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  • Le secteur de l’habillement en Tunisie lance une revue de l’industrie

    Par Elizia Volkmann

    Une importante étude a été lancée sur le positionnement du secteur tunisien de l’habillement sur le marché, dans le but d’aider les fabricants à survivre aux troubles politiques qui secouent actuellement le pays.
    Nafaa Ennaifer, vice-présidente de la Fédération Tunisienne du Textile et de l’Habillement (FTTH), a déclaré à just-style que l’association allait lancer aujourd’hui (12 mars) une nouvelle étude de marché en partenariat avec le Global Textiles and Clothing Programme (GTEX) et sa branche Moyen-Orient et Afrique du Nord MENATEX.

    « Il s’agit d’une étude très importante car elle définit la manière dont nous pouvons repositionner les entreprises en matière de production et d’exportation », explique M. Ennaifer. « Nous prévoyons de créer un programme de promotion pour reconstruire notre image publique, malgré les turbulences politiques ».

    « C’est un secteur très compétitif, et nous avons des entreprises qui sont leaders sur le marché », ajoute-t-il, soulignant la force de la Tunisie dans la production de denim, de vêtements techniques et de vêtements de travail.

    Des troubles persistants

    Cet examen intervient alors que le pays est toujours sous le coup des troubles qui ont débuté le 14 janvier, date du 10e anniversaire de la « révolution du jasmin » qui a renversé l’ancien dictateur, le président Zine al-Abidine Ben Ali.

    Les protestations populaires ont été alimentées par les faibles résultats du gouvernement dans la gestion d’une économie qui a été secouée par Covid-19 et par l’inquiétude suscitée par la réaction brutale de la police et des forces de sécurité aux manifestations. Cette réaction s’est traduite par des violences et des arrestations massives de manifestants, ce qui a provoqué de nouveaux troubles.

    La perturbation des chaînes de fabrication et d’approvisionnement qui en a résulté a porté un coup à une industrie de l’habillement déjà ébranlée par le Covid-19 – avec une réduction de toutes les exportations de 27 % en glissement annuel d’ici à la mi-2020, selon la Banque mondiale.

    L’instabilité politique, avec trois gouvernements tombés en 2020, a entravé les efforts visant à créer un solide plan de reprise en cas de pandémie. Le premier ministre Hichem Mechichi, le président Kais Saied et le président du parlement, l’Assemblée des représentants du peuple, Rached Ghannouchi, n’ont pas réussi à forger un front politique uni, étant souvent en conflit.

    Et ce, malgré les appels lancés par la principale association générale de l’industrie du pays, l’UTICA (Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat), pour que les élites politiques règlent leurs différends politiques. Elle souhaite également une action rapide pour enrayer le déclin économique de la Tunisie – le PIB devrait avoir chuté de 9 % en 2020, selon l’OCDE.

    M. Ennaifer souligne que ce problème politique, bien que très aigu aujourd’hui, n’est pas nouveau, l’avènement de la démocratie en Tunisie n’ayant pas encore apporté la stabilité.

    « Nous avons connu l’instabilité politique au cours des dix dernières années, et avec un changement de gouvernement tous les six mois, il est impossible de consolider les partenariats public/privé », dit-il.

    En plus de créer des difficultés pour coordonner les politiques et la liaison avec le gouvernement, l’image internationale de la Tunisie a beaucoup souffert et cela a eu un impact négatif sur les commandes de l’industrie du textile et de l’habillement, les acheteurs s’inquiétant du risque politique.

    Formation et investissement

    Malgré cela, M. Ennaifer affirme que l’industrie tunisienne de l’habillement a continué à investir dans la production, la conception et la logistique. Elle a travaillé avec l’agence de développement allemande GIZ (Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit) avec laquelle la FTTH a créé quatre centres de formation professionnelle dans la ville de Bizerte au nord, Nabeul au Cap Bon (au nord-est) et deux dans la capitale, Tunis.

    « Ce sont des centres de formation totalement indépendants qui délivrent des certificats professionnels et qui s’occupent du recyclage et de la reconversion des chaînes de production ». En janvier, la FTTH a organisé un webinaire avec plus de 100 participants en collaboration avec l’ambassade britannique afin de mettre en relation les producteurs tunisiens de vêtements de travail avec les marques britanniques de vêtements de travail.

    M. Ennaifer affirme que le secteur de la fabrication de vêtements de travail a une forte capacité à tirer parti des nouvelles commandes, avec environ 1 600 entreprises, dont 80 % sont déjà dédiées au marché de l’exportation. Pour l’instant, note-t-il, « nous voulons nous concentrer sur les vêtements de travail et insister sur la facilité de travailler avec les entreprises tunisiennes ».

    Le webinaire a démontré que les acheteurs britanniques pouvaient commander tout ce qu’ils voulaient avec une lettre de crédit avec des quantités minimales.

    « Les entreprises tunisiennes sont très agiles, capables de produire des pièces simples à des vêtements très complexes et techniques ». Les vêtements anti-radiations et les vêtements spécialisés pour les services armés et d’urgence font partie des domaines d’expertise offerts par l’industrie tunisienne de l’habillement.

    Au début de l’année, Just-style a appris que les entreprises tunisiennes du secteur du denim allaient également de l’avant avec des investissements et des initiatives visant à créer une économie circulaire durable en fabriquant des jeans de haute qualité à partir de tissus recyclés.

    Just-Style, 12 mars 2021

    Tags : Tunisie, textile, vêtements,


  • 28 personnes sont mortes au Maroc en fabriquant nos vêtements : nous devons changer les choses

    Des ouvriers et ouvrières textile sont mortes noyées dans le sous-sol d’ateliers de misère à Tanger le 8 février. Suite au reportage alarmant du Monde ce 1er mars, Fashion Revolution France nous explique ce qu’on peut y faire.

    Vous vous souvenez de l’effondrement du Rana Plaza, à Dacca, capitale du Bangladesh, le 24 avril 2013 ? Plus de 1.000 ouvriers et ouvrières textile y ont péri.

    Beaucoup d’acteurs de la mode avaient alors promis de faire des efforts niveau sécurité et transparence. Eh bien, le problème persiste. Il est juste encore mieux enrobé, dispersé et donc plus difficile à débusquer. En témoignent les 28 personnes, dont 19 femmes, décédées le 8 février 2021 dans d’autres ateliers de misère à Tanger.

    Des ouvrières enfermées au sous-sol pour la confection de fast-fashion
    Dans cette ville portuaire marocaine, point stratégique entre l’Europe et l’Afrique où pullulent les caves de confection textile plus ou moins clandestines, ce genre de drame ne surprend plus, comme l’explique un long reportage du Monde paru le 1er mars 2021.

    La correspondante Ghalia Kadiri y suit des femmes qui vont dans des bâtiments où les hommes bossent au rez-de-chaussée tandis qu’elles descendent dans les hofra (« fosses », en arabe), où elles confectionnent des vêtements pour des marques de fast-fashion — des pièces au sous-sol, sans fenêtre ni issue de secours. Une ouvrière raconte même au grand quotidien national :

    « La plupart du temps, le chef de salle nous enferme à clé. »

    Ces conditions de travail affolantes concernent des milliers d’ouvriers et ouvrières, dont une majorité de femmes. Pour 180 à 230€ par mois (moins que le salaire minimum marocain de 250€), elles travaillent généralement neuf heures par jour, cinq jours sur sept.

    Immatriculées au registre du commerce, ces sociétés en plein centre-ville ne déclarent qu’une infime partie de leurs salariées… Et soudoient les autorités pour qu’elles ferment les yeux sur le fait qu’elles ne sont pas aux normes de sécurité.

    Des usines conformes qui sous-traitent en douce à des ateliers de misère
    Le problème quand on veut se repérer côté consommatrices, c’est que les clients de ces entreprises ne sont pas directement les marques que l’on connaît bien comme Zara ou Bershka, mais des usines qui sous-traitent une partie de leurs commandes. Bardées de labels et de certifications éco-responsables, elles correspondent parfaitement aux normes attendues par les grands groupes de fast-fashion qui viennent y réaliser régulièrement des contrôles de RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises).

    Autrement dit, les marques font bien des audits pour constater que les usines sont bien réglementées… sauf que tout n’est pas produit sur place.

    Abdellah El Fergui, président de la Confédération marocaine des très petites et des petites et moyennes entreprises, dénonce ainsi auprès du Monde :

    « Les caves ne sont que le maillon faible d’un système tenu par le lobby des patrons d’usines marocaines. Ce sont eux qui encouragent les ouvriers à créer des ateliers souterrains ! »

    Les femmes racisées en première ligne des victimes de l’industrie textile
    Ces patrons feraient cela pour rester compétitif aux yeux des marques de plus en plus séduites par l’idée de produire pour peu cher en Turquie ou en Éthiopie. Et les pouvoirs publics fermeraient les yeux pour éviter d’avoir des milliers de personnes au chômage, dans ce pays où le textile représente le ¼ des emplois industriels…

    Catherine Dauriac, coordinatrice nationale de l’association Fashion Revolution France pour une mode plus transparente et éthique, remet les choses en perspective pour Madmoizelle :

    « Je ne suis pas du tout surprise par ce nouveau drame. Il ne s’agit jamais de faits divers isolés mais bien d’un problème structurel de la mode : la façon dont on fait de l’argent sur le dos des travailleurs, et surtout des travailleuses, a fortiori racisées. Car le colonialisme ne s’est pas arrêté à la fin des colonies, comme en attestent ces relations entre pays du Nord qui passent commande et pays du Sud exploités. »

    Pour la responsable France de cette organisation internationale née suite à l’effondrement du Rana Plaza, le fait qu’il s’agisse d’une industrie majoritairement féminine joue également sur la sous-considération de ces problèmes pourtant majeurs :

    « 80% des ouvriers et ouvrières textile dans le monde sont des femmes, donc c’est aussi une question de droits des femmes qui ne sont pas respectés. Au Maroc, en l’occurrence, beaucoup de ces femmes sont payées rien que la moitié du salaire minimum du pays. Le patriarcat et le capitalisme fonctionnent main dans la main pour faire en sorte qu’une certaine partie de la population soit exploitée. »

    « Le boycott n’est pas une solution »
    Mais fuir les étiquettes « Made in Bangladesh » ou « Made in Morocco » n’est pas non plus la meilleure réponse en tant que consommateurs à ce genre de drames… L’éco-féministe et experte en mode éthique nous explique ainsi :

    « Le boycott n’est pas une solution, surtout pour certains pays où l’industrie textile représente une part importante du PIB : ça pourrait jeter ces millions de personnes dans une précarité encore plus grande.

    En revanche, on peut interpeller directement les marques, notamment sur les réseaux sociaux, en leur demandant “Qui a fait mes vêtements ?” Pour que cela ait encore plus d’impact, la Fashion Revolution Week se tient cette année du 19 au 25 avril afin de créer un mouvement mondial d’appel à la responsabilisation des marques et des consommateurs sur les réseaux. »

    Réparer ses vêtements pour réparer l’industrie de la mode
    Plutôt que de culpabiliser, on peut également s’interroger sur sa façon de consommer et traiter ses fringues afin de retrouver en bon sens. En France, où l’on jette 600.000 tonnes de vêtements par an, penser à garder ses habits plus longtemps et les réparer peut sembler dérisoire mais peut quand même faire une différence, selon Catherine Dauriac :

    « D’abord trier son placard, regarder ce qu’on a vraiment, parce qu’on ne porte qu’un tiers de son vestiaire. Puis comprendre pourquoi on ne porte pas ce qu’on possède : parfois il suffit de recoudre un bouton, de faire un ourlet, d’accessoiriser différemment pour redonner vie à une pièce délaissée. Et si on a encore envie d’acheter, on peut penser à la seconde main ! »

    Source : Madmoiselle, 2 mars 2021

    Tags : Maroc, fabrique de vêtements, textile, fashion, mode, exploitation, délocalisation,