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  • La France et le Rwanda : Les fantômes du génocide ébranlent les relations


    La France et le Rwanda entretiennent des relations orageuses, parfois empoisonnées, depuis le génocide de 1994.

    Alors qu’une commission d’historiens doit rendre un rapport sur le rôle joué par Paris dans ce pays d’Afrique centrale, voici une chronologie de leurs relations tendues.

    1990 : Les Français entrent en scène

    Le président hutu du Rwanda, Juvénal Habyarimana, demande l’aide de la France et de l’ancienne puissance coloniale belge pour combattre les rebelles du Front patriotique rwandais (FPR), basés en Ouganda et dirigés par l’actuel président du Rwanda, Paul Kagame.

    Paris envoie des troupes dans le cadre de ce que l’on appelle « l’opération Noroit » en octobre, officiellement pour protéger son ambassade et ses citoyens sur place. Mais la France participe aussi secrètement à la formation de l’armée rwandaise.

    1994 : Génocide

    Le 6 avril, Habyarimana est tué lorsque son avion est abattu au-dessus de Kigali.

    Le lendemain, le génocide commence. D’avril au 4 juillet, environ 800 000 personnes sont tuées, la plupart appartenant à la minorité tutsie, ainsi que des Hutus modérés.

    Les Tutsis sont accusés par le régime dominé par les Hutus d’être de connivence avec le FPR, qui était entré dans le nord du Rwanda depuis l’Ouganda en 1990.

    Quelque 500 parachutistes français évacuent plus de 1 000 citoyens français et étrangers.

    Opération Turquoise

    Le 22 juin, les Nations unies donnent le feu vert à la France pour l’opération Turquoise, une opération militaire à but humanitaire au Rwanda.

    Le FPR, majoritairement tutsi, accuse la France de vouloir sauver le régime hutu et les auteurs des massacres.

    Quelque 2 500 soldats français créent une zone humanitaire sûre dans le sud-ouest du pays, entravant efficacement l’avancée du FPR mais permettant également aux suspects de génocide en fuite de se cacher.

    Le 4 juillet, le FPR s’empare de la capitale Kigali, mettant fin au génocide.

    1998 : Enquête française

    En décembre, une mission parlementaire française exonère la France de toute implication dans le génocide, mais affirme qu’elle porte une certaine responsabilité en raison d’erreurs stratégiques et de « dysfonctionnements institutionnels ».

    Le Rwanda insiste sur le fait que la France est coupable de génocide.

    2006 : Rupture des relations

    Le juge français Jean-Louis Bruguière recommande que le président Kagame soit poursuivi par le tribunal soutenu par les Nations unies qui juge les génocidaires rwandais pour leur participation présumée à l’assassinat d’Habyarimana. Il signe neuf mandats d’arrêt contre des collaborateurs de Kagame.

    Le Rwanda rompt ses relations diplomatiques avec la France. Ces relations ne seront rétablies qu’en novembre 2009.

    2010 : La France reconnaît ses erreurs

    Le président français Nicolas Sarkozy reconnaît que la France a commis des erreurs pendant le génocide.

    Mais il ne présente pas d’excuses lors de la première visite d’un président français au Rwanda depuis le bain de sang.

    En septembre 2011, Kagame effectue sa première visite officielle en France.

    2014 : Procès du génocide en France

    Un tribunal français condamne un ancien capitaine de l’armée rwandaise à 25 ans de prison dans le premier procès lié au génocide dans le pays.

    En juillet 2016, deux anciens maires rwandais sont condamnés à la prison à vie en France.

    Nouvelles accusations rwandaises

    Les commémorations du vingtième anniversaire du génocide se déroulent à Kigali en avril 2014 sans représentant français.

    Kagame accuse à nouveau la France de « participer » au génocide.

    2018 : Détente

    Le président Emmanuel Macron accueille Kagame à Paris en mai, affirmant que la normalisation des relations est en cours mais « prendra sans doute du temps ».

    En décembre, des juges français abandonnent une enquête de longue haleine sur l’assassinat d’Habyarimana.

    Cette enquête avait été une source majeure de tension entre les deux pays après l’inculpation de sept personnes proches de Kagame.

    Kagame dit vouloir un nouveau départ dans les relations et n’a pas exclu le retour d’un ambassadeur français à Kigali, poste vacant depuis octobre 2015.

    Modern Ghana, 26 mars 2021

    Tags : France, Rwanda, génocide,

  • La Françafrique vue par Wikileaks

    France, Afrique, Françafrique, Wikileaks, Etats-Unis,

    WIKILEAKS : UNE CERTAINE IDÉE DE LA FRANCE ET DE SA POLITIQUE ÉTRANGÈRE

    Si 2% seulement des câbles Wikileaks ont été rendus publics, ils ont déjà permis de brosser un bout de l’histoire contemporaine de la France vue par la diplomatie américaine.

    Ces dernières semaines, la publi­cation des câbles diplomatiques par Wikileaks s’est focalisée sur la Tunisie, l’Egypte et la Lybie, mettant en lumière les connivences de certaines chancelleries avec les régimes en place, notamment de la France avec celui de Ben Ali. Il ressort de ces télégrammes que les États-Unis sont à la fois admiratifs des dispositifs répressifs et inquiets du racisme français.

    Ils font état de la visite de différentes personnalités politiques françaises à l’ambassade des Etats-Unis à Paris ou sur le sol américain. Si certains n’y passent que pour livrer leurs opinions, d’autres, comme Alain Madelin s’y rendent pour demander un soutien à leur carrière [1]. D’autres encore pour assurer les diplomates américains de leur proximité idéologique : Brice Hortefeux ou Nicolas Sarkozy qui, en 2005, promet de faire en France « ce que Reagan a fait aux Etats-Unis ou Thatcher au Royaume-Uni » mais aussi Dominique Strauss-Khan ou Michel Rocard, qui propose la création d’un think tank franco-américain.



    Rwanda : le juge Bruguière en service commandé

    Parmi les visiteurs de l’ambassade américaine, on trouve aussi le juge anti-terroriste Jean-Louis Bruguière. Il y fournit les détails de plusieurs affaires en cours, racontant notamment comment il s’est coordonné avec l’exécutif français pour délivrer les mandats d’arrêt contre plusieurs personnalités rwandaises [2].

    Un responsable français affirme plus directement que le dossier Bruguière était une réponse de la France à l’enquête rwandaise sur les responsabilités fran­çaises dans le génocide de 1994. Bruguière n’aurait pas caché sa volonté d’isoler le gouvernement Kagamé lors de sa visite. Une volonté qu’on s’attendrait à retrouver chez un politicien plutôt que chez un juge, dont l’indépendance n’est manifestement pas la plus grande qualité…

    En mars 2007, un diplomate américain analyse les orientations en matière de politique étrangère des candidats Royal et Sarkozy et se félicite de leur volonté affichée de rompre avec la gestion interpersonnelle des affaires africaines de Chirac et de « réduire l’empreinte militaire » de la France en Afrique, ce qui, cependant, « ne signifie pas un retrait », puisqu’elle « voudra continuer à exercer son influence au maximum » [3].



    Dans plusieurs télégrammes ultérieurs, les diplomates décortiquent la réalité de cette promesse de rupture avec la Françafrique. Le terme est d’ailleurs explicitement employé dans plusieurs notes, pas comme dénonciation militante, mais comme grille d’analyse géopolitique par la diplomatie américaine.

    La Françafrique comme grille de lecture en Afrique

    En 2008, trois longues notes [4] brossent la définition d’une Françafrique quel­que peu édulcorée (les crimes de la Françafrique ne sont abordés que par le biais de quelques affaires arrivées en justice, comme l’assassinat du juge Borrel), qui connaîtrait un réel tournant avec l’arrivée de Sarkozy. Néanmoins, la politique africaine de la France continue d’être dictée par la cellule africaine de l’Elysée. L’un de ses membres, Romain Serman, reconnaît que les accords de défense encore en vigueur avec huit pays africains sont absurdes, donnant à la France « un accès monopolistique aux ressources naturelles ». Les diplomates américains semblent alors croire à la rup­ture annoncée par Sarkozy, qui n’aurait connu que « quelques accidents de parcours, comme l’éviction de Bockel impliquant le Gabon », mais qui pêcherait plus par manque de réussite que de volonté.

    La dernière note, concernant la présence militaire française en Afrique, conclut en excusant la non-rupture pour cause de difficulté de la tâche. Un fonctionnaire du ministère de la Défense français décrit, sans honte, la relation franco-africaine comme une relation « parent-enfant », dont l’enfant, maintenant « adulte, est capable et mérite plus d’autonomie, ayant cependant toujours besoin d’aide et d’orientation ».



    En 2009, lors d’un entretien, portant longuement sur la Françafrique [5], Stephan Gompertz, du ministère des Affaires étrangères, reconnaissait l’influence de Robert Bourgi, « opérant dans l’ombre ».

    Les diplomates américains concluaient que la France use d’un panel large de politiques en Afrique, « allant d’une approche idéale exprimée par Sarkozy » à ses débuts, « à des approches plus opaques mais probablement plus judicieuses, conformes au vieux modèle de la Françafrique. Les circonstances et la nature imprévisible, voire violente, des évènements en Afrique peuvent parfois inciter ou forcer les Français à agir moins idéalement qu’ils le voudraient – un comportement connu de tous les gouvernements de la planète – quand les décisions doivent conforter les intérêts nationaux par les méthodes les plus efficaces, même quand les méthodes les plus efficaces ne sont pas forcément les plus jolies ».

    La plus grande puissance impérialiste du monde ne peut que comprendre, évidemment…

    Les coulisses diplomatiques de la Françafrique

    Si la plupart des câbles ne contiennent que peu d’informations nouvelles, ils livrent parfois un aperçu du jeu diplomatique de la France pour influencer l’avenir des pays africains. Ainsi, en 2006, une proposition de résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU présentée par Chirac sur la Côte d’Ivoire inquiète les Anglais et les Américains [6]. Ils y voient une dérive qui pourrait aller « au-delà des lois et jurisprudences internationales » en se «substituant à la constitution d’un pays souverain».



    Ne souhaitant pas s’opposer à la France, les Anglais sont néanmoins surpris que les Français aient réussi à obtenir le soutien du Ghana et du Congo. Pour ce dernier, ce soutien n’a pourtant rien de surprenant quand on sait à quel point Denis Sassou Nguesso doit à la France sa longévité au pouvoir.

    En 2009, une note sur la perspective des élections en Côte d’Ivoire analyse les accords de « Ouaga IV » comme « essentiellement un accord entre Blaise Compaoré et Laurent Gbagbo sur le contrôle du nord » du pays.

    Les Américains considèrent alors que les « FAFN gardent, de facto, le contrôle de la région, en particulier en ce qui concerne les finances » et que « le désarmement et la réunification ne sont pas des processus séparés. Ils sont intimement liés ».

    Une grille de lecture qui semble avoir été oubliée de la communauté internationale aujourd’hui…

    En juin 2009, un autre télégramme (censuré à moitié) [7] rapporte que la France considère le président mauritanien Abdallahi renversé par les putschistes comme « un obstacle », à qui il faudrait forcer la main lors des négociations. Le rôle de Robert Bourgi y est à nouveau pointé du doigt, tant dans le rapprochement du putschiste Aziz avec les autorités françaises que dans le cas du Gabon ou de Madagascar. Pour Romain Serman, la Lettre du Continent sert régulièrement à Bourgi pour diffuser ses informations et que « tout ce qui [y] paraît avec un lien potentiel avec Bourgi doit être considéré avec précaution ».



    D’autres exemples de cet acabit se trouvent dans l’infime partie des câbles déjà publiés mais ils fournissent déjà un matériau riche.

    Le cablegate de Wikileaks nous parle avant tout de la diplomatie des Etats-Unis et la Françafrique n’est donc pas son objet principal. Néanmoins, les Américains s’y sont suffisamment intéressés pour qu’on puisse espérer que quelques affaires françafricaines récentes soient mises à jour.

    Notes:

    [1] 05PARIS6744 Alain Madelin Seeks U.s. Support For His Candidacy To Head The Oecd And His Project To Reform The Oecd

    [2] 07PARIS322, C/t Judge On France, Rwanda, Pakistan, And His Political Future, 07PARIS186, Rwanda : Effect Of Bruguiere Report On Usg, Status Of Mrs. Habyarimana , lire aussi France-Rwanda : l’enquête Bruguière était suivie de près à l’Elysée, Philippe Bernard, le Monde, 11 décembre 2010

    [3] 07PARIS921, French Foreign Policy Under Nicolas Sarkozy Or Segolene Royal

    [4] 08PARIS1501, France’s Changing Africa Policy : Part I (background And Outline Of The New Policy), 08PARIS1568, France’s Changing Africa Policy : Part Ii (french Implementation And African Reactions), 08PARIS1698, France’s Changing Africa Policy : Part Iii (military Presence And Other Structural Changes)

    [5] 09PARIS1534, « francafrique » — Mfa Disputes Reports On A Return To Business As Usual

    [6] 06LONDON7670, (c) Cote D’ivoire : Uk Shares U.s. Concerns But Does Not Want To Oppose France In Unsc

    [7] 09PARIS815, Mauritania : French See Abdallahi As Obstacle

    Source : Survie, 3 mai 2011

    Tags: Côte d’Ivoire, Rwanda, Mauritanie, Nicolas Sarkozy, Jean-Louis Bruguière, Wikileaks, Françafrique, Wikileaks, Afrique, Gabon, Tchad, Sénégal, RCA, RDC, Franc CFA, FCFA, colonisation, colonialisme,