Ghalia Djimi : « Personne ne parle de la disparition des sahraouis »

Elghalia Djimi est vice-présidente de l’ASVDH, Association Sahraouie des Victimes des Violations graves des Droits de l’homme commises par l’Etat du Maroc, et du Comité des Personnes Disparues au Sahara Occidental.
FÉLIX DE DIOS PROVENCIO / EL AAIÚN (SAHARA OCCIDENTAL)
Vendredi 14 janvier 2011.  Diagonal NÚMERO 141
Elghalia vit dans le quartier Lirak à El Aaiun, un quartier totalement envahit par les policiers en civil. Après une heure de conversation à son domicile, sont apparus entre huit et dix policiers en civil. C’est la fin de l’entretien. On nous dit de sortir de la maison, que nous partons. Nous sommes montés dans une voiture, sans qu’on nous parle, sans s’être identifié, sans nous dire où nous allions. Nous arrivons finalement à un poste de police où nous restons cinq heures, assis dans une petite pièce pendant qu’on nous interroge. Tout ce que nous possédons est enregistré, mais nous arrivons à sauver une grande partie de la conversation.
Diagonal: Les autorités marocaines ont dénoncé la mort de 11 policiers lors du démantèlement du camp, que savez-vous des faits concernant les décès à Gdeim Izik?
Elghalia Djimi: Nous savons qu’un policier est mort en ville. Selon des témoins, une personne ayant le visage masqué a attaqué un officier de police avec un couteau avant de s’enfuir dans une voiture. Cela s’est produit après la collision d’un fourgon de police sur la personne de Baby Hamday Buyema. Ils disent que c’était un accident, mais les témoins disent que non. La télévision n’a montré ni les funérailles des policiers, ni celles des militaires. Les hélicoptères ont filmé l’évacuation complète du camp, mais n’ont montré que les images qui leur convenaient.
À ce moment, la fille d’Elghalia dit à sa mère que des policiers sont dans la rue. Nous continuons l’interview tout en cachant l’ordinateur portable sous un coussin.
D.: La police peut entrer ici?
E. D.: Non, non …
Jusqu’à présent, nous ne connaissons pas les données réelles. Les autorités disent que deux civils ont été tués parmi la population sahraouie, un qui a été frappé et un autre par asphyxie à l’hôpital dans des circonstances étranges. Nous avons plus de témoignages, mais nous travaillons avec très peu de ressources, tandis que l’Etat a tous les moyens à sa disposition.
Il peut être difficile pour des Européens de comprendre toutes les manipulations et les violations des droits humains commises par l’Etat marocain, mais pour nous c’est facile après avoir vécu 35 ans ici. Une fois, une journaliste américaine est venue me questionner sur Mustafa Selma, qui a été arrêté par le Front POLISARIO. Elle m’a interrogé sur ce que je pensais de sa situation, en tant que défenseur des droits de l’homme. Le Maroc a fait campagne pour lui dans le monde entier avec des t-shirts, des slogans, des publicités, etc. Je lui répondis que j’étais avec Mustafa Aselma, qu’il devait avoir un procès équitable avec des observateurs internationaux, mais je lui ai aussi demandé pourquoi personne n’a jamais parlé de ma grand-mère, disparue depuis 1984. Je n’ai jamais pu trouver une photo d’elle pour savoir où elle était. Dans notre Comité sur les Disparus, nous comptons 124 plaintes de disparitions, mais Amnesty International a recueilli 551 cas de disparitions forcées depuis les années de plomb.
À propos de ce qui s’est passé dans le camp de Gdeim Izik, nous avons peu de contact avec des personnes qui s’y trouvaient. Pourquoi réagir si violemment? Les jeunes sont désespérés, ils n’ont ni diplôme, ni avenir. Regardez comment ils prennent les ressources naturelles du Sahara, regardez les camions qui quittent la nuit le port de Dakhla et de Laayoune, plein de poissons, pour l’intérieur du Maroc. Comme défenseurs des droits de l’homme, nous tenons des réunions deux ou trois fois par an avec l’ambassade américaine et avec d’autres organismes diplomatiques. Nous avons toujours exprimé notre préoccupation face à la situation désemparée dans laquelle nous trouvons nos jeunes. Les générations plus âgées ont plus de patience, mais les jeunes doivent être apaisés, ils n’ont plus aucune confiance dans la communauté internationale.
D.: La situation des Droits de l’Homme est actuellement pire qu’il y a quelques années?
E. D.: Depuis que le Maroc occupe le Sahara, il y a eu de nombreuses violations des droits humains, comme les disparitions forcées et le génocide de 1975. Puis, avec l’arrivée des Sahraouis à Tindouf, certaines personnes sont parties vivre dans les camps de réfugiés. La population autochtone est celle qui paie les conséquences du conflit : les disparitions, la séparation de la famille et à la marginalisation socio-économique.
Cette situation a toujours été niée par les autorités marocaines qui affirment que nos revendications ne représentent pas la réalité. En 1999, un camp de protestation a été organisé à Laayoune, également avec des exigences socio-économiques. Il a été violemment démantelé d’une manière très semblable à aujourd’hui. Mais la réaction des Sahraouis cette fois a été violente.
D.: Habituellement, les protestations des Sahraouis ne sont pas violentes…
E. D.: Nous ne pouvons pas nier la violence d’une partie des Sahraouis, oui, nous n’avions jamais réagi de cette façon. Tout a été prévu pour qu’il y ait cette réaction et dire à la communauté internationale que nous sommes violents.
Dans le campement, les gens s’endormaient en pensant qu’ils répondraient à leurs demandes. Après l’expulsion, la ville a vécu une journée de guerre, j’ai vu la fumée dans tous les coins de la ville. Les Sahraouis ont attaqué tous les symboles de l’Etat marocain, comme les banques, les écoles, le tribunal, tout cela est vrai, et en tant que défenseurs des droits humains nous dénonçons la violence. Mais se sont les autorités qui ont provoqué cette violence, en connaissant les conséquences du démantèlement du camp.
 Traduction non officielle APSO
Sahara Doc, 16/1/2011

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