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  • Algérie: « L’agonisant », le nouveau roman de Hedia Bensahli

    Algérie: « L’agonisant », le nouveau roman de Hedia Bensahli

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    Magnifiquement surpris, subjugué, happé par ce remarquable roman de Hedia Bensahli: L’agonisant.
    L’autrice raconte, en parallèle, la vie artistique du peintre viennois expressionniste Egon Schiele, fin du XIX°, début du XX° siècle, qui a subi les affres de la censure de sa peinture, et les aventures d’un groupe d’amis qui fonde un cercle artistique et culturel: « L’eveil de l’agonisant » dans l’Algérie contemporaine qu’on devine être les fins d’année de règne de Bouteflika, qui subira également la répression féroce des pouvoirs.

    Roman du refus, de la sédition, de la rébellion et aussi de la contestation, il s’agit aussi et surtout d’un pamphlet (tacite) d’une reconnaissance et d’une prise de conscience de ce besoin impératif, cette exigence, cette fatalité plus que nécessaire de l’Art (et de la politique).

    Un appel, une invocation à cet « éveil de l’agonisant » qui se trouve ancré en chacun de nous.

    A la fin de la lecture de ce livre, on en sort secoué, remué, différent, avec comme un goût d’amertume et d’impuissance dans la bouche.

    « L’agonisant » est un roman qui nous interpelle, ne laisse pas indifférent, nous interroge sur nos convictions et nos âmes bien pensantes.

    La vie politique, la société algérienne, l’ostracisme de l’opposition, et les représailles des pouvoirs, Hedia Bensahli passe tout cela en revue avec une grande précision et maints détails.

    Elle décrit avec force et un grand talent, la censure, les libertés asservies et réprimées, les emprisonnements arbitraires…

    Un système dont la finalité est de verrouiller la pensée pour que les gens oublient de se regarder en face.
    J’avoue avoir mis du temps à « rentrer » dans le roman, mais j’ai tout de suite apprécié le style, les formules percutantes de l’autrice : « Depuis l’indépendance, il attend la véritable métamorphose de la chrysalide qu’est le pays » (p. 24) ou alors « On leur demande de s’enorgueillir de la conquête arabe, mais on a oublié de leur préciser que Tarik ibn Ziyad, ce héros qui a donné son nom au détroit espagnol, était berbère.

    – Le déni de soi ! se désole Mohand. » (p. 92).

    Ou encore: « Il faut accepter les mutations comme une bonne santé de la pensée, dit Egon » (p. 168).
    Le croisement par l’autrice des deux histoires, celle du peintre Egon Schiele et celle du groupe « l’éveil de l’agonisant » est assez intéressant du point de vue structurel et de la construction du roman. A mon avis, il aurait fallu même peut-être insister plus et passer de l’écriture linéaire du roman à des chapitres alternant les histoires de chacun des protagonistes. Ça aurait donné à mon avis, plus de relief au roman… Mais là, c’est assez subjectif, et c’est l’écrivain que je suis qui se substitue au critique…

    Que chacun s’attelle au rôle qui lui est imparti !

    Plus qu’une analyse sans aucun compromis sur les conformismes et les traditions installées qui sclérosent la société et l’imposition des mentalités arides et stériles, L’agonisant est un roman sur l’art, une arme de combat contestataire et de résistance.

    Je le répète , L’agonisant est un roman intelligent, étonnant par sa richesse, et la parfaite connaissance du sujet et l’excellente érudition sur la personnalité de Egon Schiele…

    Bensahli, Hedia, L’agonisant, Ed. Frantz Fanon, 2020. 197 p.

    Lamine BENALLOU

    Algérie culture, 04/06/2022

    #Algérie #HadiaBensahli #Lagonisant #Roman

  • Maroc : Rêves de vie en temps de crise

    Leila Slimani : « Le pays des autres ».
    Rêves de vie en temps de crise
    Dans son nouveau roman, l’auteur franco-marocaine à succès Leila Slimani raconte la vie difficile de sa grand-mère, qui a vécu dans la campagne marocaine en tant que jeune femme après la Seconde Guerre mondiale. Avec une narration passionnante et captivante, Slimani réussit à créer une esquisse touchante de la vie d’une femme au milieu d’une période de bouleversements. Une critique de Volker Kaminski pour Qantara.de

    Mathilde apprend très tôt à quel point les illusions peuvent rapidement perdre leur pouvoir et être remplacées par une désillusion implacable. À l’âge de vingt ans, elle tombe amoureuse de l’officier Amine, qui vient de rentrer victorieusement de la Seconde Guerre mondiale, où il a combattu pour l’armée française. Il est fasciné par la jeune et grande Alsacienne et lui fait miroiter une vie dans la grande ferme qu’il a héritée de son père au Maroc et qu’il veut exploiter seul, lui qui est travailleur et progressiste.

    Mais à peine sont-ils en couple qu’il se révèle être un homme secret, ne pensant qu’au travail et soucieux avant tout que Mathilde apprenne les bonnes manières. Il refuse toute conversation intime avec sa femme, attend d’elle qu’elle fasse le ménage et réprime son mal du pays, dont Mathilde souffre beaucoup, surtout les premières années.

    La morosité et la solitude de la vie à la campagne dépriment cette femme de Mulhouse qui aime s’amuser, mais d’un autre côté, elle admire son mari pour sa diligence et sa détermination ; Amine acquiert des tracteurs et construit de nouvelles serres. Il cultive de sa propre initiative une nouvelle variété d’olive, défie inlassablement la sécheresse et la stérilité du sol et ne se laisse pas déconcentrer par les revers. Pourtant, le bonheur ne s’installe pas dans la ferme, et même après la naissance de leurs deux enfants, une ombre plane sur le foyer. Mathilde se demande chaque jour si elle n’a pas fait une erreur.

    Combattre les maladies et les chacals

    Le roman de Slimani crée un panorama grandiose d’une terre vaste, chaude et désolée qui a été cultivée par des familles de paysans pauvres pendant des siècles. La lutte avec la nature, contre la maladie et le braconnage des chacals est décrite de manière si vivante que les descriptions nous tiennent en haleine tout au long de la lecture. En plus de Mathilde et de sa famille, y compris les servantes ainsi que la mère et les frères et sœurs d’Amine, dont Mathilde doit également s’occuper au fil du temps, d’autres personnages secondaires intéressants apparaissent, que le narrateur sait caractériser de manière adorable.

    Mathilde et ses rêves ratés dans la vie restent au centre du roman. Mais l’intention narrative va au-delà du drame individuel, en reconstituant constamment un tableau social plus large qui reflète les divisions croissantes d’un pays qui tente de se détacher du pouvoir colonial.

    Il y a, par exemple, Mourad, le « frère d’armes » d’Amine lors de la guerre précédente, un homme épuisé, désabusé et sans abri qui se présente un soir à la ferme et qu’Amine engage comme contremaître. Au début, nous ne nous rendons pas compte à quel point Mourad est traumatisé, mais sa dislocation et sa haine de la société civile deviennent de plus en plus évidentes avec le temps ; Mourad est toujours empêtré dans les expériences de la guerre comme si elles n’étaient pas terminées depuis longtemps, et lorsqu’il boit de l’alcool, il devient un danger qu’Amine doit fréquemment s’inquiéter de « désamorcer ».

    D’autre part, nous faisons la connaissance de Selma, la jeune sœur d’Amine, dont l’esprit d’entreprise et d’aventure semble ne connaître aucune limite. Sa quête de liberté se heurte aux critiques extrêmes de ses frères Amine et Omar, et lorsqu’elle tombe amoureuse d’un Français et souhaite vivre avec lui, la punition de la famille la frappe de plein fouet. Le conflit, dans lequel Mathilde est également impliquée, atteint son paroxysme et manque de tourner à la catastrophe.

    Ce sont surtout ces situations conflictuelles aiguisées, qui semblent parfois inévitables, qui donnent au roman tant de vivacité et de tension. Mathilde aspire à un développement libre et à une réalisation professionnelle, à l’indépendance financière et à un but dans la vie, et ce désir, que son mari ne comprend pas et ne peut pas satisfaire, lui cause une grande détresse.

    « Vous avez pris une décision. Maintenant, assumez-la. »

    Lorsqu’elle se rend en France pour quelques semaines après la mort de son père, qui aime s’amuser, la patrie lui semble si attrayante et prometteuse qu’elle caresse l’idée de laisser son mari et ses enfants derrière elle et de rester en France pour toujours. Slimani réussit de manière impressionnante à pénétrer dans l’esprit troublé de l’héroïne, qui s’imagine étudier pour devenir chirurgien et se faire passer pour une actrice dans les boutiques de mode chic de la ville.

    Lorsque sa sœur lui adresse une rebuffade claire – « Tu as pris une décision. Maintenant, tenez-vous en à cela. La vie est dure pour tout le monde, vous savez » – elle doit renoncer à ses rêves et retourner au désespoir.

    Elle sait qu’il n’y a pas d’issue pour elle au monde dominé par les hommes, leurs valeurs et leurs traditions, et pourtant elle parvient à se battre pour sa liberté : elle crée seule dans la maison un petit dispensaire où viennent se rendre les malades et les personnes démunies de la région ; Mathilde leur donne des conseils et soutient leur processus de guérison du mieux qu’elle peut, sans être médecin de formation.

    Le monde qui entoure la famille commence à changer de plus en plus. La division entre le pouvoir de protectorat de la France et du Maroc dans les années 1950 s’accentue et un climat d’hostilité et de mépris mutuels se développe dans de larges couches de la population. Mathilde est non seulement agressée verbalement par la population française, surtout en ville, à cause de son mari à la peau foncée, mais des pierres sont également lancées sur sa voiture ; de l’autre côté se trouvent les forces nationalistes (représentées, par exemple, par Omar, le frère d’Amine), qui perçoivent la présence de la Française dans la ferme comme une provocation. La famille de la ferme doit subir des épreuves d’endurance de plus en plus dangereuses.

    Quand les rêves de la vie échouent

    L’auteur retrace également avec sensibilité la vie d’Aicha, six ans, la fille de la famille du fermier. Isolée dès son plus jeune âge, elle fréquente un pensionnat chrétien en ville et ne comprend pas l’intensification des conflits. Aicha est une fille très douée, la meilleure élève de la classe, et pourtant elle est constamment malmenée par ses camarades. Elle observe ce qui se passe dans le monde des adultes sans être capable d’expliquer les dangers qui se rapprochent de plus en plus.

    Dans la suite du roman, ce point de vue d’enfant devient un moyen efficace de saisir le caractère insensé de la violence et les craintes des protagonistes. Avec son petit frère, Aicha persévère dans un tiroir de secours spécialement aménagé dans le placard où ils se cachent des gangs en maraude. Des fermes brûlent partout, des gens sont tués, et nous assistons, fascinés, à travers les yeux effrayés des enfants, à des événements de plus en plus menaçants.

    Personne dans ce roman ne profite de la violence croissante, de la polarisation de la société et de l’intolérance grandissante des deux côtés. Le regard de Slimani sur la société divisée est impartial, mais non sans sympathie pour le protagoniste. Mathilde, qui ressent le conflit de plein fouet, est profondément apolitique et agit toujours pour des motifs personnels, même dans sa confrontation avec son mari.

    Elle semble d’autant plus crédible dans ses tentatives de libération, son désir d’amour et de développement, et nous souffrons avec elle lorsqu’elle doit finalement renoncer aux rêves de sa vie.

    « Le pays des autres » est un roman puissant raconté en plusieurs perspectives, donnant la parole à de nombreux personnages et offrant un aperçu poignant d’une époque de bouleversements et d’émancipation. La traduction d’Amélie Thoma est excellente, préservant la puissance des phrases limpides et des scènes vivantes. Cela fait de ce roman une expérience de lecture enrichissante et humainement émouvante.

    Volker Kaminski

    Qantara.de, 29/06/2021

    Etiquettes : Maroc, Leïla Slimani, Le pays des autres, roman,

  • Une librairie à Alger – tourner les pages de l’histoire

    Le récit de Kaouther Adimi, originaire d’Algérie, sur les débuts d’un centre littéraire et sa disparition ultérieure peut sembler un peu décousu.

    Dalia Dawood

    Dans le troisième roman de Kaouther Adimi, A Bookshop in Algiers, nominé pour un prix, et dont la première traduction en anglais est signée Chris Andrews, la terre et la littérature s’entremêlent. L’Algérie, façonnée par son histoire sombre et tragique, est également sculptée par des histoires, tant dans les souvenirs de ses habitants que dans les récits créés et vendus dans une librairie et une bibliothèque de prêt sans prétention, qui constitue le cadre principal du roman.

    En 160 pages seulement, le livre retrace l’évolution de la librairie – une institution réelle appelée Les Vraies Richesses, ouverte par l’éditeur franco-algérien Edmond Charlot dans les années 1930 – en mêlant réalité et fiction. Il raconte les années turbulentes de guerre et de révolution entre Charlot et l’apparition d’un autre homme, un personnage nommé Ryad, qui arrive de Paris en 2017 pour vider la boutique maintenant qu’elle a été vendue à un promoteur.

    Entremêlant l’histoire semi-réelle de Charlot et celle, fictive, de Ryad, Adimi oscille entre un Alger sous l’emprise de la domination coloniale et celui de l’indépendance à l’époque moderne, liant l’histoire politique mouvementée du pays à sa culture résiliente. Tout au long du parcours, la librairie fait office de centre littéraire pour la communauté, un « espace entièrement consacré à la littérature, à l’art et à l’amitié », comme le dit Charlot.

    Les passages chronologiques, structurés comme les courtes entrées du journal de Charlot, donnent des détails épars sur le développement de sa librairie, sa vie et ses amitiés (notamment avec le romancier Albert Camus) et un sentiment d’espoir d’unir une ville fragmentée par la culture et la créativité. Avec l’arrivée de la seconde guerre mondiale, l’entreprise subit un coup financier, et il y a des parallèles avec nos propres temps incertains : « Un distributeur sans livres, c’est inouï. Inimaginable. Nous n’avons plus rien, je suis désespéré. Les étagères sont presque vides. »

    Ces récits sont juxtaposés de manière quelque peu inégale au récit moderne, lourd d’un sentiment de futilité, l’optimisme juvénile de 80 ans auparavant étant désormais éteint. Dans ce monde, « l’air est plus épais, la lumière du soleil plus grise, la ville plus laide ». Cette lourdeur habite aussi les personnages. « Tout est toujours tragique en Algérie », dit Ryad.

    C’est la librairie elle-même qui donne un sentiment de continuité. Avant que Ryad n’arrive pour la vider, le promoteur lui envoie une « liste de choses dont il faut se débarrasser », depuis des volumes de livres jusqu’à un seau et un balai. Vidée, dépouillée de son identité, la boutique devient un symbole d’Alger : colonisée, sans statut ni signification.

    Charlot donne à sa boutique le nom d’un roman de l’auteur français Jean Giono, « un livre dans lequel il nous exhorte à revenir aux vraies richesses, c’est-à-dire la terre, le soleil, les ruisseaux, et finalement la littérature aussi ». Bien qu’il se présente comme une histoire brève, montée à la hâte, La librairie d’Alger nous rappelle qu’en littérature, comme dans la vie, nous n’appartenons à un lieu que temporairement – et nous le façonnons au gré de nos souvenirs.

    Une librairie à Alger, de Kaouther Adimi, traduit par Chris Andrews, Serpent’s Tail, RRP£12.99, 160 pages.

    Financial Times, 15 MAI 2021

    Etiquettes : Algérie, Alger, Librairie, roman, fiction, écrits,