir géopolitique et accaparer les marchés de leurs entreprises, ils partagent des intérêts de classe, peuvent conclure des accords et souvent collaborer à la répression des soulèvements populaires.

    Le dernier exemple en est la réconciliation du Qatar avec l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, qui pourrait ouvrir la voie à un rapprochement entre l’Arabie saoudite et la Turquie. L’administration Trump les a également tous poussés à jeter les Palestiniens sous le bus et à ouvrir des relations diplomatiques officielles avec Israël. L’objectif de Washington est de renforcer Israël, d’isoler la lutte palestinienne pour la libération, de consolider une alliance régionale opposée à l’Iran.

    En assurant cette réconciliation, les États-Unis ont conclu deux accords particulièrement réactionnaires. Tout d’abord, Washington a amené le Maroc à normaliser ses relations avec Israël en échange de la reconnaissance par les États-Unis de l’occupation du Sahara occidental par Rabat et de leur promesse de 3 milliards de dollars d’investissements pour «l’appui financier et technique des projets d’investissement privé».

    Deuxièmement, les États-Unis ont forcé le nouveau gouvernement du Soudan, dans lequel l’armée dirige conjointement avec les représentants du soulèvement populaire, à payer pour ce que l’ancien régime a fait. En échange du retrait de la liste de Washington des États commanditaires du terrorisme, de l’aide à rembourser 60 milliards de dollars de dette envers la Banque mondiale et d’un milliard de dollars d’aide, le Soudan a accepté de rembourser les 335 millions de dollars pour les bombardements d’ambassades africaines et de reconnaître Israël.

    Autoritarisme néolibéral

    Ainsi, les révoltes continuent de faire face à diverses forces contre-révolutionnaires totalement opposées à tout changement démocratique et socio-économique radical. Ils ne se sont pas seulement engagés à rétablir le statu quo ante; ils visent à intensifier l’autoritarisme, les politiques répressives et les réformes néolibérales.

    Ce faisant, les régimes soutenus par les puissances régionales et impériales ont exacerbé toutes les conditions qui ont conduit aux soulèvements. Ils ont utilisé la couverture de la pandémie pour intensifier la répression des mouvements de protestation.

    Ils ont imposé des verrouillages à une grande partie de la population, non pour protéger la santé des classes ouvrières, mais pour les empêcher de s’organiser et de se battre pour un changement politique et social. Ils ont menacé les gens d’amendes pour avoir enfreint les couvre-feux, ont pris pour cible les médias pour avoir critiqué leurs politiques et arrêté des militants qui ont remis en question les informations officielles sur le virus.

    Ils ont également profité de la récession mondiale et de l’effondrement des prix du pétrole pour mettre en œuvre des réformes néolibérales auparavant encore plus profondes, réduisant le rôle de l’État dans l’économie et élargissant la portée du marché dans une arène auparavant intacte. Plusieurs pays ont adopté une législation sur les partenariats public-privé (PPP) afin d’étendre la privatisation des services publics et des infrastructures publiques.

    En Arabie saoudite, les PPP sont devenus un élément fondamental de la stratégie économique et politique de la Vision 2030 promue par le prince Mohammad Bin Salman. Ils placent le capital privé au centre de la future économie saoudienne. Le Financial Times a qualifié ces plans de «thatchérisme saoudien».

    Il a réduit les subventions, supprimé l’indemnité de vie chère et augmenté la TVA de 5 à 15 pour cent. Le gouvernement prévoit d’organiser des PPP pour de nombreux services gouvernementaux, y compris des secteurs tels que l’éducation, le logement et la santé. Pendant ce temps, le fonds souverain du royaume a investi plus de 8 milliards de dollars depuis le début de la pandémie dans des mastodontes de l’économie mondiale tels que Boeing et Facebook.

    De la même manière, le régime syrien a accéléré sa politique néolibérale. Il a adopté une loi PPP en janvier 2016 qui autorise le secteur privé à gérer et à développer les actifs de l’État dans tous les secteurs de l’économie, à l’exception du pétrole. Le régime a imposé davantage de mesures d’austérité et réduit les subventions sur les produits essentiels de 20,2% du PIB en 2011 à 4,9% en 2019.

    Cet autoritarisme néolibéral a encore aggravé les inégalités sociales. Désormais, dans la région MENA, les 1% les plus riches et les 10% les plus riches de la population absorbent respectivement 30% et 64% des revenus, tandis que les 50% les plus pauvres de la population n’en reçoivent que 9,4%.

    Dans l’ensemble de la région, la richesse de ses 37 milliardaires équivaut à la moitié la plus pauvre de la population adulte. En outre, entre 2010 et 2019, le nombre de personnes riches ayant des actifs de 5 millions de dollars ou plus en Égypte, en Jordanie, au Liban et au Maroc a augmenté de 24% et leur richesse combinée a augmenté de 13,27%, passant de 195,5 milliards de dollars à 221,5 milliards de dollars.

    Dans un rapport publié en août 2020 par Oxfam, il a été estimé que la contraction économique causée par la pandémie et la récession jetterait 45 millions de personnes supplémentaires dans la pauvreté dans toute la région. Les conditions des réfugiés et des travailleurs migrants, qui étaient déjà très difficiles, se sont considérablement aggravées et sont devenus la cible de boucs émissaires racistes.

    Les puissances impérialistes ont collaboré avec les régimes dans cet autoritarisme néolibéral. Leurs institutions financières internationales ont utilisé la dette, qui a atteint des proportions astronomiques en Égypte, au Soudan, en Tunisie, au Liban et en Jordanie, pour exiger un nouvel ajustement structurel de leurs économies alors même qu’elles s’enfoncent dans la récession.

    En conséquence, les militants du mouvement augmentent maintenant la demande d’annulation de la dette. La Tunisie est un exemple. La facilité de financement élargie du FMI a imposé plusieurs mesures d’austérité, entraînant la dépréciation du dinar tunisien en 2017, et l’inflation qui en a résulté a appauvri les classes populaires et a fortement augmenté les taux de chômage.

    La dette extérieure du gouvernement représente désormais environ les deux tiers de la dette publique totale en 2020 et les fonds qui seraient autrement affectés au bien-être public sont désormais détournés pour la servir. Les militants s’opposent désormais au paiement de la dette. Ainsi, alors que la Tunisie a gagné une plus grande démocratie, les conditions socio-économiques de la majorité se sont dégradées.

    De plus en plus de Tunisiens fuient leur pays, non pas à cause de la répression politique, mais de la pauvreté. Cinq fois plus de personnes sont parties cette année qu’en 2019. Elles risquent leur vie en traversant la Méditerranée et si elles survivent, elles sont confrontées au régime frontalier brutal de l’UE et à la discrimination raciste dans les pays européens. La région redevient ainsi une poudrière de doléances économiques et politiques.

    Les défis de la gauche: construire un instrument politique de résistance
    L’un des principaux problèmes des vagues de résistance à ces conditions a été l’extrême faiblesse de la gauche radicale et de la classe ouvrière organisée. Ceux-ci ont été incapables d’intervenir en tant que force politique centrale parmi les classes populaires et de participer à leur auto-organisation pour répondre aux revendications économiques et politiques.

    En Égypte, il y a eu au départ de grandes luttes économiques et des syndicats indépendants croissants, mais ils ne se sont jamais cohérents en un véhicule politique de taille suffisante pour articuler les revendications de classe et s’organiser à un niveau de masse. Les seules exceptions à cette situation étaient en Tunisie et au Soudan.

    Dans les deux pays, la présence d’organisations syndicales de masse telles que l’UGTT tunisienne et l’Association professionnelle soudanaise ont été des éléments clés dans l’organisation de luttes de masse réussies. Les femmes ont également bâti de grandes organisations féministes qui continuent de revendiquer progressivement leurs droits.

    Bien entendu, les luttes dans les deux pays ont également atteint les limites d’un simple changement politique. L’UGTT et l’Association professionnelle soudanaise ont joué un rôle central, mais leurs dirigeants ont été tentés de chercher un compromis avec les élites dirigeantes plutôt qu’un changement socio-économique radical.

    Néanmoins, les organisations de masse de la Tunisie et du Soudan restent l’exception dans la région. Ailleurs, les travailleurs et les opprimés n’avaient pas de telles organisations en place, ce qui rendait difficile pour les masses de remplacer les régimes par une alternative progressiste. Dans les années à venir, la gauche doit jouer un rôle central dans la construction et le développement de ces grandes organisations politiques alternatives.

    La gauche a également besoin de développer une stratégie politique qui ne recherche qu’une révolution politique, mais aussi une révolution sociale dans laquelle les structures de la société et le mode de production sont radicalement modifiés. En effet, le seul moyen de garantir une révolution politique est d’en réaliser une sociale.

    La gauche ne devrait pas prôner une stratégie stagiste consistant à effectuer d’abord une révolution interclasse pour la démocratie et à retarder pendant une période indéterminée une révolution sociale complète. Nous avons vu les problèmes avec cette stratégie dans des pays comme l’Afrique du Sud, où l’apartheid a été démantelé, mais les inégalités sociales et de classe se sont aggravées.

    Comme le soutient Daniel Bensaïd,

    Entre les luttes sociales et politiques, il n’y a ni murs chinois ni compartiments étanches. La politique naît et s’invente à l’intérieur du social, dans la résistance à l’oppression, l’énoncé de nouveaux droits qui transforment les victimes en sujets actifs.

    Les socialistes dans ces luttes doivent défendre la libération de tous les opprimés, en soulevant des revendications de droits pour les femmes, les minorités religieuses, les communautés LGBT et les groupes raciaux et ethniques opprimés. Ne pas le faire empêchera la gauche d’unir la classe ouvrière pour une transformation radicale de la société.

    Le récent déclenchement de manifestations en Tunisie à l’occasion du 10e anniversaire du renversement du dictateur Ben Ali démontre la colère de larges secteurs des classes populaires contre les malheurs économiques, les inégalités sociales, le chômage, la corruption politique et toute une série d’autres problèmes.

    De plus, le nouveau gouvernement démocratique a violemment réprimé les manifestations et arrêté plus de 1000 personnes, dont des mineurs. Il a même arrêté des individus qui n’avaient pas participé aux manifestations – simplement parce qu’ils avaient écrit des messages Facebook soutenant le mouvement de protestation.

    Ce scénario indique les limites de la révolution politique sans révolution sociale. Cela souligne également l’importance pour la gauche de développer un projet de classe indépendant visant à faire progresser à la fois la démocratisation et la transformation sociale.

    Le point concernant l’indépendance de la gauche est essentiel, car l’une des erreurs que la gauche a commises surtout lors de la première vague de révolte a été de s’aligner sur l’une des deux forces de la contre-révolution.

    Certains ont collaboré avec les régimes autoritaires contre les fondamentalistes islamiques avec des résultats désastreux. Cela n’a abouti qu’à la contraction de l’espace démocratique des travailleurs et des opprimés pour s’organiser pour la libération. Les régimes restent le premier ennemi des forces révolutionnaires dans la région.

    Dans le même temps, d’autres secteurs de la gauche se sont alliés aux organisations fondamentalistes islamiques contre l’État. Les fondamentalistes islamiques, qu’ils soient au pouvoir ou non, sont des réactionnaires; ils ciblent les travailleurs, les syndicats et les organisations démocratiques, tout en promouvant une économie néolibérale et des politiques sociales réactionnaires. Ils font également partie de la contre-révolution.

    Au lieu de se tourner vers l’une ou l’autre de ces deux forces, la gauche doit construire un front indépendant, démocratique et progressiste qui cherche à promouvoir l’auto-organisation des travailleurs et des opprimés. Dans ce projet, il faut comprendre que les luttes ouvrières à elles seules ne suffiront cependant pas à unir les masses.

    Les socialistes dans ces luttes doivent défendre la libération de tous les opprimés, en soulevant des revendications de droits pour les femmes, les minorités religieuses, les communautés LGBT et les groupes raciaux et ethniques opprimés. Ne pas le faire empêchera la gauche d’unir la classe ouvrière pour une transformation radicale de la société.

    La gauche doit également cultiver une vision régionale et internationaliste, ce qui fait actuellement défaut dans une grande partie du monde. La gauche de la région doit construire des réseaux de collaboration pour construire une alternative progressiste aux forces contre-révolutionnaires locales, régionales et impériales.

    Les classes dirigeantes de la région partagent leurs expériences et leurs leçons pour défendre leur ordre néolibéral autoritaire. La gauche doit faire de même car la lutte est régionale. Une défaite dans un pays est une défaite pour tous, et la victoire dans un pays est une victoire pour tous.

    La gauche de la région doit développer des relations de collaboration avec les forces progressistes au niveau international. Aucune solution socialiste ne peut être trouvée dans un pays ou dans une région, en particulier dans un pays comme le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, qui, en raison de ses réserves énergétiques stratégiques, a été un champ de bataille pour les puissances régionales et impérialistes.

    De nouvelles explosions de colère populaire sont à prévoir car les causes profondes des soulèvements non seulement persistent mais se sont en fait multipliées et intensifiées. Cependant, ces conditions ne se traduisent pas nécessairement directement par des opportunités politiques, en particulier pour les pays qui ont subi des guerres et une crise économique profonde. Mais la lutte nous attend.

    La gauche doit participer à la construction de fronts unis contre l’autocratie, l’exploitation et l’oppression, et en même temps construire une alternative politique parmi les classes populaires. Ce sont les tâches non seulement de la gauche dans la région MENA, mais dans le monde entier.

    Conclusion

    Le processus révolutionnaire de la région MENA fait partie intégrante de la résistance populaire mondiale contre l’ordre capitaliste néolibéral en crise. Mais il a un radicalisme particulier né de sa forme particulière de capitalisme qui a ouvert une époque révolutionnaire à long terme. Contre les affirmations orientalistes d’exceptionnalisme arabe ou islamique, les masses de la région luttent pour les mêmes revendications pour lesquelles les peuples du monde entier se battent, notamment en tant que démocratie, justice sociale, égalité et laïcité. Mais pour gagner, il faut non seulement un changement de gouvernement, mais aussi des révolutions politiques et sociales.

    Il n’y a pas de chemin simple dans ce processus révolutionnaire. Pour gagner, il faudra construire une gauche capable de naviguer dans des combinaisons complexes et dynamiques de luttes politiques et économiques. Comme Lénine l’a déclaré il y a des décennies:

    Imaginer que la révolution sociale est concevable … sans les explosions révolutionnaires d’une partie de la petite bourgeoisie avec tous ses préjugés, sans un mouvement des masses prolétariennes et semi-prolétariennes politiquement inconscientes contre l’oppression des propriétaires terriens, de l’Église et de la monarchie , contre l’oppression nationale, etc. – imaginer tout cela, c’est répudier la révolution sociale. Ainsi, une armée s’aligne à un endroit et dit: «Nous sommes pour le socialisme», et une autre, ailleurs, et dit: «Nous sommes pour l’impérialisme», et ce sera une révolution sociale!… Quiconque attend un social «pur» la révolution ne vivra jamais pour le voir. Une telle personne rend hommage à la révolution sans comprendre ce qu’est la révolution.

    Le rôle de la gauche et des progressistes est parfaitement clair: construire une alternative sociale et démocratique inclusive dans la lutte. La région MENA reste au milieu d’un processus révolutionnaire à long terme qui a – et inclura – à la fois la révolution et la contre-révolution.

    Il y a déjà eu de terribles défaites, mais aussi des victoires partielles. Mais ni l’un ni l’autre n’a mis fin au processus. Cela ne fait que commencer…


    Source : Spectre Journal, 26 janvier 2021

    Tags : Printemps Arabe, Maroc, Tunisie, Algérie, Libye, Egypte, Syrie,

  • The Washington Post : L’affaire inachevée du printemps arabe

    Les forces qui ont déclenché des soulèvements à travers le Moyen-Orient restent aussi puissantes que jamais

    Par Liz Sly

    BEYROUTH – Il y a dix ans, une grande partie du monde arabe a éclaté dans une révolte jubilatoire contre les régimes dictatoriaux dont la corruption, la cruauté et la mauvaise gestion avaient plongé le Moyen-Orient dans la pauvreté et le retard pendant des décennies.

    Dix ans plus tard, les espoirs suscités par les manifestations se sont évanouis – mais les conditions sous-jacentes à l’origine des troubles sont plus aiguës que jamais.

    Les autocrates règnent avec une prise encore plus serrée. Les guerres déclenchées par des dirigeants dont le contrôle était menacé ont tué des centaines de milliers de personnes. La montée de l’État islamique au milieu de l’épave qui en a résulté a ravagé de grandes parties de la Syrie et de l’Irak et a entraîné les États-Unis dans une autre guerre coûteuse au Moyen-Orient.

    Des millions de personnes ont été chassées de leurs foyers pour devenir des réfugiés, beaucoup convergeant vers les côtes de l’Europe et au-delà. L’afflux a alimenté une vague de nativisme et de sentiment anti-immigrés qui a amené les dirigeants populistes au pouvoir en Europe et aux États-Unis, alors que les craintes du terrorisme éclipsaient les préoccupations pour les droits de l’homme en tant que priorité occidentale.

    Même dans les pays qui n’ont pas sombré dans la guerre, plus d’Arabes vivent maintenant dans la pauvreté, plus sont au chômage et plus sont emprisonnés pour leurs convictions politiques qu’il y a dix ans.

    Ce n’est qu’en Tunisie, où les manifestations ont commencé , que quelque chose ressemblant à une démocratie a émergé du bouleversement. La chute du président tunisien Zine el-Abidine Ben Ali après un mois de manifestations de rue à Tunis a inspiré des manifestations à travers le Moyen-Orient, y compris la manifestation de masse du 25 janvier 2011 sur la place Tahrir au Caire qui a attiré l’attention du monde sur ce qui était prématurément étiqueté le printemps arabe.

    À première vue, le printemps arabe a échoué, et de manière spectaculaire – non seulement en échouant à assurer la liberté politique, mais en renforçant davantage le régime de dirigeants corrompus plus soucieux de leur propre survie que de mener des réformes.

    «Cela a été une décennie perdue», a déclaré Tarik Yousef, directeur du Brookings Doha Center, rappelant l’euphorie qu’il a ressentie au départ lorsque la chute de Moammar Kadhafi en Libye en août 2011 lui a permis de rentrer chez lui pour la première fois depuis des années. « Maintenant, nous avons le retour de la peur et de l’intimidation. La région a connu des revers à chaque tournant. »

    Pour beaucoup de ceux qui ont participé aux soulèvements, les coûts ont été incommensurables. Esraa Eltaweel, 28 ans, a été partiellement paralysée après qu’une balle tirée par les forces de sécurité lui a transpercé l’abdomen et ébréché la colonne vertébrale lors d’une manifestation au Caire en 2014. Certains de ses amis ont été tués. D’autres ont été emprisonnés, y compris son mari, qui est toujours incarcéré. Eltaweel, qui a passé sept mois en détention , a eu du mal à trouver du travail en raison de la stigmatisation attachée aux prisonniers politiques.

    «Nous n’avons rien obtenu de nos objectifs. Les choses ont empiré », dit-elle. «Nous pensions pouvoir changer le système. Mais il est tellement pourri qu’il ne peut pas être changé.

    Pourtant, tant que les conditions qui ont provoqué les soulèvements d’origine persistent, la possibilité de plus d’agitation ne peut être exclue, disent les analystes.

    Pour de nombreux habitants de la région, le printemps arabe est moins considéré comme un échec qu’un processus en cours. Les manifestations qui ont renversé les présidents de longue date de l’Algérie et du Soudan en 2019 et les mouvements de protestation ultérieurs en Irak et au Liban ont été salués comme un deuxième printemps arabe , un rappel que l’élan qui a conduit les révoltes d’il y a dix ans n’a pas disparu. Même en Tunisie, la frustration liée au chômage et à une économie stagnante a provoqué une série de manifestations souvent violentes ces derniers jours, avec de jeunes manifestants et des forces de sécurité s’affrontant dans les villes du pays.

    «Les dictateurs ont prévalu, principalement par la coercition», a déclaré Lina Khatib, qui dirige le programme Moyen-Orient et Afrique du Nord à Chatham House, à Londres. «Cependant, la coercition engendre d’autres griefs qui finiront par forcer les citoyens à rechercher un changement politique.

    D’autres craignent une instabilité et une violence pires alors que l’effondrement des prix du pétrole – le pilier des économies de la région depuis des décennies – et les retombées des fermetures de coronavirus font des ravages.

    «Nous avons des États défaillants dans toute la région. Nous avons un énorme défi économique couplé à une jeune génération qui se lève et qui demande un rôle. Cela nous met sur la voie d’une explosion », a déclaré Bachar el-Halabi, un analyste politique et activiste libanais qui a déménagé en Turquie l’année dernière en raison de menaces anonymes à sa sécurité. «La région est dans une situation pire que jamais.»

    Des populations en croissance rapide

    Le Moyen-Orient a le taux de chômage des jeunes le plus élevé au monde, comme il l’a fait depuis des décennies. La population de la région a augmenté de 70 millions d’habitants depuis le printemps arabe, et elle devrait augmenter de 120 millions supplémentaires d’ici 2030, avant de se stabiliser dans les décennies qui suivront, selon les chiffres de la Banque mondiale et les prévisions des Nations Unies.

    Les taux de croissance démographique élevés n’entraînent pas nécessairement un appauvrissement croissant, notent les économistes. En Asie du Sud-Est à la fin du siècle dernier et en Europe un siècle auparavant, la croissance démographique rapide a alimenté une expansion économique sans précédent.

    Mais au Moyen-Orient, les emplois n’ont pas suivi le rythme de l’augmentation du nombre de personnes. Le chômage des jeunes s’est aggravé au cours des 10 dernières années – passant de 32,9% en 2012 à 36,5% en 2020, selon l’ Organisation internationale du travail .

    Le secteur privé reste petit, contraint par des couches de bureaucratie, la corruption et un manque d’incitations gouvernementales, a déclaré Yousef. Les investisseurs étrangers et nationaux sont également découragés par les risques politiques, selon les enquêtes du Fonds monétaire international, piégeant la région dans un cercle vicieux de déclin et d’instabilité.

    Les emplois dans le secteur public gonflé de la région – le plus important au monde en proportion de l’emploi total – ont traditionnellement été la principale source d’emploi, en particulier pour les personnes instruites. Mais le secteur public n’a pas réussi à suivre le rythme de l’augmentation de la population et de l’élargissement de l’accès à l’enseignement supérieur.

    Dans les années 1970, un diplômé égyptien de sexe masculin avait 70 pour cent de chances d’obtenir un emploi au gouvernement. En 2016, ce chiffre était tombé à moins de 25%, selon les calculs de Ragui Assaad, professeur à l’Université du Minnesota et chercheur au Forum de recherche économique du Caire.

    Même en Tunisie, où les réformes politiques ont apporté de nouvelles libertés, les emplois sont rares, une source de frustration continue pour les jeunes Tunisiens. «Nous avons gagné la démocratie – c’est une chose très importante. Nous pouvons faire tout ce que nous voulons maintenant, sans limites », a déclaré Mohammed Aissa, 25 ans, qui a obtenu un diplôme en ingénierie financière il y a deux ans, mais n’a depuis été incapable de trouver du travail. «La démocratie est un grand gain pour nous. Mais malheureusement, la situation économique est très grave. »

    Une descente brutale dans la pauvreté

    En 1960, les économies de l’Égypte et de la Corée du Sud étaient à peu près de la même taille, a déclaré Yousef. Aujourd’hui, l’économie de la Corée du Sud est plus de quatre fois plus importante et sa population ne représente que la moitié de celle de l’Égypte.

    Dans les monarchies du golfe Persique, l’immense richesse pétrolière a financé l’essor de villes scintillantes parsemées de gratte-ciel, de centres commerciaux et de galeries d’art. Mais ces pays sont eux aussi confrontés à une baisse des revenus, des investissements et de l’emploi depuis que le prix du pétrole a commencé à baisser en 2015 .

    Le double coup dur de la pandémie de coronavirus et la baisse des prix du pétrole ne feront qu’accélérer la régression économique dans une région où de nombreux gouvernements arabes ont compté sur l’aide du golfe et de nombreux citoyens pour travailler dans les pays du golfe, selon les économistes.

    Alors que le FMI prévoyait une baisse globale de 4,1% en 2020 pour les économies du Moyen-Orient et d’Asie centrale, comme dans le reste du monde, les chiffres masquent des effets bien plus profonds dans certains pays. Il s’agit notamment de l’Irak, où la baisse des revenus pétroliers devrait entraîner une contraction de 9,5% de l’économie, et du Liban, où le recul dû aux restrictions sur les coronavirus est pâle en comparaison de celui dû à l’effondrement du système financier du pays. Selon les prévisions du FMI, l’économie libanaise reculerait d’au moins 19,2% en 2020, ce qui aggraverait l’impact d’une contraction de 9% en 2019.

    Les deux pays ont connu des troubles au cours de l’année écoulée, liés à la détérioration des conditions. En écho à la première vague de manifestations du printemps arabe près d’une décennie plus tôt, d’ énormes foules sont descendues dans les rues de Bagdad et de Beyrouth en octobre 2019 pour exiger une refonte des systèmes politiques qui sont ostensiblement démocratiques mais qui ont renforcé le pouvoir des élites dirigeantes.

    Ces manifestations ont échoué, en partie à cause de l’impact des restrictions sur les coronavirus et des tactiques brutales déployées par les forces de sécurité, en particulier en Irak , où plus de 500 manifestants ont été abattus et des dizaines d’activistes ont été assassinés ces derniers mois par des milices de l’ombre.

    Les frustrations restent vives en Irak et l’ économie continue de se détériorer après une forte dépréciation de la monnaie en novembre. Pourtant, il y a peu d’appétit pour de nouvelles actions car la peur est si forte, a déclaré un propriétaire de restaurant de Bagdad qui s’est joint aux manifestations. «Ce que les forces de sécurité et les milices ont fait était horrible», a déclaré l’homme, qui s’est exprimé sous le couvert de l’anonymat par crainte pour sa sécurité. «Nous avons perdu beaucoup de jeunes et rien n’a changé.»

    Au Liban, l’effondrement économique et le traumatisme de l’énorme explosion de l’été dernier dans le port de Beyrouth ont étouffé l’enthousiasme de ceux qui étaient initialement descendus dans la rue. «Ils sont trop brisés pour faire face à ce qui s’est passé», a déclaré Lama Jamaleddine, une étudiante organisatrice, alors qu’elle interrogeait la poignée de personnes lors d’une récente manifestation commémorant les victimes de l’explosion.

    Mais elle a dit qu’elle pensait que les jeunes Libanais avaient pris conscience des dommages causés à leur pays par les seigneurs de guerre vieillissants qui composent l’élite dirigeante. À l’automne, les élections des syndicats étudiants dans les principales universités de Beyrouth ont été balayées par des indépendants et des militants, portant un coup dur aux partis politiques sectaires traditionnels.

    «La jeune génération se sépare», a-t-elle dit. «Il est assez difficile de s’en éloigner, mais après l’explosion, ils ont constaté par eux-mêmes à quel point le système est dommageable.

    Ascendant de l’autoritarisme

    S’il y a une leçon primordiale à tirer du printemps arabe, c’est que la tyrannie peut étouffer la dissidence tant que les dirigeants exercent suffisamment de force ou offrent suffisamment d’incitations.

    Mais sa stratégie a laissé un pays détruit, dépeuplé et appauvri où les conditions ont continué de se détériorer même après qu’il était clair que ses forces avaient gagné militairement, selon Tamara Cofman Wittes, chercheur principal au Center for Middle East Policy de la Brookings Institution, basé à Washington. , qui, en tant que secrétaire adjoint adjoint au département d’État, a aidé à coordonner la réponse de l’administration Obama aux soulèvements du printemps arabe.

    En Égypte, le président Abdel Fatah al-Sissi – dont le coup d’État militaire en 2013 a évincé le gouvernement élu issu du printemps arabe – règne avec une emprise beaucoup plus serrée que l’autocrate de longue date Hosni Moubarak, dont le règne s’est terminé avec ce soulèvement. Aujourd’hui, environ 60 000 personnes sont emprisonnées pour leurs opinions politiques, contre 5 000 à 10 000 au cours des dernières années du mandat de Moubarak, selon des groupes de défense des droits humains.

    L’Égypte souffre toujours de niveaux élevés de chômage et de pauvreté, mais les gens sont confinés dans le silence, a déclaré un photographe de 26 ans, qui a également parlé sous couvert d’anonymat par peur. «J’ai perdu beaucoup d’amis. Je me suis blessé plusieurs fois. Je suis devenu désillusionné et vaincu », a-t-il déclaré.

    Il a prédit qu’un soulèvement du printemps arabe ne se reproduirait plus: «La première fois était une sorte de miracle. Les gens étaient intrépides et le régime était faible. Mais maintenant, tout le monde a perdu espoir. Tout le monde voit la révolution comme un échec qui a causé plus de problèmes économiques et plus d’oppression.

    Dans tout le Moyen-Orient, l’autoritarisme est ascendant, a noté Halabi, l’activiste libanais en exil. La montée en puissance du prince héritier d’Arabie saoudite Mohammed ben Salmane en tant que dirigeant de facto du royaume a entraîné une campagne de répression contre les dissidents , allant des femmes qui ont fait campagne pour le droit de conduire aux princes rivaux de la famille royale. Les Émirats arabes unis ont défendu des régimes autoritaires au Moyen-Orient et ailleurs.

    Et le chaos déclenché en Syrie, au Yémen et en Libye a atténué l’appétit pour les troubles dans de nombreuses parties de la région, tandis que le succès éphémère en Égypte des Frères musulmans, considéré comme une menace pour les élites établies, a incité de nombreux pays arabes à réduire l’espace pour l’activité politique.

    ‘La prochaine explosion’

    Le printemps arabe a également brisé un mythe de longue date selon lequel l’autoritarisme est synonyme de stabilité, a déclaré Cofman Wittes. Elle a rappelé la ruée au sein de l’administration Obama pour s’ajuster au renversement de Moubarak en 2011, qui avait été considéré comme un rempart de la politique américaine visant à assurer la stabilité dans une région instable.

    «Personne n’a vu venir le printemps arabe», a-t-elle déclaré. «Les États répressifs semblent toujours stables, mais lorsqu’un gouvernement compte sur la coercition comme principal moyen de survie, il est intrinsèquement instable.

    Un destin similaire pourrait attendre les pays riches en pétrole de la péninsule arabique, où les monarques héréditaires ont apaisé les troubles en 2011 en distribuant des gains généreux aux citoyens, a déclaré Assaad, professeur à l’Université du Minnesota. Au fil des décennies, la richesse pétrolière des pays du Golfe a permis à ces autocrates d’offrir à leurs citoyens des services généreux et des emplois gouvernementaux en échange d’un calme politique.

    «Une question cruciale est ce qui se passe dans les pays riches en pétrole», a déclaré Assaad. «Ce sont vraiment des barils de poudre en termes d’instabilité potentielle si les prix du pétrole sont incapables de croître et de conduire la population à l’acquiescement, comme ils l’ont fait au printemps arabe.

    L’effet d’entraînement de la baisse des prix du pétrole se fait déjà sentir bien au-delà du golfe. Des pays comme l’Égypte et la Jordanie reçoivent moins d’aide de leurs alliés plus riches, qui avaient par le passé aidé à consolider leurs gouvernements, ainsi qu’une diminution des envois de fonds des citoyens qui travaillent dans les économies du Golfe mais qui sont maintenant renvoyés chez eux alors que la récession mord .

    Une instabilité supplémentaire semble inévitable, a déclaré Fawaz Gerges, professeur de relations internationales à la London School of Economics. Il estime que les bouleversements des 10 dernières années représentent le début d’un long processus de changement qui mènera à terme à une transformation du Moyen-Orient.

    «Je ne pense pas que nous verrons une stabilité tant que les dictateurs et les agences de renseignement militaires continueront d’étouffer la société», a-t-il déclaré.

    Il craint également que les troubles ne soient plus violents qu’il y a dix ans.

    « Le statu quo est intenable, et la prochaine explosion sera catastrophique », a-t-il prédit. « Nous parlons de famine, nous parlons d’effondrement de l’État, nous parlons de troubles civils. »

    Claire Parker à Tunis a contribué à ce rapport.

    The Washington Post, 24 jan 2021

    Tags : Printemps arabe, Tunisie, Egypte, Syrie, Libye, Algérie, Maroc,

  • Une décennie après le printemps arabe, ces militants trouvent de nouvelles façons de lutter pour le progrès

    PAR JOSEPH HINCKS

    Le printemps arabe a commencé en Tunisie, où 28 jours de manifestations ont mis fin à 24 ans de régime dictatorial. Le lendemain, 15 janvier 2011, des étudiants au Yémen ont appelé à des manifestations contre l’homme fort là-bas. Un dictateur est tombé en Egypte, puis en Libye. Un changement de saison semblait amener la démocratie dans une partie aride de la planète où elle ne s’était jamais vraiment épanouie.

    Cela s’est avéré un faux ressort. Aujourd’hui, l’Égypte a un dictateur différent, et le Yémen, la Libye et la Syrie ont des guerres. Mais continuez à lire. La passion du changement – pour la dignité – perdure dans la génération qui a ouvert la voie dans la rue il y a dix ans.

    Lara Sabra, 22 ans, Liban

    Avant même le décompte des votes, le siège de campagne improvisé du Secular Club près de l’Université américaine de Beyrouth (AUB) a sonné des chants de «Révolution! Pour la première fois depuis la fin de la guerre civile au Liban en 1990, un parti non affilié aux dirigeants sectaires du pays était sur le point de remporter des élections étudiantes.

    «Je n’avais jamais imaginé que nous gagnerions autant de sièges que nous», déclare Lara Sabra, la présidente du club. «Même si l’idéologie politique du club est devenue plus populaire maintenant, c’était quand même surprenant.» C’était aussi une tendance. Les indépendants ont remporté 4 des 9 sièges à l’Université Rafik Hariri, 14 sur 30 à l’Université libanaise américaine et 85 sur 101 à l’Université St. Joseph.

    Les élections étudiantes au Liban – où il n’y a pas de sondage fiable – sont souvent considérées comme un indicateur du sentiment national. Ils peuvent aussi être des affaires instables: ils n’ont pas eu lieu à l’AUB pendant la guerre civile qui a duré 15 ans au Liban, au cours de laquelle son campus a été bombardé. Pas plus tard qu’en 2007, quatre étudiants ont été tués dans des affrontements armés à la suite d’une dispute politique sur le campus de l’Université arabe de Beyrouth.

    Les élections de 2020 sont survenues dans un contexte de désillusion généralisée face à la politique sectaire du Liban. Plus de la moitié de la population du pays vit actuellement dans la pauvreté et, en décembre, sa monnaie valait 20% de sa valeur un an auparavant. Même avant que le gouvernement néglige les explosifs stockés n’entraîne une explosion massive en août qui a tué plus de 200 personnes, de jeunes manifestants qui s’étaient réunis pour la première fois près d’un an plus tôt, en octobre 2019, exigeaient la démission de tous les représentants politiques. Sabra dit que le système basé sur le favoritisme qui caractérise la politique nationale du Liban s’était également répandu dans la politique étudiante. Dans le passé, la politique du campus était «transactionnelle», les partis établis «échangeant des examens ou des banques de test antérieurs, qui ne sont pas largement disponibles, pour un vote», dit-elle.

    Que pourraient laisser présager ces changements dans la politique des campus pour les élections législatives libanaises, prévues en 2022? Un seul candidat indépendant a remporté les élections de 2018, les électeurs étant restés fidèles au système sectaire qu’ils blâment également pour la descendance du pays. L’âge du vote, à 21 ans, et l’absence d’une opposition unifiée posent un défi, dit Sabra.

    Son propre engagement en politique a commencé au lycée, lorsqu’elle a créé un club féministe qui a demandé avec succès au doyen de l’école de réviser une politique d’uniforme sexiste et a mené une campagne de sensibilisation à la culture du viol. À l’AUB, elle a découvert que le Secular Club réunissait le féminisme et des causes comme l’environnementalisme et les droits démocratiques.

    Mais Sabra dit que ce qui l’a galvanisée a été de voir la place des Martyrs à Beyrouth le 17 octobre 2019, remplie de manifestants qui sont revenus semaine après semaine. «Je l’avais imaginé, mais je ne pensais pas que cela pouvait arriver», dit-elle. «Ce moment m’a fait penser la politique d’une manière différente; cela m’a montré qu’il est possible qu’un changement politique se produise.

    Ali Mnif, 34 ans, Tunisie

    Comme ses frères aînés l’avaient déjà fait, Ali Mnif se préparait à quitter la Tunisie fin 2010, lorsqu’un vendeur du nom de Mohamed Bouazizi s’est immolé par le feu après avoir été humilié par les autorités de la ville. Les Tunisiens ont répondu en marchant avec tant d’insistance contre les indignités de la corruption, du chômage et du manque de liberté politique que le président Zine el-Abidine Ben Ali s’est enfui. «Je suis resté à cause de ce moment. Parce que, pour la première fois, nous avons été responsabilisés », se souvient Mnif. «Nous ne nous attendions jamais à ce que [Ben Ali] parte. Jamais. »

    Avec des élections libres et équitables, la Tunisie est la seule «réussite» du printemps arabe. Mais les Tunisiens constituaient le plus grand groupe de combattants à avoir rejoint le califat autoproclamé de l’Etat islamique. En 2019, 85% des chômeurs avaient moins de 35 ans. Depuis 2011, quelque 100 000 personnes ont déménagé à l’étranger.

    «Nous avons continué à nous demander: est-ce que la seule façon pour nous de nous exprimer à nouveau pour quitter le pays? dit Mnif, qui est resté et, avec plusieurs de ses contemporains, s’est mis à analyser les goulots d’étranglement retenant les Tunisiens entrepreneurs. Deux ans de recherches minutieuses plus tard, la loi tunisienne sur les startups est née: un ensemble de 20 lignes directrices visant à rendre l’environnement des affaires plus transparent et méritocratique. Adoptée à la quasi-unanimité en avril 2018, la loi est «l’une des plus progressistes du genre au monde», déclare Mohamed El Dahshan, économiste du développement affilié à la Chatham House de Londres.

    Le passage est venu avec un alignement favorable de plusieurs facteurs, qui découlaient tous de la révolution. Le plus jeune Premier ministre tunisien, Youssef Chahed, alors âgé de 42 ans, était au pouvoir; le ministre des technologies de la communication et de la transformation numérique du parti islamiste Ennahda a pris part tôt; et un mois avant les élections municipales, personne ne voulait être vu bloquant les perspectives des jeunes.

    Mnif reconnaît que la plupart des avantages de la loi sur les startups profiteront aux diplômés universitaires plutôt qu’à la classe ouvrière tunisienne. Pourtant, les réformes ont déjà porté leurs fruits. La Tunisie a enregistré quelque 380 nouvelles startups en vertu de la loi. Les startups établies en ont également bénéficié, comme InstaDeep, fondée par des Tunisiens et basée à Londres, qui vient de signer un accord pour construire un laboratoire commun avec l’allemand BioNTech, qui a développé un vaccin COVID-19 avec Pfizer; et nextProtein franco-tunisien, pionnier des insectes comme source de nourriture.

    En 2013, Mnif a écrit un essai sur ce que sa génération devrait abandonner pour la Tunisie. «Les gens ont compris ce sacrifice de différentes manières: certains se sont sacrifiés en allant en Syrie; certains ont traversé la Méditerranée », dit-il maintenant. «Pour moi, essayer de reconstruire les institutions de votre pays: c’est le plus grand sacrifice que vous puissiez faire.»

    Nada Majdalani, 36 ans, Territoires palestiniens

    Par une chaude journée d’été en 2017, la famille d’un garçon de 5 ans nommé Mohamed al-Sayis a fait un voyage à la plage pour échapper aux dures réalités de la vie à Gaza. Ses parents ne savaient pas qu’un ruisseau voisin se jetant dans la mer était plein d’eaux usées brutes. Ce soir-là, toute la famille est tombée malade – et en 10 jours, Mohamed était mort.

    Ainsi a commencé le discours que Nada Majdalani, le directeur palestinien d’Eco-Peace Middle East, a prononcé en mai 2019 au Conseil de sécurité de l’ONU. Assise entre le directeur israélien de l’organisation et son directeur jordanien, elle a expliqué comment les eaux usées qui ont empoisonné Mohamed ont forcé l’usine de dessalement israélienne d’Ashkelon à se déconnecter – étouffant 15% de l’approvisionnement en eau d’Israël. C’était une illustration frappante de ce qui relie trois juridictions si souvent en désaccord.

    «Je vois notre région comme le Titanic » , dit Majdalani. «Il y a des gens assis en première classe avec le champagne et les salles de bal, et des gens qui sont au fond du navire. Mais une fois que l’iceberg frappe: tout le monde coule.

    EcoPeace est une initiative conjointe israélo-jordanienne-palestinienne formée en 1994, un an après la signature des accords d’Oslo, qui a laissé l’eau comme une question de statut final à résoudre. Eco-Peace a commencé à y remédier immédiatement. La réalisation historique du groupe est de persuader les trois gouvernements de commencer à éliminer les polluants du Jourdain, et Israël de libérer plus d’eau dans le fleuve épuisé de la mer de Galilée. Dans tout le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, un approvisionnement insuffisant en eau et en assainissement coûte environ 21 milliards de dollars par an en pertes économiques, selon un rapport de 2017 de la Banque mondiale. Les analystes considèrent de plus en plus le stress environnemental comme un facteur de troubles sociaux et de guerre.

    Wim Zwijnenburg, un chef de projet pour l’organisation de paix néerlandaise PAX, dit que bien que la relation entre le changement climatique et le conflit soit complexe, il existe une «dynamique qui se renforce mutuellement» entre les deux. «Les guerres et les conflits armés entraînent la destruction à grande échelle des ressources naturelles telles que les forêts et les sources d’eau tout en érodant les infrastructures de l’État qui garantissent la protection de l’environnement.»

    Les différends concernant le contrôle de l’eau du Jourdain ont contribué au déclenchement de la guerre des Six jours en 1967, année où Israël a commencé à occuper les territoires palestiniens. En 2020, le soi-disant plan de paix du président Trump au Moyen-Orient, qui penche fortement vers Israël, a menacé un protocole d’accord prévu en s’aliénant à la fois les Palestiniens et les Jordaniens. «Juste au moment où nous arrivions au point où nous pouvions réellement réunir les trois gouvernements pour signer, les réalités géopolitiques ont empêché que cela se produise», dit Majdalani.

    Le blocage politique a conduit l’équipe de Majdalani à redoubler d’approches auprès du secteur privé. Jusqu’à présent, des études de faisabilité pour deux projets palestiniens, deux projets jordaniens et deux projets transfrontaliers ont été achevées.

    Et en décembre, EcoPeace a lancé son initiative la plus ambitieuse à ce jour: un plan directeur régional appelé Green Blue Deal pour le Moyen-Orient . Inspiré par le Green New Deal proposé par les législateurs progressistes américains et le plan historique de dépenses vertes de 572 milliards de dollars de l’Union européenne, il est «un reconditionnement de ce qu’Eco-Peace fait déjà sur le lien eau-énergie», dit Majdalani.

    Au Conseil de sécurité, les ambassadeurs israélien et palestinien ont salué Eco-Peace. «Je suis sortie ce jour-là très fière de ce que nous faisons», dit-elle. «Cela m’a fait sentir que tout était possible.»

    Mohamad Najem, 39 ans, Liban

    Lorsque la police jordanienne a dispersé par la force les manifestations contre la rémunération des enseignants en juillet, arrêtant les 13 membres du conseil d’administration du Syndicat des enseignants de Jordanie pour des motifs douteux, elle a également battu des journalistes couvrant les manifestations. Tout comme les vidéos de ces passages à tabac ont commencé à circuler en ligne, Facebook Live a mystérieusement cessé de fonctionner.

    Ce n’était pas le genre de chose que Mohamad Najem s’est vu sonder en 2008 lorsqu’il a cofondé SMEX, une organisation à but non lucratif basée à Beyrouth, qui vise à aider les blogueurs à capitaliser sur les plateformes de médias sociaux émergentes. Mais alors que les gouvernements de la région s’enfonçaient plus profondément dans le cyberespace qui avait autrefois fourni un refuge aux dissidents, le travail de Najem s’est élargi pour les rencontrer sur le nouveau champ de bataille.

    Dans le cas de la manifestation jordanienne, c’est le gouvernement, et non Facebook lui-même, qui avait bloqué l’accès à Facebook Live. Mais en juin, SMEX est allé au fond de la suppression par Facebook des images d’une autre manifestation: une manifestation antigouvernementale rare dans le sud-ouest de la Syrie. Une société basée au Royaume-Uni ayant des liens avec le régime syrien d’Assad avait «rapporté en masse» des vidéos des manifestations, affirmant qu’elles violaient un droit d’auteur qu’elle détenait. L’enquête de SMEX a révélé que l’entreprise avait acheté la licence de ces images à un tiers non divulgué dans la région. Après un appel avec SMEX, Facebook a supprimé les droits d’auteur de l’entreprise et a pris des mesures pour rendre plus difficile pour les autres l’achat de telles licences. «Facebook a répondu et nous avons résolu ce problème», déclare Najem. «Mais… les entreprises auraient déjà dû être au top.»

    Lors des soulèvements d’il y a dix ans, les plateformes de médias sociaux ont été cruciales pour les manifestants, qui ont utilisé Facebook et Twitter pour faire connaître les outrages et appeler les gens dans la rue. Aujourd’hui, les gouvernements autoritaires utilisent leur pouvoir pour empêcher la dissidence et traquer les critiques sur les mêmes plateformes. Les entreprises de médias sociaux qui se prélassent à l’image de la liberté sont, en fait, des entreprises obligées de fonctionner selon les lois de tout pays où elles opèrent. «Nous sommes dans une situation où les entreprises qui ont stimulé la liberté d’expression dans notre région sont les mêmes entreprises qui limitent et censurent maintenant une grande partie du contenu qui dit la vérité au pouvoir», dit Najem. Il note que ce n’est qu’en 2014 que Facebook a embauché un responsable de la politique pour la région. Et comme pour Google et Twitter, son siège régional est aux Emirats Arabes Unis, une monarchie absolue avec un dossier exhaustif de suppression de la dissidence au niveau national et à travers la région. «Ce n’est un secret pour personne qu’une taupe saoudienne a opéré à l’intérieur de Twitter pendant plusieurs années», dit Najem. «Si les Saoudiens peuvent faire cela au bureau de Twitter dans la Silicon Valley, imaginez combien il est plus facile pour l’Arabie saoudite ou les EAU de le faire à Dubaï.»

    Début 2020, des militants syriens ont lancé une campagne pour dénoncer la décision de Facebook de désactiver des milliers de comptes et de pages anti-Assad qui documentaient des crimes de guerre depuis 2011, sous prétexte de supprimer du contenu terroriste. En juin, Facebook a supprimé plus de 60 comptes d’activistes, de journalistes et de musiciens tunisiens sur peu de preuves, selon une lettre ouverte signée par SMEX et de nombreux autres groupes de la société civile de la région; et en octobre dernier, Twitter a suspendu en masse les comptes des dissidents égyptiens vivant en Egypte et dans toute la diaspora, immédiatement après l’éruption des manifestations anti-Sissi en Egypte.

    Pendant ce temps, les gouvernements du Moyen-Orient élargissent les lois sur la cybercriminalité et le terrorisme pour réduire l’espace disponible pour la dissidence. Rien qu’en 2020, la Turquie a arrêté des centaines de personnes pour des publications Facebook «provocantes» à propos du COVID-19. Le fait d’exprimer son soutien en ligne pour le Qatar peut justifier une peine de prison pouvant aller jusqu’à 15 ans chez son rival, les EAU. L’Arabie saoudite est devenue connue pour avoir déployé des «armées de trolls» soutenues par l’État pour écraser les critiques et menacer les dissidents. Et depuis 2019, le simple fait de suivre un dissident sur Twitter est passible de cinq ans de prison à Bahreïn.

    La nouvelle loi de Bahreïn n’est que l’une des centaines suivies par la plus grande initiative de Najem à ce jour. Lancée en 2019, la spin-off Cyrilla de SMEX comprend une base de données visuelle des nouvelles lois adoptées ou à l’étude dans le monde entier qui freinent la libre expression en ligne. La compilation de la base de données en anglais-arabe n’est que la première phase, dit Najem – la seconde consiste à créer des affaires juridiques pour contester l’application de lois censurées devant les tribunaux.

    Najem rit du son archaïque de SMEX, acronyme de Social Media Exchange. Plus approprié est Bread & Net, celui qu’il a donné à sa «non-conférence» numérique annuelle, qui, depuis 2018, a réuni des centaines de journalistes, hackers, experts en droits de l’homme et décideurs politiques de la région pour discuter de la confidentialité, de la sécurité numérique et de la surveillance dans la région. Bread & Net exprime à quel point Internet est fondamental dans la vie quotidienne. Malgré les restrictions croissantes, Najem se dit optimiste car il y a une plus grande prise de conscience de l’urgence de repousser.

    «Dans les pays où il n’y a pas de démocratie, il n’y a pas de concept d’espace civique», dit-il. «L’espace en ligne est vraiment le seul que les gens peuvent utiliser pour s’exprimer – pour faire n’importe quoi.

    Shaimaa, 23 ans, Irak

    «Tout le monde me disait que je devais le respecter et toujours lui dire oui», dit Shaimaa à propos du mari violent qu’elle a épousé en 2015, à 17 ans. «J’avais l’impression d’être dans une prison.

    C’était censé être un sanctuaire. Sa famille était arrivée au camp de Baharka au Kurdistan irakien pour les personnes déplacées à l’intérieur de leur pays l’année précédente, après que l’Etat islamique ait attaqué leur ville natale dans la région montagneuse de Sinjar en Irak. En tant que fille aînée, Shaimaa pensait que se marier au camp offrirait à ses proches un semblant de stabilité. Mais lorsqu’elle a commencé à organiser des jeux et des activités pour les enfants, le spectacle d’une femme jouant un rôle si important dans la vie publique était trop pour beaucoup des 4 700 résidents du camp, notamment son mari. Shaimaa avait commencé le travail pour s’assurer que son frère, atteint du syndrome de Down et paraplégique, ne deviendrait pas isolé socialement. Lorsqu’il est décédé à 11 ans en 2016, elle était épuisée émotionnellement et a demandé le divorce, contre la volonté de ses proches. La censure n’a fait qu’augmenter.

    Shaimaa a refusé. Elle a écrit un article sur ses expériences de fuite de l’Etat islamique et la violence à laquelle elle avait été soumise dans sa propre communauté, qui a remporté un prix après sa publication dans un magazine en espagnol. Cela l’a incitée à interviewer d’autres femmes et filles du camp, servant de pont entre elles et des organisations internationales comme l’UNICEF. Impressionnée par le rapport qu’elle avait établi avec les enfants de Baharka, et après que Shaimaa ait lancé un système permettant aux femmes de signaler les cas de harcèlement, l’organisation à but non lucratif internationale Save the Children l’a enrôlée dans des projets locaux.

    Lorsque Free to Run, une organisation à but non lucratif qui forme des survivantes du conflit à la course de marathons, est venu à Baharka en 2018, Shaimaa a été l’un des premiers Irakiens à s’inscrire pour courir. Elle a aidé à recruter d’autres femmes et filles, utilisant la confiance qu’elle avait bâtie dans le camp pour apaiser les inquiétudes des parents concernant la participation de leurs filles aux sports. Aujourd’hui, Shaimaa est une entraîneure de Free to Run, responsable d’un groupe d’une vingtaine de coureuses et femmes, pour la plupart des réfugiés de la région syrienne de Daraa. Une jeune fille de 16 ans, dont le père a été tué par l’Etat islamique, avait envisagé d’épouser son cousin avant de rejoindre Free to Run, dit Shaimaa. Après avoir participé au programme, elle a décidé de reporter le mariage et de retourner à l’école.

    «Les filles admirent vraiment Shaimaa et ce qu’elle a accompli. Ils peuvent la voir vivre vraiment ce qu’elle partage », déclare Christina Longman, directrice nationale de Free to Run pour l’Irak. Il y a quelques mois, Shaimaa a déménagé ses parents et ses frères et sœurs du camp dans un appartement de la ville voisine de Baharka. Le mur derrière où elle prend notre appel Zoom est couvert de certificats et de médailles de courses qu’elle a courues – principalement 5 km et 10 km, mais elle espère terminer le marathon d’Erbil à l’avenir. Récemment ajoutée , la distinction 2020 de Beyond Sport pour l’ utilisation courageuse du sport , décernée à Shaimaa pour avoir combattu l’injustice et la discrimination et avoir utilisé le sport pour améliorer sa communauté.

    «Je me sens libre quand je cours, loin des prisons et de la guerre», dit-elle. «J’ai l’impression qu’il n’y a pas de limites et que rien ne m’arrête.»

    – Avec les reportages de Suyin Haynes, Billy Perrigo et Raja Althaibani

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    Tags : #MondeArabe #PrintempsArabe

  • Palestine : Le deal de toutes les prédations

    Trois grands conflits en Afrique et au Moyen Orient ont jeté un voile sur un vieux problème que l’humanité traîne depuis plus de 70 ans. En effet, le Mali, la Libye et la Syrie vers où convergent les inquiétudes des Occidentaux, des Africains et des Arabes, ont relégué au second plan la question de décolonisation en Palestine. La récente sortie de Trump avec son «deal du siècle» renseigne, si besoin, des conséquences de l’absence de vigilance sur le dossier palestinien.

    Certes, les deux époques sont différentes, l’origine des conflits également, mais l’on constate dans les deux cas une volonté occidentale de maintenir la plaie ouverte. Les Britanniques, les Français et les Américains, le trio de pays qui n’ont pas hésité à attaquer l’Egypte de Nasser en 1956, pour sauver Israël, pousser ces dernières années les pays du monde à entrer dans un conflit international et ouvert contre la Syrie. Un seul objectif sous-tend cette attitude guerrière: fragiliser au maximum le pays-cible pour le rendre dépendant de leur volonté et l’offrir à Israël, dont le rêve de contrôler le monde arabe, n’a jamais été aussi près d’être réalisé.

    Dans ce monde arabe, il y a également l’Algérie. Après l’échec de l’anéantissement de cette grande Nation, le même trio milite «secrètement» pour allumer la mèche d’un autre conflit aux conséquences insoupçonnables aux frontières sud et est du pays. Pareille perspective n’anéantira certainement pas l’Algérie, mais risque de l’affaiblir au sens où elle aura, en tant que puissance régionale, à gérer une situation inextricable où des dizaines de pays impliqués dans la guerre, voudraient tirer profit de la situation.

    Le but des Occidentaux à travers l’internationalisation des conflits libyen, syrien et malien, est sans doute de créer des foyers de tension permanents qui viendraient s’ajouter à la question palestinienne. Cela reléguera aux calendes grecques le règlement d’une des plus importantes et légitimes revendications de l’humanité depuis l’imposition par les pays du tiers-monde du principe de l’autodétermination.

    Il est vrai que ces conflits arrangent deux alliés objectifs de l’Occident: Israël. Le printemps arabe et Daech ont complètement occulté les souffrances du peuple palestinien encore sous le joug de l’occupation. Comme quoi les «Révolutions» et le terrorisme servent les pouvoirs les plus injustes de la planète.

    Par Nabil G.

    Ouest Tribune, 12 fév 2020

    Tags : Palestine, Etats-Unis, Israël, deal du siècle, autodétermination, Proche Orient, monde arabe, terrorisme, Daech, printemps arabe,