Maroc: Emission de la “Radio 1” aux Pays-Bas sur l’affaire Omar Radi

A la demande de quelques journalistes cet après-midi, voici sous forme de résumé une retranscription de l’émission “Bureau Buitenland” à laquelle Jan Hoogland et moi avons participé ce 7 juillet.

Présentateur Abdou Bouzerda [P] : Au Maroc aussi, la liberté de la presse est sous pression (…)

Le journaliste Omar Radi risque une très longue peine de prison de 15 ans. Il serait ainsi un espion pour les Pays-Bas, c’est en tout cas ce que soupçonne le Maroc, sur la base de son amitié avec le belge Arnaud Simons, qui travaillait à l’ambassade des Pays-Bas à Rabat. (…)

Monsieur Hoogland, qui est donc ce Omar Radi ?

Jan Hoogland [JA] : Omar est un jeune journaliste critique et indépendant, qui s’est notamment penché sur le sujet de la politique foncière, pour ainsi dire. Certaines tribus au Maroc sont collectivement propriétaires de terres, des terres que les autorités sont en train de diviser et de redistribuer à des amis et à des personnalités influentes. On peut certainement ici parler de corruption, une corruption sur laquelle Omar était en train d’enquêter.

[P] Monsieur Simons, vous connaissez également Monsieur Radi personnellement, quel type d’homme est-il ?

Omar et moi nous sommes rencontrés il y a une dizaine d’années maintenant. A l’époque en 2012 je travaillais au sein de la Délégation Wallonie-Bruxelles à Rabat, Omar était déjà à l’évidence quelqu’un de très intelligent et de réellement intéressant. Il commençait alors à se faire remarquer comme journaliste et était connu comme un activiste du mouvement du 20 Février.

[P] : Le mouvement du 20 Février qui a donc émergé durant le printemps arabe, Omar était déjà un activiste, il défendait la démocratie.

Arnaud Simons (AS) : Oui absolument. À la suite de notre rencontre nous sommes restés en contact, nous avions des intérêts communs et nous sommes tout de suite bien entendus. Notre rencontre a ainsi eu lieu plusieurs mois avant que je ne commence à travailler à l’ambassade des Pays-Bas à Rabat.

[P] Monsieur Hoogland, cette enquête sur l’expropriation des terres est donc le contexte dans lequel intervient les accusations, mais il n’est pas poursuivi pour celle-ci. Pourriez-vous nous en dire plus sur les charges contre lui ?

[JA] Il y a donc deux éléments retenus, le premier comme vous l’avez indiqué serait l’espionnage pour les Pays-Bas, l’autre concernerait le viol d’une collègue. Cette seconde charge d’accusation s’inscrit dans le cadre de ces deux dernières années au Maroc, au cours desquelles les journalistes critiques sont poursuivis par la justice, non pas pour leur travail, mais bien parce qu’ils auraient commis des crimes sexuels. C’est ainsi tout à fait fortuit que tous les journalistes critiques soient ainsi également des délinquants sexuels… ce n’est pas possible !

[P] C’est aussi un questionnement que je partage. Concernant les charges d’espionnage, votre nom est cité Monsieur Simons dans les rapports du tribunal, vous êtes accusé d’avoir été en charge (…) d’espions pour les Pays-Bas, je me permets donc cette question : êtes-vous une sorte de maître espion ?

[AS] Absolument pas, ces accusations sont sans fondement. J’ai à ce sujet fait parvenir aux avocats d’Omar l’ensemble des preuves documentées et notre espoir est que le juge acceptera de se pencher sur les documents originaux qui lui ont été remis. Le cœur du dossier est le nombre d’appels et de messages qui ont été échangés entre Omar et moi lorsque je travaillais à l’ambassade des Pays-Bas, entre 2012 et 2015. Selon les avocats d’Omar, c’est justement le nombre de ces appels et messages qui est utilisé pour justifier les charges d’espionnage au profit des Pays-Bas.

[P] Donc pour que je comprenne, vous aviez un téléphone de service à l’ambassade, où vous travailliez en tant que non diplomate et avec ce téléphone vous passiez naturellement aussi des appels privés, un de vos contacts privés étant ce Omar Radi ?

[AS] Oui c’est bien ça. Omar étant aussi un journaliste, il m’est arrivé de le contacter dans le cadre d’activités économiques de l’ambassade. C’était alors normal à l’ambassade pour toutes les personnes qui avaient un téléphone de service, de n’utiliser qu’un seul téléphone.

Omar m’a affirmé en 2012 que son téléphone était sur écoute, il ne s’agissait pas que d’une supposition de sa part, étant donné qu’il apparaît maintenant que la police avait procédé à sa mise sur écoute depuis 2011. Cela signifie notamment que le dossier contient l’ensemble des messages que nous nous sommes envoyés, ainsi qu’une retranscription des appels passés. Je trouve dommage que ces éléments n’aient pas été rendus publics car s’ils l’avaient été, la nature ridicule de ces charges d’espionnage aurait été évidente pour tous.

[P] Ce qui me frappe aussi au niveau du dossier, c’est que vous auriez utilisé une fausse identité, la justice marocaine affirmant ainsi qu’Arnaud Simons n’existe pas… comment est-ce possible?

[AS] Oui effectivement, il y a une dizaine de jours, en réponse à la demande des avocats d’Omar de m’interroger comme témoin à décharge, le ministère public a affirmé qu’ « Arnaud Simons » était une fausse identité et que je n’existais pas…

[P] Pourtant vous existez bien, je vous parle en ce moment et notre rédaction l’a également vérifié…

[AS] Oui naturellement ! Le jour suivant, je suis donc allé chez un huissier de justice en Belgique avec ma carte d’identité, pour que celui-ci vérifie l’authenticité des documents que nous avons ensuite fait parvenir au juge, à savoir : un certificat de résidence marocain, une sorte de carte d’identité marocaine utilisée par les personnes qui vivent dans le pays, un acte de naissance ainsi que mon contrat de travail avec l’ambassade des Pays-Bas. La version originale de l’ensemble de ces documents est parvenue au juge.

[P] On peut au moins dire que vous avez fait tout ce qu’il était possible de faire pour prouver que vous existez bien, ce qui est en soi assez bizarre mais bon… Monsieur Hoogland, vous parliez donc d’une tendance à poursuivre des journalistes pour des affaires de mœurs… concernant cette accusation d’espionnage, je mentionne que Monsieur Simons et vous étiez collègues au sein de l’ambassade, quelle est la crédibilité des accusations ?

[JA] Ces accusations n’ont pas la moindre crédibilité. Comme vous l’avez indiqué, Arnaud et moi étions collègues, je sais quel type de travail il faisait, nous avons aussi fait des choses ensemble comme les soirées du film néerlandais… le travail d’Arnaud n’avait absolument rien à voir avec un quelconque travail de renseignement ou quoi que ce soit qui y soit lié.

D’ailleurs si les autorités marocaines avaient réellement accordé du crédit à cette histoire d’espionnage, ils auraient évidemment réagi à l’époque. Ils auraient alors contacté l’ambassade pour leur dire qu’Arnaud allait devoir être expulsé ou quelque chose comme ça… Ca s’est déjà passé avec des espions marocains qui travaillaient à l’ambassade de La Haye, on demande alors à l’ambassade de retirer telle ou telle personne, c’est arrivé avec les Russes aussi etc.

[P] Ce qui est fou aussi, on a donc demandé un commentaire à l’ambassade marocaine ici qui n’a pas souhaité réagir, mais le Ministère des Affaires étrangères néerlandais n’a pas non plus réagi aux accusations selon lesquelles nous aurions ainsi engagé de la sorte Monsieur Simons.

[JA] Oui je pense qu’il y a quelques explications possibles. Je ne suis plus membre de l’ambassade donc il ne s’agit que de ma lecture ici.

Premièrement, je pense que l’ambassade ne souhaite pas se mêler à cette affaire judiciaire et qu’ils disent en l’état : « il n’y a aucune preuve, il n’y a donc pas lieu de réfuter quoi que ce soit. Si le juge fait son travail cela apparaîtra tout seul ». J’ai peur cela dit que la justice au Maroc ne fonctionne de manière assez différente.

Ensuite, l’objectif principal de l’ambassade à Rabat est de défendre les intérêts néerlandais. Ces dernières années, les relations entre le Maroc et les Pays-Bas étaient déjà un peu compliquées, le fait d’aller se faire remarquer en s’impliquant dans un tel dossier peut être négatif pour ces relations.

[P] Merci à vous deux. J’espère en tout cas Monsieur Simons que nous avons permis de démontrer aux autorités marocaines ce soir que vous existez bien et que cela aidera votre ami et notre collègue journaliste Omar Radi.


Arnaud Simons, 13/07/2021

Etiquettes : Maroc, Omar Radi, Arnaud Simons, presse, journalistes,

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