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  • Olivier Duhamel avoue à la police qu’il violait régulièrement son fils adoptif de 14 ans

    Olivier Duhamel, professeur français de sciences politiques de gauche de 70 ans, de renommée mondiale, a été emmené au poste de police pour être interrogé sur le viol de son fils adoptif. La fille adoptive de Duhamel avait publié un livre détaillant les horreurs commises par son père adoptif dans les années 1980. Olivier Duhamel a d’abord disparu, s’est caché, a tout nié, mais a craqué au commissariat. Il n’a pas encore été arrêté.

    Comme le rapporte Origo, Camille Kouchner a publié en début d’année un livre intitulé La grande famille. L’avocate a raconté comment son frère jumeau était régulièrement violé par son père adoptif. Il a torturé le garçon pendant deux ans alors qu’il n’avait que 14 ans.

    La famille n’est pas étrangère à cette affaire, puisque la victime, âgée de 30 ans à l’époque, avait été interrogée par la police en 2011. Mais ils ne l’ont pas crue, et la mère a pris le parti de son mari, le violeur, et le professeur de sciences politiques qui avait abusé du garçon n’a même pas été interrogé.

    La mère, Evelyne Pisier, célèbre professeur de droit de gauche, est décédée il y a trois ans. Le père est Bernard Kouchner.

    M. Kouchner était l’un des hommes politiques socialistes les plus populaires, un médecin, l’un des fondateurs de Médecins Sans Frontières et un ministre dans les gouvernements de gauche de Bérégovoy et Jospin. Il a également été membre du gouvernement de droite de François Fillon lorsque, comme promis lors des élections, le gouvernement français conservateur a élu un membre de gauche après 2007. Bernard Kouchner devient ministre des affaires étrangères, mais il échoue après moins d’un an.

    Olivier Duhamel, politologue de gauche de renommée mondiale, était président de Sciences-Po – où sont formés les politologues français. Peu de temps après, le PDG de Sciences-Po a démissionné, et il s’est avéré qu’il connaissait également le passé d’Olivier Duhamel. Elisabeth Guigou a également dû démissionner : elle avait une position assez étrange. Elle a présidé la commission parlementaire chargée d’enquêter sur l’inceste… Guigou est également un homme politique de gauche bien connu et un ancien ministre socialiste.

    Olivier Duhamel a été licencié de la radio Europe 1, où il faisait régulièrement non seulement de la politique mais aussi de la morale.

    Il y a quelques semaines, il est apparu que Michel Foucault, philosophe de la gauche française décédé dans les années 1980, avait violé des garçons de 8, 9 et 10 ans en Tunisie. Et le cas de Jack Lang, le ministre socialiste français de longue date, a été évoqué à nouveau : il a été soupçonné de violer de jeunes garçons à de nombreuses reprises, mais a toujours échappé aux poursuites.

    ORIGO, 14 avr 2021

    Etiquettes : Olivier Duhamel, Camille Kouchner, Victor Kouchner, pédophilie, inceste, viol, Sciences Po,


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  • The New York Times : Les hommes de pouvoir tombent, l’un après l’autre, dans le #MeToo retardé de la France

    Depuis le début de l’année, des hommes connus dans divers domaines ont été accusés d’abus sexuels et placés sous enquête.

    PARIS – Lorsque Sandra Muller a lancé la campagne #MeToo sur les médias sociaux en France en 2017, des dizaines de milliers de femmes ont répondu à ses appels à « #ExposeTonPorc ».

    Mais le retour de bâton a été écrasant. Certaines des femmes les plus en vue du pays, menées par Catherine Deneuve, ont dénoncé le mouvement dans une lettre qui est venue définir la réponse initiale de la France à #MeToo. En 2019, Mme Muller a perdu un procès en diffamation contre un ancien cadre de télévision qu’elle avait exposé sur Twitter, la France semblant immunisée contre les forces mondiales plus larges qui remettent en cause la domination des hommes.

    La semaine dernière, Mme Muller a gagné son appel. Bien qu’il n’y ait pas eu de nouveaux faits, une décision importante de la cour d’appel a souligné combien les choses ont changé au cours des deux dernières années.

    « Avant l’arrêt, je pensais qu’il y avait des remous », a déclaré Mme Muller lors d’un entretien téléphonique depuis New York, où elle vit désormais. « Maintenant, j’ai l’impression qu’il y a eu un bond en avant ».

    Depuis le début de l’année, une série d’hommes puissants issus de certains des domaines les plus en vue en France – politique, sport, médias, université et arts – ont fait face à des accusations directes et publiques d’abus sexuels, à rebours de la plupart des années de silence. Dans le même temps, face à ces affaires très médiatisées et à l’évolution de l’opinion publique, les législateurs français s’empressent de fixer à 15 ans l’âge du consentement sexuel – trois ans seulement après avoir rejeté une telle loi.

    Les récentes accusations n’ont pas seulement donné lieu à des enquêtes officielles, à la perte de postes pour certains hommes et au bannissement pur et simple de la vie publique pour d’autres. Elles ont également entraîné une remise en question de la masculinité française et de l’archétype du Français séducteur irrésistible, dans le cadre d’une remise en question plus large de nombreux aspects de la société française et d’une réaction conservatrice contre les idées sur le genre, la race et le postcolonialisme prétendument importées des universités américaines.

    La journaliste Sandra Muller à Paris en 2019. La semaine dernière, Mme Muller a gagné son procès en appel dans une affaire de diffamation avec un ancien cadre de télévision qu’elle avait dénoncé sur Twitter.
    La journaliste Sandra Muller à Paris en 2019. La semaine dernière, Mme Muller a gagné son procès en appel dans une affaire de diffamation avec un ancien dirigeant de télévision qu’elle avait dénoncé sur Twitter.

    « Les choses vont tellement vite que parfois ma tête tourne », a déclaré Caroline De Haas, une militante féministe qui a fondé en 2018 #NousToutes, un groupe contre les violences sexuelles. Elle s’est décrite comme « super optimiste ».

    Mme Haas a déclaré que la France traversait une réaction retardée à #MeToo après une période de « maturation » au cours de laquelle de nombreux Français ont commencé à comprendre les dimensions sociales derrière les violences sexuelles et le concept de consentement.

    C’est notamment le cas, selon Mme Haas, après le témoignage, l’année dernière, d’Adèle Haenel, la première actrice très médiatisée à s’exprimer sur les abus, et de Vanessa Springora, dont les mémoires, « Consentement », ont documenté les abus qu’elle a subis de la part de l’écrivain pédophile Gabriel Matzneff.

    « Le début de l’année 2021 a été une sorte de contrecoup », a déclaré Mme Haas. « Ce qui est très clair, c’est qu’aujourd’hui en France, on n’a pas du tout la même réaction qu’il y a quatre, cinq ans face à des témoignages de violences sexuelles sur des personnes connues. »

    Le mois dernier, Pierre Ménès, l’un des plus célèbres journalistes sportifs français de la télévision, a été suspendu pour une durée indéterminée par son employeur après la sortie d’un documentaire dénonçant le sexisme dans le journalisme sportif, « Je ne suis pas une salope, je suis un journaliste. »

    Il y a encore quelques années, rares étaient ceux qui lui reprochaient des comportements qu’ils n’osent plus défendre en public, notamment embrasser de force des femmes sur la bouche à la télévision et, devant le public d’un studio en 2016, soulever la jupe d’une journaliste féminine – Marie Portolano, la productrice du documentaire.

    « Le monde a changé, c’est #MeToo, on ne peut plus rien faire, on ne peut plus rien dire », a déclaré M. Ménès dans une interview télévisée après la sortie du documentaire. Il a dit ne pas se souvenir de l’incident de la jupe, ajoutant qu’il ne se sentait pas lui-même à l’époque en raison d’une maladie physique.

    La liste des autres hommes en vue est longue et ne cesse de s’allonger. Il y a Patrick Poivre d’Arvor, le présentateur de journal télévisé le plus célèbre de France, qui fait l’objet d’une enquête sur des allégations de viol d’une jeune femme et qui s’est défendu à la télévision en disant qu’il appartenait à une génération pour laquelle « la séduction était importante » et incluait « des baisers dans le cou ». Il a nié les accusations de viol.

    Il y a Georges Tron, un ancien ministre du gouvernement, qui a été blanchi en 2018 du viol d’une employée mais qui a été condamné en février à cinq ans de prison dans un arrêt de la cour d’appel qui, selon Le Monde, reflète le fait que la société « a incontestablement changé sa compréhension du consentement. »

    Georges Tron, à gauche, au palais de justice de Paris en janvier. Ancien ministre du gouvernement, il a été blanchi en 2018 pour le viol d’une employée mais a été condamné en février à cinq ans de prison.
    Georges Tron, à gauche, au palais de justice de Paris en janvier. Ancien ministre, il a été blanchi en 2018 pour le viol d’une employée mais a été condamné en février à cinq ans de prison.

    Il y a Gérard Depardieu, la plus grande star du cinéma français, et Gérald Darmanin, le puissant ministre de l’Intérieur, également mis en examen dans des affaires de viols rouvertes l’an dernier. Tous deux ont déclaré qu’ils étaient innocents.

    Olivier Duhamel, un intellectuel de premier plan, et Richard Berry, un acteur célèbre, ont tous deux été récemment mis en examen après des accusations d’inceste par des membres de leur famille. M. Berry a nié les accusations ; M. Duhamel n’a pas commenté les accusations portées contre lui.

    Claude Lévêque, artiste de renommée internationale, fait l’objet d’une enquête pour soupçon de viol sur mineur et a été publiquement accusé pour la première fois en janvier par une ancienne victime. Il a nié ces accusations.

    Dominique Boutonnat, un producteur de cinéma que le président Emmanuel Macron a nommé président du Centre national du cinéma l’année dernière, a été mis en examen en février pour tentative de viol et agression sexuelle sur son filleul et a déclaré qu’il était innocent.

    « Cette vague récente en France, c’est une réaction différée à l’affaire Matzneff », a déclaré Francis Szpiner, l’avocat représentant Mme Muller, ajoutant que la chute de l’écrivain pédophile et de M. Duhamel a fait prendre conscience aux gens que les hommes puissants en France n’étaient pas « intouchables ».

    En 2017, dans le sillage immédiat des révélations #MeToo impliquant le magnat d’Hollywood Harvey Weinstein, Mme Muller, une journaliste, a lancé #ExposeTonPorc – #BalanceTonPorc en français – en France. Dans un message sur Twitter, elle a raconté comment, lors d’un festival de télévision à Cannes, un cadre lui a dit : « Vous avez de gros seins. Vous êtes mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit ».

    L’intellectuel français Olivier Duhamel à l’école de Sciences Po à Paris en 2016. M. Duhamel a été placé sous enquête récemment après des accusations d’inceste.
    L’intellectuel français Olivier Duhamel à l’école de Sciences Po à Paris en 2016. M. Duhamel a été mis en examen récemment après des accusations d’inceste.Crédit…Stephane De Sakutin/Agence France-Presse – Getty Images
    Le cadre, Eric Brion, n’a pas nié avoir tenu de tels propos. Mais comme les deux ne travaillaient pas ensemble, M. Brion a soutenu que les commentaires ne constituaient pas du harcèlement sexuel et a poursuivi Mme Muller pour diffamation. Un jugement rendu en 2019 qui condamnait Mme Muller à payer 15 000 euros de dommages et intérêts, soit environ 17 650 dollars, a été annulé la semaine dernière.

    En 2019, le tribunal avait déclaré que Mme Muller avait « dépassé les limites acceptables de la liberté d’expression, car ses commentaires descendaient en une attaque personnelle. » Cette fois, les juges ont estimé que Mme Muller avait agi de bonne foi, ajoutant que « les mouvements #balancetonporc et #MeToo avaient attiré beaucoup d’attention, avaient été salués par divers responsables et personnalités et avaient contribué positivement à laisser les femmes s’exprimer librement. »

    Camille Froidevaux-Metterie, philosophe féministe de premier plan, a déclaré qu’il était significatif que les hommes faisant désormais l’objet d’une enquête soient des leaders dans une diversité de domaines. Les révélations qui les entourent ont mis à mal les mythes des Français comme grands séducteurs et d’une culture romantique raffinée où « nous, Français, dans notre jeu de séduction, savons interpréter les signes non verbaux et nous avons cet art de la séduction, un doux commerce entre les sexes », a-t-elle dit.

    « Ce sont des hommes qui incarnent tous, d’une certaine manière, le vieil ordre patriarcal des choses – des hommes de pouvoir et des hommes qui ont usé et abusé de leur pouvoir pour exploiter sexuellement le corps des autres, qu’il s’agisse de femmes ou de jeunes hommes », a déclaré Mme Froidevaux-Metterie, ajoutant : « Nous vivons peut-être le premier véritable choc de ce système. »

    Certains intellectuels conservateurs considèrent la liste toujours plus longue d’hommes éminents accusés comme la preuve de la contamination de la société française par les idées américaines sur le genre, la race, la religion et le postcolonialisme.

    Pierre-André Taguieff, historien et principal critique de l’influence américaine, a déclaré dans un courriel que « les idéologues néo-féministes et néo-antiracistes dénoncent l’universalisme, en particulier l’universalisme républicain français, comme une fraude, un masque trompeur de l’impérialisme, du sexisme et du racisme. »

    L’acteur français Gérard Depardieu fait également l’objet d’une enquête dans une affaire de viol. M. Depardieu a déclaré qu’il était innocent.

    Bien que M. Taguieff n’ait pas commenté les spécificités des affaires récentes, il a déclaré que cette nouvelle vague de #MeToo représente un « sexisme misandrique et androphobe qui encourage une chasse aux sorcières d’hommes blancs sélectionnés sur la base de leur célébrité ou de leur renommée, afin d’alimenter l’envie sociale et le ressentiment envers les élites blanches/masculines ». M. Taguieff a récemment aidé à fonder « The decolonialism watchdog », un groupe menant la charge contre ce qu’il décrit comme la menace intellectuelle des États-Unis.

    La première réaction de la France à #MeToo a été de le rejeter comme une déformation américaine du féminisme, de la même manière que les conservateurs français essaient maintenant de rejeter les idées sur la race et le racisme comme des concepts américains non pertinents, a déclaré Raphaël Liogier, un sociologue français qui enseigne à Sciences Po Aix-en-Provence et qui a récemment été un chercheur invité à l’Université de Columbia.

    Alors que Mme Deneuve et d’autres femmes en 2017 dénonçaient #MeToo comme un produit du « puritanisme » et une menace pour la « liberté sexuelle », les conservateurs ont riposté en affirmant que les femmes américaines étaient sexuellement réprimées et en fait moins libres que les femmes françaises, a déclaré M. Liogier.

    « Donc, en fait, en France, notre ligne de défense consistait à dire : « Ce n’est pas nous, ce sont les Américains », a-t-il dit, ajoutant : « Aujourd’hui, cette ligne de défense s’est effondrée. »

    The New York Times via La Nacion, 10 avr 2021

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  • Sciences Po Paris: Laurence Bertrand Dorléac choisie pour la présidence de la FNSP

    Laurence Bertrand Dorléac devrait prendre la présidence de la FNSP, alors que Sciences-Po avait été secoué par un scandale lorsque son ancien président, Olivier Duhamel, a été accusé de viols sur mineur.

    La candidature de Laurence Bertrand Dorléac a été retenue pour la présidence de la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP), a annoncé son président par interim Louis Schweitzer, nommé en remplacement d’Olivier Duhamel visé par une enquête pour viols sur mineur. Le comité de recherche a procédé vendredi à l’audition des deux candidats qui étaient encore en lice, Bertrand Badie et Laurence Bertrand Dorléac.

    « Après en avoir délibéré, il a décidé à l’unanimité de proposer au Conseil d’administration, lors d’une nouvelle réunion informelle le 15 avril prochain, la candidature à la Présidence de la FNSP de Mme Laurence Bertrand Dorléac », indique M. Schweitzer dans un communiqué. « Si cette candidature y est validée par les deux tiers des participants, la candidate sera nommée fondatrice et cinq nouveaux membres fondateurs seront par ailleurs désignés », explique-t-il. »Une réunion formelle du conseil d’administration sera alors convoquée avec les nouveaux membres fondateurs le 28 avril, afin de désigner le Président de la FNSP et les autres membres du bureau ».

    Les révélations sur Olivier Duhamel

    Mme Bertrand Dorléac enseigne l’histoire de l’art à Sciences-Po. Ce renouvellement à la tête de la FNSP intervient après l’affaire qui a éclaté début janvier avec les révélations de Camille Kouchner. Dans son livre « La Familia grande », elle a dénoncé les agressions incestueuses qu’aurait imposées son beau-père Olivier Duhamel à son frère jumeau quand il était adolescent, à la fin des années 1980.

    Après ces révélations, M. Duhamel avait annoncé sa démission de la tête de la FNSP qui chapeaute Sciences Po. L’ex-patron de Renault Louis Schweitzer avait été élu provisoirement à sa place en janvier. Cette affaire a également coûté son poste à Frédéric Mion, qui a démissionné en février de ses fonctions de directeur de Sciences Po Paris. Celui-ci avait été informé dès 2018 des accusations visant M. Duhamel.

    Challenges, 10 avr 2021

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  • Pascal Perrineau : « Sciences Po vit des heures sombres »

    Depuis la démission d’Olivier Duhamel, les départs se succèdent à la tête de Sciences Po Paris et le processus de désignation d’un nouveau directeur s’enlise, signe d’un profond malaise au sein de la prestigieuse institution de la rue Saint-Guillaume.
    La crise succède à la crise. Les pétitions aux tribunes et contre pétitions. « Sciences Po vit des heures sombres », analyse Pascal Perrineau, une des « figures enseignantes » de la rue Saint-Guillaume. Depuis la démission en janvier d’Olivier Duhamel de la présidence de la Fédération nationale des sciences politiques (FNSP), après qu’il a été accusé d’inceste, les départs se sont succédé. Celui de Marc Guillaume, l’ancien Secrétaire général du gouvernement, puis de Frédéric Mion, le directeur de l’école, pris en flagrant délit de mensonge. Nommé par intérim, Louis Schweitzer, ancien PDG de Renault, a pour mission de mettre en place une relève à la hauteur.

    Mais le processus improvisé pour auditionner les candidats ne fait pas l’unanimité. Convocations en urgence du jour pour le lendemain, cooptation confuse, règles non dites… Un profond malaise s’installe. Pascal Perrineau, 70 ans, enseigne à Sciences Po depuis 40 ans. Professeur émérite des universités, président de Sciences Po Alumni, l’association des anciens élèves, il a logiquement posé sa candidature à la succession d’Olivier Duhamel. « J’ai tenté de proposer un projet », confie-t-il. En vain. « Profondément déçu » par ce qui se trame aujourd’hui en coulisses, Pascal Perrineau se confie à Marianne. Un récit alarmant sur les coulisses d’une institution qui se veut pourtant exemplaire.

    Marianne : La colère gronde à Sciences Po. Une pétition circule même pour demander la démission de Louis Schweitzer, actuel président par intérim. Allez-vous la signer ?

    Pascal Perrineau : Je ne signe que très peu de pétitions, même si celle-ci exprime les inquiétudes et la colère de nombre d’enseignants, d’étudiants et d’anciens élèves. Je connais cette maison Sciences Po depuis longtemps. Je suis sorti diplômé en 1974 et j’y enseigne depuis plus de quarante ans. Je n’ai jamais connu de situation aussi confuse et aussi trouble. Toutes les inquiétudes d’aujourd’hui sont légitimes, tant sur l’avenir de notre institution que sur les procédures actuelles de désignation d’une nouvelle équipe. Sciences Po vit des heures sombres.

    Personne n’y comprend rien, avec d’un côté la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP), dont Olivier Duhamel était président et de l’autre l’IEP (Institut d’études politiques) dirigé par Frédéric Mion, qui lui aussi a démissionné. Quel est le rôle du comité de recherche mis en place par Louis Schweitzer, le président par intérim de la FNSP ?

    On ne comprend plus très bien. Au départ, l’idée était de former un comité, composé à parité de cinq membres du collège des fondateurs et de cinq enseignants, qui avait pour but de trouver des candidats susceptibles de venir rejoindre le conseil d’administration de la FNSP, où il faut remplacer six membres du conseil d’administration. Dans les statuts, c’est le conseil d’administration de la FNSP, aux deux tiers, qui élit le président sur proposition du collège des fondateurs. Il s’agit donc d’une élection par cooptation. Mais le comité de recherche, sautant d’une certaine façon une étape, a cherché un candidat unique à la présidence de la FNSP susceptible de recueillir les deux tiers des suffrages, et qui serait présenté sans concurrence au conseil d’administration.

    Mais ce comité, qui ne figure dans aucun statut, peut-il à lui seul choisir et coopter le futur président ?

    Effectivement, tout ce processus apparaît un peu opaque. Le comité a été totalement improvisé. On aurait pu imaginer, ce qui eut été plus naturel et finalement logique, que les candidats se présentent directement devant le conseil d’administration, qui les auditionne et vote ensuite sur leur projet. Il est difficile de comprendre pourquoi cela ne s’est pas passé pas comme cela, pourquoi ce comité s’est inventé la mission de présenter un candidat officiel et unique.

    Vous êtes candidat à la présidence de la FNSP. Comment s’est déroulée votre audition devant le comité de recherche ?

    J’ai présenté mon projet en dix minutes, comme ils me l’ont demandé, puis s’en est suivie une discussion d’une demi-heure. On m’a ensuite fait savoir par mail que ma candidature n’était pas retenue. Sans aucun motif argumenté sur le fond de nos projets. Romain Rancière était dans le même cas que moi. De son côté, on lui a donné trois raisons pour rejeter sa candidature : qu’il était un homme, qu’il était trop jeune (il a 50 ans) et qu’il ne connaissait pas suffisamment la maison ! Cette dernière raison est valable, mais les deux autres sont discriminatoires ! Moi, on m’a dit par téléphone que je ferais un très bon président, mais que je n’étais pas une femme ! Là aussi, c’est discriminatoire. À l’un comme à l’autre cela ne nous est pas apparu comme étant conforme aux standards de recrutement qui existent dans les grandes universités internationales. Une institution telle que Sciences Po devrait être exemplaire.

    Serez-vous quand même candidat devant le conseil d’administration ?

    Dans un premier temps, on m’a prévenu que le feu rouge du comité de recherche me l’empêchait. Puis une heure après, on m’a écrit par mail que je pouvais quand même me présenter. Finalement, le comité s’est réuni en urgence ce mercredi 7 avril, et a décidé que Romain Rancière et moi, dont les dix avaient repoussé la candidature, nous ne pouvions pas nous présenter. Si j’ai bien compris, le comité devrait désormais déposer devant le conseil les candidatures de Laurence Bertrand-Dorléac et de Bertrand Badie, qui n’ont pas été encore entendus. Laurence Bertrand-Dorléac, historienne de l’art, vient de démissionner du comité de recherche pour être candidate devant le même comité. Il peut paraître surprenant d’un point de vue juridique et déontologique, de constater que la candidate à l’évidence favorite, puisqu’il « faut » une femme », ait fait partie auparavant du comité qui a écarté les trois candidatures initiales.

    Vous semblez amer…

    Non pas amer, je ne suis pas un mauvais perdant. Par contre, je suis profondément déçu, à titre personnel, de ces pratiques, de ces méthodes, et de cette ambiance. Je ne m’y attendais pas. C’est très violent. Mais je ne vais pas m’acharner et j’ai trop de respect pour cette institution qui ne va vraiment pas bien. Mais surtout, ce qui me désole le plus, est de ne pas avoir pu participer à un débat que j’estime absolument nécessaire. Sciences Po traverse une crise majeure, l’époque est face à des interrogations multiples, nos valeurs démocratiques, notre conception française de la République doivent être plus que jamais défendues, y compris au sein de notre institution et auprès de nos étudiants.

    Certaines attaques graves ont eu lieu sur notre territoire mais aussi sur les campus comme à Sciences Po Grenoble ou encore Sciences Po Bordeaux. Plus que jamais les libertés académiques doivent être défendues. Je vois bien qu’il y a une pénétration idéologique venue de certains campus américains où les questions identitaires acquièrent une prééminence croissante. On écoute de moins en moins ce que vous dîtes, on répond à ce que vous êtes ou supposé être. Alors que le renouvellement des personnes devrait être l’occasion d’un débat sur les valeurs que nous voulons défendre, la place de Sciences Po dans la République, son rôle.

    Quel projet pour Sciences Po avez-vous défendu devant le comité ?

    Au-delà des questio ns de déontologie et de la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, que nous devons renforcer, j’ai posé la question des problèmes de gouvernance. Justement, pour sortir à l’avenir de ces questions de désignation, j’ai proposé une réforme de fond, en s’inspirant de ce que font certaines universités, s’appuyant notamment sur leurs réseaux d’anciens élèves. J’ai aussi proposé une remise à plat de la gouvernance intermédiaire. À mon sens, le système pyramidal qui existe depuis tant d’années à l’intérieur de Sciences Po, avec ses mille et une chapelles, devrait être aujourd’hui refondé. Évidemment, j’ai bien vu que cela ne plaisait pas… Enfin, je pense que Sciences Po est une institution parisienne qui a réussi à s’internationaliser mais qui doit désormais se tourner aussi vers les territoires de la République et je n’oublie pas l’Outre-mer. J’ai proposé une décentralisation vers ses six campus en région et certains IEP non-parisiens qui sont déjà sur ce terrain. Nous avons un rôle à jouer, de formation civique, de formation des cadres territoriaux. Tout le monde ne peut pas venir étudier à Paris. Et Paris gagnerait à renouer avec les territoires.

    Vous dites souvent que pendant longtemps, vos meilleurs étudiants de Sciences Po se lançaient en politique et qu’aujourd’hui ce sont plutôt ceux du bas du tableau… Comment expliquez-vous ce phénomène ?

    Oui, on ne peut que le déplorer. C’est probablement lié à la crise que traverse l’appareil d’État et à l’image dégradée de l’activité politique. Et aussi à la réussite de l’internationalisation des études. En troisième année, tous nos étudiants partent à l’étranger. Ils découvrent d’autres horizons que le service public et l’intérêt général « à la française ».

    Aujourd’hui, ils s’orientent largement vers des filières privées. Nous, enseignants, avons probablement notre part de responsabilité dans ce phénomène. Nous avons laissé en déshérence les fondamentaux historiques de Sciences Po. On enseigne moins les institutions, les évolutions de l’appareil d’État, la vie politique tout ce qui a fait pendant des décennies le coeur de notre enseignement. Nous avons perdu le cap.

    Il faut réhabiliter ces enseignements politiques au meilleur sens du terme ne serait-ce que pour restaurer une part de la confiance politique qui ne cesse de s’éroder. Quand l’École libre des sciences politiques a été fondée, au lendemain de la défaite de 1870 face à la Prusse, son but était de mieux former les cadres de la nation. C’était cela le cap, la mission de Sciences Po : former les cadres du pays… C’est un enjeu politique au meilleur sens du terme.

    Emmanuel Macron supprime l’ENA. Signe d’une faillite identique ?

    J’imagine que l’on va trouver un autre nom d’école, une ENA sans l’ENA. Mais peut-être que la question est la m��me que pour Sciences Po aujourd’hui. Quand on prétend former les élites, il faut régulièrement s’interroger : quelles élites ? Formées à quoi ? À quelles valeurs ? Que voulons-nous défendre ? Sommes-nous compatibles avec le modèle américain ? Quelles spécificités de notre République voulons nous défendre ? Dans la crise que nous traversons, ces questions sont essentielles. Or, à Sciences Po aujourd’hui, je n’ai malheureusement pas l’impression qu’elles sont posées avec la vigueur nécessaire…

    Comment se passera ensuite la désignation du directeur de l’école, celui qui remplacera Frédéric Mion ?

    En observant le comité de recherche, nous sommes nombreux à avoir le sentiment d’assister à une opération obscure. J’ai l’impression que l’objectif plus ou moins avoué est qu’il y ait demain à la tête de Sciences Po, la Fondation et l’IEP, une femme et un homme. Apparemment, même s’il n’y a aujourd’hui aucun candidat déclaré au poste de direction, ils sont nombreux à y prétendre en coulisses. Plusieurs noms circulent. Après tout ce qui s’est passé, je pense que l’urgence aurait été de mettre en place des pratiques transparentes et vertueuses plutôt que se fixer de manière obsessionnelle sur le « genre » des détenteurs de pouvoir.

    Vous en appelez à un arbitrage du ministère de l’Enseignement supérieur ?

    Le ministère de tutelle pourrait peut-être veiller au respect des statuts dans la lettre et dans l’esprit. Il y a urgence à rendre les choses lisibles. À sortir de ce qui apparaît comme des cooptations peu lisibles et peu dicibles. À remettre la maison en ordre de marche, ce que d’ailleurs, Bénédicte Durand, la directrice par intérim, fait très bien de son côté. Sciences Po a besoin de règles neuves et claires, d’une concurrence loyale et saine. C’est quand même tout ce que l’on enseigne aux étudiants depuis des années ! Pourquoi, dans nos propres processus de désignation, s’affranchir de ces règles simples à la base de notre propre enseignement ?

    Avez-vous eu des nouvelles d’Olivier Duhamel et pensez-vous, comme le disent certains, qu’il soit à la manoeuvre lui aussi en coulisses ?

    Je n’en ai aucune idée mais parfois, on peut avoir l’impression que cet épisode sombre de Sciences Po ne parvient pas à faire advenir l’avenir clair dont nous avons besoin.

    Marianne, 9 avr 2021

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  • Sciences Po change

    Le prestigieux institut français d’études politiques a été accusé d’ »islamo-gauchisme », notamment parce qu’il a commencé à traiter différemment les questions liées à la race et au sexe.

    Sciences Po, le prestigieux institut français d’études politiques où sont sélectionnées, formées et promues les élites dirigeantes du pays, est en train de changer. Ses étudiants font depuis longtemps preuve d’un militantisme politique plus actif que par le passé, notamment sur les questions liées à la race, au genre et au post-colonialisme, qui font désormais partie du programme de l’institut.

    C’est précisément pour cette raison que Sciences Po a été accusé – ainsi que le monde universitaire français en général – d’islamo-gauchisme, la prétendue et indéfinie proximité des intellectuels et des partis de la gauche radicale avec les milieux islamistes (gauche signifie « gauche »). Les critiques proviennent non seulement de la droite et de ses différentes branches dans la sphère universitaire, mais aussi du gouvernement du président Emmanuel Macron.

    Pourquoi ils en parlent

    En février dernier, Frédéric Mion, directeur du prestigieux Institut d’études politiques de Sciences Po à Paris, a démissionné à la suite d’un scandale d’abus sexuels impliquant l’ancien président de la Fondation qui contrôle Sciences Po, Olivier Duhamel. Mion avait nié avoir eu connaissance des allégations d’abus portées contre Duhamel par sa belle-fille, l’avocate Camille Kouchner, qui en avait parlé dans un livre publié début janvier. Il avait alors été révélé que Mion était au courant des abus depuis 2018.

    A partir de cette histoire, explique Le Monde, il ne s’est pas passé une semaine sans que l’institut – qui compte dix antennes dans autant de villes françaises – ne fasse parler de lui.

    Le 22 mars dernier, le collectif féministe de Sciences Po Lyon Pamplemousse et le syndicat Solidaires-Etudiantes ont demandé l’exclusion de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA) du partenariat avec leur institut en raison des « nombreuses ambiguïtés » de l’organisation en matière d’ »islamophobie » et de « laïcité ». La LICRA est une organisation non gouvernementale basée à Paris ; les critiques du collectif et du syndicat de Sciences Po font notamment référence à un débat qui avait été organisé en décembre 2020 dans un lycée de Besançon, à l’est de Dijon, à l’occasion de la Journée de la laïcité.

    La réunion avait été critiquée par les parents et les enseignants, qui avaient envoyé une lettre très dure au directeur de l’école dans laquelle ils demandaient l’exclusion de la LICRA des futures initiatives de l’école, l’organisation d’une nouvelle Journée de la laïcité et la publication d’un communiqué officiel par l’école pour se distancer de certains concepts exprimés par les représentants de la LICRA pendant la conférence.

    Par exemple, les représentants de la LICRA ont expliqué que l’organisation « combat toutes les formes de racisme (y compris le racisme contre les Blancs) et d’antisémitisme (y compris l’antisionisme). Nous combattons ce qui met en danger notre République, l’extrême droite identitaire, l’islamisme et l’extrême gauche. » Et encore, « (…) on peut aussi bien avoir peur de l’islam que des araignées ».

    Ce n’est pas la première fois que la LICRA est accusée de ne pas être une organisation laïque et de propager au contraire les idées qu’elle prétend combattre.

    Dans leur communiqué, les étudiants de Sciences Po soutiennent que la lutte contre l’islamophobie, l’antisémitisme et toute forme de racisme doit être une priorité et que les institutions comme celle dans laquelle ils étudient « doivent s’entourer de collectifs et d’associations dont le travail est à la hauteur de la lutte ». La LICRA n’en fait pas partie. »

    Un autre épisode très discuté remonte au 18 mars et concerne le bâtiment de Sciences Po à Strasbourg. Ce jour-là, le syndicat étudiant de droite UNI a critiqué la direction de l’institut pour avoir exclu le nom de Samuel Paty de la liste finale pour le « nom de promotion ». Paty est le professeur français décapité le 16 octobre dernier dans une attaque terroriste parce qu’il était accusé d’avoir montré à ses étudiants des caricatures du prophète Mahomet, ce qui n’avait pas eu lieu.

    C’est une tradition à Sciences Po : après quelques mois de vie commune, les étudiants de première année organisent un vote pour baptiser symboliquement leur classe pour les quatre prochaines années. Le choix doit répondre à deux conditions : la personne doit être décédée, et il ne doit pas s’agir d’une personnalité « clivante ». Un autre critère est l’alternance des genres, et la classe précédente avait choisi le nom de l’écrivain et illustrateur Tomi Ungerer. Les personnalités proposées lors du premier tour de scrutin étaient majoritairement des femmes, mais quelques noms masculins figuraient également sur la liste, dont celui de Samuel Paty. Des noms qui, comme ceux des femmes déjà choisies les années précédentes, ont cependant été exclus de la liste finale par décision unilatérale de l’institut, pour suivre la règle de l’alternance. Au final, le nom le plus voté a été celui de Gisèle Halimi, avocate féministe d’origine tunisienne décédée l’année dernière.

    UNI a dénoncé ce qui s’était passé comme étant « révélateur de ce qui se passe depuis des années à Sciences Po à Strasbourg » : « L’idéologie et les militants de l’extrême gauche dictent la loi et n’hésitent pas à piétiner la mémoire d’un martyr de la liberté ». UNI a contesté le fait que l’alternance du genre dans le choix des noms est une pratique, et non une obligation, donc s’ils l’avaient voulu le choix aurait pu tomber aussi sur Paty.

    Ces deux épisodes sont survenus après deux autres événements qui avaient eu beaucoup plus de résonance.

    La première a été la naissance du mouvement #sciencesporcs, le 7 février, à l’initiative d’une ancienne étudiante de Sciences Po Toulouse, la blogueuse féministe Anna Toumazoff. Toumazoff voulait dénoncer la « culture du viol » et la « complicité » des administrations des différentes institutions de Sciences Po dans la couverture systématique et la non sanction des auteurs de violences sexistes. La seconde a été l’apposition d’affiches à Sciences Po Grenoble, le 4 mars, avec les noms de deux professeurs accusés de « fascisme » et d’ »islamophobie ». Le syndicat étudiant US, d’extrême gauche, avait demandé la suspension d’un cours de l’un de ces deux professeurs.

    Tous ces épisodes, conclut Le Monde, montrent une évolution de Sciences Po, ou du moins une évolution de la part de ceux qui fréquentent l’institut vers une plus grande conscience politique. Ses détracteurs, en revanche, parlent de « politisation ».

    Militantisme

    « Je vois la formation de vrais militants dont les objectifs ont changé. C’est un marqueur générationnel qui n’est pas spécifique à notre éducation », a par exemple déclaré Jean-Philippe Heurtin, directeur de Sciences Po à Strasbourg. Anthonin Minier, étudiant en première année à Sciences Po à Paris et représentant des écologistes, a déclaré que parmi les étudiants, le pourcentage de ceux qui se disent proches ou engagés dans un parti ou un syndicat traditionnel est très faible.

    Des questions telles que les discriminations sociales, de genre et raciales sont entrées dans les débats entre étudiants, mais aussi dans les filières, et des collectifs se sont créés : « Les instituts d’études politiques ne sont plus des clubs d’hommes » et le pourcentage d’étudiantes est très élevé, explique Vincent Tiberj, maître de conférences à Sciences Po Bordeaux. « Le genre, maintenant, est quelque chose de significatif (…) C’est aussi démontré par #sciencesporcs. »

    Pour Francis Vérillaud, qui a dirigé les relations internationales de l’institut parisien pendant vingt-cinq ans, l’année à l’étranger, obligatoire depuis le début des années 2000, peut en partie expliquer cette nouvelle attitude : « Sciences Po a été interpellé par ses propres étudiants, qui se sont beaucoup internationalisés. Lorsqu’ils reviennent d’une année passée au Canada, aux États-Unis, aux Pays-Bas ou en Allemagne, où les questions de violence sexuelle et sexiste sont abordées dans les universités, ils apportent leur propre contribution. »

    Depuis, Sciences Po a modifié ses critères d’admission pour en démocratiser l’accès, augmenté ses bourses, les instituts se sont adaptés aux standards internationaux, et les formations principales (histoire, sociologie, sciences politiques et droit) se sont enrichies de nouvelles matières : « Penser faire Sciences Po uniquement pour passer le concours de l’École nationale d’administration (l’ENA, chargée de former la fonction publique française, ndlr) est un faux mythe », explique Yves Déloye, directeur de Sciences Po Bordeaux. « Les concours administratifs, qui ont été au cœur de la création des instituts après la guerre, n’attirent plus qu’un tiers de nos étudiants. Les autres aspirent à des carrières de plus en plus diversifiées : en entreprise, dans les ONG, dans l’économie sociale et solidaire. »

    A Sciences Po, le profil des enseignants a également évolué, et ils sont de plus en plus recrutés parmi les universitaires et les chercheurs plutôt que parmi les personnalités politiques et économiques :  » Je me souviens du grand cours d’économie de deuxième année de Michel Pébereau (président de la Banque Nationale de Paris, ndlr). Il distribuait une conférence de 1986. Mais nous sommes en 1993 et, entre-temps, le mur de Berlin est tombé. Mais dans ce monde d’élite, le temps semblait suspendu », a déclaré un ancien élève.

    Les accusations

    En janvier dernier, Il Foglio a repris une enquête publiée dans Le Figaro, le principal journal de la droite française.

    L’enquête, selon Il Foglio, « lève le voile sur l’incursion inquiétante de l’idéologie décoloniale et de la pensée indigéniste au sein de Sciences Po. » Brice Couturier, journaliste à France Culture, avait déclaré à Il Foglio que « la mode américaine de la culture de l’annulation et de la gauche ‘woke’ nous pénètre aussi, dans les centres de l’élite ». Nous sommes confrontés à quelque chose de terrifiant. (…) Imposer la victimisation à l’américaine dans nos cultures et nos pays est une aberration historique, mais cela fonctionne, car c’est à la mode. Le comportement des « réveillés » rappelle celui des gardes rouges de la révolution culturelle maoïste. Ils remettent en question leurs professeurs, créent des groupes de pression, imposent une idéologie fondée sur la race et sont hostiles à la méritocratie. Ils ne sont pas nombreux, mais ils terrorisent la masse des étudiants. »

    Ce sont plus ou moins les accusations portées contre Sciences Po, et l’ensemble du monde universitaire français.

    En février, la ministre française de l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal, a déclaré que l’islamo-gauchisme « est une gangrène pour l’université (…) Non, en fait c’est une gangrène pour toute la société », et a annoncé qu’elle voulait lancer une enquête sur le phénomène en demandant au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) « une évaluation de toutes les recherches » et sur la présence de professeurs islamo-gauchistes dans les universités ; « essentiellement des professeurs qui travaillent sur les questions postcoloniales, de genre et de race », a expliqué la journaliste et chercheuse Catherine Cornet sur Internazionale, ajoutant comment, à partir des attentats islamistes survenus en France et de la propagande de l’extrême droite sur le rapport entre terrorisme et religion, certains arguments ont « commencé à faire leur chemin dans le parti La République en marche du président Macron. »

    La proposition du ministre a été très critiquée par le monde universitaire français, et pas seulement : dans un communiqué, la Conférence des chanceliers d’université (Cpu) a écrit que l’islamo-gauchisme n’est pas un concept, mais « une pseudo-notion dont on chercherait en vain un début de définition scientifique, et qu’il serait opportun de laisser (…) à l’extrême droite qui l’a popularisée ». La déclaration indique également : « La Cpu demande au gouvernement d’élever le niveau du débat. Si elle a besoin d’analyses, de thèses différentes et de discours scientifiques étayés pour dépasser les représentations caricaturales et les discussions de salon, les universités sont à sa disposition. Même si le débat politique n’est pas scientifique par nature, cela ne veut pas dire qu’il ne peut rien dire. »

    A son tour, le CNRS a déclaré que l’expression islamo-gauchisme ne correspond à aucune réalité scientifique, a condamné « fermement ceux qui tentent d’en profiter pour remettre en cause la liberté académique ou stigmatiser certaines communautés scientifiques » et a condamné en particulier la tentative de délégitimer divers domaines de recherche, tels que les études postcoloniales, les études intersectionnelles ou les travaux sur le terme « race ».

    Cependant, le CNRS a accepté la proposition de Vidal de réaliser une étude scientifique sur l’islamo-gauchisme. Catherine Cornet a résumé les résultats : « Grâce au Politoscope, un outil développé par le CNRS pour étudier le militantisme politique en ligne, plus de 290 millions de messages politiques postés de 2016 à aujourd’hui par plus de onze millions de comptes Twitter ont été analysés. Et c’est finalement le gouvernement qui se retrouve sur le banc des accusés : l’étude du CNRS l’accuse en effet de donner de l’espace aux thèmes les plus agressifs de l’extrême droite ».

    Selon le CNRS, le terme a été utilisé comme une « arme idéologique » pour frapper et discréditer un groupe social particulier, tout en transmettant à l’opinion publique un sentiment d’anxiété associé à un danger imminent : « Son utilisation vise à polariser l’opinion publique autour de deux camps déclarés incompatibles et entre lesquels il faudrait choisir : d’un côté les défenseurs de la loi et des valeurs républicaines, de l’autre les traîtres aux valeurs françaises et les alliés d’un ennemi sanglant. La construction même du terme reflète cette ambition. »

    Le Cnrs cite également la pratique de l’alt-right (l’extrême droite américaine) qui consiste à créer un ennemi imaginaire contre lequel l’extrême droite elle-même peut agir comme un rempart, justifiant ainsi ses actions souvent violentes.

    De l’étude du CNRS, il ressort que le principal parti accusé d’islamo-gauchisme est la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon, de la gauche radicale, et juste après le leader du Parti socialiste, Benoît Hamon. L’étude indique que « les comptes les plus impliqués dans la diffusion des accusations d’islamo-gauchisme, de 2016 à aujourd’hui, sont idéologiquement d’extrême droite », et ayant utilisé le terme désormais même dans le milieu universitaire, plusieurs membres du gouvernement Macron l’ont, de fait, légitimé.

    La conclusion du CNRS est qu’il faut « veiller à ce qu’aucune forme d’extrémisme ne se développe dans le milieu universitaire ou de la recherche (…) : pour cela, il faut être conscient que l’efficacité de leur élimination dépend de la manière dont on les nomme ».

    Il Post, 3 avr 2021

    Etiquettes : Sciences Po, France, université, élite, islamo-gauchisme, militantisme, race, sexe, postcolonialisme, droite, extrême droite, migration, discrimination, islamophobie, Emmanuel Macron, Frédéric Mion, Camille Kouchner, Olivier Duhamel, Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme, LICRA, Samuel Paty,