Belhimer: L’Afrique recherche des partenariats plus équilibrés. Emergence à l’échelle continentale d’un panafricanisme hostile au cadre néo-colonial qui régente la « Françafrique.
Le ministre algérien de la Communication est revenu dans une interview accordée à l’AA sur les relations algéro-turques et sur l’émergence à l’échelle continentale d’un panafricanisme hostile au cadre néo-colonial qui régente la « Françafrique ».
Les relations entre l’Algérie et la Turquie n’ont cessé de se renforcer notamment durant la dernière période, dans quel sens va cette coopération et dans quelles perspectives ?
Les relation algéro-turques n’ont cessé de se développer, particulièrement depuis le début du siècle. Ce développement s’inscrit dans une sorte de partenariat d’exception qui, en très peu de temps, propulsa la Turquie au rang de 5ème partenaire commercial et de premier investisseur étranger en Algérie.
Ces relations privilégiées trouvent-elles leur source dans l’histoire commune des deux pays ? Dans des objectifs partagés ?
Il y a en effet ce que vous appelez « une histoire commune » aux deux pays pour des objectifs partagés que des conditions historiques ont rendu nécessaires. Contrairement aux lectures erronées qui sont faites par certains, elle ne s’inscrit nullement dans ce qui est prétendu être « une colonisation ottomane ».
Au début du XIVe siècle, l’emprise religieuse sur les entités étatiques et leurs alliances est prééminente. L’Islam comme le Christianisme ont inspiré ces entités, les ont fait collaborer dans des affrontements ininterrompus.
Les coreligionnaires turques ont répondu présent à la demande autochtone d’assistance pour éloigner la menace espagnole qui pesait sur certaines villes côtières.
C’est ainsi que Barberousse partit pour Jijel en 1523. Elle sera la première ville délivrée de la menace espagnole par l’assistance ottomane.
De Jijel partirent les autres campagnes qui allaient libérer les autres villes : Béjaia, puis Alger aux portes de laquelle se retrouvent dès 1526 les forces réunies à chaque étape, pour chasser les occupants espagnols. Le 21 mai 1529 les forces communes s’emparent de forteresse de Pénon, face à Alger.
L’expédition s’opère sous l’étendard qui représente aujourd’hui une pièce importante du musée de la marine à Besiktas à Istanbul où une aile entière abrite un hommage à ce moment particulier des rapports entre l’Algérie et la Sublime Porte.
La France, « fille ainée de l’Eglise», tentera de reprendre pied à Jijel, là où les Espagnols ont été chassés. Le 2 juillet 1664 sur ordre du roi de France Louis XIV, un corps expéditionnaire de 6500 appareille de Toulon sous le commandement du duc de Beaufort. Trois semaines plus tard il est au large de Jijel pour une opération qui tourna au fiasco.
Lors du défilé du 14 juillet dernier, les Algériens ont été surpris de voir un engin militaire français estampillé de la mention « Djidjelli 1664 », y voyant une surprenante commémoration d’une défaite.
La coopération économique entre les deux pays est-elle satisfaisante ou peut-elle encore être renforcée ?
La coopération économique peut être élargie encore davantage. Elle comporte deux volets : les échanges commerciaux et les investissements directs
Les échanges commerciaux appelés à atteindre les 5 milliards de dollars à la fin de cette année demeurent encore insuffisants au regard des potentialités recensées non encore exploitées. Ce niveau place déjà la Turquie comme cinquième partenaire du pays.
Les investissements turcs évalués à 5 milliards de dollars couvrent 400 projets d’investissements portés par 1300 entreprises pour un effectif d’environ 30000 salariés.
La Turquie est, à c e titre, le premier investisseur étranger chez nous.
L’agriculture, le tourisme et les services sont les vecteurs privilégiés de la relance de la coopération souhaitée par les deux parties.
Qu’envisagez-vous au niveau de la coopération bilatérale pour reconstruire et stabiliser la Libye?
L’Algérie a ouvert sa frontière terrestre avec la Libye après avoir abrité une rencontre d’hommes d’affaires de ce pays voisin, frère et ami. Elle n’épargnera aucun effort pour contribuer à sa reconstruction dans le sens d’une consolidation de sa souveraineté, de son unité territoriale, sa stabilité, loin de toute ingérence, intervention ou présence étrangères, dans un climat de dialogue et de réconciliation comme base d’un vivre ensemble harmonieux dans une société démocratique
Le rapprochement Alger-Bamako inquiète la France, qu’en est-il au juste ? Comment analyser l’affolement de la France
Comme je l’ai déclaré à RFI le 15 juillet dernier, la doctrine militaire française qui a projeté l’opération barkhane au Mali est inappropriée, voir est contre-productive. Elle prétend anéantir militairement les forces du terrorisme qui frappe la France. Ce faisant, elle instaure une sorte de «tutorat» qui méprise les forces locales, réduites à des supplétifs pour la protection des sources d’uranium nécessaires au complexe nucléaire français. Si l’intention était noble, ces moyens colossaux déployés auraient constitué un atout pour le développement économique, social et culturel de ce pays – seule réponse durable à l’extrémisme et à l’obscurantisme si tant est qu’ils constituent une préoccupation réelle pour la France.
Pensez-vous que ce qui se passe actuellement au Mali notamment le rejet du protectionnisme français serait le début d’un processus de désengagement vis-à-vis de la France à l’échelle continentale ?
Il y a, en effet, un regain évident et salutaire de panafricanisme hostile au cadre néo-colonial qui régente la « Françafrique ».
Toute l’Afrique subsaharienne, l’Afrique de l’Ouest et Sahel notamment, ressent la présence française comme une humiliation. Il semble bien que les rapports de domination-soumission post-indépendances qui se sont substitués aux rapports dominant-dominé qui ont prévalu à l’époque coloniale arrivent bel et bien à leur terme, au profit d’un partenariat plus équilibré porté par les nouveaux partenaires émergents que sont la Turquie, la Chine et la Russie.
*Ammar Belhimer est un enseignant en droit public et journaliste algérien, devenu ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement Djerad le 4 janvier 2020. Il est le fondateur de quatre journaux, et a une expérience d’éditorialiste et chroniqueur.
Anadolou
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