Conseils d’un panel d’économistes présidé par Olivier Blanchard et Jean Tirole à Emmanuel Macron sur les retraites et au-delà
Le rapport sur les « grands défis économiques de la France », rédigé par l’ancien fonctionnaire du FMI Olivier Blanchard et le prix Nobel d’économie Jean Tirole, cherche à définir les grandes lignes de l’après-crise dans le domaine de la santé.
Aborder la sortie de la crise sanitaire en se projetant dans l’avenir. Trois jours après le premier tour des élections régionales dont le résultat a eu l’effet d’un camouflet pour son parti, et peu avant de recevoir Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, venue annoncer le feu vert de Bruxelles pour financer une partie du plan de relance français, le chef de l’État a reçu, mercredi 23 juin, un rapport sur les « grands défis économiques » du pays.
Rédigé sous la supervision d’Olivier Blanchard, ancien économiste en chef du Fonds monétaire international (FMI) et professeur au Massachusetts Institute of Technology (MIT), et de Jean Tirole, lauréat du prix Nobel d’économie 2014 et professeur à l’École d’économie de Toulouse, ce document de plus de 500 pages présente des recommandations sur trois thèmes : le changement climatique, la réduction des inégalités et l’adaptation au vieillissement de la population.
Après celui de la commission Arthuis sur la dette à la mi-mars, puis celui de la Cour des comptes sur les finances publiques le 15 juin, ce rapport est le dernier d’une série de travaux d’experts économiques qu’Emmanuel Macron a voulu mettre à profit alors qu’il entame la dernière année de son quinquennat.
« PROCRASTINATION POLITIQUE »
Il est difficile – lit-on dans Le Monde – d’établir ce que le chef d’Etat pourrait concrètement utiliser. A la fois parce que le ton du rapport reste clairement académique, et parce que l’Elysée est particulièrement réservé sur son utilisation, se contentant de saluer « une contribution importante au débat public ». « Ce n’est pas du tout le rapport Attali [présenté à Nicolas Sarkozy en 2008], qui fournissait des conclusions toutes faites. Nous parlons ici d’un dogme économique », justifient-ils.
« Sur nos trois sujets d’étude, les effets de la procrastination politique sont différés dans le temps, ce qui permet de ne pas prendre des mesures qui provoquent des tensions, comme un prix suffisant pour le carbone, ou une augmentation de l’âge de la retraite », indique M. Tirole, qui précise l’importance de « réfléchir à l’acceptabilité des réformes. »
Avec la participation de vingt-six économistes internationaux, la commission réunit aussi bien des Français comme Jean Pisani-Ferry et Philippe Aghion, qui ont inspiré le programme économique d’En Marche en 2017, que Laurence Boone, économiste en chef de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et ancienne conseillère de François Hollande. Mais aussi l’Américain Larry Summers, secrétaire au Trésor sous Bill Clinton, ou Paul Krugman, prix Nobel d’économie 2008, encadrés à gauche.
Créée en mai 2020, à la fin du premier enfermement, la commission devait initialement rendre ses recommandations à la fin de l’année dernière, mais les retombées sanitaires et les reconfinements qui ont suivi en ont décidé autrement.
Le rapport se veut large et prospectif, car « les difficultés structurelles qui existaient avant Covid-19 sont toujours d’actualité et ont souvent été exacerbées par la pandémie. » Cependant, les experts n’offrent pratiquement aucune proposition innovante ou hétérodoxe, ni aucun chiffre précis.
UNE TAXE SUR LE CARBONE ÉTENDUE
Sur la transition verte, ils appellent à une taxe carbone étendue au logement et aux transports, dont « tout ou partie » des recettes iraient aux ménages modestes, potentiels outsiders du système.
Au chapitre des inégalités, les auteurs insistent sur la nécessité de renforcer l’égalité des chances – un thème cher au candidat Macron dans son programme de 2017 -, et de lutter contre la faible mobilité sociale en France, pour permettre l’accès à des emplois de qualité. « Sur l’éducation, il faut mettre de l’argent et être prêt à en dépenser plus [pour les moins favorisés] », dit Blanchard, rappelant la nécessité de développer la formation professionnelle et l’apprentissage et de mieux lier le travail de Pôle emploi aux besoins des entreprises. Le rapport soutient l’imposition minimale des multinationales actuellement en discussion à l’OCDE, au nom d’une « fiscalité plus équitable ». Cependant, il laisse de côté le débat sur la taxation des plus riches. « Une taxe de solidarité, exceptionnelle, n’est pas impensable », dit M. Blanchard.
La commission est favorable à une réforme de la fiscalité des héritages et des donations. Rouvert en vain au début du quinquennat par la majorité parlementaire, plébiscité par les économistes au nom de la lutte contre les inégalités de naissance, ce dossier extrêmement délicat car largement impopulaire – même dans les milieux les plus modestes – avait été à chaque fois refermé par le chef de l’Etat au nom de l’exaspération fiscale.
« Nous proposons un système basé sur les bénéficiaires : un impôt à taux croissant sur tous les montants cumulés reçus par une personne (dons, héritages, etc.) au cours de sa vie. Et ce, avec un abattement élevé, pour permettre à la classe moyenne de transmettre un patrimoine à ses enfants en franchise d’impôt », explique Stefanie Stantcheva, professeur à Harvard et membre du comité. Elle déplore un système actuel qui est « à très courte vue ». En répartissant les transferts tout au long de leur vie, les contribuables les plus riches peuvent largement échapper à l’impôt [en restant sous les seuils d’imposition]. Les recettes d’une telle réforme seraient « explicitement affectées à l’aide aux jeunes défavorisés », selon M. Blanchard.
Le rapport critique également les exonérations fiscales pour les transferts d’assurance-vie et remet en question le principe des niches fiscales en général.
LA PRISE EN COMPTE DES DIFFICULTÉS
Enfin, dans le chapitre sur le vieillissement, le rapport consacre une grande attention à la question des retraites, qui fait actuellement l’objet de discussions au sein de l’exécutif.
Elle critique le système actuel, « complexe et incompréhensible », et appelle à un système unifié et plus équitable. L’idée des auteurs : partir de la version 2020, » à points « , de la réforme, issue du rapport Delevoye qui instaurait un » âge d’équilibre » pour la retraite et reportait de 62 à 64 ans les sorties à taux plein.
Mais la commission suggère d’indexer les pensions sur les salaires, plutôt que sur les prix, et de rendre le système de points plus lisible. Elle propose également d’élargir la fenêtre d’opportunité pour une retraite complète, afin que les personnes âgées puissent travailler plus longtemps si elles le souhaitent. Enfin, elle recommande de tenir compte de la pénibilité, des bas salaires et des carrières partielles en utilisant un système de « points gratuits ».
En tout état de cause, la réouverture d’un tel projet serait « impossible avant les élections », estime l’économiste Axel Börsch-Supan, directeur de l’Institut Max-Planck de Munich. « Une réforme des retraites doit être préparée. Ce n’est pas un processus rapide. »
En effet, en ce qui concerne les finances publiques, « il n’y a pas de crise de la dette », affirme Olivier Blanchard, pour qui « si on fait des investissements qui augmentent la croissance, on peut se permettre d’augmenter la dette. » « Soyons réalistes : même avec l’austérité budgétaire, nous réduirions la dette publique de 120% à 115% du PIB [produit intérieur brut] en seulement cinq ans. Le jeu n’en vaut pas la chandelle », a-t-il déclaré.
« Nous devons être attentifs aux personnes lésées par les réformes », insiste Jean Tirole. Autant de remarques en forme d’avertissement au chef de l’État, dix mois avant une élection présidentielle très incertaine.
Start Magazine, 26 juin 2021
Etiquettes : France, Emmanuel Macron, économie, relance post-pandémie, Olivier Blanchard, Jean Tirole,
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