Personne ne peut faire chanter l’Union européenne, a déclaré le commissaire européen Margaritis Schinas à la radio espagnole mercredi. « Nous ne nous laisserons pas intimider par la migration », a aboyé l’homme responsable du portefeuille au nom remarquable de « promotion du mode de vie européen ».
De nombreux non-Européens sont désireux de s’abreuver de ce mode de vie européen, comme cela a été démontré à maintes reprises aux frontières extérieures de l’UE. Dès que le temps s’éclaircit au printemps dans les pays méditerranéens, des milliers de migrants d’Asie et d’Afrique embarquent sur des canots pneumatiques pour la dangereuse traversée vers l’Occident.
Cette année ne fait pas exception. L’île italienne de Lampedusa a déjà accueilli des milliers de réfugiés en bateau en provenance notamment de Libye et de Tunisie. Le Premier ministre italien Mario Draghi n’est pas content de ces arrivées illégales. Il souhaite inscrire la question des migrations à l’ordre du jour du sommet européen de deux jours qui se tient à Bruxelles et qui débute le lundi de Pentecôte.
Enclave Ceuta
L’Espagne a également connu des difficultés cette semaine. Mardi, au moins huit à dix mille Africains sont partis à la nage ou en bateau pneumatique du Maroc vers l’enclave espagnole de Ceuta, en Afrique du Nord. Les gardes-frontières marocains, qui font normalement tout leur possible pour arrêter les migrants conformément aux accords conclus avec Madrid et reçoivent à cette fin plusieurs millions d’euros de Bruxelles, ont sciemment détourné le regard. Jusqu’à présent, deux corps ont été rejetés sur le rivage.
Le drame est déclenché par un différend entre l’Espagne et le Maroc au sujet du chef rebelle Brahim Ghali du Front Polisario. Ce mouvement œuvre pour un État indépendant au Sahara occidental, une ancienne colonie espagnole que le Maroc a annexée en 1976.
Au mécontentement du gouvernement de Rabat, Ghali a été traité sous un faux nom dans un hôpital espagnol pendant plusieurs semaines. Selon Madrid, cela se produit uniquement pour des « raisons humanitaires ». Entre-temps, la Cour suprême espagnole a cité Ghali à comparaître pour des soupçons de crimes de guerre.
Tout comme le commissaire européen Schinas, la ministre espagnole de la défense, Margarita Robles, a dénoncé jeudi les pratiques de « chantage » du Maroc à la frontière. « Il est inacceptable de mettre en danger des vies humaines », a-t-elle déclaré. Schinas a déclaré que Ceuta n’est pas un problème pour Madrid seulement, mais pour l’ensemble de l’UE. Bruxelles souhaite une relation avec le Maroc basée sur la confiance et l’engagement partagé, donc « les contacts internationaux doivent savoir que la migration fait partie intégrante d’un partenariat avec eux », a-t-il menacé.
Échange
Le fait est, bien sûr, que les pays non membres de l’UE l’ont déjà compris depuis longtemps, mais d’une manière complètement différente de celle calculée par Bruxelles. Parce que, probablement plus nettement encore que l’UE elle-même, ils voient que les grands flux migratoires irréguliers sont le talon d’Achille de Bruxelles. Et certains en font bon usage, comme le Maroc cette semaine et avant. Alors que Rabat refuse de reprendre les Marocains illégaux venant, entre autres, des Pays-Bas, il le fait depuis l’Espagne : pas gratuitement, mais en échange d’argent et de permis de travail temporaires pendant la saison agricole espagnole.
La Turquie a également utilisé des bus à la fin de l’hiver dernier pour amener les nombreux réfugiés syriens présents sur son sol à la frontière avec la Grèce. Le président Recep Tayyip Erdogan a promis de ne plus les arrêter malgré les accords de 2016 avec l’UE.
Ainsi, Ankara espérait forcer l’UE à donner encore plus d’argent pour l’accueil des migrants, l’exemption de visa pour les citoyens turcs vers l’UE et la modernisation de l’union douanière. En septembre, Erdogan a effectivement reçu des millions supplémentaires. Aujourd’hui, un sac d’argent encore plus grand et une réforme de l’union douanière se profilent à l’horizon.
Jouer
Il n’est donc pas surprenant que, selon les Italiens, la Turquie soit également à l’origine de l’afflux soudain et important de réfugiés de Libye à Lampedusa. Ankara est intervenu dans la guerre civile libyenne depuis l’année dernière, repoussant un seigneur de guerre qui voulait expulser le gouvernement de la capitale, Tripoli.
Erdogan a agi ainsi principalement par intérêt pour les champs pétrolifères libyens et pour étendre sa sphère d’influence en Méditerranée. Mais le fait que l’UE puisse également vouloir allouer des milliards pour maintenir les migrants en Libye et en Tunisie est bien sûr un bonus. Jeudi, des consultations ont déjà eu lieu à ce sujet en Tunisie, qui, selon Bruxelles, se sont déroulées « avec succès ».
Draghi veut également s’arranger, lors du sommet européen, pour que d’autres États membres prennent volontairement en charge les migrants en provenance d’Italie. Mais cette idée ne suscite pas l’enthousiasme. « Ce n’est pas la première fois que l’Italie européanise un problème intérieur », raille un diplomate européen. Les autres pays de l’UE trouvent facile que les pays d’arrivée en Europe du Sud paient pour l’accueil, alors qu’eux-mêmes ne le font pas ou moins. Et donc, la migration reste un moyen parfait pour Erdogan et d’autres de diviser l’Union.
Het Financieele Dagblad, 21 mai 2021
Etiquettes : Union Européenne, UE, migration, Maroc, Tunisie, Libye, Turquie,
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