Brahim Ghali : "Ce qui est pris par la force ne peut être restitué que par la force"

Un mois après les événements de Gdeim Izik, Brahim Ghali, ambassadeur de la République arabe sahraouie démocratique à Alger revient dans l’entretien qui suit sur ce qui est qualifié de génocide, n’excluant pas, au passage le recours aux armes.

Le Courrier d’Algérie : 8 novembre – 8 décembre, un mois est déjà passé sur les événements de Gdeim Izik et d’El Ayoun. Quel bilan en faites-vous ?
Brahim Ghali : Que voulez-vous que je vous dise. Les Marocains ont mené la vie dure à nos compatriotes. Depuis lundi 8 novembre, la situation est la même. Un couvre-feu a été instauré par les autorités coloniales. Aucun déplacement n’est permis. C’est une situation inhumaine. El Ayoun s’est transformée, depuis, en une ville fantôme. Les militaires, gendarmes et autres policiers marocains et les forces auxiliaires ont le contrôle de toute la ville. Ils sont dans le moindre recoin. Ce serait un suicide de tenter un déplacement dans les ruelles de la capitale. Si tu n’es pas passé à tabac par les forces armées en uniformes, ce sont les colons qui s’en occuperont. Le choc est encore lisible sur tous les visages. Ce jour- là, le Maroc a tenté un génocide. 
 
Jusque là, auriez-vous une idée du nombre des décédés, des disparus et des arrestations ?
Nul ne sort et nul ne rentre à El Ayoun sans autorisation spécifique de l’administration marocaine. Autrement dit, la capitale occupée est complètement coupée du monde. Sans téléphone, ni Internet, il nous est très difficile d’avancer un quelconque chiffre, mais ce qui est sûr et même certain, c’est que, selon des témoignages, 36 corps de Sahraouis ont été jetés dans des fausses communes par des bulldozers militaires marocains. Ajouter à cela, selon un bilan des autorités coloniales faisant état de 182 Sahraouis arrêtés dont 18 d’entre eux ont été transférés devant la cour militaire. Et il n’est un secret pour personne, quand les autorités coloniales avancent un tel chiffre, c’est que ce dernier pourrait être multiplié par dix. C’est pour vous dire qu’un flou total entoure, à ce jour, le sort de nos compatriotes. Les autorités marocaines ont finalement autorisé l’accès à des journalistes… Après avoir accompli leur forfait. Les autorités marocaines sont connues pour leurs manigances. C’est leur point fort.
Là, ils veulent faire croire à ces deux journalistes (qui le transmettront à leur tour) que la situation n’était pas aussi critique que le Front Polisario l’a décrite. Mais avec le temps, le monde saura la réalité de ce qui s’est réellement passé en ce lundi maudit. Dakhla et Smara ont également connu de pareils événements… Le message des forces coloniales était clair.
Certes, dans ces villes la présence militaire est moins dense qu’à El Ayoun, mais les Marocains où qu’ils soient, à leur de passage, ils sèment la terreur. C’est une vraie guerre qui est menée contre tout ce qui est sahraoui.

Monsieur l’ambassadeur, tout cela s’est passé à peine 48 heures après le discours de Mohamed VI où il s’est attaqué, à l’occasion, même à l’Algérie….
Ce discours n’avait vraiment pas besoin d’un déchiffrage. En effet, il était aussi clair que précis. La réalité est amère mais les faits sont là. L’assaut meurtrier donné contre le Camp de la Liberté était suite à un ordre direct du roi à ses forces armées qu’elles soient militaires ou paramilitaires. Mohamed VI a aussi dans son discours, accusé l’Algérie d’entraver les démarches du HCR à organiser un referendum pour les refugiés sahraouis de Tindouf… Chose qu’il a parfaitement héritée de son père Hassan II. Ce dernier, à chaque fois qu’il était contraint à faire face à une opposition ferme de la part des Sahraouis, il ne tardait aucune seconde à accuser l’Algérie de tous les noms. Ce jeu, on le connaît. Ce n’est pas un fait nouveau. A mon avis, les camps des refugiés sahraouis de Tindouf est le coin le plus médiatisé du continent africain. Il a été, à maintes reprises, le théâtre de bon nombre d’activités auxquelles étaient conviées des personnalités très connues. Le monde entier est au courant de tout ce qui se passe là-bas, à moins que le roi n’arrive à digérer tous ses échecs. Cela ne mérite même pas d’être évoqué. Ce massacre intervient, également, le même jour où des négociations informelles entre le Front Polisario et le Maroc, étaient entamées à New York… Ce discours n’était, en réalité, qu’un aperçu de l’atmosphère dans laquelle allaient se dérouler ces négociations. Le Maroc se voulait trop malin. De cet acte il croyait que le Polisario allait céder au chantage et ainsi ne pas s’asseoir à une même table. Ce même régime voulait également dire au monde entier que ses crimes ne seront jamais punis tant que la France est derrière. Or, le régime marocain s’est fait piéger. Il s’est frayé un chemin droit à la guillotine.
Il a commis l’une de ses plus grandes erreurs après celle de croire ou de faire croire que les Sahraouis où qu’ils soient tiennent vraiment à leur patrie-mère comme il l’a signifié dans son discours. Il est temps que le roi révise ses comptes. Le Sahara n’a et ne sera jamais marocain.
Pourquoi ne pas tenir un referendum s’il est aussi sûr que ça ? Que le roi sache une bonne fois pour toutes que le Sahraoui n’acceptera d’autre alternative que l’indépendance et non l’autonomie comme il ne cesse de le clamer à haute voix. Si le régime marocain tient à une autonomie, qu’il l’accorde aux Marocains du nord. Le Sahara Occidental est aux Sahraouis.
Justement, la France a usé de son droit de véto pour bloquer l’envoi d’une mission d’enquête à El Ayoun… La position de la France était connue depuis toujours. Cela ne nous étonne guère.
Le Maroc dans le Sahara Occidental a été tout le temps son enfant gâté. Sauf qu’il est temps que le monde entier, y compris l’opinion publique française, se rendent comptent que la France ne fait que se cacher derrière son slogan « liberté, égalité et fraternité » alors que la France ne connaît rien en ces valeurs.
Pourtant le Parlement européen a vivement condamné les actes marocains ce jour-là… La position européenne a été d’une grande signification pour nous. Nous la considérons étant une victoire partielle. Une position que le régime marocain n’a pas digérée, lui qui a usé de tous les moyens afin de faire croire à la communauté internationale autre que sa réalité barbare. Les preuves ne manquent pas. Quoi qu’il en soit, le compte à rebours de la présence du colon marocain sur les terres de nos ancêtres a commencé.

Cela veut dire… ?
Cette fois-ci, le Maroc a poussé le bouchon trop loin.
Chaque chose a ses limites, il en est également de la patience des Sahraouis.
Si le Maroc persiste dans son entêtement, l’avenir lui fera regretter ses génocides au Sahara Occidental. Là, vous êtes en train de reprendre la phrase de la plupart des responsables sahraouis affirmant que d’autres solutions sont envisageables… Ce qui est pris par la force ne peut être restitué que par la force. L’exemple algérien nous a toujours servi de leçons.

Peut-on comprendre par-là que le recours aux armes n’est pas à exclure ?
Cela a été, à maintes fois, signifié par nos concitoyens où qu’ils soient. Ils ont certainement raison. La voix des pourparlers n’a apporté que les expulsions arbitraires et les exécutions collectives et l’emprisonnement. Le Sahraoui a le droit de vivre librement dans sa patrie comme tout être humain. Que le Maroc nous prouve le contraire. Je persiste encore. En pareilles circonstances, il faut s’attendre à ce que la réaction des Sahraouis soit des plus fermes. Autrement dit : la balle est dans le camp de la communauté internationale. Si le Maroc n’est pas sérieusement condamné, l’avenir en dira plus. Le Maroc se prend pour un hors-la-loi et cela pourrait lui coûter très cher.

Où est la Minurso dans tout ce qui se passe à El Ayoun ?
Cela vous paraitrait peut être étonnant mais je préfère vous répondre par une question.
Comment la Minurso pourrait-elle protéger des citoyens sahraouis alors qu’elle déjà n’est pas à l’abri. Les Casques bleus de la Minurso sont dans le besoin d’être protégés. Sachez qu’elle a été encerclée, quatre jours durant, dans ses locaux. À cette occasion, nous interpellons le secrétaire général de l’ONU de renforcer les prérogatives de la Minurso afin de mener à bien sa mission, de protéger les Sahraouis. D’ailleurs, l’Égyptien à la tête de la MINURSO, a préféré répondre qu’il n’a vu autre chose que de la cendre sur les lieux du crime crapuleux des autorités marocaines.

Un fait marquant est à relever monsieur l’ambassadeur.
Le massacre de Gdeim Izik a fait la une de bon nombre de journaux à l’échelle mondiale… Comme je l’ai signalé auparavant, le monde entier s’est rendu compte de la justesse de notre combat pour la liberté. Cela nous soulage malgré tous nos maux, et nous amène à aller de l’avant jusqu’à ce que l’indépendance de la République arabe sahraouie soit fêtée avec nos amis à El Ayoun, éternelle Capitale de la RASD. Sauf que là, les Arabes ne se sentent pas concernés par la cause sahraouie… C’est un non événement. C’est désolant, on l’a, malheureusement constaté, mais la fuite en avant des arabes ne date pas d’aujourd’hui. Mais là, du moins, c’est un silence sur toute la ligne. Espérons que d’ici un avenir proche, les arabes apprennent à dénoncer et à en parler. À ceux là, je préfère poser une question : où réside la différence entre Israël en Palestine et le Maroc au Sahara Occidental ? Ces Arabes aussi, quand c’est l’Irak qui avait envahi le Koweït les condamnations pleuvaient. Ils se sont mobilisés sans trop attendre pour la libération d’un pays voisin. Alors le Sahara Occidental n’est-il pas voisin, ou les Sahraouis viennent de Mars. Nous vous laissons le soin de conclure… Il me serait illogique de laisser passer une telle occasion pour rendre un grand hommage à toutes les Nations ayant été avec nous contre la tyrannie. Par risque d’en oublier, il est préférable de ne pas citer des noms. Mes hommages aussi au nom de tous les Sahraouis à toute la presse mondiale particulièrement la presse algérienne, qu’elle soit écrite, audio ou audio-visuelle, cette presse qui nous a de tout temps soutenus.

 Entretien réalisé par Farid Houali 
Le Courrier d’Algérie, 9/12/2010

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