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  • Inceste : La fin de la banalisation

    Édouard Durand, juge pour enfants, a été nommé copilote de la Commission sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants, dont les travaux doivent durer deux ans. Avec Ernestine Ronai, il a dirigé l’ouvrage Violences sexuelles – En finir avec l’impunité (Dunod, 2021).


    Une enquête Ipsos de fin 2020 indique qu’un Français sur dix déclare avoir été victime d’inceste. Comment appréhender ce chiffre ?

    L’inceste est un fait social massif, par le nombre et par la gravité de l’impact traumatique sur les victimes. Le nombre n’est pas complètement inattendu. Les faits étaient certainement sous-­estimés. Nous savions que les victimes parlaient peu. Ce qui est nouveau, c’est l’attention sociale apportée à cette réalité. Aujourd’hui, la société prend conscience de la gravité de ces faits, de la souffrance des victimes et se sent collectivement responsable de l’aide qui doit être apportée.

    Pourquoi la société change-t-elle ?

    D’abord, grâce à la libération de la parole des victimes, due à un mouvement associatif puissant, à des livres au fort écho social, comme ceux de Camille Kouchner et Vanessa Springora, et à des affaires judiciaires. Tout cela a créé une chaîne de solidarité entre les victimes. Ensuite, grâce à l’accumulation de connaissances, notamment sur le psychotrauma [les conséquences psychologiques d’un traumatisme] et la mémoire traumatique. Le coût personnel pour chaque victime et le coût social pour la société est extrêmement élevé. Cela nous interdit de sous-estimer la gravité des conséquences de violences sexuelles sur le plan individuel et collectif. La société ne peut plus banaliser, minimiser.

    Dans votre livre, vous dites que l’on va plus croire une victime de vol qu’une victime de viol. Beaucoup craignent encore les faux témoignages ?

    Oui. Il y a des mécanismes puissants en faveur du silence. On dit : « Ça n’existe pas ; les personnes qui disent qu’elles ont été victimes mentent ; c’est trop risqué de les croire. » Autrement dit : ne changeons rien. Parmi les hypothèses pour expliquer ces mécanismes de déni : la sidération collective. C’est tellement violent, tellement insupportable à penser qu’il est moins coûteux de dénier. La violence fait peur, y compris aux tiers.

    Quel est le rôle de la Commission sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants, que vous copilotez avec Nathalie Mathieu, directrice générale de l’association Docteurs Bru ?

    C’est une réponse politique qui doit incarner la considération de la société à l’égard de la parole des victimes, la connexion entre la parole des victimes et la conscience collective. Il faut organiser le recueil de la parole, qui ne doit pas tomber dans les réseaux sociaux sans être prise en compte, avec une plate-forme, sur le modèle de ce qu’a fait la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église. Il faut également accroître les connaissances par des enquêtes épidémiologiques et renforcer la culture de la protection. Si les personnes adultes éprouvent le besoin de dire les violences sexuelles et l’inceste, c’est aussi pour qu’aujourd’hui et demain les enfants soient mieux protégés.

    Qu’est-ce que la culture de la protection ?

    La loi doit déjà être mise en œuvre par les juges, les policiers, les assistantes sociales, les journalistes, autrement dit par tout le monde, d’une manière qui soit protectrice des enfants. Puis, il y a la formation et l’expérimentation, comme le protocole d’audition des victimes. On ne parle pas à un enfant comme on parle à un adulte. Les policiers et gendarmes augmentent leurs compétences, pour bien poser les questions, poser les bonnes questions, dans un contexte adapté au développement d’un enfant. À l’hôpital, il faut pouvoir donner des soins en psychotrauma et ne pas soigner autre chose.

    Les lois vont-elles dans le bon sens ?

    Les textes débattus actuellement proposent d’élever le seuil de l’âge en dessous duquel il ne peut être question d’un éventuel consentement à 15 ans pour les violences sexuelles, et à 18 ans en cas d’inceste. Ce sont des avancées réelles, positives, qui traduisent la capacité de voir l’asymétrie entre un adulte et un enfant, de comprendre que l’acte sexuel ne pourrait avoir eu lieu sans être imposé par l’adulte à l’enfant. Autre point intéressant en discussion : la prescription glissante. Lorsqu’un agresseur est jugé et qu’il a commis des violences sexuelles contre plusieurs victimes, si les délais de prescription sont atteints pour certains de ces actes mais pas pour d’autres, les premiers seront automatiquement déclarés non prescrits. Ce qui est important, c’est de ne pas figer le débat mais de voir en quoi cela peut répondre à une aspiration sociale légitime et à une manière plus adaptée de rendre la justice. Il ne faut pas avoir peur d’organiser un procès. Ce qui garantit la paix sociale, c’est d’abord le fait de rendre justice.

    Propos recueillis par Sarah Boucault.

    Témoignage chrétien, 22 avr 2021

    Etiquettes : Pédophilie, inceste, banalisation, Commission sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants, libération de la parole des victimes,  mouvement associatif, victimes, Camille Kouchner, Vanessa Springora, Olivier Duhamel, Camille Kouchner, #Metoo,


  • Pour Jair Bolsonaro, la légalisation de la pédophilie n’est qu’une question de temps au Brésil.

    Les souvenirs des victimes de pédophilie influencent la politique en France

    Il y a le délire et il y a la réalité. Le premier se trouve dans les théories du complot de QAnon, le mouvement extrémiste américain, et dans les tweets de la droite brésilienne. La réalité se trouve dans des livres comme « Le Consentement », récemment lancé au Brésil, et « La Familia Grande » (toujours sans traduction).

    QAnon affirme que le Parti démocrate des États-Unis, avec le soutien de l’industrie cinématographique et des « élites mondialistes », a créé une secte satanique dédiée à l’enlèvement, à la torture et aux abus sexuels d’enfants. Pour les radicaux qui gravitent autour de Jair Bolsonaro et Olavo de Carvalho, la légalisation de la pédophilie n’est qu’une question de temps au Brésil.

    « Le Consentement » et « La Familia Grande » sont des livres de souvenirs initialement publiés en France, début 2020 et en janvier de cette année. Dans le premier, Vanessa Springora raconte comment, à l’âge de 14 ans, dans les années 1980, elle a été victime de l’écrivain Gabriel Matzneff – un nom respecté dans les milieux intellectuels français, mais aussi un pédophile en série et impénitent. Dans le second, l’avocate Camille Kouchner révèle comment son frère a subi dans son enfance des abus sexuels de la part de son beau-père, le célèbre politologue Olivier Duhamel.

    L’émoi suscité par ces deux ouvrages a été suffisant pour influencer une décision politique. Le 15 mars, la France fixe pour la première fois l’âge de la majorité sexuelle dans sa législation. Lorsque la règle entrera en vigueur, les relations sexuelles avec des enfants et des adolescents de moins de 15 ans seront considérées comme des viols, passibles d’une peine pouvant aller jusqu’à 20 ans de prison. Aucun adulte ne pourra prétendre que la relation était « consensuelle ».

    « La Familia Grande » a mis en lumière un fait bien connu : les abus sur les enfants sont rarement signalés, car ils se produisent presque toujours dans la famille ou dans un cercle de connaissances. « Consentement » a incriminé toute une époque. Dans l’environnement cultivé dans lequel vivaient Springora et Matzneff, aucun adulte n’a su protéger la fillette, alors même que les préférences sexuelles de l’écrivain étaient notoires.

    Le livre présente deux raisons à cela : le culte de l’artiste, auquel les limites normales ne s’appliqueraient pas, et « l’esprit de l’époque ». « Lutter contre l’emprisonnement des désirs, contre toute répression, tels étaient les mots clés de l’époque », écrit Springora.

    Elle rappelle comment, dans la seconde moitié des années 1970, les intellectuels français les plus révérés se sont mobilisés pour réduire les peines des pédophiles et empêcher les lois de fixer l’âge de l’âge adulte sexuel. Des manifestes ont été publiés. Parmi les sept ou huit douzaines de signataires figurent des noms tels que Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Roland Barthes, Louis Althusser, Gilles Deleuze, Michel Foucault et Françoise Dolto (psychanalyste spécialiste de l’enfance).

    La France n’est d’ailleurs pas isolée dans ce mouvement. Dans d’autres pays, comme les États-Unis et l’Angleterre, des groupes composés de sociologues, de politologues et de psychologues ont également acquis une certaine notoriété, qui soutiennent que le « sexe intergénérationnel » peut être une forme de libération pour les enfants. et les adultes.

    Contrairement à ce que prétendent les croisés de l’extrême droite, ces idées n’ont pas gagné de terrain au cours des dernières décennies. La pédophilie a cessé d’être un problème de comportement pour devenir un problème médical – une maladie, comme peut en témoigner l’Organisation mondiale de la santé. Il s’agit de soigner les patients, mais pas de les excuser lorsqu’ils mettent leurs fantasmes en pratique. Plus que jamais, l’attention se porte sur les victimes de violences sexuelles.

    Les hommes qui abusent des enfants dans « O Consent » et « La Familia Grande » sont de vraies personnes, qui font de vrais dégâts. Springora et Kouchner ont mis l’angoisse, la peur et la colère ressenties depuis des années au service d’un objectif : dénoncer la violence insupportable contenue même dans les plus « tendres » caresses d’un pédophile, et déclencher l’action politique . Le changement de la loi française en est le résultat.

    En comparaison, le pédophile des cauchemars de QAnon et des bolsonaristas « idéologiques » est un être abstrait : un mal absolu, une chimère. Les deux groupes ont également utilisé ce monstre pour servir des fins politiques. Mais le résultat, dans ce cas, ne s’intéresse qu’à eux-mêmes.

    KSU The Sentinel Newspaper, 27 mars 2021

    Tags : France, pédophilie, pédocriminalité, Olivier Duhamel, Camille Kouchner, #Metoo, #MetooInceste, Inceste, QAnon, Le Consentement, Brésil, Jair Bolsonaro, Olavo de Carvalho, Gabriel Matzneff, Vanessa Springora,