Étiquette : Proche Orient

  • Ce que ferait Joe Biden au Moyen Orient et en Afrique du Nord (Hicham Alaoui)

    Hicham Alaoui

    Associé, Weatherhead Center for International Affairs. DPhil, études orientales, St Antony’s College, Oxford.

    Si Joe Biden remportait les élections de novembre 2020, sa nouvelle administration serait immédiatement confrontée à quatre défis au Moyen-Orient: l’Iran, l’axe saoudo-émirati, le printemps arabe et Israël / Palestine.

    La politique de l’administration Trump au Moyen-Orient est celle d’un repli chaotique. En revanche, la stratégie de l’administration Biden serait une stratégie de réengagement prudent. Il serait fondé sur un sens du réalisme critique, un peu comme l’approche de l’administration Obama. Elle verrait la région comme un terrain géopolitique cohérent, dans lequel la réalisation des objectifs à long terme exigerait moins d’action unilatérale et plus de coordination multilatérale. En même temps, il affronterait l’importance décroissante du Moyen-Orient pour les intérêts américains à l’étranger.

    Premièrement, en ce qui concerne l’Iran, l’administration Biden essaierait de restaurer le principe de négociation incarné par le cadre de l’accord nucléaire de 2015. Au cours des quatre dernières années, les États-Unis sont revenus à une position d’intimidation unilatérale et de rhétorique militarisée, de sanctions et de frappes militaires dans l’espoir de contraindre l’Iran à se soumettre. Pourtant, si les États-Unis peuvent lentement étouffer les ressources nucléaires de l’Iran, ils ne peuvent pas le faire avec leur programme de missiles balistiques existant, qui est le principal fer de lance de l’Iran pour ses ambitions d’expansion régionale.

    En tentant de revoir le cadre de l’accord sur le nucléaire pour ouvrir un nouveau dialogue, les États-Unis essaieraient de freiner le programme de missiles balistiques de l’Iran en donnant à son régime une place à la table des négociations. Les dirigeants iraniens résisteront sans aucun doute à l’invitation, car l’arsenal reste un atout vital pour sa capacité militaire. Cependant, ce processus pourrait ouvrir la porte à un grand marché régional à long terme. Un tel accord aborderait de manière globale l’implication de l’Iran dans des pays comme la Syrie, le Yémen et l’Irak sans aggraver les tensions dans le Golfe.

    Deuxièmement, en ce qui concerne l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis (EAU), les États-Unis reconsidéreraient soigneusement leur attitude libre. Au cours de la dernière décennie, et en grande partie sous une nouvelle direction politique, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont agi en tant qu’avant-garde contre-révolutionnaire du Moyen-Orient, s’efforçant d’inverser les acquis démocratiques. Ils ont cherché à renforcer les régimes autoritaires et les alliés dans toute la région – et ils ont réussi grâce à un mandat virtuel de l’administration Trump.

    L’administration Biden serait plus stricte, consciente des conséquences désastreuses de ce que l’aventurisme saoudo-émirati a produit au Yémen, en Libye et au Qatar. Les actions menées au sein de ces pays ont créé des perturbations tumultueuses avec peu de retours positifs. Bien sûr, les États-Unis resteraient en dehors de la politique intérieure saoudo-émiratie. Pourtant, il reconnaîtrait également que les deux sont différents. Alors que les dirigeants des Émirats arabes unis feraient face à des conséquences moins graves de ce recalibrage, les dirigeants saoudiens subiraient des coûts plus élevés en raison de leur domination sur un pays beaucoup plus grand avec des courants populaires plus diversifiés et un défi économique plus difficile. En outre, les dirigeants saoudiens auraient lésé de nombreux acteurs politiques internes, et ils pourraient essayer de réaffirmer leur pouvoir dans le système politique.

    Troisièmement, les États-Unis réorienteraient leur vision du printemps arabe – qui est un processus historique en cours plutôt qu’un résultat singulier. Ce processus est un processus de changement politique, et l’administration Biden reconnaîtrait que les luttes impliquées ont des racines structurelles. L’ancien contrat social qui a troqué l’obéissance politique contre la subsistance économique est révolu. Les sociétés jeunes exigent voix et dignité, et les régimes autoritaires ne peuvent pas le faire.

    Le rétablissement de la démocratie américaine dans le pays peut enhardir les mouvements démocratiques dans la région et même dans le monde. Le déclin de la démocratie dans le monde et son affaiblissement du dynamisme du printemps arabe sont souvent négligés. De plus, si de nouvelles révolutions éclatent, une administration Biden ne supposerait pas que les alliés autocratiques, comme le régime de Sissi en Égypte, resteront stables. Les attentes populaires en matière de réforme exigeraient une réponse plus raisonnée de la part des États-Unis.

    Dans le même ordre d’idées, des pays fracturés comme la Libye et la Syrie exigeraient le multilatéralisme plutôt que des interventions ponctuelles. Cela nécessiterait à terme de reconstruire les modes de coopération avec les alliés occidentaux et de réengager la Russie et la Chine à travers un cadre d’interactions positives et bien réglementées. Une administration Biden adopterait plus volontiers une telle approche.

    Enfin, l’administration Biden s’occuperait de la tragédie palestinienne. Ici, en raison de leur partialité passée, les États-Unis ont peu d’espace de manœuvre, et cela ne changera probablement pas. Il reviendrait sur «l’accord du siècle» et tenterait de ressusciter la solution à deux États. La possibilité d’une solution à deux États est effectivement morte, mais aucune des parties impliquées ne souhaite en reconnaître l’implication douloureuse. Ainsi, les États-Unis tenteraient de ramener Israël aux négociations. Cependant, il y aurait des gains limités: même si le gouvernement israélien arrête l’annexion de jure du territoire palestinien, il y aura toujours une annexion de facto par des activités de colonisation illégales. Beaucoup dépendrait également de la manière dont les Palestiniens se réorganiseraient, car l’Autorité palestinienne est bloquée dans un déclin moribond depuis des décennies.

    Pourtant, se retirer de l’accord du siècle aurait des implications régionales à considérer. Par exemple, les États arabes seraient moins incités à se précipiter dans des normalisations avec Israël sans que ce dernier ne traite des droits des Palestiniens. En ce sens, la politique étrangère de l’administration Biden au Moyen-Orient aurait des conséquences considérables, mais il faudrait un certain temps pour réparer les dommages causés par les politiques américaines actuelles.

    Dans le cas où Trump gagnerait, nous verrions plus de la même chose en termes de politique étrangère employée au cours des quatre dernières années. Les États-Unis poursuivraient leur approche militante vis-à-vis de l’Iran, et continueraient à donner aux dirigeants saoudiens et émiratis leur mandat pour la contre-révolution. Il resterait inactif alors que la région entre dans un nouveau cycle de répression autoritaire et de répression populaire. Ce refoulement consommerait la rue et serait plus fracturé que jamais, car il y aurait encore moins de répit au sein de la société civile. Les conflits régionaux en Libye, au Yémen et ailleurs s’aggraveraient en l’absence de coopération transatlantique et d’engagement multilatéral. Ces pays sombreraient plus profondément dans le conflit.

    Enfin, les États-Unis continueraient à négliger la dynamique israélo-palestinienne et à ne pas dépenser ne serait-ce qu’un minimum d’efforts pour relancer le processus de négociation. En conséquence, cela accélérerait la dissolution éventuelle de l’Autorité palestinienne et accélérerait également la reconnaissance formelle du fait que la solution à deux États est définitivement morte.

    Source : EPICENTER, 27 oct 2020

    Tags : Proche Orient, Moyen Orient, Noe Biden, Donald Trump, Hicham Alaoui, Palesine, Israel,

  • La Ligue arabe en quête de président de session

    Par Mohamed Habili

    En septembre dernier, après la Palestine, qui avait renoncé à son tour de présider l’actuelle session de la Ligue arabe, la 154e du nom, en raison de la non-adoption de sa résolution condamnant la normalisation avec Israël par les Emirats et le Bahreïn, cinq autres membres se sont à leur tour excusés de ne pouvoir assumer ce rôle. Ce sont, par ordre d’intervention si l’on peut dire : le Qatar, les Comores, le Koweït, le Liban et la Libye.

    Si cette liste n’a pas été plus longue, c’est sans doute parce que l’offre d’occuper le siège laissé vacant par le ministre palestinien des Affaires étrangères ne s’est pas poursuivie. On ne sait trop d’ailleurs comment s’expliquer cette cascade de refus, probablement sans précédent dans l’histoire de l’organisation. Est-ce par répugnance à accepter ce à quoi un autre membre a renoncé de son propre chef, ou par solidarité avec lui ?

    Et à ce dernier titre, par conséquent, en manière de condamnation des initiatives des Emirats et du Bahreïn, prises d’ailleurs en contradiction flagrante avec le plan arabe conditionnant la paix avec Israël à l’établissement d’un Etat palestinien. Cela dit, il est bien possible que ce soit pour les deux motifs à la fois : d’une part, pour ne pas avoir à présider une session comportant bien des désagréments, et de l’autre, pour ne pas donner le sentiment d’accabler davantage les Palestiniens.

    Ces derniers ne pouvaient décemment pas continuer à présider la session après que leur motion condamnant les initiatives émiratie et bahreïnie n’a pas été adoptée par la Ligue, n’ayant obtenu sur elle qu’une minorité de voix. Toutefois, même attitude abstentionniste lorsque les Emiratis ont proposé une motion contraire, dans laquelle ils demandaient l’approbation de leurs pairs pour leur initiative.

    En toute logique, on ne peut s’abstenir et dans le premier cas et dans le second. Si on se refuse à condamner une résolution, c’est qu’on est pour elle, sinon totalement du moins dans une bonne mesure. Et si on est contre elle, c’est qu’à l’inverse, on est pour la condamner. Mais ce n’est pas ainsi que l’entend la plupart des membres de la Ligue, qui veulent conserver leurs bonnes relations à la fois avec les Palestiniens et avec les Emirats et le Bahreïn.

    La même incohérence ne peut évidemment pas être imputée à ceux des membres ayant déjà établi des relations avec Israël, c’est-à-dire l’Egypte et la Jordanie. On le peut encore moins s’agissant de la première qui elle s’est empressée de se féliciter de la normalisation en question, à la différence de la Jordanie qui a réservé son opinion.

    L’Egypte pourtant n’est pas sans savoir que ce ne sont pas exactement pour les mêmes raisons que les Emirats et le Bahreïn ont normalisé avec Israël. La géographie lui avait fait obligation, comme d’ailleurs à la Jordanie, d’établir des relations diplomatiques avec Israël. Or, ce n’est pas la recherche de la paix qui justifie l’initiative des Emirats et du Bahreïn. C’est même l’inverse, l’idée que la guerre avec l’Iran est quelque chose d’inévitable à terme, et que dans cette perspective l’alliance avec Israël est la meilleure des garanties de ne pas en faire les frais le moment venu.

    On peut donc facilement imaginer l’Egypte et la Jordanie se démarquant de l’initiative des Emirats et du Bahreïn, ce que bien sûr elles n’ont fait ni l’une ni l’autre.

    Le Jour d’Algérie, 11 oct 2020

    Tags : Ligue Arabe, Palestine, Israël, Proche Orient,

  • Palestine : Le deal de toutes les prédations

    Trois grands conflits en Afrique et au Moyen Orient ont jeté un voile sur un vieux problème que l’humanité traîne depuis plus de 70 ans. En effet, le Mali, la Libye et la Syrie vers où convergent les inquiétudes des Occidentaux, des Africains et des Arabes, ont relégué au second plan la question de décolonisation en Palestine. La récente sortie de Trump avec son «deal du siècle» renseigne, si besoin, des conséquences de l’absence de vigilance sur le dossier palestinien.

    Certes, les deux époques sont différentes, l’origine des conflits également, mais l’on constate dans les deux cas une volonté occidentale de maintenir la plaie ouverte. Les Britanniques, les Français et les Américains, le trio de pays qui n’ont pas hésité à attaquer l’Egypte de Nasser en 1956, pour sauver Israël, pousser ces dernières années les pays du monde à entrer dans un conflit international et ouvert contre la Syrie. Un seul objectif sous-tend cette attitude guerrière: fragiliser au maximum le pays-cible pour le rendre dépendant de leur volonté et l’offrir à Israël, dont le rêve de contrôler le monde arabe, n’a jamais été aussi près d’être réalisé.

    Dans ce monde arabe, il y a également l’Algérie. Après l’échec de l’anéantissement de cette grande Nation, le même trio milite «secrètement» pour allumer la mèche d’un autre conflit aux conséquences insoupçonnables aux frontières sud et est du pays. Pareille perspective n’anéantira certainement pas l’Algérie, mais risque de l’affaiblir au sens où elle aura, en tant que puissance régionale, à gérer une situation inextricable où des dizaines de pays impliqués dans la guerre, voudraient tirer profit de la situation.

    Le but des Occidentaux à travers l’internationalisation des conflits libyen, syrien et malien, est sans doute de créer des foyers de tension permanents qui viendraient s’ajouter à la question palestinienne. Cela reléguera aux calendes grecques le règlement d’une des plus importantes et légitimes revendications de l’humanité depuis l’imposition par les pays du tiers-monde du principe de l’autodétermination.

    Il est vrai que ces conflits arrangent deux alliés objectifs de l’Occident: Israël. Le printemps arabe et Daech ont complètement occulté les souffrances du peuple palestinien encore sous le joug de l’occupation. Comme quoi les «Révolutions» et le terrorisme servent les pouvoirs les plus injustes de la planète.

    Par Nabil G.

    Ouest Tribune, 12 fév 2020

    Tags : Palestine, Etats-Unis, Israël, deal du siècle, autodétermination, Proche Orient, monde arabe, terrorisme, Daech, printemps arabe,