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Privé de son pétrole, le Soudan s’est lancé dans la course à la pépite. Hemeti, chef de guerre devenu général insurrectionniste, s’est enrichi et a développé son pouvoir grâce à l’or. Le groupe Wagner est en embuscade.
L’argent est le nerf de la guerre. Ou l’or, dans le cas du Soudan. Depuis deux semaines, deux généraux rivaux sèment le chaos à Khartoum et dans la région du Darfour. L’aviation survole la capitale, des bombardements en défigurent le centre, les balles fusent dans les rues et les habitants fuient en masse. A l’origine de ces scènes surréalistes, la rivalité entre le général al-Burhan, qui dirige l’armée régulière, et le général Hemeti, à la tête du groupe paramilitaire des Forces de sécurité rapide (FSR). Les trêves négociées n’empêchent en rien les combats : plus de 500 personnes sont mortes et plusieurs milliers ont été blessées en moins de quinze jours.
Pour alimenter ces violences sans merci dans une économie exsangue, le général Hemeti peut compter sur les milliards qu’il a amassés lors de sa longue carrière de chef de guerre. Et notamment dans le secteur de l’or, devenu le carburant de la guerre au Soudan.
Avec l’une des populations les plus pauvres du monde, selon le classement de la Banque mondiale, le Soudan se vante paradoxalement d’être l’un des pays les plus riches du monde. Son sous-sol abrite effectivement des ressources importantes en pétrole, en or et d’autres minéraux précieux comme l’argent, le fer… Mais depuis la guerre civile et l’indépendance du Soudan du Sud en 2011, le pays a perdu une grande partie de sa capacité de production de pétrole. Les réserves se trouvent stratégiquement à la frontière entre les deux pays. « La sécession du Sud-Soudan a eu des répercussions importantes sur l’économie soudanaise car le Soudan a perdu 75 % de ses réserves pétrolières au profit du Sud-Soudan », souligne l’Administration américaine d’information sur l’énergie.
Les Emirats et la Russie en embuscade
Il a donc fallu trouver une parade. « Depuis 2011, on assiste à un boom de l’or », explique Magdi El Gizouli, chercheur au Rift Valley Institute. Le pays est aujourd’hui considéré comme le dixième producteur d’or mondial avec des exportations allant de 4 à 16 milliards de dollars, selon les sources. Et grâce aux guerres civiles, Hemeti a pu devenir le roi de la pépite. « Les FSR sont, à bien des égards, une structure d’entreprise construite autour de la commercialisation de la guerre, de la main-d’œuvre et de la sécurité dans l’industrie minière », continue l’expert. Cette milice autofinancée a pris du pouvoir, et des armes, au point d’être capable de s’opposer frontalement à l’armée régulière du général al-Burhan.
Lors des guerres civiles, le dictateur Omar al-Béchir sous-traitait les opérations les plus risquées de la guerre du Darfour à Hemeti et ses milices « janjawid ». En assurant la sécurité pour le compte du gouvernement, en contrôlant les routes grâce à des checkpoints, les FSR avaient également la mainmise sur les routes des trafiquants d’or, venus de mines artisanales. « La banque nationale avait beaucoup de mal à contrôler le commerce de l’or, car les FSR pouvaient taxer les routes de trafic et se sont fait ainsi beaucoup d’argent », commente Magdi El Gizouli. « Le gouvernement soudanais poursuivait ainsi des buts contradictoires : il avait l’usage et le besoin de forces de combat, qui aspiraient la richesse nationale en même temps. »
Hemeti a ainsi pris le contrôle de la mine d’or de Jebel Amer dans le Darfour. Et il prospère au point d’être considéré comme l’un des hommes les plus riches du Soudan.
A ses côtés, Hemeti compte aujourd’hui sur deux puissances militaires et commerciales : les Emirats arabes unis… et la Russie. « Une part importante du trafic d’or est exportée via Dubaï. Ce qui explique l’intérêt des Emirats » au Soudan, continue Magdi El Gizouli. Selon une enquête de 2019 de l’ONG Global Witness, « les FSR ont reçu 11 millions de dollars en paiements de Tradive General Trading, qui semble être une société écran des FSR basée aux Emirats arabes unis, sur un compte apparemment en (leur) faveur à la Banque nationale d’Abou Dhabi ». Toujours selon Global Witness, « Hemeti s’est effectivement emparé d’une grande partie de l’ensemble du marché de l’or au Soudan grâce à ses liens étroits avec Al Gunade, un grand conglomérat actif dans le commerce de l’or et la construction, qui est détenu et contrôlé par Hemeti et sa famille ». Les milices du groupe paramilitaire ont d’ailleurs combattu aux côtés des Emirats arabes unis dans la guerre au Yémen.
Wagner au Soudan
En parallèle, Moscou a investi le terrain du Soudan, à l’instar de nombreux autres pays africains. En 2018, Hemeti concluait un accord avec Wagner, qui l’aidait à se former et à obtenir du matériel. Est-ce, comme le groupe d’Evgueni Prigojine l’a fait en Centrafrique ou encore au Mali, pour jouer la déstabilisation et s’implanter militairement au Soudan ?
Le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, s’en inquiète. « Nous avons de très sérieuses préoccupations sur l’engagement du groupe d’Evgueni Prigojine – le groupe Wagner – au Soudan », a-t-il déclaré cette semaine, priant les « forces externes de laisser le Soudan tranquille ». « Il s’agit d’une nouvelle pièce dans la tentative de la Russie de pousser l’Occident hors de cette partie de l’Afrique et de remplacer la démocratie par le chaos. L’objectif de ce chaos est qu’il atteigne finalement l’Europe », estime le chercheur belge Koert Debeuf dans une carte blanche. Les informations sont cependant floues sur la présence russe au Soudan et les liens de Wagner avec les FSR. Mais les diplomaties occidentales se méfient : chat échaudé craint l’eau froide.
Le Soir (Belgique), 28 avril 2023
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