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  • Maroc : un journaliste entre la vie et la mort

    Soulaimane Raissouni : un journaliste entre la vie et la mort

    L’ancien rédacteur en chef du quotidien arabophone Akhbar al Yaoum, incarcéré depuis un an sans jugement, poursuit depuis deux mois une grève de la faim qui met ses jours en danger. Ce flamboyant éditorialiste, sans complaisance pour la monarchie, nie en bloc les accusations d’« attentat à la pudeur » et de « séquestration », dont il est l’objet. Retour sur cette affaire, par l’Humanité et Mediapart.

    On ne compte plus, depuis un an, ses comparutions, d’audiences renvoyées en demandes de remise en « liberté provisoire » refusées. Il est apparu sur le banc des accusés, ce jeudi 3 juin, méconnaissable, au 57 e jour d’une grève de la faim qui menace aujourd’hui sa vie : la peau sur les os, les traits émaciés, prostré sur sa chaise, incapable de se tenir debout, la tête dodelinante, entouré comme le plus dangereux des criminels par des haut gradés de la police. Soulaimane Raissouni, éditorialiste à la plume libre et acérée, d’une éloquence impitoyable, le dernier, au Maroc, à oser critiquer de front la monarchie, sa corruption, ses penchants tyranniques, l’injustice sociale sur laquelle elle est assise, se débat aujourd’hui dans l’arbitraire, entre la vie et la mort. Le rédacteur en chef du quotidien arabophone Akhbar al Yaoum, asphyxié par le régime, contraint de baisser le rideau voilà trois mois, n’est plus que l’ombre de lui-même.

    Reclus à l’isolement depuis plus d’un an, dans sa geôle de la prison d’Oukacha, à Casablanca, il a perdu près de 40 kilos. Sa vie ne tient plus qu’à un fil et sa jeune épouse, Kholoud, prépare déjà son deuil. Dans un geste désespéré, un cri de révolte contre l’indifférence, elle a posté sur les réseaux sociaux, la semaine dernière, l’image du linceul blanc qu’elle destine à son époux. Soulaimane Raissouni n’aura pas vu grandir leur fils, aujourd’hui âgé de 18 mois. La vie de ce talentueux journaliste a basculé le 22 mai 2020, lorsqu’une escouade de policiers en tenue civile l’ont brutalement appréhendé à l’aube, à son domicile de Casablanca. Sans convocation officielle, ni mandat, sous l’œil de caméras, prévenues pour l’occasion. Il a dû attendre plusieurs jours avant que lui soient notifiées les charges pesant sur lui : attentat à la pudeur et séquestration. Quelques jours plus tôt, la justice s’était saisie des accusations lancées le 14 mai sur le réseau social Facebook par un militant des droits des personnes LGBT. Ce dernier, qui s’exprimait sous le pseudonyme d’Adam Muhammed, affirmait avoir subi « une tentative de viol en 2018 » au domicile du journaliste, sans le nommer. Soulaimane Raissouni nie en bloc ces accusations. Un témoin corrobore sa version : l’employée de maison, présente ce jour-là.

    Les avocats de la défense ont maintes fois demandé au juge d’instruction de l’auditionner. Refus catégorique. Le jeune militant LGBT n’a déposé plainte qu’après l’interpellation du journaliste, annoncée en amont à coups de clairon, selon un procédé bien rodé, par les auxiliaires médiatiques du régime. Dès le 20 mai, le site Barlamane, relais des services de renseignements, annonçait « un scandale honteux », exigeant que le journaliste, qualifié de « déséquilibré » soit traduit en justice. « On se demande ce que vous attendez pour ouvrir une enquête », lisait-on dans ses colonnes, à l’attention du ministère public. « Petite Soulaiminette, c’est l’avant-dernier avertissement avant de te détruire ! », menaçait, trois jours auparavant, le site Internet Chouf TV, véritable organe du régime et de ses basses œuvres, en promettant le « sacrifice » de l’éditorialiste pour l’Aïd el-Fitr, la grande fête de fin du ramadan qui avait lieu, cette année-là, le 24 mai. Promesse tenue… Ces médias connus pour manier la diffamation sur ordre vilipendaient Raissouni depuis des mois. En cause ? Ses éditoriaux au vitriol, n’épargnant ni le roi, ni sa garde rapprochée, ni le tout-puissant chef des services de sécurité, Abdellatif Hammouchi, visé en France par des plaintes pour torture, et dont la convocation par la justice française lors de l’un de ses séjours parisiens avait déclenché, en 2014, une tempête diplomatique entre Paris et Rabat. En cause, encore, ses prises de position en faveur du journaliste Omar Radi, poursuivi pour « espionnage » et « atteinte à la sûreté de l’État » après le scandale suscité par les révélations d’Amnesty international sur l’usage par les autorités marocaines du logiciel espion israélien Pégasus pour le surveiller – plus tard accusé de viol à son tour ( lire notre enquête sur l’affaire Omar Radi).

    En cause, enfin, son soutien sans faille à sa nièce, Hajar Raissouni, 29 ans, elle-même talentueuse journaliste d’ Akhbar al Youm. La jeune femme avait été condamnée, le 30 septembre 2019, sur la base de rapports médicaux truqués, à un an de prison ferme pour « avortement illégal, relations sexuelles illégales, débauche », après son interpellation à la sortie d’une consultation de gynécologie. Devant le tollé suscité au Maroc et à l’étranger par cette incarcération, Hajar Raissouni avait finalement été libérée le 16 octobre, en vertu d’une grâce royale. Cette « stratégie sexuelle » pour démolir les opposants, des journalistes et réduire au silence les voix critiques avait déjà fait tomber une figure d’ Akhbar al Yaoum, son directeur, Taoufik Bouachrine, condamné un an plus tôt à douze ans de prison, au terme d’un procès jugé « inéquitable » par le groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire, pour « abus de pouvoir à des fins sexuelles », « viol et tentative de viol ». Peine alourdie en appel à quinze ans de prison ferme. Dans le dossier Bouachrine, sur les quinze plaignantes initialement recensées par la presse marocaine, huit avaient finalement manifesté le refus de témoigner contre lui, ou s’étaient ouvertement rétractées. L’une d’entre elles, Afaf Bernani, avait même été condamnée pour cela : « falsification de procès-verbal », six mois de prison ferme.

    Depuis son exil, elle exhorte aujourd’hui le régime marocain à « cesser d’utiliser les allégations d’agression sexuelle pour réduire au silence les opposants ». Lors du procès à huis clos, qui s’était étiré sur plusieurs mois, d’autres témoins, revenus sur leurs déclarations, avaient fini derrière les barreaux. Des mandats d’amener avaient dû être délivrés pour contraindre certaines plaignantes à se présenter à la barre. Une femme présentée comme une « victime » de Bouachrine, refusant de se présenter au tribunal, avait été retrouvée cachée, terrorisée, dans la voiture d’un témoin… Dans l’affaire Raissouni, les enquêteurs n’ont pas ménagé leur peine pour tenter de collecter d’autres plaintes et mettre en scène une accumulation propre à transformer l’éditorialiste en prédateur sexuel. En vain. Le plaignant lui-même, devant le calvaire du journaliste, répète aujourd’hui être attaché au « droit à la vie » et ses avocats ne s’opposent pas à ce que Raissouni comparaisse libre. Lors de l’audience du jeudi 3 juin, le juge est resté sourd à ces appels : il a estimé que l’incarcération de Raissouni, « en bonne santé » selon lui, pouvait se prolonger. L’expertise médicale demandée par la défense a été rejetée.

    La Patrie News, 07 juin 2021

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  • Washington Post: Les journalistes emprisonnés au Maroc méritent l’attention de l’administration Biden

    WASHINGTON – Les journalistes emprisonnés au Maroc, Soulaiman Raissouni et Omar Radi, notamment, méritent l’attention de la nouvelle administration des Etats-Unis « qui devrait discuter avec le régime marocain de son bilan en matière de droits de l’Homme », écrit The Washington Post dans son éditorial de vendredi.

    Le quotidien américain relève que « l’un des problèmes de politique étrangère les plus délicats hérités par l’administration Biden est la reconnaissance imprudente par l’ex-président Donald Trump en décembre de la (prétendue) souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental » occupé.

    Il s’agit, selon le journal, d’ »une décision qui a renversé la politique américaine de longue date et mis Washington en désaccord avec les alliés européens, les nations africaines et les résolutions de l’ONU ».

    « M. Trump n’a pas agi sur le fond de la question, mais dans le cadre d’un accord visant à inciter le Maroc à améliorer ses relations avec l’entité sioniste », poursuit le Washington Post qualifiant cette démarche de « récompense injuste et inutile pour un régime qui, sous le roi Mohammed VI, est devenu de plus en plus autocratique ».

    Et la nouvelle administration américaine « a sans surprise été lente à préciser si elle confirmera la position de Trump ou l’inversera, comme l’ont exhorté 25 sénateurs », écrit encore le journal.

    Mais « avant de prendre une décision, elle devrait discuter avec le régime marocain de son bilan en matière des droits de l’homme – et, en particulier, de ses atteintes à la liberté d’expression ».

    Le quotidien américain rappelle dans ce contexte qu’un certain nombre de journalistes marocains et de militants des droits humains ont été poursuivis pour avoir critiqué le roi ou dénoncé la corruption, et deux journalistes particulièrement éminents sont depuis plus de trois semaines en grève de la faim qui pourraient avoir des résultats tragiques en raison de la dégradation de leur état de santé..

    Il s’agit de Soulaiman Raissouni, rédacteur en chef du journal Akhbar Al-Youm, et Omar Radi, journaliste d’investigation. Ils sont tous deux emprisonnés sans procès depuis l’année dernière.

    M. Raissouni, connu pour ses critiques de la corruption gouvernementale dans le Royaume et son plaidoyer en faveur d’une réforme politique, a été arrêté le 22 mai 2020, tandis que M. Radi, correspondant pour les médias internationaux, a été arrêté le 29 juillet de la même année, rappelle également le média.

    M. Radi a d’abord été inculpé d’espionnage, en raison de ses contacts avec des diplomates occidentaux et de son travail pour un cabinet de conseil britannique. Mais, selon une enquête menée par Human Rights Watch (HRW), il n’y a « aucune preuve que Radi ait fait autre chose que mener son travail journalistique habituel.

    De plus, MM. Raissouni et Radi sont tous deux accusés de crimes sexuels. Rappelant les conclusions du Comité pour la protection des journalistes dans son rapport de mars dernier, le quotidien relève que « les accusations de crimes sexuels sont devenues un autre instrument des autorités marocaines pour punir les journalistes ».

    Pour rappel, des coalitions de groupes internationaux de défense des droits humains et d’intellectuels se sont joints à plus de 150 journalistes marocains pour demander la libération des deux journalistes. « Ils devraient être libérés avant que le régime n’obtienne plus de faveurs politiques de la part des Etats-Unis », conclut le quotidien américain.

    APS

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